[Mare Noire] Il court il court... | Nehril

| Début en Ithri'Vaan
Intrigue liée à Diantra : Trois nuits pour une lune
L'orgueil des ignorants >>

Règles spécifiques à ce RP :
Pas de longueur de poste minimale
Double posts acceptés après 48h d'attente
Pas de tour de parole

Les joueurs participant à l'évènement sont priés de ne pas ouvrir de RP se déroulant après la date du présent RP jusqu'à la clôture de celui-ci.

Sujet HRP de l'évènement

Clôture au plus tard : Dimanche 18 août à 23h

1er jour de la 9e ennéade de Karfias ~ été
17e année du XIe Cycle
Égouts de Sol'Dorn

Le clapotis sale des bottes de cuir brisait la régularité de l'écoulement des immondices de la Cité assiégée. Pliés en deux dans le conduit pour ne pas racler le plafond, les trois silhouette avançaient en file indienne. En tête, une femme à la face masquée d'un visage de clown triste peint en noir et argent, tenait une lanterne à huile dont les parois de verre évitaient à la flamme de tanguer. grande et filiforme, la stature androgyne de la Concierge et ses cheveux noirs la vendait comme une elfe, mais la peau d'encre de ses bras chantaient un autre discours.

Un vent chaud charriait l'odeur âcre et acide des détritus mêlés aux eaux usées. Par moment, elle devenait forte à en pleurer. Les vêtements gorgés d'eau de deux des trois ombres en étaient imprégnés. La femme de tête ne portait qu'une tunique et un pantalon de cuir. Étant donné qu'ils avaient du nager dans le silence le plus total pour arriver en dessous des quais de Sol'Dorn, mieux valait voyager léger. Hélas, ils n'avaient pas pu reprendre le même chemin une fois leur hôte récupérer dans une taverne des quartiers humains, le gamin en question ne sachant pas nager.

C'est ainsi que Lyad, un jeune humain à la peau basanée dont les courts cheveux noirs s'ornaient d'une mèche blanche, s'était retrouvé dans les égouts de sa cité natale. Ses grands yeux noirs regardaient autour de lui avec curiosité mais il n'osait pas parler. Un large bandeau noir lui ceignait le front et ses habits de voyages aux couleurs ternes semblaient neufs. A vrai dire... Il avait déjà un peu mal aux pieds à cause des bottes, mais il sentait que ce n'était absolument pas le moment d'en parler.

Jusque là, il avait autant brillé par son obéissance que par son inexpérience, mais au moins avait-il réussit à s'exprimer d'une traite face aux deux personnes venus lui offrir la liberté. Lyad. Juste Lyad. Et il voulait atteindre Frontière. Rien d'autre ne serait dit entre les murs de la cité. Un peu moins de la vingtaine, les membres longs et secs, son visage pâle et ses manières humbles le désignait comme un fils bien éduqué d'une grande maison. Sachant qu'il était humain, c'était assez étrange qu'un profile comme celui-ci se retrouve à Sol'Dorn, mais il avait l'air de le vivre assez bien. Il écoutait attentivement, obéissait au doigt et à l'oeil, et prenait toutes les précautions du monde pour ne pas se mettre dans les pattes de ses guides.

Arrivés au bout de la conduite, la Concierge leur fit signe de s'arrêter et donna la lanterne à son plus proche compagnon. Dans la pénombre, elle fit les derniers mètres et se hissa au dessus de la conduite à la force des bras. Pendant quelques instants, il n'y eu plus un bruit. Lyad jeta un regard interrogateur à l'homme qui restait près de lui. On lui avait expliquer qu'il serait son protecteur jusqu'à son retour, mais il ne semblait pas particulièrement rassurer en le regardant.

Il n'eut pas le temps d'y penser une fois de plus. Un froissement aqueux, un mouvement discret, et la Concierge était à nouveau au bout de la conduite, tirant une corde reliée à une petite barque venant silencieusement vers leur position.

- Éteignez la lanterne. " lança-t-elle en un souffle bas avant qu'ils n'arrivent trop près de la sortie.

Lyad manqua tomber à l'eau en montant sur l’embarcation instable, mais une fois assis il ne fit plus le moindre mouvement. Il fallait dire que le murmure posé de la Concierge avait de quoi faire réfléchir :

- Je vais nous camoufler. Si vous faites un seul bruit, on est mort. "

D'une immobilité parfaite, à genoux sur le bois humide, la femme sortit de sa tunique un petit casse-tête de bois sur lequel elle s'acharna sans discontinuer. Les lumières sur les rives laissaient apparaitre les gardes eldéens. Bientôt, ce serait les camps et les baraquements qui apparaitraient. La barque devrait atteindre les énorme chaines du barrage eldéen en quinze petites minutes. Et après ? Et bien après il faudrait faire confiance au contact de la Concierge parce que sinon, il faudrait plonger sous les chaines et leur jeune employeur risquait de pas vraiment apprécier.

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Le Maître du Jeu s'adressant à Nehril... Cette mission, on est venue te l'offrir ou tu l'as trouvée parmi les centaines de missions plus ou moins officielles dont Frontière à le secret. Dans tous les cas, la prime était particulièrement juteuse pour une mission si courte. Un piège ? Non. Le type était réglo, mais le risque réel : Faire sortir un gars de Sol'Dorn et le garder en vie jusqu'à ce qu'il y retourne avec un paquet.

Une ennéade grand max a été convenue. C'est d'ailleurs ce qui t'as été payé d'avance : une ennéade complète au tarif de base. Une belle avance. A n'en pas douter, ta réputation t'as précédée sur ce coup. Une somme à peu près similaire t'attend à la fin de la mission, ce qui fait monter le tout à un total des plus honnêtes sans qu'il en devienne suspicieusement haut. Et petit bonus: la réparation de ton équipement sera offerte par la maison si besoin.

C'était il y a une bonne ennéade et tu as eu le temps de te préparer soigneusement. Tu n'as cependant aucune idée de l'identité réelle du jeune homme que tu dois escorter ou de sa destination. Même chose pour la teneur du colis qu'il doit récupérer. Ce n'est pas ton job après tout. La seule chose que tu sais c'est le moment du départ et le fait que vous passerez à Frontière pour récupérer des affaires sèches et des chevaux.

Par contre, on t'a mis en relation avec le type qui vous sert de passeur pour entrer et sortir de l'enceinte de la cité. Ce n'est pas la première fois que tu entendais son nom. A Frontière comme à Thaar, on dit que le Concierge a toutes les clefs. Un nom qui ne se gêne pas pour demander des sommes abracadabrantesques mais qui fait son job jusqu'au bout et sans poser de question. Tu ne l'avais jamais rencontré en personne avant ce soir... Enfin si c'est bien lui en personne.

Tu es libre de décrire les préparatifs, l'entrée et la rencontre, ou de les laisser flou pour sauter dans le grand bain directement. N'hésite pas à avancer le cheminement en barque et reste sur tes gardes. Pour l'instant tu es seul sur cette mission, mais qui sait si cela durera...

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Ombre fugace
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-Crédits de l'avatar: ETERNAL RETURN - Art of pierre / Alain D.
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— C’est toi Nehril ?
— Non.
— On m’a pourtant donné ta description.
— Ça arrive. J’ai un physique très commun.
— Tu te fiches de moi ?
— À peine. Dis-moi ce que tu veux avant que ton arrière train ne fasse plus ample connaissance avec le joujou que j’ai dans le dos.

C’est à ces mots que le semi-elfe fut mis au courant de la tache qu’on exigeait de lui. Une tache qui semblait dans ses cordes. Après tout, accompagner un individu et le protéger n’était pas une mission particulièrement complexe pour lui. Même si le fait que jouer les chaperons ne l’enthousiasmer guère, le salaire à la clé était plus qu’honnête. De surcroît, une mission où il n’aurait pas à agiter son glaive en beuglant était plus que bienvenu. Sa seule incertitude concernait l’endroit où il devrait s’infiltrer : Sol'Dorn. Nehril savait que tout ce qui touchait à la ville était plus alambiqué qu’il n’y paraissait. Et à l’instar de celle-ci, la mission ne ferait probablement pas exception. On ne pouvait pas survivre aussi longtemps dans le mercenariat sans pressentir quand les apparences étaient trompeuses.

— Tiens, voici ton avance.
— C’est généreux.
— Tu pensais que nous ne tiendrions pas parole ?
— Non. Je pensais aux bières que je pourrais vider si j’avais à l’idée d’abandonner la mission.
— Mais tu ne le feras pas. Tu es Yeux d’argent. Tu accomplis toujours tes missions.
— Hélas. Dur d’être une légende.

L’on avait fourni à Nehril des pistes afin qu’il puisse mener à bien sa tâche. Ce détail ravivait quelque peu sa méfiance. D’ordinaire les individus ne brossaient que de vagues particularités de la mission, accentuant particulièrement sur le fait que le mercenaire devait se débrouiller seul. Et si cela raté, ce qui arrivait bien plus souvent qu’on ne le pensait, Nehril devait s’en remettre à son ineffable talent pour l’improvisation. Toutefois dans le cas présent, le semi-elfe avait à sa disposition des contacts à retrouver en ville. Cela lui mâchait passablement le travail, mais il ne s’en plaignit pas. Il n’aurait pas à fureter partout en ville afin de trouver par ses propres moyens l’un de ces passeurs rabougris à l’odeur fétide.

Nehril avait eu le temps de se préparer avant de se glisser dans Sol'Dorn. Il avait fait réparer ses maigres possessions, armure, épée et dagues et avait dépensé quelques pièces sonnantes afin de prendre un bon repas. C’était donc l’esprit tranquille et l’estomac plein qu’il avait débuté son contrat. Il devait trouver un individu portant le nom de Concierge. Un nom bien étrange, mais qui ne lui était pas étranger. Il courait des rumeurs sur ce mystérieux personnage et bien qu’il n’y prêtait pas réellement foi, il était curieux de voir à quoi il ressemblait.
Songeant qu’il n’était guère raisonnable de vociférer son nom en haut d’un bâtiment surélevé ni de faire le tour des hôtels et autres auberges au risque de débusquer un autre type de concierge, Nehril avait choisi de se conformer aux instructions que lui avait fournies son employeur.

Non loin de Sol'Dorn, il repéra une silhouette qui se découpait dans la pénombre. Son corps svelte et filiforme ne laissait que peu d’indices concernant son sexe. De plus, l’individu arborait un masque de clown triste peint en noir et argent qui masquait ses traits. Nehril lança le mot de passe que les hommes de son employeur lui avaient appris.

— Le soleil se lève à l’ouest et se couche à l’est.
— Nehril ?
— Lui-même. Très joli masque.

Le Concierge ne répondit pas. Sa voix laissait entendre que c’était une femme, chose qui était difficilement discernable dans la pénombre.

— Nous allons nager pour arriver en dessous des quais. Suis-moi et reste silencieux.

Nehril haussa les sourcils, mais obtempéra. La température de l’eau était plutôt agréable, mais était passablement gâché par l’odeur fétide des immondices qui venaient assaillir leur narine à mesure qu’ils progressaient. La traversée se déroula sans accroc majeur malgré une tentative isolée de la Concierge à noyer Nehril afin qu’il se dissimule aux yeux d’un soldat particulièrement vigilant. Alors qu’il essorait ses vêtements et toussait en conséquence d’avoir bu la tasse, le mercenaire observa les alentours. Il n’était guère loin du quartier humain. D’un accord tacite, les deux comparses se dirigèrent vers une taverne arborant l’enseigne : Au vert poisson qui… La suite était noircie, laissant le reste à l’imagination des passants. Frétille lui paraissait une bonne suggestion.

— Qu’est-ce que je peux pour vo… putain ! Mais vous allez m’abîmer le plancher avec votre boue !
— Bonsoir brave homme.
— Vous revenez d’un bain nocturne dans le port ou bien ?
— Pas loin.
— Qu’est-ce qu’elle a votre copine, pourquoi elle porte un masque ?
— Elle est timide.

L’aubergiste fit la moue avant de hocher la tête avec raideur.

— Ça se comprend, j’avais une nièce comme ça aussi. Elle s’enroulait la tête dans une sorte de rideau. Elle a fini par s’étouffer avec.
— Tari nous en préserve.
— Faites gaffe à elle.
— N’ayez crainte. Je percerais des trous.

Le garçon fut promptement récupéré grâce aux soins de l’aubergiste. Ce dernier posa une main chaleureuse sur l'épaule de la Concierge, lui assurant qu’il ne fallait pas garder un joli minois caché derrière un masque aussi triste. Nehril prit un air consterné, comme pour lui donner raison, avant de prendre congé.

Le jeune homme qu’ils avaient récupéré répondait au nom de Lyad. Il l’avait appris à demi-mot de sa bouche alors qu’il les suivait. Ses vêtements laissaient penser qu’il était issu d’une noble famille, mais le mercenaire ne lui posa aucune question. Une partie de la mission avait été menée à bien et l’autre ne lui commandait pas de connaître la vie du jeune homme en détails. Apprendre cependant que Lyad ne savait pas nager tira une grimace sur le visage de Nehril. Ils suivirent docilement la Concierge qui les guida à travers un réseau de galeries empeigné de l’odeur pestilentielle des immondices en décomposition.

Finalement ils montèrent sur une barque qui glissait paisiblement sur les flots. Lyad trébucha lorsqu'il embarqua, mais parvint à garder son équilibre à la grande joie du mercenaire qui ne tenait pas particulièrement à plonger une nouvelle fois dans les eaux troubles.

— Je vais nous camoufler. Si vous faites un seul bruit, on est mort.

Nehril opina et jeta un regard averti à Lyad. Il posa une main sur son épaule pour le rassurer. La Concierge sortit un petit casse-tête et elle s’échina dessus aussitôt. Le mercenaire l’observa avec un air dubitatif. Était-ce réellement le moment de s’adonner à ces pratiques ludiques ? Les énormes chaînes du barrage eldéen approchaient de plus en plus, mais elle ne s’alarmait pas. Elle n’avait également pas daigné partager avec lui la façon dont ils quitteraient la ville, mais il songeait que si son objectif final avait été de finir écraser contre une chaîne, elle aurait pu trouver une compagnie plus appropriée.
Afin de ne pas alarmer le jeune homme à la perspective qu’ils allaient probablement tous finir à l’eau, ou pire suspendu comme des poissons au bout de ces chaines, Nehril lui fit un signe de tête comme pour lui signaler que tout se déroulait comme prévu. Avant de pénétrer dans la barque, le mercenaire avait posé en travers de ses jambes son épée. Le fourreau, dissimulé derrière un tissu afin d’en masquer les éclats d’argents, avait fini par pratiquement sécher. La main gantée de Nehril reposait non loin du pommeau ouvragé et ses yeux restaient à l’affût de la moindre menace.

Lyad acquiesça plusieurs fois à l'intension de Nehril en sentant sa main sur son épaule. Trop de fois. Il n'avait en effet pas l'air des plus rassuré et se tenait littéralement des deux mains pour ne pas gigoter dans leur embarcation. La Concierge avait fourré la rame dans les mains de Nehril et au fur et à mesure de leur avancé, une étrange déformation floutait le paysage en nuances de gris, comme une nappe de chaleur.

En arrivant dans la zone des campements eldéens, la Concierge ne chercha pas plus à les cacher qu’auparavant. Les yeux toujours rivés sur son casse-tête, elle continuait à faire claquer les pièces de bois pour alterner celles qui étaient claires et celles qui étaient peintes. Ses doigts bougeaient rapidement, ne laissant que quelques chuintement discrets s’élever de son jouet.

A gauche et à droite du très large fleuve, les palissades, les tentes, les baraques en bois et en terre. Des lanternes et des torches étaient plantés à intervalles régulier de façon à pouvoir voir au mieux l'ensemble de la surface noire. Des gardes se promenaient le long de la berge, scrutant l'eau. Parfois, les regards passaient même sûr eux sans que les eldéens en uniforme ne réagissent le moins du monde. Au-dessus de leur tête, la lune décroissante avait dépasser le zénith et la Silène. Le jour se lèverait dans deux ou trois heures.

Les énormes chaines étaient enfin en vue. Un brasier était entretenu de chaque côté, faisant danser des ombres entre les années massifs. Accrochées à cette énorme chose, il y en avait d'autres, de taille plus raisonnables, qui pendaient vers le fond en un filet aux maillons énormes. Une fois sur la rive, celle qui était vraiment visible semblait large d'un bon demi-mètre. passer par dessus à pied était tout à fait possible, plonger dessous également. Mais en barque, ils se feraient avoir sans avoir le temps de dire ouf, et les berges étaient toutes deux peuplée. Certes, celle de gauche était plus calme, et de loin, ne devait être qu'un avant poste pour s'occuper du barrage, mais tout de même. Ils n'en restaient pas moins dans le campement principal de l'armée drow...

Sur la berge de gauche, de hauts remblais de terre et autres palissades défendaient l'accès par la terre. Un mur tombait même à pique dans l'eau pour empêcher de longer la rive. Les portes étaient toutes closes pour la nuit et les chemins de rondes proprement gardés. Au-dessus de l'Oliya gisait la chaîne devant un port improvisé où de nombreuses barges thaaries attendaient dans l'obscurité la plus totale. Et à droite, les fortifications étaient encore plus féroces pour défendre le cœur de l'état major.

Le temps qu'ils s'approchent, le brasero planté à l'endroit ou la chaine rejoignait la rive gauche vint à manquer de carburant... Crachotant ses dernières flammes, il s'éteignit en leur offrant un coin d'ombre opaque. La Consierge, leur désigna le coin d'ombre. Il fallait faire vite.

- Il faut faire passer la baque par dessus la chaine. On a pas beaucoup de temps. Mon contact nous a offert que deux ou trois minutes d'obscurité.

Dès qu'ils furent près de la berge, elle rangea son casse-tête et la nappe de chaleur qui déformait leur vision des environs disparue. Elle se retourna alors vers les deux hommes. Dans l'ombre, ils ne peuvent distinguer que le contour argenter de ses yeux au milieu d'un abysse malaisant.

- Deux sur la chaine pour tirer. Un sur la berge pour pousser. Une fois la barque passée, celui sur la berge rejoint les deux autres à la nage. Qui s'y colle ? "

Alentours, les drows commençaient à s'agiter. Leur embarcation était légère, la soulevée ne serait pas un problèmes pour deux personnes biens portantes, mais elle était assez grande pour accueillir trois personnes. La manœuvrer rapidement et sans faire un boucan d'enfer serait une autre histoire... Et Lyad semblait plus tendu de seconde en seconde.

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Les gestes mesurés et l’apparente confiance de la Concierge semblaient supposer qu’elle savait ce qu’elle faisait. Nehril arborait également son expression la plus sereine même si intérieurement il n’était pas aussi rassuré. Faisant doucement glisser l’embarcation sur les flots, le mercenaire tâcha de ne pas trop remuer la surface de l’eau lorsqu’il immergeait sa rame. Son regard acéré s’accrocha aux différents éléments qu’il percevait dans la pénombre : la faible lueur des braseros, le cliquetis des lourdes chaînes métalliques ainsi que l’activité léthargique le long des berges. Au cas où la mission virerait au fiasco, il pourrait tenter de se frayer un chemin parmi la rive gauche. Il comprit également que doté de son étrange artefact, la Concierge avait masqué leur présence. Un outils fort pratique dont il salua les prouesses.

Lorsque l’un des feux s’éteignit dans un chuintement, la Concierge établit immédiatement un plan d’action. Ils devaient tous se répartir un rôle afin de passer la barque par-dessus les chaînes. Suspectant que le travail supposant de pousser l’embarcation depuis la berge était particulièrement éreintant, il décida de s’y coller. Il s’en ouvrit à la Concierge et tous se préparèrent à agir. Notant au passage la nervosité de Lyad, Nehril lui tapota l’épaule.

— Détends-toi. Notre dame masquée est une professionnelle.

Du moins, le supposait-il. Adressant un dernier sourire au jeune homme, Nehril observa la rive et se positionna de manière à profiter de l’ombre générée par le brasero éteint. Puis lorsqu’il repéra que tous étaient prêt, il poussa.

Lyad sursauta pour de bond lorsque Nehril lui tapota l'épaule, mais il se reprit bien vite et acquiesça une fois de plus dans sa direction. Il semblait aussi résolu à ne pas parler qu'à obéir au doigt et à l'oeil... Après avoir déglutit en regardant la surface totalement noire des abimes sur lesquels ils voguaient. Prudemment, il commença à mettre un pied dans l'eau de l'autre côté de la chaine... et fut tirer d'un coup sec par la Concierge. La peur et la surprise mêlées le saisirent aux tripes, mais les dieux sauraient qu'il avait tout fait pour garder le silence. L'intérieur de sa joue en fit les frais. Un gout cuivré se répandit sur sa langue tandis que l'eau glacé lui fouettait le sang... Et il se retrouva à cheval sur une grosse chaine glissante, avec de l'eau jusqu'aux cuisses.

Il resta là, à regarder ses jambes pendant quelques secondes, jusqu'à ce que le claquement de langue de la femme masquée le ramène au présent. Il s'ébroua et réceptionna le bois vaseux pour le faire passer de l'autre côté de la chaîne sans le laisser frotter contre la chaine de métal. Le contact poisseux était répugnant et il eut une pensé révulsée pour l'état de sa chemise. Une si belle chemise. Toute neuve en plus. heureusement, il ne se coupa sur rien et aucune écharde ne vint se loger dans sa chair, parce que cette fois, il n'aurait pas pu retenir un éclat de voix.

Ce fut même avec une surprenante facilité que la chaloupe particulièrement légère se retrouva de l'autre côté. Lyad se cramponna à la chaine pendant que la Concierge remontait à bord pour l'aider à en faire de même... Et sur la berge, deux soldats à la peau sombre approchaient à grand pas. Le garde régulier était encore un peu loin mais leurs yeux rouges - plus habitués aux luminosités basses que les autres races - se plissèrent avec suspicion. Chacun une barrique d'huile à bruler sous le bras, leur posture se faisait plus raides. Ils redoublèrent le pas pour en avoir le cœur net. La Concierge tira plus fort sur le bras du jeune humain pour le pousser à monter. Visiblement aussi peu physique que le sous entendaient sa silhouette dégingandée, la main de Lyad manqua le bord de la barque et s'abattit à la surface avec un claquement sonore. L'un des deux drows ouvrit la bouche, prenant de l'air pour pousser ce qui avait toutes les chances d'être un cri d'alarme. Leurs mains libres se portaient par réflexe à l'épée qu'ils avaient au côté.

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Nehril s’arc-bouta, les deux pieds fermement ancrés dans le sol et ses bottes pataugeant dans un épais limon froid et visqueux. Il observa avec un air soucieux Lyad qui semblait en difficulté malgré le soutien de la Concierge. Alors qu’il poussait la barque, ses deux comparses parvinrent à la faire basculer de l’autre côté des chaînes. Finalement rien de bien compliqué. Toutefois lorsqu’il aperçut au loin les silhouettes des gardes qui s’approchaient d’eux, arborant une mine suspicieuse, son cœur manqua un battement. Il pivota en direction de la Concierge afin de l’avertir, mais à peine ouvrait-il la bouche qu’il assista à la chute de Lyad. Le craquement provoqué par son corps s’écrasant contre le bois poisseux de la chaloupe arracha une grimace au mercenaire. Se tournant en direction des soldats, il visualisa l’un d’entre eux qui se préparaient à pousser un cri d’alarme.

Nehril porta aussitôt sa main à sa ceinture, tirant une dague et se préparant à la lancer quand il remarqua les barriques d’huile à brûler qu’ils portaient tous deux.

Les affronter au corps à corps serait bien trop bruyant et rameuterait l’intégralité du campement sur mon dos. De même que leur jeter mes dagues au visage : rien ne me garantit qu’elles atteindraient leurs cibles. Je ne vois plus qu’une seule option.

Se concentrant brièvement, le mercenaire en appela à l’Art, focalisant son sort sur ces dernières. Les tonneaux s’embrasèrent dans un feulement sourd, éclatant et rependant des gerbes de flammes sur les porteurs. Le mercenaire ne perdit pas de temps : il plongea dans la rivière et entreprit de rejoindre la barque sur laquelle l’attendaient ses deux comparses. Saisissant les rames sans un mot, il se mit à pagayer comme un forcené tout en poussant des grognements sourds.

— Pour la discrétion on repassera, grommela-t-il. La prochaine fois que tu nous fais un coup pareil gamin, je t’envoie saluer le fond du fleuve.

S'il y en a une.

Un cri d'alarme trouva son chemin dans le gosier du porteur d'huile. Les longues secondes nécessaires à tisser le sort de feu lui donnèrent même l'occasion d'interpeler le mercenaire - sans grand résultat - et de prévenir le garde qui faisait sa ronde un peu plus loin. Hélas pour lui, l'idée qu'un humain portant une épée soit également un mage ne l'effleura que trop tard.

Tiré comme un ballot de linge, Lyad se retrouva littéralement allongé dans la barque lorsqu'une lumière vive faisait exploser l'obscurité. Au même instant, une impression du chaleur lui colla au dos et un claquement de voile prises dans la tempête résonna dans l'air. Il cria de terreur en se protégeant la tête avec les bras. Un cri aiguë et puissant... Auquel répondit un 'plouf' peu sonore et diverses bruits de cloches et d'alertes.

Une poignée de seconde plus tard, une forme énorme et terrifiante le poussait pour monter sur leur navire de fortune. Il cria une seconde fois avant de se rendre compte qu'il s'agissait du grand homme buriné auquel on lui avait dit de faire confiance. Le cœur battant des records de vitesse, il resta tétanisé au fond de l'esquif. La grosse voix qui le rabroua le poussa à se ratatiner encore plus sur lui-même.

- J'implore votre pardon Mè... Messire. " bégaya-t-il juste avant que le rugissement d'un officier eldéen ne les désigne comme cible pour une salve de flèches.

La Concierge avait dégainé son casse-tête et recommençait à le mélanger pour le refaire, sans empressement. Un craquement de bois. Une multitude de sifflements. La nappe de chaleur se referma sur eux, les cachant à la vue des archers qui n'avaient pu lancé qu'une salve. Autour d'eux, les traits tombèrent dans l'eau et se fichèrent dans le bois. Une flèche fusa droit vers la jambe de l'humain, à un souffle du bras secondaire du mercenaire. Un gémissement sourd s'éleva de derrière le masque de la Concierge. Une tige empennée de bleu dépassait de son dos. La nappe de chaleur disparue dans une toux douloureuse. Un objet de bois cliqueta sur le fond de leur chaloupe.

Une voix féminine éclata à son tour.

- Ils sont là-bas, Votre Excellence !

Une étrange mélopée à la gloire de Teiweon montait comme une vague mystique dans leur dos. Ils atteignaient tout juste la zone des quais sur lesquels les barges Thaaris étaient déchargées. Plusieurs embarcations étaient disposées là, sans ordre, de toutes les tailles, de toutes les hauteurs, formant un labyrinthe flottant entre les deux berges. L'avancée de la petite barque en était largement plus compliquée... Et sous eux, le courant commençait à s'inverser, créant des vagues aux courants contraires qui ne tarderait pas à les faire chavirer. Pire, ils étaient peu à peu tirer vers l'arrière, vers l'ennemi qui préparait une seconde salve de tir et continuait à crier des ordres rendus confus par la distance.

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Nehril poussa un juron lorsque les flèches se mirent à pleuvoir autour d’eux. Malgré tout, le brouillard magique les couvrait encore, lui permettant de garder foi en leurs espoirs de fuite. Toutefois quand la Concierge s’affaissa, un empennage de flèche fiché dans le dos, le mercenaire commença à songer que leur situation sentait le roussi. Il en fut ensuite convaincu en observant leur protection magique s’évaporer. De même lorsqu’un nouveau trait mortel vint siffler en direction de la jambe de Lyad. Nehril, dont la main était toujours fermement serrée sur le pommeau de son arme, tira son épée d’un geste vif dans une tentative de dévier le projectile. Avec satisfaction, il l’observa s’écraser sur le plat de la lame, mais ne comprit que trop tard qu’il n’avait pas prit en compte son éventuel ricoché. La flèche déviée fusa aussitôt dans un clinquement avant de se planter dans l’épaule du semi-elfe. Nehril lâcha une série d’imprécations imagées à faire pâlir de honte une catin des lupanars de Thaar.

Les sortilèges scandaient en cœur par les drows opérèrent un effet sur l’eau qui commença à les tracter dans leur direction. Nehril se mit à chercher rapidement une solution. Plongé dans les eaux profondes ne semblait guère une bonne idée, Lyad ne savant pas nager. Qui plus est, la sorcellerie drow pourrait les inciter à se noyer dans les reflux. La seule solution qu’il lui restait…

— On abandonne l’embarcation ! s’écria-t-il en baissant la tête afin d’éviter un nouveau projectile ennemi. On est trop exposé ici ! On passe par les barques !

Sans attendre d’éventuelles objections de ses proches, craignant qu’ils ne s’éloignent du labyrinthe que formait les chaloupes, Nehril saisit Lyad par le collet et le jeta sur la barque la plus proche. Il ceintura ensuite la Concierge, préférant ne pas toucher à la flèche qui saillait de son dos et ramassa le petit cube qui avait roulé au fond de la barge.

— Si vous avez une idée, Concierge, je suis preneur !

Il nota que la femme masquée crachait des gerbes de sang. Dans un élan pragmatique, Nehril songea à l’abandonner. Serrant toutefois les dents, il raffermit sa prise sur sa taille, la soulevant presque et entreprit de rejoindre Lyad. Heureusement que la femme ne pesait pratiquement rien. Il fit ensuite quelques signes au jeune homme afin qu'il poursuivre son chemin, l'incitant à progresser le long des barques.

— Il faut s’éloigner de la zone du sort ! Plus on sera loin, moins ils auront d’emprise sur nous ! On pourra poursuivre le long des flots avec une barge une fois sortie !

Cette fois, ce fut le pont d'une barge vide qui couta net le cri de terreur de Lyad, projeté loin de sa confortable coquille de noix. Il tremblait de tous ses membres et avait même du mal à se remettre à genoux. A voix basses, ils priait, mais ses deux compères étaient trop loin pour comprendre de quoi il s'agissait. Ses yeux restaient braqués sur le sol sous lui et il avait la certitude que s'il arrêtait de psalmodier, il rendrait tripes et boyaux.

Soudain, le grand guerrier fut près de lui. Ses ordres l’aiguillonnèrent comme un fouet. Sans même comprendre comment il pouvait tenir, le jeune humain se retrouva debout et commença à courir, droit devant lui. Le plus loin possible des drows qui tentaient de les ramener par tous le moyens. La respiration poussive et les gestes brouillons, il courait. Il sautait. Et il courait encore. Les larmes aux yeux et la terreur aux tripes.

Sur la berge, quelques soldats venaient de sortir du camp, accourant vers eux pour les capturer dès qu'ils poseraient pied à terre.

La Concierge, elle, s'accrochait à la vie, à la conscience et à Nehril avec la même force désespérer. Sans se rendre compte de la blessure de son sauveur ou de la force qu'il mettait à la soulever à demi, elle lui broyait littéralement l'épaule pour continuer a avancer sans faire un faux pas. Elle essaya bien de lui répondre mais la deuxième syllabe mourut dans un gargouillis qui ne présageait rien de bon. De sa main libre, elle arracha son masque d'un mouvement paniqué, prenant un peu plus d'air et dévoilant du même coup un visage qui aurait eu environ une quarantaine d'années s'il avait été humain. Du sang en barbouillait toute la moitié inférieure. Il n'était plus le temps de se soucier de son anonymat.

Les barges bougeaient, mais ancrées aux pontons ou au fond, elles tournaient plus qu'elle ne glissaient vers la chaîne. Les courants contraires les faisaient tanguer. De plus en plus fort. Les vagues de plus en plus hautes passaient parfois par dessus le pont, arrosant les planches d'une eau douce et froide. A leur droite, une barque versa et se retrouva carrément à l'envers. Devant Nehril et la Concierge, Lyad roula jusqu'au bastingage de la barge suivante, manquant de tomber. Il s’accrocha de toute ses forces au bois et revint au milieu du pont en se dandinent sur les fesses, toujours aussi paniqué.

Lorsque Nehril et la Concierge le rattrapèrent, sautant une fois de plus entre les embarcations malmenée,ils pouvaient tous voir la zone de calme au bout du pont. Le courant semblait encore brouillon sur quelques mètres, comme des rapides, mais il reprenait dans la bonne direction et sans la moindre vague étrange. Réussissant à se remettre sur pieds, Lyam tourna la tête vers ses protecteurs... Et ouvrit de grands yeux.

- Messire ! "

A trop jouer avec les courants, on en oublie tous les contre flux qui se créent naturellement dans un bras de fleuve. Ou peut-être que les mages responsables des remous s'étaient bels et bien emportés. Dans tous les cas, une vague latérale soulevait la barge ou ils se trouvaient par le travers, commençant à la retourner.

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Nehril grinçait des dents à mesure qu’il progressait sur les barques, la main de la Concierge lui serrant douloureusement son épaule blessée. Autour de lui les embarcations dansaient, virevoltaient, tourbillonnaient comme prit dans un ballet endiablé avant de reposer inerte et exténué sur des eaux mouvementées. Le mercenaire observa Lyad qui s’éloignait progressivement du groupe, ses gestes devenant chaotiques, imprécis. Dangereux. Transparaissait de ses mouvements une terreur indicible, telle la proie tentant d’échapper à son poursuivant, mais sachant pertinemment que toute lutte était vaine. Nehril et la Concierge le rejoignirent d’un pas chancelant. La femme dont il pouvait désormais apercevoir les traits sous la lueur opaline de la lune paraissait de plus en plus mal en point. Il fallait se hâter, continuer de bouger, ne pas laisser les peaux sombres les rattraper. La lueur d’espoir brillait au loin. Même si les soldats grouillaient le long de la berge, ils ne faisaient pas mine de rejoindre le centre des eaux tumultueuses. Sans doute par crainte d’être eux aussi en proie à leur sombre sorcellerie.

Soudainement Lyad s’exclama, avertissant le groupe d’une imposante vague qui fondait dans leur direction. Mugissante, vomissant l’écume comme une bête enragée, elle roulait vers eux, souhaitant les déloger de leur embarcation. S’ils restaient ici, ils seraient balayés. Nehril fronça les sourcils. Balayé. Cela lui donna une idée. Quelle meilleure propulsion qu’une vague défilant sur eux à toute allure ? La rivière devait de toute façon être surveillée…

— Et moi qui pensais que ça serait une mission facile…

Le mercenaire fit brusquement tanguer la barque. Il vérifia le banc qui permettait aux rameurs de s’asseoir, jugeant que le dessous était particulièrement large pour qu’en sens inverse ils puissent tous s’y cramponner.

— On s’accroche tous à ça ! Maintenant !

Il observa le regard d’incompréhension de ses compagnons, mais fut satisfait de les voir obtempérer. Brusquement, Nehril sauta sur un coin de la barque, la faisant aussitôt chavirer. L’eau les immergea tous brutalement et il dut retenir par le collet le jeune Lyad qui paniquait sous la chaloupe. Il maintint sa tête hors de l’eau et s’assura que la Concierge ne desserre pas sa prise autour de son dos. Coulant à moitié sous le poids des deux personnages, il but plusieurs fois la tasse avant de recracher tout ce qu’il put. Repérant finalement que ses acolytes étaient suffisamment bien accroché autant à lui qu’à la barque, il passa à son tour ses bras autour du banc solidement fixé au fond de la barque. Puis sentant venir la vague sur eux, il saisit la main des deux autres.

— Si on s’en sort gamin, je te paierais une bière. Nul besoin de cacher ta peur. Dans l’eau, personne ne verra si tu t’es pissé dessus.

La Concierge cracha un rire glaireux qu'elle regretta un peu. Lyad, les yeux exorbités pour essayer d'attraper la moindre lueur dans l'obscurité mouvante, regardait obstinément du côté du mercenaire. Son esprit était vide aurait bien remercier l'homme de ses largesses en matière de terreur, mais à la boutade du guerrier, il ne lui vint aux lèvres qu'une constatation incrédule.

- On dirait que ça vous arrive souvent... "

Il n'eurent pas le temps d'échanger un mot de plus. Le creux se referma sur eux, faisant bringuebaler leurs corps et gommant le moindre repère. La coque retournée heurta quelque chose de dur près de là, produisant un craquement sec. Le niveau de l'eau monta d'un cran dans leur abri de fortune, mais tous parvinrent à rester accrocher sans trop avoir si c'était à leurs camarades ou à la barque qu'ils se cramponnaient le plus. Quelques poissons incrédules furent projetés autour d'eux. Le bois grinçait.

L'avant de la barque piqua du nez, lâchant une myriade de bulles et réduisant leur espace une nouvelle fois. Un courant plus faible, quoi que tout de même puissant, les poussa encore un peu plus loin. La Concierge glissa, ne parvenant à rester à flot que par la poigne de Nehril.

Puis le calme...

Ou tout du moins un calme relatif. Des clapotis les poussaient toujours un peu de droite et de gauche. La barque retournée s'enfonçait peu à peu. Mais les alentours semblaient à peu près stables. Plus loin, les cris d'appel des drows semblaient étouffés et un peu distordus. Passé les premiers instants d'attente, voyant qu'aucun corps n'émergeait, ils débattaient de l'utilité de plonger au fond de l'eau pour avoir la preuve que leurs ennemis étaient bien mort, avant que le soleil ne se lève. Même les drows ne voyaient pas dans le noir total.

Lyad gémissait faiblement, les deux bras enroulés autour de son ban de rameur comme s'il éprouvait pour lui le plus fervent des amours. Au moins il n'avait pas lâché, le jeune homme avait un minimum d'instinct de survie.

- Je... ma tournée... " souffla la Concierge en étouffant les soubresauts de son diaphragme. Sa tête dodelinait dangereusement et même en l'aidant à se raccrocher, la force de ses muscles faiblissait à vue d’œil.

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Nehril éructa, crachant des gerbes d’eau nauséabonde. Il s’était entaillé l’arcade sourcilière et sentait le sang qui ruisselait le long de son œil, brouillant quelque peu sa vision. Nettoyer sa blessure dans la rivière ne lui semblait guère être une bonne idée et il préféra conserver son visage ensanglanté. Remarquant qu’ils étaient tous indemnes, il poussa un soupir de soulagement. Puis, alors que la Concierge démontrait des signes de faiblesses de plus en plus évidents, il la soutint d’un bras.

Il fallait faire vite. D’ordinaire, il serait resté caché encore quelques minutes sous la barque avant de plonger et de regagner la rive à la nage. Cependant les circonstances étaient différentes : il n’était pas seul. À mesure qu’ils attendaient, des complications pouvaient survenir : la blessure de la Concierge avait de fortes chances de s’infecter et Lyad finirait immanquablement à sombrer dans les flots quand il parviendrait à bout de force. Le temps n’était pas un luxe dont il disposait.

— Je… ma tournée…

— Oui, oui, je t’en paierais une aussi, lâcha distraitement le mercenaire en tentant d’évaluer les options qu’ils leur restaient.

Il fallait qu’ils regagnent la berge. C’était impératif. Et le plus tôt serait le mieux.

— Bon écoutez, je vais essayer de voir où on est puis on dirigera doucement l’embarcation en direction de la rive.

Sans leur laisser le temps de répondre, il plongea aussitôt. Tentant de remuer le moins d’eau possible, il refit doucement surface, clignant des yeux afin d’en chasser les gouttes qui obstruaient son regard. L’activité des drow semblait avoir faibli, ou du moins il ne faisait pas mine de les rechercher en fendant les flots sur des barges. Il remarqua également qu’ils avaient dérivé plus loin qu’il ne le pensait, descendant le cours d’eau même Sol'Dorn était encore visible à l’horizon. Il nota que l’embarcation n’était pas si éloignée de la rive, et entreprit de rejoindre ses compagnons. Sans un mot, il posa ses deux mains sur le banc et poussa précautionneusement le bois afin de l’orienter vers la terre la plus proche. Le courant n’étant pas particulièrement fort, ils y parvinrent sans trop de difficulté.

Émergeant tous trois des flots, Nehril tira ses compagnons à l’abri tout en poussant la chaloupe pour qu’elle retourne dérivée sur la rivière. Puis il posa un regard sur la blessure de la Concierge.

— Cela risque de piquer. On t’emmènera voir un médecin plus tard. Pour l’heure il faut nettoyer la blessure.

D’un geste précis et méthodique, le mercenaire arracha le tissu qui recouvrait le dos de la femme afin d’exposer la flèche à son regard. La blessure n’était pas belle à voir. Du sang s’écoulait, se mêlant à l’eau du fleuve, formant une matière poisseuse et rougeâtre. Il ordonna à Lyad de lui trouver un bâton pour que la Concierge le mordille. Pas question qu’elle s’époumone en rameutant les drows. Lorsque ce fut fait, il arracha la flèche d’un mouvement sec. Puis entreprit de nettoyer la blessure avec la bouteille d’alcool qu’il avait glané chez l’aubergiste. Il lui confectionna ensuite un bandage, le faisant passer par le ventre pour ne pas exposer ses attributs féminins, puis le serra fort.

— Ça devrait suffire, fit-il avant de se tourner vers Lyad. Tirons-nous d'ici.

Dans l'obscurité, Lyad se traina sur la rive, frissonnant de peur et de fatigue. Il se serait volontiers recroquevillé dans un coin pour ne plus jamais avoir à bouger, mais le mercenaire lui donna encore des ordres. Mu par a force de l'obéissance aveugle, son esprit mis à rude épreuve le poussa donc à chercher un bout de bois à quatre pattes sur le bord de l'onde. Même une fois qu'il fut revenu s'écraser à côté de l'homme qui prodiguait les premiers secours, il sursautait à chaque fois que les voix des eldéens qui guettaient le fleuve s'élevaient dans l'air nocturne.

La Concierge, elle, se foutait comme d'une guigne des eldéens, du froid ou de la peur. Elle était bien trop occupé à garder conscience quoi qu'il arrive. Elle acquiesça lorsque l'homme la prévint avant de mordre de toutes ses forces dans le bout de planche récupéré par le jeune humain. Ses yeux ambrés défièrent Nehril du regard lorsqu'il fit mine de vouloir enlever la flèche ou pire, déchirer sa chemise. Mais encore une fois, c'était ça ou mourir alors elle n'avait pas trop le choix... Alors elle se contenta de frisonner en entendant ses vêtements craquer. Son dos et ses côtes étaient couturés de nombreuses cicatrices déguisées de tatouages floraux. La flèche en sortie d'un coup sec, révélant une blessure extrêmement profonde. Peut-être jusqu'au poumon ? En tout cas, le bandage arraché de la chemise imbibé d'eau fut également imbibé de sang en quelques secondes.

Une fois paré au plus pressé, Lyad se retrouva une fois de plus debout, les jambes tremblante, et se porta au côté du mercenaire, pensant qu'on lui demanderait de supporter la blessée. Frontière était à dix minutes à pied, et malgré leur marche lente, il ne leur fallut pas beaucoup plus de temps pour arriver en périphérie des premières tentes... Là ou la Concierge perdit définitivement connaissance.

Lyad ouvrait des yeux toujours plus craintifs. Il restait une bonne heure avant le levé du jour mais les dangereuses crapules de cette ville éphémère ne dormaient jamais. Ici, un palefrenier prenait soin de montures dans un enclos en bord de l'Oliya. Derrière, des tentes de toutes les formes et de toutes les couleurs abritaient des feulement de plaisir, des grognement de douleur, des ronflements chaleureux et des rires bruyants. Plus loin, les premiers bâtiments en bois, les ateliers, les forges, les tavernes, les ruelles. Jusqu'à la place centrale piquée de ses panneaux d'affichage et bordée des plus vieux bâtiments de la ville : l'Auberge et l'Autre auberge. Parmi les seuls bâtiments construit en pierre.

Leurs affaires les attendaient dans une chambre de l'Auberge, mais pour le reste, ils n'étaient pas différents des centaines d'autres lames louées de l'endroit. La suite ne dépendait que d'eux.

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Le Maître du Jeu s'adressant à Nehril... Tu es libre d'avoir préparer ce que tu souhaites dans Frontière, avant le début de la mission. Si tu en a besoin, n'hésite pas à définir les PNJs que tu comptes contacter. Frontière fourmille de mille dangers et de mille opportunistes.

A toi de décider également ce que tu fais de la Concierge et quels types de soin elle reçoit. L'évolution de son état sera cependant uniquement défini par le MJ. Elle n'a aucun argent ni aucun objet reconnaissable mis à part le petit casse tête de bois que tu as récupéré. Dans son état, elle est sans défense et ne pourra pas s'opposer à toi. Lyad t'obéira aveuglément et sans discernement jusqu'à ce que vous preniez le temps de vous poser pour sortir de cet état de crise.

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Nehril soutenait la Concierge du mieux qu’il pouvait, aidé dans sa tâche par le jeune Lyad. Il le remercia d’un hochement de tête et ils se mirent aussitôt en route. Après une dizaine de minutes à piétiner une végétation morte, leurs bottes spongieuses laissant des traces de boues brunâtres sur les quelques brins d’herbe qui parsemaient le sol, ils arrivèrent à Frontière. Le vent s’était levé, agréable et ébouriffant les cheveux humides de Nehril. Il était également porteur de nouvelles odeurs. Celles musquées de la transpiration associée à des effluves de viandes braisées. Des ronflements sonores s’élevaient des tentes, et les rires gras transperçaient le silence comme une dague déchirant la peau. Un endroit comme les aimait le semi-elfe. Bien que pouvant se révéler mortellement dangereux, c’était un lieu qu’il avait appris à dompter. Des visages familiers l’observèrent à l’ombre des bâtiments, dardant sur sa compagnie des regards plutôt insistants. Surtout en ce qui concernait sa compagne à moitié dénudée. C’est d’ailleurs ici qu’elle perdit définitivement connaissance. Le mercenaire jura et la traîna vers l’un des pavillons. Des individus entraient et sortaient sans discontinuer, parfois au bras de jeunes demoiselles en tenue affriolante.

Pénétrant dans ce lieu de vice, Nehril parcourut la pièce du regard. Il s’agissait d’une large salle ovale qui s’ouvrait sur deux couloirs éclairés par des lanternes pourpres. Des lits reposaient aux quatre coins de la pièce, séparée par d’amples rideaux délavés, souvent déchirés qui laissaient apercevoir les scènes de débauche qui s’y déroulait. Nehril ne perdit pas temps, il s’engouffra dans l’un des couloirs, débouchant sur une pièce privatisée. Ici les attendait une femme à la chevelure roux éclatant les couvant d’un langoureux regard.

— Virn'dwel, fit-elle d’une voix traînante en s’étirant comme un félin, tu es venu pour finir ce que tu as commencé la dernière fois ? Son regard se tourna vers Lyad, qu’elle observa avec attention. À moins que…

La jeune femme était recouverte d’un long châle violacé qui ne masquait qu’à peine ses attributs féminins. Grande et élancée, elle arborait des lèvres pulpeuses, d’un beau rouge cerise, avec lesquelles elle prenait plaisir à mordiller tout en observant les deux hommes. Remarquant la Concierge qui les accompagnait, son regard espiègle s’évanouit au profit d’un air légèrement déçu.

— Il nous faut un guérisseur Lerena, lâcha hâtivement le mercenaire. Le même qui m’a recousu la dernière fois.

La jeune femme se redressa, hocha la tête et caressa doucement l’épaule de Lyad à mesure qu’elle sortait. Nehril installa la Concierge sur le lit que venait de quitter la femme de joie. Puis en époussetant son armure de cuir, il haussa les sourcils, comme s’il venait de repérer pour la première fois la flèche brisée qui demeurait enfoncée dans son épaule. Il l’arracha d’un coup en serrant les dents.

— On sera en sécurité ici, grogna-t-il en s’affala sur une chaise non loin. Tu serais étonné de voir à quel point les bordels font un refuge idéal.

— Un… bordel ?

Nehril eut un petit sourire amusé. Se réfugier là où ses adversaires ne pouvaient les surprendre. Un endroit si fréquenté qu’il en serait stupide de s’y cacher. Qui plus est, Lerena était une femme de confiance. Naguère, il y a fort longtemps, alors que Nehril n’avait pas encore embrassé la vocation du mercenariat et que la jeune femme n’était qu’une simple marchande, leur relation avait failli devenir plus sérieuse. Le simple fait de la voir ici lui rappelait sans cesse que la vie n’était qu’une sombre comédie.

— Et toi gamin, rien de cassé ? s’enquit soudainement Nehril en posant un regard inquiet sur le jeune homme.

— Non non. Ça va… Je crois. Je… C’est toujours aussi mouvementé les voyages ?

Le semi-elfe s’esclaffa de bon cœur.

— Pas toujours fort heureusement, fit-il en riant. Cette mission est plutôt particulière, mais dis-moi plutôt…

Avant qu’il ne puisse finir sa phrase, Lerena refit brusquement son apparition, accompagné d’un homme au visage fermé qui tenait avec lui une petite sacoche en cuir. Les quelques poils qui jaillissaient de son crâne lui conféraient un air comique, accentué par ses vêtements larges, trop larges, qui lui donnait l’impression de nager dans un océan de tissu. L’homme salua le mercenaire d’un hochement de tête avant d’aussitôt se précipiter sur sa patiente. Malgré son apparence frivole, le guérisseur était remarquablement doué lorsqu’il s’agissait de soigner les blessures issues des rixes qui survenaient quotidiennement à Frontière. Autre fait appréciable : il ne posait jamais de question concernant l’origine des blessures, ce qui faisait de lui l’homme le plus demandé du camp.

Lerena qui se lassait de l’inattention excessive que les hommes lui portaient s’approcha de Lyad. Elle laissa courir sa main le long de son torse avec une expression malicieuse.

— Alors mon mignon, envie d’un moment d’intimité ?

— Je… « Il déglutit, incertain, et tourna le regard vers Nehril. Un cri de détresse n’aurait pas été plus parlant et il le suppliait des yeux de lui dire quoi faire. » Je ne sais pas si c’est… une bonne idée ?

Nehril observa l’échange avec une expression amusée. De toute évidence le jeune homme n’était guère à l’aise avec ce genre de proposition. C’était à croire qu’il avait passé sa vie dans un cocon confortable. Il l’enviait presque.

— Laisse le garçon Lerena, fit-il avec des yeux rieurs. Va plutôt me chercher Celmar.

La fille de joie baisa la main du jeune homme avant de lui faire un petit signe, puis elle s’éclipsa avec une expression amusée.

— Détends-toi Lyad, lui conseilla le mercenaire. Tu ne sors pas beaucoup n’est-ce pas ?

— Je.... « Il étouffa un rire nerveux en se redressant sur sa chaise. Ses yeux suivirent le départ de la femme qui l’avait soudainement agressé avec une sorte de déception que lui-même ne se connaissait pas, avant qu’il ne reporte pleinement son attention sur le mercenaire. » Non… Non. Pas vraiment.

Même droit, il gardait la tête un tantinet baissée dans une posture humble qui ressemblait bien plus à celle d’un serviteur qu’à un jeune et fringant noblaillon.

— C’est la première fois… » avoua-t-il encore un ton en dessous.

Le mercenaire grommela et asséna une claque amicale sur son épaule.

— Et j’espère pas la dernière ! Tu sais ce que tu fais ici pas vrai ? lança-t-il. Tu connais la mission qui nous a été confiée ?

— Oui ! ça… oui. J’ai un message pour un… enfin quelqu’un à Thaar. J’ai pas son adresse, mais j’ai celle de quelqu’un qui saura. Et après, je ferais ce qu’on me dit.

Un homme à l’expression taciturne franchit l’encadrement de la porte mettant fin à leur discussion. Son visage partiellement masqué par une lourde capuche sombre était à demi dévoré par une barbe brune. Ses yeux, profondément enfoncés dans ses orbites, luisaient d’un faible éclat. À ses côtés reposait une longue rapière ouvragée, dont le pommeau ciselé brillait sous la lueur chancelante des torches. Même Lerena prit ses distances, préférant retourner asticoter Lyad.

— Nehril.

— Celmar.

Les deux hommes se jaugèrent du regard avant que le dénommé Celmar ne fende son visage d’un sourire. Plutôt laid. Du genre de ceux que l’on adresse avant de découper en morceau son adversaire.

— Que veux-tu ?

— Je dois m’absenter pour un moment, fit le mercenaire aux cheveux clairsemés d’argents. Il faudrait que tu gardes un œil sur la jeune femme allongée. On dira que cela mettra un terme à nos précédents conflits d’intérêts.

Celmar jeta un œil à la Concierge et son sourire s’élargit.

— Ça vaut au moins deux services, rétorqua-t-il. En échange Nehril, j’aurais besoin de ton aide pour un contrat. Un juteux.

— Pas le temps. On en reparlera quand je repasserai.

Celmar hocha la tête avec une expression renfrognée. Malgré ses airs de taciturnes, Nehril l’appréciait. Il s’était rencontré tous deux alors qu’ils chassaient la même proie il y avait quelques mois. Ils avaient fini par en venir aux mains, voir s’étaient affronté à de nombreuses reprises avant de se réconcilier autour d’une chope. Le mercenaire lui vouait une confiance toute relative, mais il savait que l’homme honorait ses dettes. Et il en devait un paquet au semi-elfe.

— Lyad, on y va.

Nehril repoussa sa chaise, se releva et sortit. Il retrouva l’air frais de la nuit et ferma un moment les yeux pour l’apprécier. Il nota que le jeune homme le suivait bel et bien puis poursuivit en direction de l’auberge. Il poussa la porte du pied, la main sur son arme au cas où il débarquait en pleine bagarre entre les clients imbibés d’alcool. Cela arrivait bien trop souvent pour qu’il ne soit pas sur ses gardes. Fort heureusement les lieux étaient vides, à l’exception de quelques habitués qui soit somnolaient aux côtés de leur chope, ou bien la sirotaient paisiblement.

— Holà les gars, qu’est-ce que je puis pour votre service ? les questionna l’aubergiste en les repérant.

Sa lourde panse frottait le bord du comptoir alors qu’il tentait de les rejoindre. Ses yeux vitreux et son menton épais laissaient supposer que l’homme avait passé une agréable soirée.

— On nous a réglé des affaires. Des vêtements. Secs. Et puis des chevaux.

— Ah ouais ? J’ai jamais entendu parler de ça, fit l’autre en évitant le regard incisif de Nehril.

— Vraiment ?

— Je le saurais bien sinon ! assura l’autre en épongeant son front humide.

Le silence s’abattit lourdement entre eux. Le mercenaire ne bougeait pas d’un pouce.

— Vous savez ce que vous auriez dû savoir aussi ?

L’homme secoua la tête, faisant virevolter la graisse de son menton.

— Que j’ai de nombreuses vertus, mais que la patience, hélas, me fait encore défaut. En revanche j’éprouve un plaisir certain pour l’immolation. Souhaitez-vous me suivre dehors pour que je vous en fasse une démonstration ?

L’aubergiste se frotta la tête avec plus d’ardeur avant de lever un doigt.

— Ah oui des vêtements ! Et des chevaux bien sûr ! fit-il en faisant mine de se souvenir. Prenez le reçu au deuxième étage porte gauche, vous trouverez un papier qui vous permettra de choisir les chevaux vous-même !

Nehril renifla.

— J’aime les gens raisonnables. Se tournant vers Lyad il poursuivit. Vois gamin pourquoi la vie est une lutte acharnée. Non pas contre le monde, mais contre les idiots, les opportunistes et les crapules telles que lui qui hantent chaque coin de rue. N’aie guère de considération pour eux, car il n’existe pas de plus misérable que celui qui laisse l’appât du gain dévorer son honnêteté.

Sur ces mots, le mercenaire entreprit de récupérer les affaires qui étaient soigneusement pliées puis se changea. Il enjoignit Lyad à faire de même, remarquant au passage les dessins étranges qui recouvraient son corps, puis redescendit et ordonna à l’aubergiste de les laver avant de les sécher. L’homme n’osa pas protester. Il commanda ensuite deux larges tonneaux de bière, suffisamment imposant pour qu’il demande à Lyad de l’aider à les porter, ainsi que quelques victuailles plutôt sommaires. Puis ils retournèrent en direction de la maison de joie, retrouvant Celmar et Lerana. Avec satisfaction, il remarqua que le guérisseur avait fini de traiter la blessure de la Concierge et il leur révéla qu’elle devrait se réveiller en début d’après-midi. Il la plaça en sûreté, légèrement à l’écart pour ne pas la déranger par leurs éclats de voix qui ne tardèrent pas à s’élever.

— Ma parole, Nehril tu nous gâtes ! s’exclama Celmar en repérant les deux barils.

— Doucement les gars, protesta le mercenaire, la nourriture est pour moi et le gamin.

Le mercenaire encapuchonné leva les mains.

— N'aie crainte, mon intérêt ne va qu'à la bière..., fit-il sur un ton faussement offensé.

— De la bière ? Où ça, où ça ? s’enquit la voix suave de Lerena qui émergeait de derrière Lyad.

Nehril tendit la nourriture à Lyad afin qu’il en profite avant que les autres ne s'y jettent : de la viande séchée, quelques gâteaux sucrés, de larges pommes juteuses ainsi qu’une épaisse tranche de pain et du fromage. Il lui servit aussi une bière.

— Tu aimes la bière Lyad ? s’enquit-il en mâchonnant un morceau de fromage.

— J’imagine. Je ne suis pas très difficile.

****

Finalement la nuit passa et avec elle, les échos de voix de la joyeuse compagnie. Durant un moment, Lerena dansa autour d’eux, faisant claquer ses mains sur ses cuisses dénudées, asticotant le jeune Lyad autant qu’elle le put en enroulant son châle autour de lui de diverses manières. S’ensuivirent les récits palpitants que leur livra Celmar : sa voix de ténor résonnait dans la nuit alors qu’il décrivait des batailles fantastiques comme s’il y avait lui-même assisté. Il entonna ensuite un sombre chant guerrier avant d’être rejoint par Lerena et Nehril qui bifurquèrent sciemment sur une chanson plus paillarde.

Le soleil finit par se lever et le mercenaire se rendit compte qu’il avait bien trop dormi. Celmar, veillait sur la silhouette de la Concierge, prouvant une fois de plus sa solide constitution. Il remarqua que Lerena dormait, sa tête reposant sur le torse de Lyad. Cette scène fit sourire le semi-elfe. Le jeune homme, vaincu par la fatigue, somnolait encore.

— La dame est réveillée Virn'dwel, lâcha mollement Celmar en désignant le lit.

Le mercenaire s’approcha de la Concierge.

— Comment vous sentez-vous ? fit-il en lui tendant un morceau de pomme avant de renifler, conscient que sa question était stupide. Mal j’imagine. C’était une question idiote.

La femme étouffa un rire, son visage se crispant de douleur avant qu’elle n’accepte le quartier de pomme, le sentant sans le porter à ses lèvres pour autant.

— Inattendue plus qu’idiote… J’aurais pas pensé qu’un type comme vous pourrait la poser. « entre chaque phrase, elle prenait une respiration posée pour éviter de provoquer une quinte de toux. » Et… J’aurais pas pensé qu’un type comme vous s’embarrasserait d’un poids mort dans une situation pareille. Merci. Dites au patron de vous rincer sur mon compte. Je peux bien vous payer une tournée ou deux.

Sa phrase arracha un sourire au mercenaire. Il était dur de lui révélait maintenant que la laisser pour morte aurait porté préjudice à sa réputation. Il conserva néanmoins son visage affable en poursuivant.

— Je ne manquerais pas de boire à votre santé, Concierge. Les yeux de Nehril scintillèrent. Nous allons bientôt devoir vous quitter. Je vais continuer la route avec Lyad. Je préférais simplement m’assurer que vous étiez en bonne voie de guérison. Si on peut appeler cela ainsi. Toutefois, sachez que vous êtes entre de bonnes mains ici. Même si les lieux ne sont pas si propices au repos et au silence que je l’aurais souhaité.

Le semi-elfe dévisagea la jeune femme.

— Je sais que je ne devrais pas vous poser cette question, et je comprendrais votre réticence à ne pas y répondre, mais qui êtes vous vraiment Concierge ? Pourquoi arborer un masque ?

— Vous me demandez de trahir un serment. Si je vous réponds, nous sommes quittes pour le sauvetage d’hier soir.

Le mercenaire opina, visiblement intrigué.

— Nous sommes plusieurs sous ce masque. La réputation va avec les compétences et le Concierge est un passe-muraille dont les compétences dépassent de très loin celles d’une seule personne. Je suis celle qui correspondait le mieux aux besoins et aux risques de cette mission. " Ses yeux vrillés droits dans ceux de Nehril scrutaient la moindre réaction comme si elle essayait de voir si cet aveu lui vaudrait des problèmes. " Mon vrai nom, c’est Nerwen. "

Un sourire éclaira les traits du semi-elfe.

— Eh bien enchanté Nerwen, lâcha-t-il en jouant distraitement avec la bague qui ornait son annuaire. Je ne vous ferais pas l’affront de vous demander qui est le « nous » se rassemblant sous ce masque. Un simple nom me suffit amplement. Il poussa un bref soupir. Je doute que l’on se rencontre à nouveau, mais ce fut un plaisir.

— Oh vu nos professions respectives, faut jamais dire jamais… et le plaisir est partagé. Bon courage pour la suite avec le gamin.

Nehril lui adressa un bref signe de tête et finit par secouer Lyad afin de l’extirper de son sommeil.

— Il est temps d’y aller. Prépare-toi.

Le mercenaire alla récupérer ses affaires sèches à l’auberge avant de passer prendre leur monture. Il offrit le reste des bières à Lerena et lança une bourse en cuir à son confrère encapuchonné. Il convint d’un prochain lieu de rencontre avec eux avant de rejoindre son cheval. Il passa une main gantée sur le poil lustré. C’était de belles bêtes, robustes, taillées pour parcourir de longues lieues sur les routes. Nehril flatta l’encolure de son étalon avant de mettre le pied sur l’étrier. Il prit position et sourit lorsqu’il remarqua la maladresse de Lyad qui s’affairait avec son propre destrier. Une fois en place et d’un accord tacite, les deux hommes élancèrent leur monture en direction de leur prochaine destination.

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