Comme d'habitude | Lareless

Première ennéade de Verimios de l'an 17:XI

Le soleil déclinait lentement. Les rayons éclaboussaient d'or et de cuivre le jardin. Dans leur bac qui envahissait l'espace, les jeunes arbres s'éveillaient pour devenir un temps des silhouettes vivantes et mouvantes. Pas peu fier de leur cime encore ébouriffée de leur quelques branches, ils crânaient et se pavanaient. Godelureaux, ils se moquaient des uns et des autres au fur et à mesure que leur couronne de feuilles s'en était allée dans une folle ronde. Les vents charmeurs avaient tant soufflé, tant séduits, qu'à présent les frondaisons étaient foulées par les pas de la petite maisonnée.  

Les voiles noirs de la robe de l'elfe, caressaient ce lit de milles couleurs. Ils soulevaient et réanimaient pour que des feuilles encore éprises de la vie puissent encore valser. Les foulées devenues lourdes par les ans et les épreuves se dirigeaient vers un chant qui depuis quelques jours avait commencé. C'était celui du bois que l'on travaille. Sous le auvent qui servait également d'établi, un anedhel travaillait. Dans sa main le rifloir passait et repassait sur la dentelle de bois.

- " Lissesúrë ?"

Le sculpteur ne releva pas la tête, offrant à la vue que la cime de ses cheveux de neige. Ils étaient rassemblés dans une tresse dont de nombreuses mèches s'étaient échappés depuis le temps. L'outils se reposait de plus en plus. Les yeux bleus de glace scruta avec minutie l'objet. Il était fait de deux parties dont l'une s'emboitait dans l'autre. Pour le moment, il s'assurait que les deux éléments se répondaient harmonieusement.

Au bout d'un certain temps, la visiteuse s'installa sur un tabouret mit là pour elle. D'un regard sévère, elle scruta la farandole d'assiettes posées sur une table à cet effet. La plus part n'avait pas été entamée. D'autres par contre avait était nettoyée. Elle s'était fait un point d'honneur d'apporter un plat pour chaque repas. Par ce qu'elle voulait qu'il mange correctement. Parce qu'elle voulait qu'il se rende compte du temps qu'il avait mis à travailler. Mais c'était vain et inutile. Concentré sur sa création, il ne se rendait compte de rien. Il n'y en avait que pour ce qu'il était en train de faire. Alors elle poussa un soupir.

- " C'est fini ! "

Le visage de son enfant était radieux. Alors les sombres pensées de la mère s'envolèrent. Le fils était heureux. Alors elle l'était pour lui.

- " Aujourd'hui, je t'accompagne. " Elle aussi était heureuse pour elle. Ce soir, elle serait aux côtés de son compagnon.

***

Lissesúrë avait accompagné sa mère jusqu'à la barque qui l'emmèna pour la nuit au temple de Tari. En tant que prêtresse, elle avait la possibilité de se recueillir auprès de la lueur de son défunt époux. Tandis que lui, devait rentrer. Elle lui avait demander de nettoyer un peu. Seulement, il ne l'avait pas entendu. Il avait déjà d'autres plans. Ce soir, il ne voulait pas se retrouver être seul dans la petite maison de pierre.
Il prit alors le chemin qui menait dans la forêt. Cette nuit, il la passerai avec la lune et les oiseaux nocturnes.

Le calme de la nuit.

Le poète qui avait écrit cela n'était pas dû tout un couche tard. Il n'avait jamais passé du temps dehors, la nuit. Dehors, pas dans un jardin, ni une cours. Mais le vrai dehors. Celui des Noss. Des bruits, il y en avait partout autour de lui. Le dos adossé à un arbre, tâche claire dans ce monde de ténèbre, il regardait le ciel d'automne. Certaines étoiles étaient cachées par le passage des nuages. Mais cela lui importait peu.

Il attendrait cette jeune chouette d'Ousomös qu'il avait cru voir une nuit d'été. Depuis, tel un soupirant, il guettait le rapace pour mieux la saluer.

Les céréales avaient été récoltées depuis longtemps maintenant. La terre du Protectorat avait offert nombre de ses bienfaits, il était tant pour elle de se reposer. Les pies avaient volé l'épis de blé. L'épis et les pies s'étaient envolés. L'été avait fait mûrir les fruits, l'automne les avait récolté. Mais les pies étaient restées et avec elles leur chant.
Elles jacassaient et s'esclaffaient. Elles s'interpellaient, se répondaient. Et elles se prévenaient.

Les oreilles du Taledhels s'animèrent. Il ne savait pas ce que les pies racontaient. Mais il comprit quand ses yeux se posèrent sur l'énorme tête du Léomenis. Mais c'était déjà trop tard pour fuir. Il ne pouvait prendre les jambes à son cou, ce ne semblait pas une bonne idée. Pourtant son instinct lui intimait de partir loin du prédateur. En même temps, la peur l'immobilisa complètement.

Il fallait dire que la bête était grande. Majestueuse même. Les rayons de la lune paraient de nacre la fourrure de bronze tandis que le félin s'approchait. Lentement.

Les oreilles étaient tournées vers l'elfe. Seul le son des battements de son cœur qui tambourinait sa poitrine devait lui parvenir.
Plusieurs fois, il releva le museau pour le sentir. Bien que s'étant lavé et changé pour accompagner sa mère, Lissesúrë était encore imprégné par les effluves de sèves de buis.

Le léoménis était maintenant à porter de main. L'elfe pouvait en sentir les différentes effluves qu'il transportait dans sa fourrure. Il y avait surtout l'odeur des feuilles et… La truffe froide et humide se posa sur le nez du sylvain qui eut un sursaut. Bien vite il eut un mouvement de recul. Sa tête percuta alors le tronc de l'arbre.

" Aïe !"

Mais déjà une luciole apparut dans leur chant de vision. C'était une des dernières de la saison. Bientôt elles se réfugierait sous l'épais manteau de feuilles.

Les yeux bleus et les yeux verts furent irrémédiablement attirés par cette lueur verdâtre.
Museau et visage se tournèrent en suivant les acrobaties de leur artiste.

D'un geste vif, Lissesúrë tendit ses bras pour attraper l'insecte. La lueur avait disparu. Les deux mains en cloche, il les ramena doucement vers lui et par extension vers le museau du félin. Celui-ci, le renifla au passage. Une fois devant ses yeux, il les ouvrit et découvrit avec stupéfaction que celles-ci était vide. La luciole l'avait bien eu…

" Je crois que tu peux te moquer de moi, Estoniel. Je ne suis qu'un piètre chasseur contrairement à toi. Dans quelle chasse as-tu perdu tes cornes ? "

La voix de l'elfe était encore enrouée par la peur. Mais il se força à parler doucement, tant au niveau du volume qu'en prenant soin de détacher chacun de ses mots.

Le félin s'allonga en soulevant des feuilles. Sous son poids les autres, celles qui n'avaient pas fui, crissèrent en se froissant. Mais le grand félin sembla y insensible à leur cri de douleur. Il montrait ses crocs tout en se frottant le dos. Lissesúrë ne savait pas trop quoi en déduire, contrairement à l'animal, il ne se sentait pas en confiance.

" Bon d'accord, ne parlons pas des sujets qui fâchent… "

Voilà qu'un son étrange sortit de la gorge du gros matou. L'elfe regarda son interlocuteur qui se mit alors à se contorsionner.

" Tu veux jouer ? "

L'autre continua comme s'il acquiesçait. Le Taledhels se rendit compte qu'il avait envie de passer sa main dans le pelage soyeux de l'animal. La fourrure était belle, dense et épaisse. Serait elle aussi douce que ce qu'elle promettait d'être ? Se noierait-il dans cet océan de bronze ?
Il eut une certitude : que si jamais le noble félin n'était pas d'accord, le coup de patte lui serait délétère.

Tout à ses pensées, Lissesúrë l'imita et s'allongea au pied de l'arbre. Ses longs cheveux s'éparpillèrent et lui firent une couronne autour de son visage. Mais il n'en avait cure. Il regarda le ciel nocturne.

Contrairement à ses jeunes arbres, ceux de la forêt avait encore quelques feuilles qu'un vent facétieux tentait de décrocher en leur tournant autour. Ce même vent poussait au loin les nuages. Peut être s'accrocheront ils aux montagnes. Peut être se contenteront ils de passer pour déverser leur eaux. Mais dans l'instant présent, ils n'étaient pas suffisamment nombreux pour masquer toutes les étoiles.

" Regarde, Estoniel, tu vois ces trois étoiles ? " Il avait tendu le bras pour montrer ce qui avait attiré son attention. " Elles représentes un chasseur. Et là et là, tu as ses chiens… " La large manche blanche ourlée de bleu s'agita tel un fanion avant de retomber lourdement sur l'épaule.
" Ce chasseur était fort, beau mais très violent. Il aimait parcourir la forêt, dont il connaissait chaque recoin. Au bout d'un temps, las de tourner en rond, il décida d'aller visiter une île. Il fut alors accueilli par un clan et… il tomba amoureux d'une heri. Mais le père de la belle n'approuva pas leur union. Il lui ordonna alors de chasser tous les oiseaux de l'île s'il voulait se marier avec elle, pensant que sa tâche était impossible. Cela prit du temps, mais le chasseur réussi. Glorieux, il rentra au clan et demanda la main de celle qu'il aimait. Le père renia alors sa promesse, ce qui ne fut pas du goût de l'amant éconduit. Furieux, il saccagea alors les habitations tant et si bien qu'il a fallu le ligoter pour l'arrêter. En guise de punition, le père lui creva alors ses yeux et l'abandonna sur le rivage. "
Tandis qu'il racontait sa légende, les mains du sculpteur s'animèrent et dessinèrent sur la voûte céleste.
" Le chasseur marcha alors tout droit et traversa les flots en pleurant. Il marcha tant et si bien qu'il rejoignit une seconde île. Durant sa traversée, il retrouva miraculeusement la vue. Aurait-il touché Arcamenel ? Possible. Il vécut solitaire jusqu'au jour où sa belle retrouva l'île par un heureux hasard. Mais le père, suspicieux, avait suivit sa fille. Avant que celle-ci n'atteigne le sable pour retrouver l'elfe qu'elle aimait, il invoqua un Thandion pour l'attaquer, refusant que sa fille appartienne à un autre que lui. Voyant l'ignoble poisson, le chasseur plongea alors dans les flots, l'épée au poing. Prise de panique, la heri crut qu'il allait s'en prendre à elle. Elle décocha une flèche qui atteignit le chasseur. Mais il poursuivit son chemin. Une seconde l'atteignit, et ce fut après avoir décoché une troisième qu'elle se rendit compte de sa méprise. Son amant, déjà bien blessé par les traits, mourut après avoir achevé le monstre. " L'elfe se tut un instant. " Afin que l'on se souvienne de son sacrifice, les dieux l'ont inscrit ici. Quand les nuages seront dégagés, on pourra voir la constellation du Thandion. "

Maintenant qu'il avait raconté son histoire, l'elfe se perdit dans la contemplation du firmament. Il y avait tant d'histoires écrites là haut. Pourtant les nuages décidaient desquelles étaient disponibles… Quelque part, il était heureux pour le chasseur. Peut être que ce soir, sans le Thandion, il pourrait être heureux, enfin avec sa belle. Au moins pour une nuit.

Le Léomenis était toujours là… Cette nuit, il ne serait pas seul lui aussi. Lissesúrë posa un bras sur son visage. Le tissus de sa manche le couvrit complètement. C'est alors que ses préoccupations du moment lui revinrent.

"Je sais où trouver des mages, c'est facile. Mais je ne sais pas où trouver des anëdhels qui ne soient pas aussi sourds que moi… Sauras tu m'aider Estoniel ? "

Ne s'attendant pas de réponses de la part de son compagnon, l'elfe de pierre ferma ses yeux et commença à s'assoupir.

Avant que le sommeil ne l'emporte vers d'autres lieux, il sentit que le Léomenis s'allongeait avec la grâce et la délicatesse de son espèce. Le bruit de gorge berça l'elfe. Le son grave qui l'enveloppait comme un doux plaid était apaisant et réconfortant. Petit à petit, les questions, les doutes et les petits tracas s'évanouissaient. Il n'y avait plus que ce doux chant, un doux ronronnement.

Lissesúrë se sentait bien, presque trop alors qu'il était en présence d’un grand prédateur. Le chasseur avait mis des gants de velours. Jusqu'à quand ? Il ne savait pas et voulait pas le savoir. Il voulait profiter aussi longtemps que possible de la douce chaleur de la fourrure.

Soudain, il ouvrit les yeux. Il fut pris d'un doute. Un horrible doute et si…
Très doucement, le Taledhel porta une main dans sa veste. Dans une de ses poches intérieures, il sortit un éventail replié. Lentement, l'aile se déploya et elle s'agita dans l'air.
Le mage craignait de trouver un sort. Mais aussi de réveiller la curiosité légendaire du félin.

Bien que les rayons des deux lunes étaient légèrement interceptés par les nuages, il ne faisait pas nuit noire. Le façonneur pu voir que nulle magie ne s’échappait  de l'animal. En réaction, il ne se redressa pas, mais une oreille emergea de l’opulente crinière et se tourna vers lui. Le fauve arrêta de ronronner, soudainement attentif.

Quand il eut fini, il replia vivement les plumes, mais au lieu de les ranger, il tendit l'éventail au léomenis pour qu'il puis le sentir. Relevant sa grosse tête les yeux verts se tournèrent vers le citadin, Estoniel dévoila légèrement ses crocs de curiosité, toute vibrisses devant pour renifler l’étrange objet.

" J'aimerai que tu ne le mordilles pas… C'est que j'y tiens beaucoup. L'oiseau est mort depuis longtemps, mais ainsi il vit encore un peu auprès de moi. Et il m'aide toujours. C'était un magnifique Silm'Aiwë. Ses plumes luisaient comme le velours des Ilewiy Lobor. C'est lui qui a choisi de vivre avec nous. Tout comme toi, il n'avait pas peur des Anedhels. Parfois, il partait pour quelques jours, quelques ennéades. Mais son nid était non loin de notre jardin. "

L’animal cligne très lentement des yeux. C’était très dérangeant de se faire fixer comme cela. L’elfe blanc pût avoir l’impression que le félin comprenait chaque mot. D’ailleurs, d’un geste délicat de la truffe, il l’invita à le ranger en sécurité, ce que l'elfe fit.

" Désolé de t'avoir dérangé  et d'avoir douté de toi. Mais cela aurait été déplaisant que je ne sois qu'un repas pour toi. Tu es intelligent. Mais redoutable quand il le faut j'en suis certain. Je… " Il se sentait idiot de se justifier ainsi.

Cependant, le façonneur préférait la compagnie des animaux. Parce qu'ils étaient plus simple que ses homologues elfiques. Parce qu'il ne fallait pas faire d'innombrables efforts pour respecter toutes les normes sociales, pour être toujours en phase avec son vis à vis et maitriser ses émotions pour ne montrer qu'un sourire doux en toute circonstance. Avec les animaux, il pouvait parlé ouvertement, ils ne posaient pas de questions, ils ne cherchaient pas à comprendre ce qu'ils étaient incapables à comprendre et surtout quand ils en avaient marre, ils partaient.  
Et surtout, les animaux ne cherchaient pas à tuer gratuitement. Les Anedhels avaient trouvé dans le sang des arguments massues. Mais ça, Lissesúrë n'était pas près à l'exprimer de vive voix.  

Le taledhel se mit sur le côté pour mieux observer son compagnon. Il posa la tête sur son avant bras en guise de coussin.

" Merci beaucoup l'ami. " Les lèvres s'étirèrent dans un sourire franc. Il sentit un goutte sur sa joue. Stupéfait, il porta une main à sa joue. Une seconde vient le frapper sur le front. Elles furent suivit par de nombreuses autres. Les gouttes tombaient, rebondissaient. Elles réveillaient la végétation. Elles les tambourinaient. Et un orchestre se mis en branle pour un concert. Estoniel se remis sur ses pattes avant de s’étirer voluptueusement en baillant à s’en décrocher les canines.

Rapidement l'elfe se releva. Bientôt les étoffes de sa tenue seraient bientôt imbibés. Dans la précipitation, il ne prit garde des quelques feuilles qui paraient ses longs cheveux.

" Je ne puis rester. Si tu le souhaites, je peux partager mon toit. Mais sache qu'il est fait de pierre… et les habitants ne sont pas très favorables aux animaux sauvages. Mais j'aimerai pouvoir te retrouver. Demain matin, ici ? "

En ronronnant à plein régime, Estoniel se frotta alors contre Lissesùrë, l’invitant à monter sur son dos sans attendre. Manifestement, il avait d’autres plans. Eberlué par le comportement étrange du félin, l'elfe enfonça sa main dans la fourrure. Visiblement, l'animal avait déjà prévu un hiver rigoureux. Voyant que l'animal s'impatientait, il se hissa sur le dos. Il devait déjà dormir. Il devait rêver. Et c'était un beau rêve.

Estoniel fait un aller-retour pour permettre au façonneur de prendre confiance avant de s’élancer d’une bonne patte directement vers Quatrième Saisons. Son rythme est régulier, sous ses cuisses, l’elfe peut sentir la musculature puissante bougée.

Tranquillement, infatigable, le fauve ne s’arrête qu’à l’extrême limite de la ville. Il devient nerveux à la vue des habitations. Et il s’arrête net. Lissesúrë en profite alors pour descendre. D'une main, il flatte le dos de l'animal. La fourrure épaisse, soyeuse et douce, lui glissait entre les doigts comme de la soie.

" Merci mon ami. Tu en as déjà fait beaucoup. Va, prend soin de toi et… On se retrouve demain ?! "

Un regard de mousse se plonge dans les prunelles pâles avant qu’une truffe humide ne se pose dans la main de l’elfe. Puis, tranquillement, l’animal retourne d’où il vient sans répondre plus avant, les feuilles tardives caressant ses flancs couvert de pluie.

Heureux comme un enfant, ayant trouvé une douce friandise à partager, Lissesúrë entre bien vite en ville. Demain matin, il aurait un très beau rêve à raconter.