Requête d'un peuple guerrier pour le dieu de la Guerre [PV Andran / Héléna]

Comme s'y attendait plus ou moins Terrance, l'aubergiste se montra bien dédaigneux des religieux. Évidemment, quand on arnaquait tout ce beau monde, il ne fallait pas s'attendre à ce que des pèlerins ou des clercs n'échappent à la règle. Fort malheureusement, le banditisme ne s'arrêtait pas à des histoires de religion… sauf à la leur, éventuellement. Cela demeurait curieux de le voir faire référence à un émissaire du comte, alors que c'était justement pour sa bonne poire que ces deux chevaliers jouaient aux pauvres pèlerins dans ce repaire de brigands.

Pour peu que ce soit un malheureux hasard, les chevaliers avaient pu avoir confirmation que Lün contestait plus ou moins le pouvoir comtal. Les trois soulards près des chevaliers ressemblaient à des bons à rien plus qu'autre chose. Ils ne pourraient sûrement pas se lever, sans quoi ils s'écraseraient sur le sol aussi sec. S'ils pouvaient se donner l'air d'être fidèle à Radbod, nul doute qu'ils retourneraient leur veste au moindre danger. Pourtant, si Korm avait eu l'idée de soulever le peuple contre le seigneur, surtout après avoir entendu le récit du paysan, il ne serait pas sûr de leur faire confiance.

Soudain, une voix de tonnerre se fit entendre, plus loin. Elle ressemblait à la voix d'une femme masculine, comme si elle était une soldate ou une guerrière. Mais, ce n'était ni l'un ni l'autre. Une ogresse déboula de derrière les rideaux. Elle était encore plus énorme que l'aubergiste, et elle était visiblement la cuisinière de l'établissement. Les deux chevaliers déguisés en moines ne savaient plus quoi dire ou faire. Deux autres hommes avaient révélé à la femme que l'aubergiste, qui était son mari, essayait bien d'arnaquer les pèlerins.
La scène tourna au ridicule, car “Bonnarie” continua de hurler jusqu'à fracasser son rouleau de pâtisserie sur le crâne du bonhomme. Terrance était à la fois amusé et impressionné, alors que Korm ne comprenait plus rien. C'est bien la première fois qu'ils voyaient une femme dominer autant un homme. Ce dernier essayait de minimiser, mais elle le frappa une nouvelle fois, jusqu'à ce qu'il quitte la pièce. Bonnarie prit sa place, et, étonnamment, elle accueillit très aimablement les deux pèlerins, qui devenaient balbutiant.

« Un grand merci pour votre générosité. Votre honnêteté fait honneur à Othar. » dit Korm en écartant les bras, paumes vers le haut, comme pour bénir l'aubergiste.
« Pour répondre à votre question : nous sommes là pour « affaires » si l'on peut dire. Nous sommes deux pèlerins serviteurs d'Othar, nous visitons toutes les villes où se tient n'importe quel structure qui lui est dédié : temple, autel, statue… Ce genre de choses. » ajouta Terrance.
« Nous cherchions une petite auberge où passer quelques nuits, mais votre mari nous a annoncé un tarif de quatre-vingt écus la nuit. Nous lui avons demandé pourquoi les prix étaient si élevés, alors que la plupart des gens n'ont pas autant d'argent, et nous lui avions alors demandé si Lün était tant en conflit avec le Comte que ça, car si les affaires fonctionnent… Mais ce n'est pas le cas, si ? »

Plus ça allait, plus ce qu'ils entendaient devenaient invraisemblables. Après des rafles venant d'un Seigneur qui ne s'occupait que de son confort personnel, et les escrocs et bandits en tout genre arpentant les rues de Lün, voilà maintenant que l'hérésie demeurait impunie. Comment le Comte, et plus encore le Marquis avaient-ils pu laissé le crime proliférer à ce point dans une ville pourtant grande ? Le seigneur Radbod, lui, en profitait plus ou moins, si ce n'est même qu'il touchait une partie de l'argent sale hérité du banditisme.

« Vous êtes en train de nous dire que … les temples sont profanés ? C'est absolument odieux ! » s'exclama Terrance, qui, dans son rôle certes, n'en était pas moins scandalisé.

Lorsqu'elle refusa d'être payée par un de ses clients, avant que Korm ne lui pose la question, elle révéla que ce pauvre bonhomme avait perdu sa femme récemment. Décidément, cette ville était terrifiante, et sans même penser aux plans de Magnus de Terresang, il fallait la nettoyer de tous ces criminels. Ceci étant, cette enquête confirmait un autre point : les vingt-quatre chevaliers des Marcheurs Austères n'étaient pas certains de tenir face à une telle armée, même aussi peu disciplinée. Un renfort, quel qu'il soit, serait sûrement nécessaire. L'avantage est que Radbod avait également un grand nombre d'ennemis, et nul doute que les prêtres d'Othar locaux n'hésiteraient pas à s'allier avec les chevaliers.
Le seigneur contrôlait le commerce et faisait sa loi ici. Plus rien ne pouvait l'arrêter… sauf une guerre, ce que le Comte préférait éviter, car, selon toute logique, la victoire n'était pas assurée. Les guerres civiles collaient à la peau d'Arétria, et il était louable de ne pas vouloir en ajouter une au grand palmarès du Comté.

« Donc, ce qu'on nous a raconté sur lui était vrai… Ces histoires sont à glacer le sang… » commenta Terrance, qui baissa la tête sur la boisson offerte par la maison.
« Les plus pieux et honnêtes sont les premiers à rejoindre Tyra… et je suis prêt à croire qu'elle est morte pour rien… »

L'enquête touchait à son terme. En s'approchant d'un Temple, il suffisait qu'il soit profané, occupé par des bandits armés jusqu'aux dents, et les prêtres pendus, maltraités ou exilés pour que les chevaliers comprennent que cette ville était un véritable nid de la pègre. Les Marcheurs Austères sous couverture ne tenaient pas à se battre, et préféraient s'en aller rapidement avant de tomber dans une embuscade de reîtres. Désormais, les chevaliers ne pouvaient se fier qu'aux victimes de Radbod : les commerçants, les paysans, et les clercs. En soi, cela était déjà bien, mais la moitié ne saurait pas tenir une arme. De plus, cela ne les pousserait pas forcément à prendre les armes, car les reîtres seraient impitoyables.

« Vous savez ce que sont devenus les prêtres qui étaient dans les temples ? Je suppose qu'ils n'y sont plus n'est-ce pas ? Ou peut-être qu'ils sont morts ? » demanda alors Korm.

Peu après avoir posé ses questions, Korm sentit quelqu'un s'approcher, dans son dos. Même s'il n'appréciait guère cette appellation de “cul-béni” pour désigner les prêtres, quels qu'ils soient, le chevalier apprit néanmoins que les prêtres officiaient dans l'ombre des bâtiments désertés. En plus de profaner les temples, Radbod menait la vie dur à tout représentant des clergés. Il n'était rien d'autre qu'un infâme hérétique, sans foi ni loi. Les plans de Magnus en devenaient accessoires aux yeux des Marcheurs Austères tant Radbod se rendait coupable d'innombrables infamies.

« Je ne saurais décrire ceux qui ne gardent pas la foi en nos Dieux. » répondit Korm à l'inconnu, en joignant les mains tel un prêtre. « Et l'on ne peut arracher les gens à leur croyance. Un seigneur-bandit ne peut égaler nos Dieux, et ceux-ci se chargeront de le lui faire comprendre s'il continue d'essayer. »

La voix de Korm trahissait une certaine colère. Le seigneur de Lün était l'archétype du criminel que n'importe quel prince n'hésiterait pas à pendre haut et court en public, devant les acclamations de la foule. Même un prêtre de Néera serait sûrement prêt à trahir ses principes les plus fondamentaux pour arrêter cet aliéné mental. Et pourtant, il a prospéré, encore et encore, jusqu'à se doter d'une forteresse imprenable et d'une très bonne armée.

« “Messire” Eryk ? Vous êtes noble ? » demanda Korm en serrant la main du représentant de la guilde des pêcheurs qui venait d'être présenté. « Je suppose qu'ici, votre guilde a de l'influence ? »
« À moins que Radbod ne vous mène également la vie dure ? S'il s'en prend aux prêtres et aux paysans, qu'est-ce que ce doit être pour les guildes marchandes ? » intervint rapidement Terrance, qui supposait facilement avoir raison.

Un bon tyran devait écraser ses premiers rivaux. En l'espèce, il s'agissait des religieux, et des guildes. Dans les grandes villes comme Lün, les corporations de métiers étaient très développées. Même le Marquis leur accordaient du crédit, et il fallait bien être fou, ou confiant pour les dédaigner. Sauf si Radbod avait ses contacts qui permettaient de les neutraliser, ce qui n'était pas impossible. Eryk pouvait déceler des informations d'une grande importance à ce sujet.

« Vous pourrez nous conduire auprès des prêtres qui officient loin des gardes ? Nous souhaiterions rencontrer nos congénères de cette ville, même si nous pouvons craindre qu'ils ne soient plus très nombreux… »

Finalement, les deux chevaliers n'étaient rassurés de savoir que Radbod ne s'en prenait pas à tout le monde de la même manière. Cela prouvait qu'il était assez intelligent pour savoir qui et quand frapper, et surtout comment. Mais, dans les deux cas, la guilde des pêcheurs pouvaient être un puissant allié. Elle subit Radbod, et elle souhaiterait sûrement qu'il dégage rapidement du trône. Terrance paya quand même les chambres, et remercia à nouveau l'aubergiste pour la gratuité de la boisson. Les deux pèlerins rabattirent leur capuchon sur la tête, et sortirent.

Sur le chemin, ils ne furent guère surpris de tomber sur des rustres. Immédiatement, les deux chevaliers portèrent la main à leurs épées qu'ils gardèrent engainées. Korm et Terrance avaient délibérément pris le risque de s'aventurer dans la ville, quitte à devoir se battre au cas où. Eryk avait également une arme dans le fourreau, mais ses deux accompagnateurs n'en connaissaient pas la qualité. Pouvait-elle être pire que l'attirail de ces trois bandits ?

La situation dégénéra rapidement. Lorsque le représentant de la guilde avait tué le premier rustre, les deux chevaliers avaient dégainés leurs épées, prêt à charger sur les deux derniers. Mais, ils étaient déjà morts, percés de carreau et de flèche. L'un des tireurs arriva apeuré vers Eryk, et les deux pèlerins étaient ravis de savoir qu'il avait des hommes d'armes à offrir. S'ils étaient nombreux, Radbod aurait de quoi s'inquiéter.

« Quelqu'un pourrait nous expliquer ce qu'il vient de se passer ? » demanda Terrance, qui craignait que d'autres types ne déboulent.

Un autre homme en vêtements amples arriva à son tour. N'importe quel homme assez pieux n'avait pas besoin de l'examiner trente minutes sans savoir qu'il était un prêtre de Néera. Les deux pèlerins joignirent les mains et exécutèrent une légère révérence pour saluer le prêtre.

« Nous sommes enchantés de vous rencontrer, mon Père... et très déçus qu'un prêtre de Néera ne puisse pas mener des offices sans risquer d'y laisser la vie. » dit Korm, qui regardait souvent autour de lui. « Ne pourrions-nous pas discuter dans un endroit plus... discret. Je vous avouerais que nous avons beaucoup de questions à vous poser sur ce qu'il se passe ici. »

Le prêtre était d'un flegme des plus étonnants. C'était à se demander s'il avait conscience de vivre dans une ville des plus dangereuses et qu'il pouvait perdre la vie d'une brutale manière. Peut-être était-ce devenu une habitude ? Korm et Terrance ne sauraient dire depuis combien de temps Radbod était Seigneur de Lün... la fâcheuse tendance arétane de changer de Comte s'était transmise à toutes ses cités. Mais, tout le monde l'avait compris, l'heure n'était pas aux questions.

Après s'être débarrassé des corps, le prêtre emmena les deux chevaliers déguisés, Eryk et les autres vers les entrepôts. Ils allaient de rue sombre en rue sombre, d'où n'importe quel bandit ou aliéné pouvait se montrer pour le tirer de l'argent ou simplement les emmerder. L'un des nombreux entrepôts qui composaient ce coin de la ville était gardé, et de la lumière jaillissait des interstices. La sentinelle reconnut le prêtre et l'ouvrit. Le brouhaha qui en sortait fit sursauter Terrance, qui en vint à se demander s'il n'était pas arrivé dans une auberge. Pourtant, il fut bienheureux d'y trouver des prêtres d'Othar, reconnaissable aisément par les marques qui lui sont dédiés. Optant pour un équilibre entre la chevalerie et le symbole d'Othar, l'Ordre des Marcheurs Austères avaient opté pour un diadème, un collier ou un bracelet qui représentait le feu d'Othar, bijou dont la structure rappelait également la noblesse du chevalier et que Korm et Terrance n'avait pas amené avec eux.

D'autres personnes étaient là, et il était bienheureux que le prêtre ait des complices. Tout le monde n'avait pas abandonné leur foi en ce bas-monde, que ce soit pour Othar ou pour Néera. Korm et Terrance furent étonnés des discours entonnés ici. Le paysan qu'ils avaient rencontré, il y a quelques jours, ne parlaient pas de potentielles insurrections, et lui-même ne semblait pas prêt à le faire. La peur en tiraille certains, et c'était normal lorsque le souverain est un tyran sans limite.

Alors que la réunion tourna en dialogue de sourds entre Otharites et Néerites, le prêtre de la DameDieu se tourna vers les nouveaux venus brillants de leur discrétion. Les deux personnes en question s'échangèrent des regards, se demandant quoi dire et qui allait prendre la parole. Finalement, c'est Korm qui s'avança.

« Je m'appelle Korm, et voici mon ami Terrance. Nous sommes tous les deux venus jusqu'en Arétria pour y visiter nos confrères Otharites, voir leurs temples et partager quelques passes d'armes pour Othar. Beaucoup nous ont déconseillés de venir ici, mais nous tenions à vous rencontrer, quitte à devoir se poser des questions. » présenta Korm, qui préférait annoncer d'ores et déjà certaines vérités aux prêtres d'Othar. Il n'avait pas pensé à prendre noms différents des leurs, et n'avait pas eu le temps d'y penser sur le moment. « Sur le chemin, nous avons rencontré un paysan qui nous a clairement fait comprendre que le seigneur Radbod a commis des rafles, surtaxe son peuple, n'hésite pas à faire violence et ne paie plus son impôt comtal. Une fois arrivés en ville, nous avons alors plus ou moins compris ce qu'il se passait réellement... »
« Radbod est un bandit, et il doit payer pour ses crimes, cela ne fait pas de débat. » intervint Terrance qui se mit à côté de son ami. Il semblait avoir coupé la parole de Korm, mais peu importe. « Nous sommes prêts à vous aider, au moins pour la populace qui le subit depuis trop longtemps, également pour restaurer les cultes, qu'il s'agisse d'Othar, de Néera, de Tyra ou même de Kÿria. Cependant, le Père Faudel a raison : il faut se préparer. Je crois qu'avant toute chose, il nous faudrait un compte-rendu complet de la situation à Lün. »

Spoiler:

Tout le monde était sur le qui-vive, prêt à soulever les armes et foncer droit sur les hommes de Radbod. S'ils ne s'organisaient pas un minimum, ils allaient droit au suicide, et Radbod éliminerait tout ses ennemis d'un seul coup. Certains semblaient prêt à tout, mais la plupart fixait des limites à une éventuelle révolte. Lün n'avait pas besoin de saigner ces civils, car nul doute que bon nombre de combattants perdraient la vie dans ce combat.

Rapidement, chaque personne présente élevait la voix, toute prête à saigner leur infâme seigneur. Finalement, c'était une bonne nouvelle qu'ils soient autant à détester Radbod. L'ennemi de mon ennemi est mon ami, comme disait le proverbe. Lorsque les chevaliers feraient leur rapport auprès des leurs et auprès du Comte, ce serait d'autant plus d'hommes prêts à se battre, en espérant que le Comte puisse fournir quelques hommes.

L'avantage, c'est que le prêtre de Néera était assez influent pour apaiser les tensions, ou au moins pour obtenir le silence. En effet, les deux pèlerins n'avaient pas pu en placer une, se contentant d'admirer le spectacle. Korm et Terrance avaient échangé plusieurs regards manifestes. Peut-être était-il temps de lever les masques ? Mais si une taupe de Radbod s'était glissée jusqu'ici ? Le risque était grand... très grand.

« Messieurs, écoutez-moi. » s'exprima Korm en enlevant sa capuche. Terrance semblait désapprouver, plus craintif, mais il était trop tard maintenant. « Nous ne vous avons pas tout dit. Je suis Sire Korm Prédeaux, Chevalier de l'Ordre des Marcheurs Austères. Quelqu'un nous a alerté et nous sommes venus enquêter. » Le chevalier préférait éviter de citer le Comte Magnus, tant parce qu'il ne savait pas quelle opinion les gens de Lün avait de lui que parce que sa réunion avec Terrance avait été informelle, donc impossible à prouver. « Si vous patientez quelques ennéades, nous pourrons réunir quelques chevaliers et peut-être rallier d'autres personnes à votre cause. »

Les chevaliers n'oubliaient qu'ils devaient faire leur rapport à leur Grand Maître autant qu'au Comte, qui pourrait sans doute leur apporter quelques hommes en plus, quitte à cacher leur origine et supprimer l'équipement en lien avec le Comte. Même peu ne serait pas un mal, car le nombre était une force face aux bandits vicieux de Radbod. La tactique en serait une autre, et la patience également. Surtout, cela permettrait d'éviter un énorme bain de sang, et un cuisant échec.

« Ce temps vous permettrait également de trouver tout l'équipement nécessaire, de monter un plan, et de réunir tout ceux qui sont prêts à se battre. Ce serait une erreur de sous-estimer les forces de Radbod. Il faut mettre toutes les chances de notre côté, sinon nous irons droit à l'échec. »