A l'heure du goûter, faisons dinette | Kerath

Favriüs, septième jour de la première ennéade
An dix-sept du onzième cycle
Au temple de Kiran, dans une tente de quarantaine
A l'heure du  goûter : aux environs de 16h30

La visite du Capitaine de la garde d'Ebène retarda de quelques peu la distribution de la collation. A l'abris des oreilles indiscrètes, ils échangèrent rapidement et c'était visiblement soulagé qu'il repartit chargé d'un paquet de biscuits.

Les bras encombrés d'un plateau de bois, une prêtresse entra dans la tente. Une de plus. C'est que de puis leur arrivée dans le camp, les enfants en avaient vu des robes sombres et des visages masqués. De toutes tailles. Mais seuls les yeux mauves avaient posé des questions sur les évènements du matin. Les autres, les rouges, les avaient lavé, habillé et nourris. Ils leur avaient également donné des tablettes de cire avec un stylet, des balles, des cartes, des osselets. Ce n'était pas des jouets fait spécifiquement pour des enfants, mais quelqu'un s'était dit que cela pouvait être bien pour les occuper.

La silhouette fit quelque pas et déposa son chargement sur un tabouret pour faire office de table entre les deux lits. Sur le plateau, on y retrouvait trois tasses, des gargoulettes qui laissaient s'échapper des vapeurs, quelques fruits et une pile généreuse de biscuits effondrée.  Et comme si cela n'avait pas été suffisant, elle sorti de son sac, trois pots, du pain, qui furent posés par terre, sur un linge, faute de place sur le plateau.

- " Je ne savais pas ce qui pouvait vous faire plaisir pour le goûter alors j'ai pris tout ça ! "

La nouvelle voix était enjouée avant de tourner le dos et de se diriger vers la sortie. Contrairement aux autres, ce n'était pas pour les laisser seuls mais pour ôter la sinistre robe et le masque. Habillée d'une tunique bleue nuit similaire aux leurs, la daedhelle s'inclina devant les enfants.

- " Je me nomme Na'ri. Désolée pour mes cicatrices, la guerre n'est jamais belle. Qu'est ce que je peux vous servir ? Il y a du jus de fruits, du lait froid, du lait chaud, du thé. On peux faire des mélanges, comme du thé au lait, ou du lait au miel, aux amandes et aux baies rouges. On peut faire des essais aussi ! Qu'est ce qu'il vous dit ?

Maintenant à genoux face à la table, la sombre leur souriait, d'un sourire chaleureux qui étirait ses rides aux coins des yeux.

- " Pour manger, j'ai des fruits frais, des fruits secs, du pain, du beurre et du miel, et des biscuits. Qu'est ce qu'il vous ferez plaisir ?  "  

D'une main, elle présenta toutes les victuailles du plateau et tacherai de se plier en quatre pour satisfaire les demandes des petits.

Kerath sortit du temple d’Uriz désormais désert après sa discussion avec Krish pour y trouver trois des quatre officiers supérieurs de son ost n’ayant pas bougés, toujours accompagnés de la Garde Draconnique et des montures de tout ce beau monde, sans oublier Murrpau lui-même. Ils repartirent ensuite vers le camp nord une fois que Kerath leur expliqua qu’à dix-sept heure il renouvellerait publiquement son serment. A son retour dans sa petite forteresse, il fut content de voir que tout était normal, les soldats étaient de retour à leurs postes et il n’eut pas à attendre l’ouverture de la porte étant donné que, cette fois, plusieurs guerriers la gardaient, et qu’il ne s’agissait pas de recrues et encore moins d’affranchis. Il retourna dans sa tente pour y déposer l’anneau qu’il transmettrait à quelqu’un demain, s’il en croyait Krish en tout cas même s’il en doutait un peu. En attendant il ne faisait toujours pas partie de l’armée alors il ne resta pas dans le camp nord, il retourna au sud et plus particulièrement au temple de Tesso où il demanda à voir le haut-prêtre. Ce dernier attendait dans sa tente, aussi vide que les mots du Menteur, lorsque Kerath entra il le salua d'un hochement de tête.

« Tu as vu les enfants de Sol'Dorn ce matin. Qu'ont-ils dit? »

Le haut-prêtre ne se leva qu’après une poignée de secondes mais ne fit aucun mouvement pour se tourner vers Kerath.

« Vous voulez la version où l’on parle des enfants ou celle où il n’y a que ce qui peut vous être utile ? »

« Y’a-t-il une difference entre les deux ? »

« Tout dépend de qui répond, j’imagine. »

Ssol’riss Ulnen s’était lentement retourné et il haussa un sourcil dans un geste qui ne fit que découvrir légèrement plus son nez.

« La gamine, c’est grâce à elle qu’ils sont tous les deux là, le petit était un obstacle, un obstacle dont elle ne s’est jamais débarrassée, malgré tout ce qu’elle exprime. Elle est la seule à avoir parlé, d’abord des monstres, puis du froid, puis de leur fuite dans les rues de la cité, puis de celui des serviteurs du Silencieux qui les a trouvé. Tout porte à croire que c’est arrivé très vite, personne n’a eu le temps d’être prévenu, ceux qui l’entouraient étaient aussi paisibles que des assiégés peuvent l’être. »

« Paisible face à des monstres ? Et quels monstres ? »

« Paisibles face à l’absence de monstre, assez paisibles pour discuter du siège, assez paisibles pour n’apprendre que quand il était trop tard que quelque chose se passait. Elle ne sait pas grand-chose des monstres, elle pensait que nous les avions fait venir, elle ne les a pas vu dans sa fuite, elle sait juste qu’elle a été poursuivie mais qu’ils ont été retenus par les milices de la cité. »

« Ils ont des centres d’intérêts particuliers ? Des hobbies, quelque chose qu’ils apprécient ? Comment s'appelent-ils? »

« Si vous voulez apprendre à les connaître pourquoi ne pas aller les voir plutôt que moi ? »

« Tu ne connais même pas leur nom ? »

Un sourire trop large qui ne semblait rien avoir à faire là tordit la moitié inférieure du visage du haut-prêtre.

« Le Silencieux a pris ce qu’ils voulaient lui donner, rien de plus. »

« Soit. J’irais les voir comme tu le préconises. Merci haut-prêtre. »

« Faites attention à eux. »

Après un haussement de sourcil Kerath allait ajouter quelque chose mais il n’en fit rien, il salua le haut-prêtre d’un hochement de tête et s’en alla en direction du temple de Kiran où se trouvait les enfants en question. On lui accorda à une condition : qu’il porte les vêtements de la prêtrise des Jumelles, il accepta et attendit. Comme l’ancien soldat avait eu de nombreuses occasions de le voir en une poignée de siècles de service, dans l’armée il n’y a que deux tailles : trop grand ou trop petit. Mais dans son cas il n’y avait qu’une seule taille : trop petit. C’était entre autres pour ça qu’il avait gardé jusqu’ici l’équipement qu’on lui avait fait sur mesure lorsqu’il travaillait pour les primas. Alors après des essayages aussi embarrassants que superflus. Ou bien étaient-ils embarrassants car superflus ? Il fut difficile de le dire mais dans tous les cas le résultat fut le même : on ne trouva rien qui aille au colosse alors les prêtres lui expliquèrent qu’il pouvait y aller avec les vêtements qu’il portait actuellement à une condition : qu’il passe par une décontamination extensive et complète. Ce qu’il accepta sans rechigner et un bon gros quart d’heure plus tard on l’amena devant la tente où se trouvaient les enfants, Murrpau sur ses talons, et ce qu’il entendit le fit sourire.

« Avant d’entrer… »
« Oui ? » Demanda Kerath en se retournant, voyant le prêtre lancer un regard inquiet en direction de Murrpau.
« Vous devriez peut-être prévenir les enfants si vous voulez qu’il vous accompagne. »
« Il ne m’accompagnera pas. Il attendra ici. »
« D’accord. Dans ce cas je vous laisse. »
« Merci à vous… » eut-il à peine le temps de dire avant que le prêtre ne s’en aille le plus loin possible du félin à pointe qui commençait à le regarder de façon inquiétante. « Attends moi ici. » Lâcha-t-il à son compagnon avant d’entrer dans la tente. « Je vous recommande ses biscuits, ils sont très bon. » Du moins c’était ce qu’on lui avait dit et il n’avait pas de raisons d’en douter.

Lorsqu'elle était entrée, la prêtresse avait pu constater d'un regard que les deux gamins n'auraient pu être plus différents. Enfin, la gamine et le gamin puisque malgré sa taille, sa charpente carré et ses cheveux courts cheveux noirs tintés de blanc, la plus grande était bel et bien une fille.  

Le plus jeune avait sursauté, comme a chaque fois que quelqu'un entrait. Un humain ne l'aurait pas cru âgé de plus de quatre ou cinq ans. Ses boucles châtaines bondissaient avec lui et obscurcissaient son front. Au pied du lit, il avait planté des cartes dans une tablette de cire pour commencer à construire un château décoré avec les osselets dont déjà la moitié devaient être perdus. Mais comme les dernières fois, il poussa sa création aussitôt que des yeux étrangers entrèrent dans la tente, comme s'il craignait qu'on l'y associe. Craintif et silencieux, il n'avait plus regarder le moindre prêtre dans les yeux depuis qu'il avait compris que - justement - il s'agissait de prêtres.

De son côté, la fillette était calme mais farouche. Elle défiait du regard la moindre personne qui s'approchait et donnait l'impression de pouvoir partir en courant au moindre geste brusque. Assise en tailleur sur le lit qui lui avait été attribué, elle avait passé beaucoup de temps à jongler avec une balle ou deux quand personne n'était dans le secteur. Mais la plupart du temps ses grand yeux rouges regardaient alentours et elle serrait les poings, croisait ou décroisait les bras. Deux fois, elle avait même sauvagement crié sur son camarade de chambre qui s'était ratatiné sur le sol sans oser dire un mot... ça ne lui avait pas fait du bien. Au contraire.

Mais elle était forte. Alors ça allait.

Elle suivit l'entrée du plateau comme un animal suit les allés venus d'une créature dont il ne connait pas encore le danger. La voix enjouée de l'adulte la rendit encore plus méfiante. L'odeur avait chatouiller ses narines, mais ils avaient déjà eu deux repas aujourd'hui, alors elle n'était plus totalement affamée.

Son jeune camarade s'approcha sans un bruit, ses yeux ronds ouverts sur les piles de victuailles, jetant des regards en biais à l'adulte qui installait tout, les iris brillantes à la fois de crainte et de convoitise.

- Et bah moi je les trouve belle vos cicatrices. " laissa tomber la fillette de façon étrangement agressive. Elle avait dénoué ses jambes pour pouvoir fuir plus efficacement en cas de soucis. Puis en plus cette 'Na'ri' disait des mensonges sur la guerre.

Le ton de la plus grande avait figé le plus jeune. Il la regarda rapidement avant de baisser les yeux et d'attraper les plis de son pantalon des deux mains. Lorsque la voix masculine retenti à son tour, il sembla perdre toute substance et leva les yeux pour regarder le colosse comme un lapin devant un loup affamé.

La fillette, elle aussi, avait réagit au quart de tour et s'était levée, se trouvant au plus près du pan de toile à l'opposée de l'entrée, lançant d'une voix qu'elle aurait voulu solide.

- Vous venez nous poser des questions vous aussi ? "

Les enfants avaient suspendu leur activités. Pour l'observer.
"Merci" répondit la prêtresse à la jeune fille. Le plus jeune lui donna l'impression d'une souris, curieux mais apeuré d'un rien. L'ainée était moins sauvage, plus féline peut être. A quel point faisait elle de l'esbrouffe ?

Un autre entra alors.

Des enfants de Leetha. C'était bien ce que ces enfants évoqua à Na'ri. Piégés dans cette tente qui leur servait de cage, ils étaient plus que sur la défensive. Rien d'étonnant. Leur ville a été assiégée pendant plus d'un an et voilà que maintenant qu'ils en étaient enfin sortis, ils n'avait qu'une tente. Triste échange.

Elle avait reconnu la voix entre mille. Et dans sa poitrine, le cœur de la prêtresse sursauta. Son rythme cardiaque se fit un temps plus rapide. Quand il approcha, elle le dévisagea avec inquiétude, à la recherche d'une nouvelle blessure. Après un rapide inventaire, elle fut enfin rassurée.

" N'ayez crainte les enfants, c'est un ami de très longue date. Est ce la perspective d'un goûter qui t'a fait venir jusqu'ici ?

« On ne peut rien te cacher. »
Elle lui souriait. Dis moi, que veux tu prendre avec tes biscuits ? " Le ton était badin. Elle voulait revenir à quelque chose de "normal". Loin des évènements du matin. Loin de ce qui avait pu être vécu. Elle voulait simplement un moment de partage. Un moment hors du temps, et si possible rassurant. Alors elle prit une première tasse d'une main, sous les yeux médusés du plus jeune.

« Que de choix... » disait-il en laissant son regard vagabonder sur les plats. « Je vais prendre de la confiture. » De tout ce qu'elle avait apporté, elle n'avait pas de confiture… L'avait il fait exprès ? Na'ri posa alors la tasse et se saisit d'un biscuit qu'elle nappa de miel. Il se retourna ensuite vers l'enfant qui lui avait posé une question. « Oui je suis là pour vous poser des questions. » Il s'assit à même le sol, dos à la toile de tente de façon à ne pas bloquer leur retraite. La gamine, elle, fronça les sourcils en faisant son possible pour ne pas paraitre trop provocante. Elle savait ce que pouvait déclencher un regard mauvais chez certaines personnes, surtout les plus importantes. Mais ce qu'elle ne savait pas, par contre, c'était si la franchise de ce colosse au visage marqué par les combats devait la rassurer ou la rendre encore plus méfiante. « Comment vous appelez-vous? Je m'appelle Sagar. »

La prêtresse haussa un sourcil à l'évocation du vrai prénom du soldat. Elle lui tendit le biscuit sans un mot et attendit. Le gamin près d'elle avait regardé passé la pâtisserie avec des yeux si grand qu'ils lui mangeaient la moitié de visage qui n'était pas cachée par ses bouclettes.

- Yshahin... Je peux... Savoir qui vous êtes... Enfin ce que vous faite ? "

« Tu peux en effet. Cependant je ne saurais pas te répondre avec exactitude vu que je ne le sais pas moi-même. J’aimerais devenir prêtre. Et toi, comment voudrais-tu servir les dieux? » Ayant aperçu l'envie qui suintaint des yeux de l'autre enfant, Sagar lui tendit le biscuit que Na'ri lui avait si gracieusement offert. « Bon appétit, et toi, comment tu t’appelles ? »
- Kel'zo... " murmura le garçonnet, ses oreilles prenant une teinte violacée sous l'effet de l'émotion. Il gardait les yeux baissés et les mains fermées sur le biscuit comme si c'était le plus doux des trésors. " Merci maî...
- Ferme la ! " rugit soudain Yshahin, clouant le plus jeune sur place. " Mange et puis tais-toi puisque tu es si content d'avoir un biscuit ! "

Sagar observa le plus jeune à la recherche d’une quelconque trace d’une marque servile lorsqu’il fut interrompus par la véhémence de l’autre enfant. Il tourna la tête vers elle pour l’observer un instant, tentant de déterminer d’où venait cette agressivité.
« Je suis content d’avoir un biscuit, dois-je manger et me taire ? » Elle baissa les yeux.

Patiente, la prêtresse reprit un nouveau biscuit et le tartina de miel. Cette fois, elle le tendit directement à Yshahin, dans l'espoir de la faire venir.

"Yshahin, tu as le droit de ne pas répondre aux questions. Si tu n'as pas envie, tu es libre de ne pas le faire. " Les mots avaient un pouvoir, ils pouvaient blesser encore et toujours surtout quand on voulait oublier. Elle en savait quelque chose.

La fillette garda les yeux baissés à la voix mesurée de la prêtresse, croisant les bras. Ses sourcils se froncèrent d'une nouvelle façon, moins suspicieuse, plus douloureuse. Sans en avoir vraiment conscience, elle secouait négativement la tête.
- Si je le fais pas, il va m'arriver quoi alors ? Lok’nath a dit qu'on pourrait rester, mais il a pu mentir. Je lui ai dit ce qui s'était passé. Je sais rien de plus. Si les créatures viennent pas de vous je sais même pas pourquoi elles sont apparues. Elles... Elles pourraient venir ici... aussi... " sa diction devenait de plus en plus difficile mais ses yeux secs regardaient obstinément le bout de son pied.

« Rien. J’aimerais savoir pourquoi tu refuses de répondre mais je ne peux ni ne veux t’y forcer. Yshahin, regardez-moi. » Il attendit patiemment qu’elle lève la tête avant de poursuivre mais il ne bougea pas. « Les monstres ne sont pas là et s’ils viennent j’ai un bon ami, qui s’appelle Murrpau et qui attend juste dehors, qui va s’en occuper. Je ne suis pas venu te poser des questions sur ce qui s’est passé dans Sol’Dorn. Je suis venu te poser des questions sur toi, sur vous, qu’aimez-vous faire ? Quel âge avez-vous ? Quel est votre nourriture préférée ? Un dieu vous plait-il plus que les autres ? » Il tourna la tête vers le plus jeune. « Tu peux aussi répondre Kel'zo et est-ce que ça te dérange si on partage ce biscuit ? »

Le gamin tendit sa main colante de miel mais son geste fut interrompu par la prêtresse.

"Je ne suis pas d'accord, moi. Tu lui as donné ton biscuit et il n'a pas à le partager avec toi. Prend celui là." La prêtresse glissa alors un nouveau biscuit au miel dans les mains du daedhel. " Il y en a bien assez pour tout le monde ! " Puis elle se servit une tasse de thé.
"J'aimerai te remercier Yshahin. Merci d'être en vie, avec nous. Et enfin, merci pour Kel'zo. " Son regard plein de tendresse se posa sur le garçon qui osa enfin planter une dent dans le biscuit... avant de se raviser pour en lécher le miel. " Je sais qu'au plus profond de toi, tu aurais aimé t'enfuir avec d'autres personnes, peut être en sauver d'autres. Des personnes qui te sont plus chers. Saches que cela m'est arrivé tant de fois… " La voix de la soignante déclina. " Mais si vous voulez nous parler d'eux, nous vous écouterons. Si vous pleurez, ce ne sera pas une marque de faiblesse mais d'affection, alors nous vous réconforterons. Si vous voulez aller au temple de Teiweon, ou dans un autre temple pour les honorer, nous vous accompagnerons. Dites nous.
- Arrêtez ! " rugit la jeune fille en donnant un coup de pied dans une balle qui gisait sur le sol. " Vous savez rien ! Arrêtez de me traiter comme une lâche ! Arrêtez de faire comme si vous saviez ce que je veux et ce que je pense ! Je voulais pas m'enfuir ! Je voulais me battre ! Avec ma mère, mon père et mes sœurs ! " Les poings serrés, la tête rentrée dans les épaules, la gamine était tout bonnement hors d'elle. " C'est vous la lâche ! Vous dites que la guerre est une mauvaise chose ! que vous aimez fuir ! que vos cicatrices sont laides ! Et bah ma mère elle en a des cicatrices et c'est la preuve de sa force ! Et elle en est fière, elle ! Elle s'est toujours battue pour les dieux ! Elle sait ce que ça représente ! Vous dites que c'est nous les traitres aux dieux mais vous, vous agissez même pas comme une croyante alors que vous vous prétendez prêtresse ! Ma famille sait se battre, elle ! Elle sera pas morte aussi facilement que vous ! Si vous voulez pleurer, faites le toute seule avec vos biscuits ! Kel'zo ! Vient là ! " Sa voix n'avait pas changé le moins du monde d'intonation et il y eu une léger décalage avant que le garçon ne se précipite vers la plus âgée qui l'attrapa des deux bras, tourna le dos aux deux adultes et s'assit sur le sol, serrant toujours le petit garçon éberlué contre sa poitrine.

Na'ri porta la boisson chaude à ses lèvres et la dégusta. Le thé n'était ni vraiment bon ni franchement mauvais. Comme d'habitude. Elle resta calme. Les enfants… c'était une engeance étrange, presque inconnue. Il n'y en avait pas dans l'armée, il fallait dire. Ils avaient un corps similaire aux adultes, mais en miniature, des hormones en moins. Elle avait touché plusieurs points sensibles… Bien. C'était le second caprice qu'elle essuyait dans l'après midi. Ils étaient presque en miroir, cela pouvait en être touchant. Si seulement... Tranquillement, la prêtresse se leva.
- "Enfant d'Uriz, si nous ne savons rien, c'est parce que tu n'as rien dit. Quelle est ton arme ? Je te mets au défit. Combat moi, montre moi et prouve moi que je ne sais pas me battre."

Restant assis, Sagar ne put s’empêcher de sourire devant la tirade de l’enfant mais ledit sourire disparu bien vite en voyant la réaction de la prêtresse.
« Ne soit pas ridicule Na’ri. On sait tous comment ça va finir. Quant à toi Yshahin tu confonds bienveillance et faiblesse. Une erreur mortelle. » Il prit une bouchée du biscuit couvert de miel qu’on lui avait donné avant de le reposer pour se lever à son tour. « Tu as peur et c’est normal. Avoir peur ne fait pas de toi une lâche, laisser la peur prendre le dessus par contre… et c’est ce qui est en train d’arriver. »

Il s’arrêta le temps de prendre une grande inspiration. La fillette ne bougea pas, serrant encore plus fort son comparse dans ses bras et fermant les paupières.

« Maintenant lève-toi et regarde moi ! »

Si la plus grande sursauta, le plus jeune avait carrément les yeux exorbités. Il avait aboyé l’ordre à la façon d’un sergent instructeur particulièrement cassant ; sa voix habituée à hurler sur les champs de bataille en devenait assourdissante dans un espace confiné comme celui de la tente de quarantaine. Il aimait les enfants mais sa patience avait des limites. Elle jeta un coup d'oeil craintif, quoi que particulièrement sombre, par dessus son épaule, pour voir l'imposante silhouette qui la surplombait. Elle le défia du regard, sans un mot... et finit par se lever et se planter devant lui, les yeux baissés, le cœur battant à tout rompre, laissant Kel'zo s'accrocher d'une main au dos de sa tunique. Il lui fallut tout une montagne de volonté pour parvenir à lever le regard vers la tête tordue de l'adulte massif.

Déjà debout la prêtresse se mit d'instinct au garde à vous. C'était un plis qui arrivait au bout d'un mois alors, après tant de temps, elle n'y réfléchissait même plus.

« C'est mieux. Tu veux te battre comme ta mère et tes sœurs ? Tu ne peux pas. Tu es trop faible. Et tu le resteras tant que tu ignores tes peurs en te cachant derrière lui. Kel'zo lâches la et laisses la les affronter comme elle m'a affronté. » Sa voix avait repris un volume normal, du moins pour Sagar, mais surtout un calme qu'il avait abandonné quelques instant auparavant et qui ne lui était pas vraiment coutumier.

Bien qu'encore raide la daedhelle passa au repos et tendit une main au cas où que le petit l'accepte. Elle ne dit mots mais elle réfléchissait. S'était elle, elle aussi drapée de ses peurs aux yeux de son Obok Senger ? Intéressant… Elle essayera d'en discuter la prochaine fois avec son confident.

La fillette accusa le coup, serrant les poings. Le gamin avait lâcher sa tunique à l'instant où on le lui avait demandé et attrapé la main de la prêtresse de ses doigts poisseux de miel. Yshahin avait tourné la tête tandis que les larmes perlaient à ses yeux. Ses pommettes violacées et ses oreilles collées à son crâne trahissaient son trouble. Elle renifla un grand coup.

- J'suis pas faible. "

Une gémissement plus qu'une véritable résolution. Sa propre voix sembla redoubler le mélange violent d'émotion qui lui montait au visage.

« Pardon ? J’ai rien entendu. » Les bras toujours croisés sur son large torse, son regard dur posé sur elle était aussi froid que sa voix alors qu'il faisait un pas pour s'approcher de l'enfant. Un petit pas, un pas presque timide bien qu'il fut assuré et qu'il n'hésita pas un instant à le faire. La gamine sursauta, ses bras se serrant autour d'elle par réflexe à ce mouvement. Elle faillit faire un pas en arrière mais reposa le pied qui s'était mis à gigoter à côté de son jumeau. Son inspiration se faisait hésitante, tremblante. Son souffle était haché. Elle reniflait de plus en plus.

- Je suis pas faible. " répéta-t-elle un peu plus fort. Elle jetait les mots entre deux respirations mais n'avait pas réussit à lever les yeux. Elle n'était même pas sûre de savoir pourquoi elle s'obstinait.

« Plus fort. » Asséna-t-il en faisant un pas de plus. La tête rentrée dans les épaules, elle leva ses yeux rougis pour gronder.

- Arrêtez ! Je suis pas... ! " Un hoquet coupa la fin de sa phrase et un sanglot secoua ses épaules. " J-Je suis p-pas faible. "

Plantée là, debout, les bras enserrant sa propre taille, elle se retrouva à sangloter en regardant cet homme qu'elle ne connaissait pas, à peine capable d'articuler une phrase intelligible.
« Plus. Fort ! » Un dernier pas l’amena à quelques centimètres de la petite fille.
- J'SUIS PAS FAIBLE ! " hurla-t-elle du tac au tac, sa voix tendu partant dans les aiguës. Ses yeux rouges baignés de larmes ne se dégageaient pas de ceux de l'adulte. Tout pour qu'il arrête. Tout pour que ça s'arrête. " J'suis pas faible ! " répéta-t-elle en donnant un coup de sa petite paume sur le torse qui lui faisait face, comme pour tenter de le repousser, en vain. " J'suis pas faible ! J'suis pas faible ! J'suis pas faible ! " Chaque phrase son coup. Plus un. Mou. Les larmes roulaient à flot sur ses joues. " J'ai-ien-u-ai... J'ai 'ien put f-aire... "

Sagar s'agenouilla devant l'enfant puis il lui posa une de ses lourdes mains sur l'épaule, l'autre, il la plaça sous le menton de la fillette pour le stabiliser.

«  Je sais Yshahin. » Puis il la lâcha complètement pour l'attirer contre lui et la serrer dans ses bras afin de murmurer directement à son oreille. « Tu n’es pas faible, c’est pas ta faute. Tu m'entends Ysha? T'as rien pu faire, c'est pas ta faute. Tout va bien. C'est fini. C'est pas ta faute. » Sa voix s'était réchauffée au point d'en être étrange lorsqu'on connaissait un peu le soldat ou qu'on l'avait déjà entendu parler quelques fois. Il parlait lentement, déliant les mots, lui frictionnant le dos pour la réconforter. « T’as compris ? C’est pas ta faute. »La fillette s'accrocha à ses vêtements, enfouissant son visage dans son cou pour cacher vainement ses larmes.

Cela dura un long moment. Elle n'entendait plus que ses propres sanglots et les mots de cet étranger. Et ça lui faisait un bien fou sans trop savoir pourquoi. Elle n'était plus en capacité de réfléchir. Son esprit lourd était entouré de coton. De toute façon elle ne voulait pas penser. Il y avait sa famille. Il y avait les montres. Il y avait les ruelles et les caves dans lesquelles elle s'était terrer une nuit durant. Il y avait les robes et les masques. L'inconnu. L'étrangeté. L'angoisse. La peur. Elle avait tenu. Elle avait tenu tant qu'elle pouvait. Elle avait tenu... Elle avait encore sur la main le contacte de la peau gelée de sa mère. Dans le yeux le regard de Neeshka. Dans l'oreille la voix de son père qui lui disait de courir se mettre à l'abri. Et elle avait tenu... C'était pas sa faute.

Elle resta ainsi jusqu'à ce qu'elle parvienne à se calmer pour reprendre peu à peu sa respiration... Vidée. Frémissant encore, elle recula imperceptiblement pour se sécher le visage en le frottant vigoureusement avec ses manches.

« Laisses moi t’aider. »  Lui dit-il en la sentant finalement bouger, il la lâcha, prit un peu de recul, d’une main il tint son visage en place tandis qu’avec son pouce aussi chaud que rugueux il essuyait les larmes avec toutes les précautions du monde. « Et... » il essuya une dernière larme qui venait de quitter l’œil rouge de la dornienne. « Voilà. » Il se releva finalement, se mit de profil pour lui tendre une main qu'elle prit aussitôt. « Tu viens ? C’est l’heure de goûter. »
- D'accord... "

Sagar l’amena vers le tabouret sur lequel trônait le plateau et après qu’elle se soit assise sur un des lits et lui à même le sol il regarda ce qu’il y avait sur le plateau en question et il attrapa une tasse de thé qui avait eu le temps de tiédir, voir de refroidir, pour la tendre à la fillette en face de lui.
« Profites-en tant que c’est encore chaud. Ça m’y fait penser : tu ne m’as toujours pas dit ton âge. »
Yshahin reçu la tasse à deux mains pour la porter à ses lèvres, les yeux perdus sur les reflets du liquide pendant un moment. Elle fit la grimace lorsque le goût se répandit sur sa langue, mais avala tout de même. C'était tiède et ça faisait du bien.
- J'ai eu vingt-neuf ans le mois dernier. " Elle hésita un petit temps avant d'ajouter. " Je peux avoir du lait dans mon thé ?"
« J’imagine qu’il est là pour ça, sers-toi, que ce soit du lait ou autre chose. » Sagar montra l’exemple en prenant un biscuit sans rien mettre dessus, l’habitude plus qu’autre chose, et puis le goût ne risquait psade changer alors à quoi bon ? « Vingt-neuf ans… tu devras bientôt passer ton Clor d’Dormagyn et tu feras bientôt tes classes.
- Oui. " Elle acquiesça et ajouta, la voix toujours un peu rauque. " Maman a commencé à m'apprendre le combat à l'épée il y a sept ans pour que je soit digne d'elle pendant mon rite. Mais je ne sais pas comment ça sera du coup...
- Je ne vais pas t’embêter plus que ça mais avant de partir j’aimerais te poser deux questions : qui est Lok’nath et veux-tu rester ? »
L'enfant n'eut pas à chercher bien longtemps. Cette question on lui avait déjà poser le matin même. Et pouvoir se poser sans sentir cette chose immonde lui dévorer le coeur ne remettait pas en doute cette décision, bien au contraire.
- C'est l'homme qui est venu nous interroger ce matin. Un homme grand, avec un joli visage, des yeux presque violets et un masque. Il m'a aussi demandé si je voulais rester. Et oui, si je peux je crois que j'aimerais. Même si je... " Elle hésita mais continua. " Je peux vous dire un secret ? "
« Attends. » De sa main libre il alla pêcher son pendentif, encore rougis par le sang séché qu’il avait versé dessus une heure et demi plus tôt. Le pendentif en question était fait de bois, représentant un soleil il tenait facilement dans la main du daedhel et il était justement posé dans sa paume quand il le montra à la fillette en face de lui puis il ferma les yeux et commença une rapide prière, une poignée de phrases tout au plus, bien qu’il resta muet tout le long ; finalement il regarda autour de lui pour s’assurer qu’ils étaient seuls. « Quand j’avais ton âge, lorsque mes frère et moi échangions des secrets, les autres devaient jurer sur Uriz de ne rien répéter à qui que ce soit qui n’avait pas touché le soleil. » Il posa son majeur et son indexe au centre du soleil et invita d’un geste du menton l’enfant à faire de même, ce qu'elle s'empressa de faire avec cette sorte de plaisir coupable qu'ont les enfants à faire des 'trucs de bébé' qui leur plaise encore tant. « Je t’écoutes. »
- Je comprends pas pourquoi les gens de chez moi et ceux d'Elda se battent. Mon père veut qu'on ouvre les portes. Ma maman sait pas trop. Et j'espère que mes sœurs et mes parents vont s'en sortir... Du coup... enfin... je sais pas si j'ai le droit de dire que je voudrais rester... "
« J’aimerais te répondre Ysha… » il poussa un soupire avant de reprendre. « Mais je ne suis pas certain de connaître la réponse moi-même et puis vu la complexité de la situation je ne suis pas non plus certain qu’il n’y ait qu’une réponse. Toutefois je peux te dire deux choses : premièrement, oui, tu as le droit de dire que tu veux rester. Deuxièmement, je serais sûrement dans Sol’Dorn demain, dis-moi où tu habitais et je chercherais tes parents. » Finalement il retira ses doigts du talisman pour boire à la première tasse de thé qui était à sa portée puis il leva les yeux de la tasse pour regarder directement l’enfant en face de lui. « Moi aussi je peux te dire un secret? »
- Bien sûr.
Il posa ses doigts sur l’amulette et attendit que la fillette l’imite avant de divulguer son secret.
« Mes parents étaient des esclaves. Même si tu ne le penses pas, ça me ferait plaisir que tu sois plus gentille avec Kel’zo. »
La jeune fille resta abasourdie quelques instants avant d'ajouter, un ton plus bas sans lâcher le pendentif.
- Je pensais que si ça se savait, il serait renvoyé dans un cheptel... Vous pensez qu'on pourra rester ensemble même si les gens le savent ?
Prenant soin de ne pas enlever ses doigts du soleil de bois, Sagar eut une idée.
« Si tu te comportes normalement avec lui je ne dirais rien et personne ne le saura. Ça sera notre secret à nous, qu’en dis-tu ? »
- Mais il appelle tout le temps tout le monde 'Maître'... "
« C’est vrai mais si tu le laisses parler ou que tu es moins cassante il arrêtera peut-être. Dans tous les cas je verrais ce que je peux faire avec les prêtresses de Natha pour qu’il ne soit pas asservit. Est-ce que tu sais si ses parents étaient croyants ? »
La fillette hésita, ouvrit la bouche, la referma, puis elle baissa les yeux en répondant avec conviction.
- Oui. Ils l'étaient. "
« Ça va aider. Je dois vraiment y aller mais avant ça, tu ne m’as pas dit pour tes parents et tes sœurs, tu veux que je les cherche demain ? »
- Oui ! " Le thé tiède clapota dans sa tasse. Elle appréhendait de plus en plus le moment ou elle verrait le grand drow quitter la tente. Tout en sachant qu'elle avait toutes les chances d'en être déçue, elle espérait... les dieux savaient pourquoi. " J'habite dans le Prime Quartier. Le plus vieux des quartiers. Là ou sont les plus grands temples de la ville. Le linteau de la porte de devant est en bois rouge et la Scène de la résistance de Kiel y est gravée. Mon père s'appelle Zerak Min'Hiel. Il est grand, il porte les cheveux courts et des tâches d'encres sur les mains. Et ma mère Tish'Kah. " ajouta-t-elle sans même se rendre compte que donner le nom de celle qu'elle avait vue gelée entre ses propres draps ne servait sûrement à rien. " Mes sœurs se déplacent jamais sans leurs armes. Saya est grande. Elle a les mêmes yeux orangé que maman mais elle est très... " La petite mima une certaine épaisseur de ventre et une poitrine encore plus imposante en levant à moitié les yeux au ciel, passant vite à la suite. " Neeshka est plus petite et plus fine. Et elle a les yeux rouge pur, comme les miens et ceux de papa. "
Sagar hocha la tête, il n’était pas certain de se souvenir de tout mais il se souviendrait sûrement des noms, de l’endroit et surtout de la décoration de la porte.

« D’accord, si je peux je repasserais vous voir ce soir, si vous le voulez bien. En attendant essayes d’être plus sympa avec Kel’zo. » Dit-il en se levant, plus difficilement qu'il ne le pensait.
- D'accord... " Elle hocha la tête, un peu penaude, et s'essaya à un sourire timide.
« Qu’est-ce qui n’va pas? »
- Rien ! Rien... Je... Je veux bien que vous reveniez... si vous pouvez... "
« Je vais probablement avoir une réunion importante avec des gens tout aussi important ce soir et elle risque de prendre du temps ; elle risque de se terminer bien après que vous vous soyez endormis alors je ne te promets rien. » Il attrapa le pendentif resté jusque là sur la tabouret. « Mais je te promets de revenir vous voir dès que je pourrais, ça te va ? » Il remit son amulette autour de son cou, sous sa tunique en attendant la réponse de la petite fille. Pendant qu'il se préparait, elle laissa tout simplement tomber.
- ... Merci. "
Le soldat fit le tour du tabouret s’asseoir à côté d’Yshahin sur son lit pour la tirer vers lui.
« Dis moi ce qui ne va pas Ysha. » En la serrant contre lui il déposa un baiser sur son front. Elle referma ses bras sur l'épais torse du drow, se serrant fort contre lui avant de se redresser vaillamment.

- ça va. J'ai juste hâte que vous puissiez repasser. "
« Moi aussi, bon je dois vraiment y aller, à plus tard Ysha. » Il l’embrassa à nouveau sur le front avant de se lever pour se diriger vers la sortie de la tente sous les yeux de l'enfant.

Alors que Sagar s'avançait en criant à Yshahin, la prêtresse reculait petit à petit. C'était donc ça… C'était ce qu'il avait voulu faire. Elle reposa ses yeux sur le dos de son Senger et frissonna. Maintenant, il faisait face à la petite, elle était contre la toile de tente. Reprenant ses esprits, elle s'accroupit et tendit la main à Kel'zo.

- " Est-ce que tu veux venir voir Murrpau ? " Eberlué, le petit eut du mal à quitter des yeux Yshahin avant de prendre la main tendue de sa main collante de miel. D'un geste théâtrale, la prêtresse ouvrit la porte pour découvrir le félin à pointe. Elle fit un pas et présenta sa main.

- "Murrpau, je te présente Kel'zo. C'est un félin à pointe. Il a environ… un peu plus de trois cents ans. Et toi ? "

Pendant ce temps, Murrpau, en bon félin, c’était couché devant la tente et lézardait au soleil, la tête posée sur ses pattes croisées. Il s’était bien sûr relevé en entendant son maître crier mais il n’avait pas été appelé alors, devant la tente, il n’avait pas bougé, Kerath lui avait dit de rester et il resterait jusqu’à nouvel ordre insi il s’était recouché et avait commencé sa toilette. Lorsque la prêtresse et l’enfant étaient sortis sa râpeuse passait habilement entre ses coussinets, il suspendit son geste, tourna la tête pour voir qui sortait puis il se releva. Pendant que Na’ri faisait les présentations le félin à pointe s’étira de tout son long, dans un sens puis dans l’autre. Le gamin ouvrit de grands yeux, à la fois fasciné et terrifié par l'énorme bête. D’une démarche féline, malgré sa taille et sa masse, Murrpau s’approcha de la main tendue pour la renifler avant de tourner son attention vers le gamin aux côtés de la prêtresse, comme si la réponse à la question l'intéressait.

- Moi, j'ai neuf ans." chuchota l'enfant comme une confidence.

La sombre fut surprise par son âge sans trop savoir pourquoi. Était est-ce le fait qu'elle ne côtoyait d'habitude que des personnes âgées de plus de deux siècles, mis à part les esclaves ? Ou parce qu'il lui sembla qu'il soit encore plus fragile. Peut être. Elle posa son regard sur le petit qu'elle prit alors délicatement dans ses bras.

- "Est ce que tu peux raconter à Murrpau comment sont les monstres ? Comme ça il pourra mieux les combattre et nous protéger."

L'animal décida finalement de s'asseoir en voyant que personne ne voulait monter sur son dos, sa queue battait mollement l'air puis il pencha la tête, tentant peut-être de comprendre ce qu'on disait juste devant lui.

Le gamin , surpris par le geste de l'adulte, ne refusa pourtant pas le contact, bien au contraire. Il rendit son étreinte à la prêtresse avant de tourner la tête vers le gros chat en pierre.

- "Je sais pas... les monstres, ils sont noirs et... Et j'ai vu des g-grosses choses bouger partout. Et ! Et... Et du froid. Et moi j'avais peur. " Il s'interrompit brusquement et tourna soudain les yeux vers la femme qui le tenait, semblant se souvenir soudain de quelque chose qui creusait son visage de culpabilité.

- "Est ce que ces choses étaient plus grosses que Murrpau ?" Interrogative, la prêtresse attendit un peu avant que le petit ne hoche vigoureusement la tête. "Est ce que tu veux que je t'approche de Murrpau pour que tu puisses lui dire un secret ? Il ne le répètera à personne. "

Le gamin hocha une nouvelle fois la tête, curieux comme un chat de celui qu'il avait à portée de sa petite main. Son chuchotement était, comme souvent chez les enfants, tout sauf réellement discret, mais c'est tout contre l'oreille du félin qu'il tenta de dire :

- "Si tu veux bien... Ce serait pour que tu protèges Yshahin. Parce que... A cause de moi elle a eu très peur. Et elle m'a jamais laissé tout seul. Même si je suis pas important."

Murrpau observa l’enfant s’approcher près de lui avec une certaine méfiance. Cependant il laissa Kel’zo s’approcher, l’oreille sur laquelle se pencha l’enfant trembla un instant avant qu’il ne parle puis le félin à pointe secoua légèrement la tête avant de donner un gros coup de langue en travers du visage du gamin qui ouvrit de grands yeux en criant d'une surprise amusée.

La sombre ria. "Il t'aime beaucoup je crois ! Et peut même que lui aussi, comme Yshahin, il veut être ton ami. As tu des amis avec qui jouer ?"

L'enfant fit 'non' de la tête avant de baisser les yeux. Il ne pouvait pas vraiment dire que Yshahin était une amie... C'était une grande fille déjà. Et puis ils jouaient pas ensemble… Murrpau vint placer le bout de son museau sous la main de l'enfant qu'il souleva d'un mouvement de tête au plus grand plaisir de ce dernier. Le souffle de l'énorme fauve passait entre ses petits doitgts. Le maître du félin n'appréciait pas du tout ce comportement mais son maître n'était pas là et la bête n'aimait pas qu'on se mette à l'ignorer alors il cherchait de l'attention comme seuls les animaux savaient les faire.

-" Et avoir un ami comme Murrpau, est ce que cela te ferait plaisir ? " Il tourna des yeux ronds comme des assiettes vers la prêtresse qui s'approcha un peu de l'animal pour que l'enfant puisse le caresser comme il voulait.
"- ça pourrait ?"
"- Quand tu seras plus grand ce sera possible, même pour toi. Car tu sais, les parents de Sagar n'étaient pas importants comme toi et pourtant, maintenant, avec Murrpau, il a mené des hommes à la bataille. Il pourra t'aider. "

Elle le regardait en souriant. Kel'zo passait sa main le long des plaques du félin, prenant garde aux arrêtes tranchantes. Il s'était concentré dessus au moment même ou la prêtresse avait parlé de ses parents et continuait en un mouvement lent et répétitif. Il hocha frénétiquement la tête, mais avait-il compris ? Une main serrée sur la manche de l'adulte, l'autre passait et repassait maintenant entre les plaques au niveau du cou et de l'oreille de la créature qui se mit à doucement ronronner en fermant les yeux puis il se coucha pour faciliter la tâche de l'enfant. A contre cœur, la prêtresse libéra l'enfant pour qu'il puisse continuer ses caresses. Aussi étrange que puisse être les marmots, elle ressentit l'envie de les protéger, de les voir grandir, s'épanouir et partir faire leur vie. Seulement, elle ne savait ce que lui réserver l'avenir, et cela lui fit plus mal que d'habitude.
Debout devant la tente de quarantaine, en tunique, Na'ri pria pour eux, tout en surveillant d'un oeil bienveillant le félin et le bambin. Lorsque Sagar sortit finalement de la tente, il resta devant à observer l'enfant et Murrpau, à côté de la prêtresse, il attendit qu'elle termine de prier avant de prendre la parole.

« Je vais aller au rassemblement général avec un peu d’avance, tu viens avec moi ? »
-Non, mais j'y serais… Attends " Il hocha la tête avant de la regarder se baisser pour parler au petit. "Rentre dans la tente, normalement vous ne devez pas encore en sortir. Il doit rester des biscuits, prends en." Quand Kel'zo fut parti, elle prit en douceur dans ses deux mains celle de Kerath.
- "Si cela t'es possible, aides les. S'il te plait. " Pour la flamme que tu as soufflé ce matin, prends soin de ces deux braises. Pensa t'elle très fort, mais les murs de toiles avaient bien plus d'oreilles que ceux de pierre…
- « J’ai promis à Yshahin que je chercherais ses parents demain mais je n’interviendrais pas durant ses classes, ça serait la desservir. Pour ce qui est de Kel’zo je vais voir avec les prêtresses de Natha pour qu’il ne soit pas asservit mais je ne peux rien promettre. » Il serra les mains de la prêtresse en l’attirant contre lui pour l’embrasser.
" - Et… ne t'enfuit pas, il faut que tu passes au seau d'eau. " Son regard se fit alors malicieux.
-« Est-ce que c’est vraiment nécessaire ? » Grogna-t-il en lâchant les mains de Na’ri.  
- "Tu sais les enfants sont en quarantaine. Donc dans le doute, il faut se décontaminer ou se laver. Que préfères tu ? De plus, n'auras tu pas une bonne nouvelle, bientôt ? Et…" La sombre rougit et baissa son regard. " Et j'aime beaucoup quand tu sens bon. Elle posa son front contre le torse de son amant.
- « Très bien… va pour le seau d’eau. » Il la serra contre lui. « Vu que tu ne viens pas avec moi, profites-en pour prévenir tes pairs que je repasserais voir les enfants même s’ils seront sûrement endormis. »
- " Les chanceux…" Elle souriait tendrement.
« Na’ri… tu peux venir me voir quand tu veux, pas eux. On travaille ensemble, pas eux. Viens les voir avec moi ce soir. »
La prêtresse ria.
- " C'est vrai." La vie était plus simple pour celui qui avait la liberté. La sombre le libéra. "Ne va pas être en retard ! " Elle se mit sur la pointe des pieds pour déposer un baiser, puis s'en retourna dans la tente pour récupérer ses habits.