[Palais d'argent] C'est une maisonnette... [Modeste]

6ieme jour de la deuxième enneade de Verimios, an 17

- Voilà, on arrive!

La main lègere et noire de Shyn'tae tenait celle, gracieuse et blanche, de sa compagne. Elles avançaient toutes deux au travers des rues des soiries, et l'elfe noire les avait conduit jusqu'au Joyau. Elles s'étaient reveillées ce matin dans les bras l'une de l'autre, encore telles qu'elles s'étaient endormies. Après un petit déjeuner et un bain chaud, la sombre avait tenu à amener Modeste jusqu'au pied à terre qu'elle occuperait pendant son séjour à Thaar.

Shyn'tae s'était faite aussi désirable qu'elle l'avait été le jour précédent, la couronne de laurier ornait sa chevelure. Mais elle était restée énigmatique quand à leur destination, bien que le chemin qu'elles parcouraient ne pouvait les mener qu'à un seul endroit.

La sorcière entraina Maud vers le grand portail du palais d'argent. Les gardes de la majestueuse demeure l'avaient forcément vue, mais ils ne bougèrent pas d'un pouce. La jeune humaine ouvrait des yeux de plus en plus grand à mesure qu'elle suivait son amante. Elles étaient partie de la taverne où elles avaient passés la nuit la plus torride de sa vie pour remonter toute la cité, allant de quartier chic en quartier splendide et, à présent, elles étaient ni plus ni moins qu'au sein même du Joyau de Thaar... Alors qu'elles arrivaient devant un palais aux mesures dispropotionnées, la bijoutière manqua presque de s'arrêter.

-Tu te moques de moi... Lâcha-t-elle, éberluée. La drow ne s'arréta qu'un instant, le regard petillant, un sourire plein de malice sur ses lévres, droite et gracieuse. Son oreille droite se dressa, la gauche un peu plus basse.

- Pourquoi ferais-je une chose pareille ? Et sur ces mots, elle l'avait attirée à elle pour l'embrasser avec fougue, sans prêter attention à la foule qui passait sans cesse devant elles. Sa jambe droite pliée s'était glissée contre celle de son amante.

- Ca ne te plaît pas ? On me l'a prêtée... Modeste pouvait sans peine distinguer l'interrogation ainsi que... était-ce de l'inquiétude dans le regard de Talrae ? Elle avait voulu faire au mieux.

Dans les bras de son amante, à l'entrée d'un sublime palais, sous le regard des passants et des gardes, la belle brune ne voulait pas s'éloigner d'un centimètre. Cependant, la gêne se lisait dans ses yeux... Et cela n'avait pas de rapport avec leur étreinte publique. Elle lui répondit à voix basse.

-Je suis fille de rien adoptée par un couple d'un quartier modeste de Thaar. C'est... C'est trop !

Talraë cligna des yeux, ses oreilles ajustant leur posture pour traduire sa gêne.
- Je suis désolée, j'ai pas moins bien... Pensive, tenant la main de la belle humaine, ses doigts noirs caressant sa peau douce malgré elle, l'elfe noire se retourna vers le portail et sa grande arche. Je suis petite fille d'esclave, j'ai habitée la majeure partie de ma vie dans une pièce remplie de livres à l'étude noire... C'est dommage que ce ne soit pas quelque chose que nous n'ayons pas construit nous-même... Mais... tu sais quoi ?

Souplement elle s'était retournée vers sa compagne, ses yeux pétillants dans les siens.

- Je me dis... pourquoi pas ! Qu'est ce qu'on s'en fiche ? Et si on ne laissait rien ni personne décider pour nous ce qu'on est ?

Modeste sourit puis vint effleurer la joue de Talraë de la pointe de ses doigts pour l'embrasser de nouveau. Elle sentit son amante se tendre, et, ses yeux se fermant, partager pleinement et sans réserve leur étreinte.

-Montre-moi ma chambre. De toute façon, ce n'est que temporaire. Finit-elle comme pour se dédouaner elle-même.

Talrae, sans se départir d'un sourire rêveur, l'entraîna à sa suite.
- Excuse-moi, je n'en ai vu qu'une petite partie, il va falloir qu'on choisisse ensemble... Mais j'ai une petite idée.

Sans un regard aux gardes, les deux drôles de dames franchirent le magnifique portail. La demeure était spacieuse, ouverte aux quatre vents, décorée de statues et de mosaiques illustrant les arts qui avaient fait la grandeur de celle qui avait fait construire la demeure. Des plantes apportaient leur fraicheur, l'eau et l'air se mélaient à la pierre avec sobriété et raffinement. Des esclaves portant de toutes aussi sobres et magnifiques toges, leurs cous ceints de colliers finement ouvragés et tous personnalisés, arpentaient le palais.

Montant le grand escalier d'honneur, les deux femmes avaient d'abord visité les suites du premier étage. Le deuxième avait suivi, mais c'était le troisième qui les avait arrétées. Il avait été amenagé comme un appartement indépendant, comprenant, outre son vestibule, un grand salon ouvert sur une imposante terasse ombragée par des arbres, une chambre au large lit, une cuisine et une salle d'eau ainsi qu'un hammam. Il n'y avait aucune fenêtre, seulement de grandes ouvertures aux voiles diaphanes menant sur les terasses. On se serait cru dans un jardin, si seulement entre les arbres n'était pas visible Thaar en entier, de haut, la mer, l'Olienne et l'ithri'vaan au delà.

A l'extremité d'une terrasse, tenant Modeste enlacée, Talrae en avait eu le souffle coupé,

- C'est magnifique..."

Si la sombre ne trouvait pas plus de mots pour décrire ce qu'elle avait sous les yeux, son amante était tout simplement bouche bée. Ses mains s'agrippèrent plutôt fermement aux bras noirs qui l'encerclaient tandis qu'elle admirait pour la première fois la ville depuis cette hauteur. La brise du large souleva leur cheveux, les mélants alors que leurs yeux portaient dans le même direction. Modeste n'avait jamais vu autant de merveilles que depuis qu'elle avait mis un pied dans ce palais. La richesse des lieux la fascinait et elle visualisait sans mal comment une femme de l'importance de Shyn'tae ou d'une Princesse Marchande pouvait arborer de larges bijoux afin de scindre des courbes enchanteresses. Si la nuit lui avait transmis quelques pointes d'inspiration, cet endroit les démultipliait dans son esprit fertile.

-C'est toi qui vit ici... Et c'est moi que tu appelle déesse... Souffla-t-elle dans un murmure.
- Ne le désires-tu pas? Les yeux carmins et séducteurs de la sombre vinrent se poser à nouveau dans ceux de sa belle. Au dessus de la grande ville, leurs nez se frôlaient, elle continua, suave. "... Imagine que tu sois libre... libérée de toute inhibition, de toute peur... Est-ce que tu le voudrais ? Être ma déesse de plaisirs et de désirs... Si belle et rayonnante. Désirable et passionnée..."

La proximité de Talraë fit s'envoler les battements du cœur de la jeune humaine. Était-elle tellement en son pouvoir qu'elle se trouvait incapable de lui répondre autre chose que...

-Je ne saurais te résister...
Les oreilles de la drow frémirent aux mots de sa compagne. Elle aurait rougit si sa peau n'avait été si sombre. Son coeur battait la chamade.

C'était merveilleux.

- Je ne veux pas te blesser... murmura la drow, du ton rêveur de celle qui venait de donner corps à une pensée venue de loin.

Modeste ne comprenait pas vraiment ce que cela signifiait mais elle étira un sourire malgré tout. Il semblait qu'elle tenait à elle, ou tout du monde était-ce ainsi qu'elle traduisait ses paroles. Ce n'était pas la première fois qu'elle lui témoignait son affection... Alors elle s'approcha pour venir l'embrasser, non pas avec fougue mais avec une certaine émotion. Leurs lévres se frolèrent, se cajolèrent. Leurs langues vinrent à la rencontre l'une de l'autre, lentement, longuement. Pour la drow, cette humaine était si rassurante. Elle devait reconnaitre ce qu'était ce sentiment qu'elle ressentait. Cette petite peur de mal faire, de faire du mal, même sans le vouloir, par égoisme d'abîmer cette merveille qu'était Maud.

Elle frémit, et s'oublia dans ce baiser qu'elle voulait voir durer. Lorsque finalement elles se séparèrent, la drow sourit tendrement.

- Il y a des quartiers Eldéens au sous sol... Mais je n'ai pas encore assez le mal du pays. Cela te plairait qu'on habite toutes les deux ici, au milieu des oiseaux ?
-Toutes les deux ? Répéta Modeste. La drow hocha doucement la tête en retenant son souffle, elle semblait scruter chacune de ses réactions.

Ces mots la touchaient mais elle essaya de ne pas trop en montrer. Elle pouvait faire comprendre à Talraë qu'elle aimait l'idée mais elle commençait à comprendre que la sombre représentait quelque chose àses yeux... Et elle avait peur de perdre ce qu'elle avait maintenant. Les eldéens semblaient si détachés des relations amoureuses, d'après ce qu'elle avait pu entendre. Beaucoup les décrivait comme manipulateurs... Mais ce n'était pas l'impression que son amante lui donnait. C'était peut-être naïf de sa part... D'espérer qu'elle n'était pas qu'un divertissement ou un outil pour Shyn'tae. Mais elle ne voulait pas que tout s'arrête. Pour l'instant, leur liaison lui faisait du bien et c'était tout ce qui comptait.
Finalement, la brune étira un sourire.

-Oui, ça me plairait beaucoup... Répondit-elle finalement, se serrant un peu plus contre son hôtesse qui se détendit. Mais... Je n'ai pas vu de bureau. Plaisanta-t-elle en référence à leur conversation de la nuit.
- C'est vrai... Il y a deux pièces que Krish a fait murer... Shyn'tae commença à onduler doucement, sa main dans le dos de son invitée, comme dans le début d'une danse ici, sur le toit du monde. La curiosité et la volonté de respecter les souhaits de l'ancienne reine se disputaient dans son esprit. "Je peux faire installer un bureau dans le salon, il y a largement de la place. On le choisira ensemble. Il faut qu'il soit large et spacieux." Son sourire était plein de malice. Modeste sourit, amusée.

-Je n'arriverai jamais à travailler quand tu seras dans les parages.

Que ce soit par le côté tentatrice de son amante ou simplement par le désir qu'elle faisait naître au creux de son ventre, elle n'était pas vraiment certaine de pouvoir se montrer efficace dans son ouvrage ici.

-Cependant... Quelque chose me dit que je ne manquerai pas d'inspiration... Souffla-t-elle, taquine.

- Je peux faire l'effort de te laisser travailler. répondit la drow en arborant une moue faussement boudeuse. Sur la terasse ornée d'arbres, le vent soulevait des rideaux de soie charamarrés. Lentement, sans que sa main ne quitte le dos de sa belle amante, elle dansait. "C'est même possible que j'y parvienne..." C'était inquiétant à quel point ses lévres avaient tendance à vouloir trouver celles de l'humaine.
-Je n'ai pas dit que tu étais la seule fautive... Glissa Modeste en s'approchant de la sombre pour l'embrasser sans interrompre le début de leur danse. Elle aussi se sentait attirée par sapartenaire tel un aimant. Elle découvrait tant de choses à ses côtés que sa curiosité semblait ne jamais pouvoir s'assouvir. Et c'était sans doute ce qui la rendait déjà aussi accros à elle. Cependant, leur baiser ne s'éternisa guère et la sombre put reprendre le cours de ses pensées.
- Nous avons tant de choses à faire. Trouver une boutique aussi... lorsque nous serons prêtes. Dis... j'y pensais. Tu crois que tu pourrais me faire découvrir Arcam ?lui murmura-t-elle. Il n'y avait personne d'autre qu'elles, mais l'Eldéene avait quand même baissé la voix. Elle se sentait curieuse. C'était peut-être par là que devrait passer l'avenir du Puy, un jour. Comprendre ce qui les entouraient. Uriz était-il en guerre avec tous les dieux ? Pouvait-il même gagner contre Kehrel seule ? Et que signifierait une victoire ? Elle fut parcouru d'un frisson. Pendant une fraction de seconde, comme un écho à ses cauchemars les plus vivaces, le monde autour d'elles n'avait été que cendres. Le conflit lui-même avait fini par s'éteindre après avoir tout brulé.

Tant de choses à faire, mais si peu de temps.

-Arcam ? Répéta Maud qui ne réfléchit qu'une seconde avant de lui répondre. Oui, bien sûr. Si tu me fais découvrir Isten.Réclama la belle brune.

Elles avaient déjà évoqué l'idée et l'humaine n'avait pas oublié. La Déesse des plaisirs et de l'ambition semblait bien différente du Dieu des arts et des passions. Et elle voulait savoir en quoi. Non pas que son engagement envers le culte pentien soit chancelant mais elle était simplement curieuse.
- J'ai hâte. Leur mouvement lent et chaloupé les menait au travers de la terasse ombragée. " ... Je ferai de mon mieux pour que nous les honorions convenablement. " Surtout, elle ne voyait rien qui lui permette d'affirmer que les dieux sombres verraient cela d'un mauvais oeil. Il faudrait qu'elle demande à Na'ri.
-Il y a quelque chose que tu voudrais faire maintenant ?

-Voudrais ou devrais ? La nuance ne lui avait jamais semblé aussi immense. Je devrais me préparer à déménager mais j'avoue que je n'ai pas hâte d'aller dire à mes mères que je les quitte pour aller vivre avec une drow que je connais à peine, même temporairement. Elles vont hurler.
- Oh Se contenta de répondre son amante, la mine pensive.

Les mots employés par Modeste pour décrire Talraë n'était pas tellement les siens mais plutôt ceux que ses mamans adoptivent utiliseraient à sa place. Elle appréhendait ce moment mais elle n'envisageait pas de renoncer. Elle n'avait plus quitté le cocon de cette famille depuis bien longtemps et, même si elle avait conscience de leur devoir beaucoup, elle n'était pas contre essayer de voler de ses propres ailes à nouveau.
L'une contre l'autre, les deux femmes dansaient douceent avec pour seule mélodie celle du vent dans le feuillage des arbres alentours. Dans ce restaurant où elles avaient partagé leur premiers pas ensemble, elles ne s'étaient pas montrées aussi proches que maintenant. Certes, leurs corps s'étaient effleurés en de maintes occasions, parfois même des zones indécentes, mais à présent elles évoluaient collées l'une à l'autre sans la moindre gêne. Cela allait même au-delà de la simple proximité artistique... Et, comme la drow, la jeune humaine semblait incapable de détourner le regard. Elle avait changé, indéniablement. Ou bien elle se sentait tout simplement à son aise tout contre Talraë.

- A chaque fois que je rencontre mes parents, j'ai envie de les envoyer se faire voir, remarqua finalement cette dernière après un long silence. "Je crois que mon père prendrait mal que je vive avec une humaine que je connais à peine." ajouta-t-elle sur le ton de la conversation. Il valait mieux que Maud ne le rencontre pas. Et elle ne comptait certainement pas lui parler de la belle demoiselle si attirante, ni lui permettre de s'en approcher à moins d'un pâté de maison, pensa-t-elle encore. Mais il n'y avait aucune raison qu'il vienne à Thaar, donc tout irait pour le mieux.
- Tu dois vraiment leur dire ? Je peux peut-être les voir ? Les longs doigts de l'Eldéenne caressèrent la joue douce de son amante. Elle avait de beaux yeux, constata-t-elle pour la énieme fois.
-Je ne me vois pas leur mentir... Notre relation est basée sur la confiance. Ma mère a su dès la première seconde quand je suis rentrée après ma première fois. Nous en avons parlé à coeur ouvert. Modeste marqua une courte pause, semblant réaliser quelque chose en s'écoutant parler. Je suppose... que je pourrais en faire autant pour toi. Elles comprendraient peut-être. La prêtresse d'Arcam en tout cas... Pour une ancienne anedhelle, tu comprendras que ça risque d'être un peu plus difficile. Peut-être que ça irait mieux en te présentant, oui... Mais dans un deuxième temps.
Tal'rae hocha la tête lentement. La relation de Modeste avait ses parents était basée sur la confiance. Cette découverte lui avait noué le ventre. C'était bien, mais ca faisait un peu mal. Jalousie, ou regret ?
- D'accord... Profite-en bien. La noirelfe portait un petit sourire doux. "Et ne t'en fais pas, quoiqu'il arrive, on trouvera une solution."
La belle humaine étira un sourire confiant et bien heureux avant de venir embrasser sa partenaire.