L'implacable destinée.

Les Plaines de Sang.

RP suivant Le Crépuscule de l'Aurore.

L'implacable destinée.

Contexte :
Les armées puysardes sont en marche et Naélis n'est rien de moins que l'ultime pas au bout de leur chemin. Le Royaume, malgré la rudesse de l'hiver, n'eut d'autre choix que de se préparer au pire. Se préparer à revivre des conflits qu'il avait déjà connus si peu d'années auparavant.
La guerre est inévitable, et comme toujours depuis le commencement du monde, elle s’apprête à écrire l'Histoire en lettre de sang.

Les guetteurs fonçaient à bride abattue dans toute la lande naélisienne, un paysage qu’ils connaissaient bien, car là était leur devoir. La surveillance des frontières était l’essence de même de leur existence. Ils formaient une élite, certes, mais que pouvaient-ils faire seuls face à la marée sombre qui se massait dans le pays d’Hanning ? Rien.
Ils avaient ainsi allumés les feux d’alertes, prévenant les autres postes de surveillance qui allumèrent à leur tour des brasiers d'alerte, jusqu’à ce que résonne la nouvelle au sein même des murs de Naélis, la cité portuaire.

« Les feux d’alertes de la frontière sont embrasés ! » Une nouvelle tombant comme un couperet d'une guillotine. On savait sa nature fatidique.

Erlem serait la première. Une ligne de défense qui, si d’ordinaire était utile, avait aujourd’hui peu d’espoir quant à être encore debout le lendemain.
La petite garnison d’Erlem s’était préparée, comme on le leur avait ordonné. Leurs montures étaient parées, les arcs et leurs flèches prêts à dispenser mort et souffrance, et le tranchant de leurs lames acérées rassuraient leurs cœurs.

Du haut des remparts du petit fort, se tenaient les armures. Droites, fières, imperturbables. Le destin d’Erlem était, de toute façon, scellé. Ce fortin qui fut, sous l'impulsion du Roi Héréon, intronisé comme un symbole de leur victoire contre les armées drows de l'époque, allait connaître un funeste destin.

Kerath remontait la Route des Sables avec ses gardes draconniques, ils n’étaient qu’une poignée, quatre pour être précis, ce qui était bien peu pour le général en chef des armées eldéennes mais en même temps en fallait-il plus que ça ? Peut-être, avec cinq soldats d’élite et deux félins à pointe, il faudrait une équipe déterminée, ou très supérieure en nombre, pour se débarrasser du Karliik Glenn. Partis de Thaar en pleine nuit, la route était calme et ils voyagèrent majoritairement de nuit, gardant ce rythme, ne se reposant que quelques heures avant de reprendre la route, confiant dans le fait qu’une fois arrivés avec le reste des osts ils pourraient se reposer un peu, profitant de l’allure bien moindre d’une armée en marche. En réalité le groupe était ralentis par les deux chevaucheurs de félins à pointe qui, contrairement à leurs camarades cavaliers, ne pouvaient changer de monture régulièrement, notamment à Feldorn, et sur les autres villes sur la route.

Au lever du soleil, Kerath descendit de scelle avec ses drows pour prier Uriz avant de rapidement remonter pour reprendre la route, ils auraient dû se reposer après avoir cavalé toute la nuit mais devant eux, à une demi-heure tout au plus, le long de la Route de Sable, à quelques minutes de marche de cette dernière, se trouvait l’un des maillons de la chaîne logistique des osts. Il fut décidé, et sans avoir vraiment besoin d’y réfléchir, qu’ils dormiraient dans le fortin qui servait de base de ravitaillement. A leur arrivée, reconnaissant leur Karliik Glenn, la garnison leur laissèrent le passage. Les montures s’abreuvèrent tandis que les eldéens se jetèrent dans la première tente inoccupée pour y dormir quelques heures. Une fois réveillé, Kerath demanda à parler au veldruk en charge de la base pour lui demander des nouvelles du front, il fallait dire que sur la route il n’avait pas été bien facile à contacter. La guerrière, après un bref salut, lui expliqua que la dernière caravane à être passé l’avait fait la veille, qu’elle devait être proche de la base tactique et que, par conséquent c’était pour ça que le dépôt semblait plus vide qu’il ne devrait l’être ; refusant la proposition d’augmenter la taille de son escorte pour ne pas être ralentis, le colosse repartit aussitôt avec ses quatre soldats pour arriver quelques heures plus tard à ladite base tactique. Également proche de la Route des Sables, sur une colline faite par les élémentalistes accompagnant les osts, elle ressemblait au camp ouest du siège de Sol’Dorn : un juste milieu entre une forteresse et un quartier général. Une fois arrivés aux portes de bois, on les ouvra à l’arrivé du Karliik Glenn qui demanda à voir les sengers et streeas présents. La réunion fut courte, elle n’avait pour but que de s’assurer que tout était prêt et, n’ayant pas eu grand-chose à faire en attendant son retour, les subordonnés de Kerath s’était assuré que tout était parfait.

Sortant de la grande tente qui servait de lieu de réunion d’un Etat-Major incomplet, l’eldéen observa pendant quelques instants Erlem dont la forme se découpait sur l’horizon, le soleil se couchait juste derrière le château comme si le Père encourageait ses enfants à se dépêcher de venir s’emparer de la structure. Mais tout ça attendrait le lendemain. Le jour tant attendu par les troupes rassemblées dans le grand camp arriva finalement, rassemblées au pied de la colline, les prêtres d’Uriz commencèrent une prière collective à l’aube. Avec le soleil se levait l’attention du Créateur et enfin les osts se mirent en route pour poursuivre l’Eda Vengeur.

Devant Erlem les eldéens ne prirent pas la peine d’installer leur camp, le soleil était plus haut bien qu’il ne soit pas encore à son zénith, les sapeurs, suivit par quelques esclaves portant leur matériel, discutaient avec les artilleurs qui montaient leurs machines de siège non loin d’un conclave de prêtres et de mages du C’nros qui préparaient un rituel. Pendant ce temps un drow portant une longue robe à la capuche rabattue sur sa tête et avec un masque noir sur le visage, ne laissant entrevoir que des mèches blanches, se dirigeait vers le château. Il était suivi d’un humain qui portait une imposante clepsydre à bout de bras. Une fois arrivé aux pieds des murs, le prêtre demanda dans un oliyan sans la moindre trace d’accent, parfaitement audible malgré son masque, à parler avec le castellan. Bien incapable de dire si la réponse venait en effet du personnage demandé, l’adepte de Tesso, comprenant qu’on lui refuserait toute entrée au sein du château, se tourna alors vers son esclave. Ce dernier se mit promptement au travail et assembla son appareil, l’eau commença alors à couler.

« Vous avez très exactement deux heures pour nous présenter votre reddition, si vous le faites, vous recevrez une heure de plus pour évacuer les lieux et partir où bon vous semblera et ce avec les habitants d’Erlem qui voudront vous suivre. Si vous dépassez les deux heures ou que votre réponse est donnée dans le temps impartis mais est négative alors… » s’il était impossible de le voir, la faute à son masque, il était possible d’entendre son sourire. « Vous serez considérés comme des païens se mettant sur la route des guerriers du Père des Batailles. En attendant votre réponse je me tiens à votre disposition et vous préviendrais lorsque le temps impartis arrivera à sa moitié puis à un quart et enfin lorsqu’il sera complétement écoulé. »

La réponse ne tarda pas à venir bien que ce ne fut pas exactement celle que le prêtre attendait, son sourire disparut bien vite lorsqu’il vit un homme sortir de derrière un créneau, arc bandé, et se jeta sur le côté pour éviter la flèche. En voyant une autre silhouette apparaître il attrapa l’esclave pour s’en servir de bouclier et se mit à reculer, ralentis par l’impact des flèches se plantant dans la chair de l’humain qui ne tarda pas à mourir. En voyant un prêtre pris à partie par des incroyants des soldats en armure lourde et aux boucliers tout aussi imposants se lancèrent à sa rescousse. Suivis par des arbalétriers lourds du second ost. Les tirs eldéens n’ayant pour seul but de faire baisser la tête des naélisiens, aucun de ces derniers ne mourut et une fois sous la protection des soldats, le prêtre laissa tomber le cadavre de son hérisson qui lui fut fidèle jusque dans la mort. Regardant le pied des murailles où il avait laissé sa clepsydre, l’eldéen continuait à compter dans sa tête pendant qu’on le soignait mais son décompte fut arrêté par la douleur d’une flèche qu’on retira de sa jambe.

Lorsqu’il ne restait que quelques gouttes pour tomber dans le second récipient, ayant déjà reçu leur réponse, les mages, laïcs comme cléricaux, terminaient leur incantation alors que les artilleurs et les sapeurs terminaient leurs derniers calculs et les esclaves qui leur étaient alloués faisaient rouler des projectiles pour pouvoir rapidement recharger. Un peu plus en avant les soldats terminaient leurs prières pour qu’Uriz daigne les observer pour être témoins de leurs faits d’arme à venir pendant que les prêtres du Père des Batailles qui ne dirigeaient pas la prière, dans leurs armures frappée d’un soleil et arme à la main, bénissaient le futur champ de bataille afin d’augmenter les chances que le Créateur ne tourne son regard ardent vers eux.

Une à une, les gouttes de la clepsydre s’écoulaient, rapprochant toujours plus l’instant fatidique qui marquerait le commencement de cette maudite guerre. Et pourtant, sur les remparts, les armures imperturbables reflétaient encore et toujours les rayons du soleil, démontrant l’absence de la peur qui d’ordinaire prend le soldat aux tripes, si bien qu’un courage sacré s’en trouvait symbolisé. Et quand l’heure vint, rien n’avait bougé.

Un silence pesant s’installa sur le fortin et ses environs. Un de ces calmes surnaturels auxquels on restait suspendu, et que la guerre eut promptement occis dans toute sa rage et sa folie.
Les cordages hurlèrent sous le poids des projectiles balancés avec une force véhémente par les machines de guerre noirelfe. La fureur des incantations libérées, les murs d’Erlem souffrirent le martyr.

Petite fortification, ses défenses tremblèrent jusqu’à s’effondrer. Eventrée, la muraille saignait sa pierre et ses briques. Les remparts volèrent en éclat et les reflets étincelants des armures furent bientôt réduits à néant, ensevelis par les volutes de poussières et la roche, dispersés par la force brute d’Elda, carbonisées par les feux des mages du Puy. Les tambours galopant de la guerre s’éteignirent au cœur des intenses braises du prémices de l’assaut, étouffés par la cacophonie infernale de la destruction.

Et avec eux, le destin d’Erlem.

Le fortin avait connu la destruction, le Roi Héréon l’avait fait rebâtir, promu au rang de symbole. Il avait rayonné depuis la frontière durant ces dernières années, veillant sur le Royaume tel un calme et un imperturbable gardien. Et voilà qu’en ce jour de grand malheur, Erlem retournait à la poussière, aussi simplement qu’un fétu de paille soufflé par les vents froids de l’hiver.

L’avancée était implacable, la furie, bouillonnante, le fanatisme, exacerbé. Enfin, nous étions prêts à faire ce pour quoi nous vivions et ce pour quoi Uriz avait décidé toute notre existence : accomplir l’Eda Vengeur. Cette fois-ci, il n’était pas question d’un long et interminable siège devant une cité ennuyeuse. Il n’était pas question d’attente : l’heure était au combat.

Moi, Vuzlyn, allait satisfaire la seule chose pour laquelle j’étais né : me battre, et remettre une nouvelle fois ma vie entre les mains d’Uriz. Alors que la cohorte de prêtres réalisait moultes rituels et préparations liturgiques, alors que les champs de batailles étaient bénis sous les incantations et les prières dédiées au Père des Batailles, mon esprit s’abandonna peu à peu à cette furie, cette folie destructrice qui trouve son essence dans le tumulte du combat. A genou, je priais intérieurement, d’une fervente ferveur fanatique, lorsque les choses prirent une tournure inattendue.

Le prêtre envoyé fut fléché, sa clepsydre, abandonnée. Les armures rayonnantes au loin demeurèrent de marbre, prêtes – croyaient-ils – à nous faire face. Quelle cruelle imbécilité… Fuyez, fuyez pauvres fous, sales immondices, ignobles impies, traîtres incroyants ! A mort les êtres inférieurs ! Gloire à l’Eda Vengeur ! Le créateur nous regardait en cet instant, en cette journée bénie par le sang des incroyants.

Les armes de sièges emplirent alors le ciel de leurs projectiles flamboyants. Les arbalétriers, et les armes de jets, tirèrent une myriade de flèches, véritables nuées assombrissant le ciel dans de stridents bruits semblables à un milliers de sifflets. La magie fut libérée, et tel le serpent se débattant dans un combat perdu d’avance, le fort et la muraille d’Erlem dansèrent à l’unisson avant de céder aux assauts magiques. Les briques se craquelèrent, cédèrent et finirent en poussière. L’on vit la muraille se lever avant de se briser sous l’assaut d’une force invisible. Et la damnation fut telle que l’on vit disparaître la fortification dans une pluie de cendres et dans un désert de poussière. Les armures jonchèrent le sol, écarlates et sanguinolentes, dans leurs tombes de gravats.

J’étais aux côtés de Kerath. J’avais beau ne pas commander mon Ost, j’étais tout de même Obok Senger, et en cette qualité, je devais rester auprès du Karliik Glenn, avant de me lancer dans l’ultime mêlée.

Si les naélisiens n’avaient pas peur en entendant les goutes tomber les unes après les autres dans le récipient presque remplis en dessous, c’était parce qu’ils ne savaient pas ce qui les attendaient ; surtout ceux qui étaient assez fous pour rester sur les murs. Bien qu’en réalité ceux-là étaient probablement les plus chanceux. Le Karliik Glenn tapota son plastron d’un de ses gantelets griffus, grattant sans le vouloir les inscriptions à la gloire de Meingal, juste au-dessus d’où se trouvait le bout de chiffon noir, sous ladite armure, qui, il y a de cela des siècles, représentait le Maître des Cataclysmes. Le grand dragon avait bien décliné, amoindri par le temps et probablement que Kerath devrait le faire réparer une énième fois avant qu’il ne tombe à nouveau en poussière mais comme à chaque fois, l’idée lui arrachait un grondement mécontent ; certes il n’y avait dans ce bout de tissus abîmé plus rien de la poupée que lui avait fait sa mère lorsqu’il fut affranchi, il avait été remplacé tant de fois, mais sa valeur sentimentale n’avait pas changé. Il adressa une dernière prière à Uriz en se disant que ça ne servirait à rien de toute façon mais on ne change pas si aisément les vieilles habitudes entérinées par des siècles de pratique. En y réfléchissant, les deux moitiés du soleil qui servait à fermer son manteau rouge l’agaçait plus qu’autre chose, il aurait bien fait remplacer le symbole du Père par une paire de mains tranchées mais il s’agissait d’un cadeau et c’était mal venu de l’altérer. Il se demandait d’ailleurs pourquoi il le portait. Les sentiments n’avaient jamais été son fort et pourtant voilà qu’il gardait, et portait, le présent d’une amante.

Un drow le sortit de ses pensées, passant à côté du général en chantonnant, il se dirigeait vers la formation pour prendre sa place dans la première, et probablement seule, vague.

« …La magie chante à l’heure des assauts
Dans l'air en feu vous entendrez
Autour de vous la musique de l’acier
Dans l'air en feu vous entendrez
Nos ennemis se mettre à hurler. »

Dans ses mains se trouvaient des flammes qu’il faisait danser entre ses doigts et Kerath se demandai s’il ne s’agissait pas là de l’échauffement des pratiquants de l’Art. Le Karliik Glenn se tourna sur sa selle pour lancer un coup d’œil au rituel, préparé par des mages du C’nros et de l’Etude Noire pour les laïcs et de prêtres de Zhak’Bar et d'Uriz. Tiu’Kor voletait au-dessus de la congrégation en leur lançant des regards noirs et des couinements de défi mais le bagron vert ne resta pas longtemps au-dessus du groupe de mages, il se dirigea vers un soldat du second ost qui agitait un morceau de viande. Lorsque la créature énervée arriva en fonçant sur le guerrier, il fit un pas de côté et remontra la nourriture, la mascotte de l’ost entreprit ensuite de dévorer l’offrande en lâchant un piaillement triomphant. Un gantelet se posa sur son front et une prière en l’honneur du Prime Dragon s’éleva de sous un casque. Puis vint le dernier rituel, les prêtres de Teiweon, suivis par des esclaves tenant des chaînes, passaient dans les rangs en scandant des prières à la Voilée tandis qu’ils enchaînaient les bras des soldats du second ost à leurs armes. Lesdits soldats prêtèrent serments devant des prêtres d’Uriz et de Meingal de ne retirer ces chaînes qu’une fois la bataille achevée. Une tradition qui faisait le bonheur de tout nécromant vitaliste étant donné qu’une fois les cadavres relevés, il ne fallait pas chercher bien loin pour trouver une arme aux pantins ce qui les rendaient, comme de leurs vivants, bien plus dangereux.

Et puis la dernière goutte de la clepsydre tomba dans le second récipient.

Un apprenti du C’nros arriva auprès de Kerath et après un rapide salut, le général hocha la tête.

« Le ritual est prêt. » Un second hochement de tête et le jeune drow repartit en direction du conclave. Le moment était venu. Resserrant sa prise sur Elrie, le Karliik Glenn ordonna l’avancée des troupes et celles-ci se dirigèrent vers des murailles qui hurlaient, qui tentèrent de résister aux forces qui s’en prenaient à elles mais en vain avant de s’écrouler. Toutefois si les défenseurs pensaient qu’ils allaient être tranquille le temps que les eldéens n’arrivent au corps-à-corps, ils se trompaient.

Zerszayenna, regardait avec un sourire enfantin la muraille s’effondrer, elle pouvait entendre le rugissement du Prime Dragon dans cette cacophonie et elle espérait que cette offrande lui plairait même si elle en doutait. Elle observa les soldats avancer en direction de la brèche, elle avait un peu de temps devant elle, sur sa baliste reposait un sablier retourné et la vue du sable qui s’écoulait n’était pas un spectacle qui égalait celui des troupes eldéennes approchant la petite butte de pierre nouvellement formée. Et pour cause, elle chercha du regard son frère qui devait se trouver quelque part dans la première ligne. Elle décrocha sa longue vue de son ceinturon d’arme pour y voir plus clairement mais malheureusement, de dos, tous les soldats se ressemblaient. A la place elle regarda directement la brèche dans l’espoir d’apercevoir des formes se mouvoir à travers le rideau de poussière qui commençait lentement à retomber.

« Tu penses qu’ils vont réagir à temps ? » La chef d’équipe reconnu la voix d’un de ses subordonnés et son sourire enfantin devint carnassier.
« J’espère. »

Le sablier de Zerszayenna ne s’était pas encore écoulé lorsque les mangonneaux se mirent à crier. Leur cible était la brèche ou du moins ce qui se trouvait juste derrière. S’il s’était trouvé des naélisiens qui n’étaient pas trop sonnés par la destruction de la muraille et qui avaient eu le courage de rassembler des troupes pour accueillir les eldéens juste derrière ladite brèche, il était possible que les projectiles aient ruinés leurs plans en même temps que leurs corps mais pour le moment il était trop tôt pour le dire, les rochers avaient disparus derrière la poussière. La sapeuse baissa sa longue-vue et se retourna vers sa baliste.

« A nous. » Dit-elle en attrapant le sablier qu’elle remis dans son escarcelle avant de se remettre à observer la muraille effondrée à la recherche de cibles.

Ainsi débuta l’affrontement. Par la démonstration de leur toute puissance, les eldéens firent voler les murs du fortin en éclats. Et leurs armées se mirent en marche, résolues et déterminées. La destruction d’Erlem n’était à leurs yeux qu’un début, la première pierre posée sur l’autel de la Guerre. Bientôt, c’est toutes les plaines du Royaume qu’ils comptaient abreuver par des rivières de sang.

Dans une marche cadencée, annonçant le destin fatidique qu’elle apportait avec elle, les soldats mus par la haine et poussé par un fanatisme incomparable s’en allaient sereinement embrasser le conflit. Un conflit silencieux, sans arme ni heurt. Les projectiles tombés derrière les murs du fortin avaient éventré ce qui autrefois servait de caserne, ravagé le petit entrepôt et effondré son toit. Le sol jonché de pierres, souffrit alors de la présence ennemie. Tandis que la poussière retombait, les eldéens découvraient le calme et la paix régnant en seules maîtresses des lieux.

Aucune lame ne les avaient accueillis, aucune lance, pas même un bouclier et encore moins une pluie de flèches. Là, dans les débris, gisaient certaines des armures étincelantes qu’ils avaient vu disparaître dans les exploits et la cacophonie assourdissante des engins de sièges et des sortilèges. Désormais couvertes de poussières, elles ne protégeaient plus rien ni personne. Elle ne l’avait d'ailleurs jamais fait. Et les portes du fortin n’étaient même pas fermées. Erlem, abandonnée à son sort, vivait désormais dans le souvenir de ses gardiens absents depuis longtemps.

Le néant fut le seul ennemi à les accueillir. Et son silence se riait d’eux et de toute la force dont ils firent montre en ce jour froid et triste.

Debout, sur ce perchoir, je pu voir l’immensité destructrice de nos armées à l’œuvre. La magie de nos prêtres, la maestria de nos ingénieurs, sonna le glas d’une forteresse qui, de toute manière, n’aurait jamais pu faire face à la férocité et à la violence de nos assauts.

J’étais descendu de ce promontoire, pour prendre position devant les soldats en formation. Kerath, notre Karliik Glenn, avait pioché dans tous les Osts et toutes les formations militaires dont disposait le Puy, pour former un contingent hétéroclite. Toutefois, je demeurais Obok Senger, et si mon Ost n’était pas là en entièreté, je demeurais un dirigeant de notre armée, aussi, ma place était devant eux. Je devais mener le combat.

L’ordre fut donné, et nous nous mettions à avancer. En marchant, évidemment. Chaque pas fait en direction de la forteresse, provoquait en moi un sentiment bien connu, et pourtant, presque oublié. L’adrénaline emplissait mes veines, faisant naître en moi, un sentiment de cruauté sans aucune limite. Mon esprit était comme déconnecté de ce bas monde, et avait rejoint Uriz lui-même. J’agrippais mon épée avec ferveur, et grinçait des dents à mesure que nous approchions. Je voulais tuer ! Aujourd’hui allait être un massacre ! Aujourd’hui, c’était le début du chao du royaume de Naelis !

Les dents serrées, les mâchoires crispées, mon regard aussi acéré que le fil d’un rasoir, passait en revue les décombres et les armures poussiéreuses. Debout, sur les débris, je cherchais un éventuel survivant pour pouvoir l’étriper moi-même. D’un signe du bras, j’indiquais à une section de fouiller les parties des ruines qui étaient encore debout – pour le moment. M’avançant ensuite, je pu comprendre l’étendue de la supercherie : les tireurs avaient pris la fuite ! Et les armures n’étaient que des mannequins de paille, placés là pour nous ralentir ! Et nous, par Uriz, étions tombés dans le panneau tendu par ces lâches ! Par ces faibles ! Par ces impies ! Par ces incroyants !

La colère m’envahit. Hurlant mon courroux, grondant ma fureur, j’en vint presque à décider de courir sur la piste fraiche des lâches ayant abandonnés la forteresse !

Ces sales chiens ne perdraient rien pour attendre !

Le Karliik Glenn observa les soldats avancer sous les tirs de l’artillerie eldéenne et une fois à l’intérieur d’Erlem il fronça les sourcils en voyant un soldat revenir au pas de course peu de temps après avoir gravis les gravats. Il se tourna alors vers ses aides de camp.

« Envoies un cavalier lui demander ce qu’il se passe. » L’intéressé salua son supérieur avant de partir au pas de course. Une estafette arriva peu de temps après et sauta au bas de son cheval et à son tour salua Kerath en attendant qu’il lui accorde l’autorisation de parler, une autorisation qui ne tarda pas à venir.
« Erlem est vide. » Le général haussa un sourcil. « Le château est vide… il n’y a que des mannequins. » Le soldat semblait avoir du mal à trouver de nouvelles façon d’exprimer la même chose mais de toute façon il n’eut pas besoin d’en trouver.
« Ils sont tous aussi lâches que ce gros sac d’Herod ? » Son ton restait neutre et un silence tout relatif commença à s’installer alors que le général se perdait dans ses pensées : vu que personne ne comprenait de qui il parlait, personne ne lui répondit. Il se tourna alors vers un des officiers du cinquième ost. « On va poursuivre notre plan, envoyez des éclaireurs montés à la recherche de ceux qui ont tirés sur le prêtre de Tesso, ramenez-en un ou deux en vie si possible, tuez les autres mais ne détournez pas les groupes montés de leur mission pour autant. Si les naélisiens ne veulent pas nous affronter on va faire en sorte qu’ils n’aient pas le choix. »

Erlem fut ensuite rasée une fois de plus, par magie, tandis que les esclaves, supervisés par leurs maîtres, démontaient les armes de siège pour les ranger afin de les transporter jusqu’à leur prochaine destination. Les prêtres de Zhak’Bar, plus que les autres, passèrent leur frustration sur les pierres qui n’avaient rien demandées à personne.

Quelle déception. Ne pas pouvoir soigner, ne pas pouvoir jouer avec les corps et les cellules… Tout cela ennuyait fortement le guérisseur. Après tout il n’était pas là pour décorer, on lui avait promis du sang, des larmes et un besoin certain de ses talents. Quel beau mensonge. Il dégustait paisiblement son verre de vin tandis que le silence régna sur Erlem. Ou était donc le spectacle ? Avait-il joué de son talent en vain ? S’était-il fatigué pour rien ? Visiblement.

Profondément dépité et visiblement déçu du manque de spectacle, il se retira dans sa tente pour se consacrer à sa vengeance. Dans la pénombre du lieu simplement éclairé par trois bougies et quelques rayons de Soleil, Ilm’ryn se concentra sur l’arme secrète de Na’ri qu’elle lui confia peu avant son départ. Il se plongea dans ses notes et se mit à songer à la meilleure façon de plonger Naelis dans la panique.

Autour de la tante, les médecins rangèrent tout le matériel, plièrent les tables et scellèrent les montures. L'armée n'allait pas tarder à poursuire plus avant et il ne fallait pas traîner.