Éclairez-moi mon brave [Rainier & Natael]

Milieu de la 4ème ennéade
Barkios, second mois de printemps
An 18 du XIe Cycle

Un fort soupire retentit dans la pièce alors que l’aîné des Marger consulte ses relevés de finances : les chiffres d’affaire dégringolent à une vitesse qui l’inquiète et cela fait quelques ennéades qu’il fait de son mieux pour rattraper le tout. D’ailleurs, le soleil est déjà couché depuis une bonne heure, signe qu’il est temps pour lui de lâcher prise pour ce soir ; c’est la tête reposée qu’il parviendra à s’extirper de cette merde dans laquelle il semble s’être empêtré pour une raison qu’il n’arrive toujours pas à comprendre. Il ferme l’énorme livre de chiffres et après l’avoir bien verrouillé dans un tiroir, il enfile donc sa cape et souffle les chandelles, prêt à sortir. Après s’être assuré d’avoir bel et bien fermé à clef l’entrepôt, le commerçant s’engouffre dans la lumière parcimonieuse des lanternes.

Les rues sont agitées près du port et plutôt bruyantes, mais cela, Rainier en a l’habitude; il les foulent depuis qu’il est tout petit, connaissant chaque recoin et raccourci possible. Il pourrait très bien s’y retrouver les yeux fermé d’ailleurs, et ce, malgré la foule plus ivre qui se masse et la faible lumière éclairant les ruelles. De toute façon, le commerçant porte toujours une dague à sa ceinture, juste au cas où il tomberait sur des truands. Disons que ses habits trahissent un porte-monnaie plus garni que la plupart des gens se trimballant ici à cette heure. Il est donc vigilant, même si la fatigue de ces derniers jours commence à ternir sa concentration habituellement impeccable.
Emprisonné dans sa tête, Rainier ne voit donc pas l’individu qui sort d’une ruelle et lui heurte l’épaule sans le faire exprès. Il lève donc la tête pour s’excuser, mais plisse les yeux dès qu’il croie reconnaître le dernier des d’Orman. Il a certes entendu parlé de son retour et encore plus depuis que les rumeurs concernant sa sœur et ce noble se propagent comme un feu de forêt à Chiard, titillant davantage l’inquiétude que Rainier avait déjà avant qu’ils ne reviennent tout les deux en ville. Et pourtant, malgré sa méfiance, il l’accoste d’un ton affable. Sans chaleur toutefois. Le commerçant est trop franc pour faire semblant et user de mots doux.

-Sir d’Orman. Je ne m’attendais pas à vous croiser ici.

Un sourire étire ses lèvres et il s’esclaffe, se rendant compte qu’il ne le connaît peut-être pas.

-Ah! Pardonnez-moi. Mon visage ne vous rappelle sans doute personne. Je suis Rainier Marger, le frère de votre amie Mère Zofia, dit-il en tendant sa main, ses yeux gris d’acier plantés bien fermement dans ceux du noble.

S’il voulait retrouver les bras de sa femme quelques minutes plus tôt, une autre idée germe plutôt dans l’esprit du commerçant. Si ces rumeurs l’exaspèrent et qu’il a confiance en sa sœur, le frère protecteur qu’il est a besoin de connaître ce personnage qu’est le dernier des d’Orman et être certain que Zofia ne s’embourbe pas les pieds dans une salle histoire. Après tout, ces rumeurs n’existent sans doute pas pour rien et Rainier veut comprendre.

-Dites moi, êtes-vous occupé en ce moment? Lance-t-il, tâtant le terrain.

Bon sang, pourquoi a-t-il accepté ? Natael se pose la question depuis qu'il a dit oui à son frère Philippe pour l'accompagner à une soirée entre nobles mais sans leurs épouses. Certes, dans ces sorties on le regarde avec moins de dédain que lorsque les dames sont là mais tout de même... L'humour y est beaucoup plus graveleux et lourd, y compris pour parler de Zofia et de lui. Il a beau soit les laisser parler, soit les remballer, il ne peut pas faire grand chose pour s'épargner les propos désobligeants qui se tiennent dans de telles réunions et qu'il se doit d'encaisser en serrant simplement les dents pour ne pas se trahir.
Tous s'attendent à le voir boire dans ce genre de soirée et, pour que son verre descende un peu, il est obligé de l'échanger de temps à autre avec son aîné qui, du coup, boit pour lui. Les d'Orman ont donc quitté l'évènement un peu plus tôt que les autres. Le puîné a raccompagné son frère et lui a offert un léger soin avant de prendre à son tour le chemin du retour. Marchant dans une ruelle, il soupire en essayant de chasser les dernières heures de son esprit. Bientôt, il retrouvera le confort de son lit et pourra profiter du calme et du silence pour tourner son esprit vers de plus agréables pensées... Comme Zofia et leur petite escapade clandestine dans les bois et dans une auberge qui n'a jamais su qu'il avait passer ses nuits là.
Mais à un embranchement, il percute légèrement quelqu'un, le tirant de ses songes éveillés. Il s'excuse brièvement avant de reprendre sa route jusqu'à ce que l'homme ne l'accoste en l'appelant par son nom. Natael se retourne alors vers l'inconnu et le dévisage en fronçant les sourcils. Si nombreux sont ceux qui savent qui il est, lui n'a pas le loisir de pouvoir prêter beaucoup attention aux visages qu'il croise, sa concentration étant tournée ailleurs.

-Je vous demande pardon ?

Son interlocuteur semble comprendre aussitôt et se présente. Le vitaliste redresse légèrement la tête en comprenant à qui il a affaire. Rainier n'est certainement pas sans connaître les rumeurs qui courent au sujet de sa sœur et lui, et qui se sont dangereusement amplifiées depuis leur retour de Langehack. Comme si le simple fait d'avoir fait la route ensemble était une preuve. A moins que quelqu'un dans l'auberge où ils ont fait l'amour pour la première fois n'ait entendu quelque chose... Ou que tout simplement le fait de lui apporter le petit déjeuner dans sa chambre au petit matin les "trahissait". Bref, lorsque le marchand lui propose de lui accorder un peu de son temps, peut-il vraiment se permettre de lui dire non sans risquer d'éveiller davantage ses soupçons ? Il sait que Zofia ne lui a rien dit mais cela ne retire pas ses doutes pour autant... Sans quoi il ne lui chercherait pas soudainement un mari après l'avoir laissé tranquille toutes ces années. Cependant, Natael ne retient pas son soupir de lassitude, déjà fatigué à la perspective de cette conversation dont il devine la teneur.

-Comment pourrais-je refuser un entretien avec le frère de mon amie la plus proche ? Je n'ai pas tellement d'obligations, comme vous le savez sûrement. Votre heure sera la mienne. Dit-il en s'apprêtant à prendre congé.

Rainier ne retient pas un rictus en coin dès qu’il entend le soupir du noble. Si le commerçant se fiche éperdument de ce qui se trame dans la noblesse, il a pourtant glané des informations par-ci par-là sur le dernier des d’Orman à travers ses quelques clients avec titre et il doit avouer que la personnalité de ce Natael en a rebuté plus d’un. D’ailleurs, il retire sa main qu’il a tendue, pas outré que le noble ne l’est pas serré, mais étonné. Il n’est pas tellement surpris que sa sœur ait réussit à percer les barrières de ce froid personnage, mais Rainier reste tout de même méfiant quant à cette relation qu’ils disent amicale et qu’il a du mal à tout à fait comprendre ; ils n’ont pas du tout le même titre ni les mêmes occupations et connaissant sa sœur, les hommes oisifs comme ce que paraît être ce Natael ne sont habituellement pas du tout son type. Quel genre d’échanges peuvent-ils donc bien avoir? Et pourtant, on murmure qu’ils sont inséparables...Le commerçant le toise et ne peut s’empêcher de lancer :

-J’ai eu bel et bien des bribes comme quoi ma sœur et vous étiez proches.

Il s’exclame ensuite lorsque le noble lui annonce qu’il est libre d’obligations. Un sourire éclaire son visage en remarquant que ce dernier tente de se défiler. Rainier ne le laissera pas, même s’il est lui-même lasse de sa journée. Il a besoin d’être rassuré sur au moins quelque chose et oublier les mauvais chiffres. Usant de son franc parlé, son sourire s’agrandit et il se permet d’ajouter :

-Je crois que vous vous doutez sans doute de ce que je veux discuter avec vous. Alors, que diriez-vous de m’accompagner dans un salon de thé ce soir? J’en connais un tranquille et surtout, privé et loin de l’agitation nocturne.

Il a souligné le mot privé, conscient qu’ils allaient discuter d’un sujet qui pourrait être délicat. Enfin, l’aîné des Marger espère que ce ne sont que des rumeurs. Il espère qu’il ne lui mentira pas non plus ou il devra avoir une discussion avec Zofia. Enfin, essayer...Si sa sœur est d’une douceur incroyable, il se rappelle encore les poignards dans son regard lorsqu’il lui a présenté un autre commerçant et la verve avec laquelle elle a envoyé paître son propre frère. Mais ça, il a l’habitude depuis qu’ils sont tout petits. Seulement, cette fois-là était différente. Il sent qu’il a franchi une limite qu’il n’aurait pas due. Pourtant, tout ce qu’il veut, c’est son bien et éviter que la même histoire qu’avec cet enfoiré d’Anselm se répète. Peu habitué d’user des conventions, il envoie donc une claque amicale dans le dos du noble, ménageant sa force naturelle et entame la route.

-Ce n’est pas très loin, clame-t-il.

Natael n'est certes pas connu pour son côté conventionnel mais il n'a pas non plus l'habitude qu'on l'aborde de cette manière, ni avec autant de promiscuité. Le coup dans le dos est modéré et le vitaliste l'accuse sans trop broncher mais il ne peut s'empêcher de dévisager Rainier en fronçant les sourcils alors qu'il l'entraîne avec lui sans lui demander davantage son avis. Il comprend qu'il n'a pas l'intention de le laisser filer tant qu'il le tient et trop se débattre laisserait son interlocuteur sur sa faim mais, surtout, lui mettrait encore plus la puce à l'oreille. L'amant de Zofia comprend donc qu'il ne va pas pouvoir se défiler ce soir, même s'il n'avait pas l'intention de lui faire faux bond bien longtemps. Il n'aura même pas le temps d'accorder ses violons avec la jeune femme et c'est sans doute ce que veut le marchand...

-C'est proposé si gentiment... Fait-il avec sarcasme, ne cachant pas que le procédé ne lui convient pas tout à fait. Mais il se doute que ce n'est pas ce qui dérangera Rainier, d'après le peu que sa sœur lui en a dit.

**********

Le salon de thé n'est effectivement pas loin. Natael s'est contenté de suivre et de se laisser installer sans un mot. Il commande un thé à la menthe, boisson plutôt orientale et rafraîchissante que les autres parfums qui lui étaient proposé mais il a besoin de se vider l'esprit du reste de sa soirée et de se purger les fumées de tabac dans lesquelles il a baigné. Assis face à Rainier, il a retiré sa capuche et sa cape. Il a les bras posés sur la table et les mains unies devant lui. Il sait qu'il ne peut éviter cet entretien et a bien l'intention d'y faire face. Son regard est plongé dans celui de son interlocuteur avec son air à la fois distant et sévère.

-Vous ne craignez pas qu'une discussion entre nous "en privé" et en pleine nuit alimente d'autant plus les rumeurs sur le compte de votre sœur et moi ? Parce que j'imagine que vous savez ce que l'on dit de nous et que c'est de cela dont vous souhaitez me parler.

Natael remarquera bien vite l’âme commerçante de Rainier qui fait de lui ce qu’il est : un homme franc et convainquant. Et cela, il ne le cache point, malgré son manque de conventions parfois choquantes. Zofia lui a déjà reproché son manque de retenu et de gêne, mais a bien vite abandonné la cause. Lorsque Rainier veut quelque chose, il fait tout pour l’obtenir et il se trouve que cela fonctionne. Imposant par sa taille, il l’est aussi par sa personnalité. Le sarcasme du noble ne décontenance pas du tout le commerçant. Au contraire, son sourire ne s’estompe pas. En fait, cela l’amuse un peu et confirme la description qu’on lui a fait du personnage. Il continue donc de fouler les ruelles, alors qu’il entend les pas du noble derrière lui.

Quelques minutes s’écoulent et Rainier bifurque pour emprunter finalement un escalier s’engouffrant sous une passerelle. Il s’arrête devant une porte en bois et cogne trois coups, jusqu’à ce qu’on ouvre le clapet de métal et qu’un visage les toises à travers une petite fenêtre. Rainier prend une pièce d’or de sa bourse et la pousse à travers l’ouverture. ‘’Bienvenue Messieurs’’ Lance l’homme affablement et après avoir pris la pièce. Ils peuvent entendre des verrous cliqueter à travers la porte, qui finit par s’ouvrir sur un décor aux couleurs vives et aux lampions et lanternes tamisés. Des plantes et parsèment les murs et les plafonds, alors que les sofas et les banquettes sont de velours. Un feu brûle dans l’âtre, enveloppant l’endroit d’une chaleur très confortable. L’endroit est paisible, mais pas dénué de vie pour autant ; des bourgeois jouent aux échecs plus loin tandis que d’autres jouent aux cartes en riant. Un couple bien vêtu se regarde même amoureusement à une table.
L’odeur des herbes utilisées pour les thés mélangés à celle des spiritueux qu’ils servent aussi ici titille agréablement les narines, alors qu’ils passent près du comptoir de service. Rainier connaît cet endroit et c’est pourquoi la serveuse et tenancière lui envoie un sourire lumineux, que le commerçant lui renvoie aussitôt.

-Désirez-vous le salon privé, Rainier?
-S’il vous plaît, Marguerite, rétorque-t-il avec un clin d’œil amical qu’il ne cache pas du tout.

La jeune femme les conduits dans un endroit en retrait et ouvre deux portes, laissant place à une table entourée de sofas au dossier hauts et l’air confortable. Un autre feu brûle doucement dans l’âtre qui réchauffe cette pièce. La verdure est aussi omniprésente et les murs parsemés d’œuvres d’art. Lorsqu’ils ont pris place, la serveuse leur parle des thés qu’ils offrent et après avoir retiré son capuchon et sa cape, Rainier commande un thé vert contenant un onze de spiritueux et laisse le noble faire son choix. Lorsque les commandes sont faites et Marguerite s’éclipse, il soutient le regard sérieux de Natael sans broncher. Il ne peut alors s’empêcher de rire.

-Je connais personnellement la tenancière pour lui avoir fait un prêt alors que le salon vivait des moments difficiles. J’ai donc l’habitude de conclure des affaires ici. Il n’est donc pas rare que l’on me retrouve dans cette pièce avec quelqu’un. Nous pouvons être tranquilles.

Son sourire se dissipe, mais pas trop. Si Rainier sent la froideur de son invité, il ne l’est pas et ne s’en formalise pas. La noblesse souffre parfois d’un réel manque de chaleur et de laisser aller qui ne surprend pas le commerçant. Il s’accote sur le dossier, joignant ses mains ensembles et ne passant pas par quatre-chemins pour se lancer :

-Effectivement et comme je ne suis pas du genre à tergiverser, vous comprenez que j’ai besoin de savoir ce qui se trame vraiment. Des rumeurs peuvent courir rapidement sans être nécessairement fondées...Toutefois, comprenez mon inquiétude, même si je n’ai pas l’habitude de me mêler de la vie privée de ma sœur.

Il prend une pause et plisse un instant les yeux, lui donnant un air ressemblant à celui de Zofia lorsqu’elle pense.

-Comment exactement, vous êtes vous rencontrez ? On dit que vous avez l’habitude d’aller au monastère...

L'interrogatoire commence et Natael n'a pas l'intention de se montrer plus affable, ce serait essayer d'endormir la méfiance d'un homme habitué aux négociations. Mais, tout comme Rainier, il faut plus qu'un joli cadre et une boisson -chaude ou alcoolisée- pour parvenir à le manipuler. Il a la tête sur les épaules et semble parfaitement sûr de lui.

-J'aperçois beaucoup de prêtres au monastère, ce n'est pas pour autant que je parle avec eux. C'était également le cas pour Zofia.

Depuis le temps qu'il fréquente le monastère -à savoir : toujours-, il serait bien étrange qu'aucun évènement particulier ne leur ait permis de se rencontrer vraiment et de se rapprocher. Il ne s'est rien passé de notable à Sainte Aliénor et il serait aisé de vérifier la véracité de ses propos. Alors autant lui donner une petite part de vérité.
De plus, le jeune d'Orman n'a pas l'intention d'appeler son amante par son titre religieux, ce serait hypocrite de sa part. Comme si, en privé, ils s'appelaient "Mère Zofia" et "Sir d'Orman"... C'était ridicule. Et puis, devant son frère qui lui a certainement déjà lui prêté d'autres surnoms, cela lui semble bien inutile. Il a déjà admis qu'ils sont de proches amis, agir différemment serait le faire mentir.

-Nos pas se sont croisés au cours de l'un de mes voyages, il y a bientôt un an. Nous nous sommes vaguement reconnus, nous avons discuté et sympathisé.

Le vitaliste ne tourne pas la tête alors que la gérante revient à l'instant avec leur commande. Son regard reste fixé sur Rainier alors qu'il a achevé sa réponse. Elle est certes sommaire mais il n'a pas l'intention d'épiloguer et de tourner autour du pot. Il en dira un minimum, essayant de combler les vides qu'il peut sans éveiller les soupçons sur ceux qu'il ne veut pas voir le marchand approcher. Alors autant en dire le moins possible pour ne pas lui permettre de réfléchir trop loin. Mais, pour l'heure, leur conversation est en suspens du fait de la présence de la serveuse.

Rainier ne se choque pas de l’utilisation du prénom de sa sœur chez le noble, même s'il trouve cela étrange. Il a tellement l’habitude que des inconnus usent de son titre de prêtresse. Seulement, ce d’Orman et Zofia ne sont pas des inconnus. Ils se sont rapprochés, assez pour se considérer des amis très proches et alimenter tout Chiard en rumeurs, rumeurs que la ville n’a pas du tout besoin puisqu’elle en est déjà saturée. Plusieurs clients ou autres marchands les plus commères osent même lui poser des questions sur la vie privée de sa sœur. Il ne se gêne jamais pour les rembarrer poliment, même s’il ne peut cacher qu’il s’inquiète et que c’est sans doute cela qui l’a poussé à s’unir avec son oncle pour trouver quelqu’un pour elle. Elle a 30 ans et la dernière chose que son frère souhaite pour sa sœur, c’est qu’elle se retrouve seule, mais surtout, seule et le cœur brisé à nouveau.

Le noble explique qu’ils se sont plutôt rencontrés sur la route, lors d’un voyage. Il plisse à nouveau les yeux, soutenant le regard bien ferme et ancré du noble dans le siens. Ils ont sympathisé ? C’est probablement ce qui surprend le plus Rainier, car l’homme qui se trouve devant lui n’a rien d’un gars avec qui ça semble aussi facile de se rapprocher. Il y a certainement quelque chose qui les a liés dès le début pour qu’ils soient aussi inséparables. Par Néera ! Il l’a même invité à son anniversaire !
Il s’apprête à dire quelque chose, mais Marguerite revient avec leur commande. Rainier la remercie d’un grand sourire et reporte son attention sur Natael dès qu’il entend les portes se refermer. Il prend une gorgée et après avoir déposé sa tasse, il pose ses coudes sur la table et joint ses mains ensembles. Rien de mieux que du thé pour se revigorer ! Et maintenant qu’ils sont seuls à nouveau, ils peuvent continuer l’entretient. Il se penche donc un peu plus vers Natael :

-C’est un peu ce qui me surprend...Loin de moi l’idée d’être insultant, mais avec ce qu’on m’a dit de vous, vous me paraissez peu enclin à discutailler avec des inconnus de façon aussi soudaine.

Un rire bref s’échappe d’entre ses lèvres :

-Cependant, je ne vous ai jamais rencontré, alors je préfère plutôt me faire ma propre opinion. Et puis, je sais que ma sœur a une personnalité sans malice qui peut parfois faciliter un rapprochement.

Un rapprochement, s’il n’est pas platonique, qui pourrait ternir sa réputation et celle des Marger. Certes, elle n’appartient plus à la bourgeoisie, mais les gens n’oublient pas d’où elle vient. Et cela pourrait être dévastateur pour son commerce qui commence déjà à peiner. Non, il préfère ne pas penser à cela ce soir. Il soupire et une éclat de fatigue passe soudainement dans ses yeux :

-Écoutez, j’ai confiance en ma sœur parce que je la connais. C’est une jeune femme tout à fait capable de se débrouiller sans moi et sans doute bien plus responsable et posée que son frère. Et si votre amitié me paraît dangereuse pour des raisons que je crois inutile de vous exposer, je ne tolérerai pas qu’on la blesse ou que ces rumeurs entachent son futur. Ni celui de mon commerce.

Il reprend une gorgée, pas sans le quitter des yeux, prêt à jauger sa réaction.

S'il ne prête que peu d'attention à la serveuse, Natael n'est pas non plus un mufle et il la remercie du service d'un signe de tête avant qu'elle ne s'en aille. Rainier reprend alors la parole et le vitaliste est presque heureux qu'il n'attende pas de réponse de sa part concernant le fait qu'il ait pris la peine de discuter avec Zofia plus qu'avec n'importe qui. Cependant, il se fait une réflexion qu'il n'avait encore jamais eu jusque là : est-ce qu'il passe vraiment pour un asocial ? Si cette possibilité ne le perturbe pas davantage que tout ce que l'on peut dire sur lui, il s'en interroge néanmoins. Il est vrai qu'il passe peu de temps à converser mais il ne supporte pas les faux semblants et c'est ce qui compose l'essentiel de la vie des nobles. Mais ceux qui se sont déjà intéressés sincèrement à lui ont eu quelques réponses. Il parle aisément de ses voyages avec Linaëlle et Maël par exemple, sans pour autant aborder le motif de ses expéditions...

-La noblesse n'aime guère l'honnêteté et je refuse de jouer à leurs jeux de faux-semblants. Zofia est quelqu'un qui parle avec franchise, et c'est ce qui a éveillé mon intérêt. Le fait qu'elle ne se formalise pas de mes mauvaises manières a sans doute contribué à notre rapprochement, mais je crois comprendre maintenant pourquoi elle les tolère aussi bien.

Il plisse les yeux en direction de Rainier, faisant référence à la façon dont il l'a attiré ici, au clin d’œil qu'il a adressé à la tenancière et au sujet qu'il aborde avec lui au culot. Si Natael demeure poli et noble dans son attitude, c'est le fond de ce qu'il dit qui choque le plus souvent. Il ne s'outre pas du comportement de son interlocuteur et voit cette petite accusation comme une boutade plus qu'autre chose. Mais, une fois encore, il y a l'art et la manière de dire les choses et le vitaliste est plutôt maladroit en la matière. Il l'assumera si cela ne passe pas envers le frère de son amante.

Finalement, le marchand entre droit dans le vif du sujet, évoquant ses inquiétudes concernant Zofia et ses activités. Si d'ordinaire le jeune d'Orman se moque bien de ce que l'on peut dire de lui et de l'impact de ses mots sur les autres, cela est moins vrai lorsqu'il n'est plus le seul à devoir assumer les conséquences de ses actes. La lassitude et la distance sur ses traits laissent place à un sérieux indéfectible alors qu'il s'apprête à répondre aux paroles de son interlocuteur.

-J'apprécie sincèrement votre sœur et le temps que nous passons ensemble est une véritable bouffée d'air frais pour moi. Aussi peut-on dire que je tiens à elle, dans une certaine mesure. C'est pourquoi je ne souhaite pas à lui causer le moindre tort et encore moins à la faire souffrir. Je connais ses ambitions et j'ai conscience que notre relation très épiée pourrait lui porter préjudice mais je vous prie de me croire lorsque je vous assure que je ne tiens pas à entraver sa carrière, pas plus que la bonne marche de votre entreprise.

Rainier éclate d’un rire franc dès que le noble ne se garde pas de lui rappeler à quel point les conventions sociales sont une chose dont il ne fait guère attention. Après tout, les bourgeois, s’ils sont éduqués, n’ont pas à se soumettre aux mêmes normes sociales que la noblesse, et cela, Rainier agit donc depuis longtemps en conséquence. Il regarde Natael, sa curiosité de plus en plus piquée devant le personnage. Un gars du peuple dans le corps d’un noble donc ? Intéressant. Il faut dire que Rainier sait aussi que Natael voyage beaucoup et que cela peut certainement avoir contribué à ce qu’il semble être. Sa sœur est très souvent appelée à prendre les routes et à voyager aussi, d’ailleurs. Quelque chose qui a longtemps inquiété leur mère au tout début de son entrée dans l’Ordre Hospitalier et encore plus depuis qu’on lui a fait du mal. Lui aussi, mais c’est sa tâche en tant que prêtresse de cet Ordre. Il n’a donc pas son mot à dire. Peut-être qu’ils partagent là un intérêt ?

-Ah ! On m’a aussi bel et bien dit que malgré votre titre, vous n’étiez pas du genre à vous enliser dans les convenances et quelle démonstration ! Rétorque-t-il, sans agacement et plutôt amusé.

Ce qui le surprend toutefois, c’est qu’il ne semble pas encore avoir goûté à la brutalité verbale, mais poli, avec laquelle sa sœur réplique parfois lorsqu’on l’écorche. Ou peut-être que si ? Il sait que sa sœur à une patience et ce pardon facile qu'il n'a pas.

Il perd un peu de son sourire devant le sérieux de Natael, écoutant ce qu'il a à dire. Il ne doute pas qu'il apprécie Zofia, ou ils ne passeraient pas autant de temps ensembles. Rainier sonde les traits du noble, incertain s'il est un excellent acteur ou non. C'est plus fort que lui d'être méfiant, même si Natael ne sourcille pas du tout et qu'il voudrait le croire. Il s'accote à nouveau le dossier. L'aîné des Marger a une question qui lui brûle les lèvres, mais ce dernier hésite : franchirait-il une ligne de trop ? Parce qu'il a de forts doutes sur ce que sa sœur peut peut-être ressentir pour Natael même s'ils lui disent tout les deux que c'est purement amicale. S'il n'y avait rien entre eux, elle ne rejetterait pas avec autant de véhémence les hommes qu'ils lui présentent son oncle et lui.

-Si vous n'aviez pas de titre, serait-ce différent ? Auriez-vous demandé la main de ma sœur ?

Rainier est soudainement d'un sérieux qui plisse son front, mais il attend, tout en prenant une nouvelle gorgée de son thé. 

Natael aurait bien levé un sourcil devant la question de Rainier mais il s'en abstient. Il a beau dire officiellement qu'ils ne sont que des amis, il comprend que le marchand ne le croit pas sur parole, même quand il le regarde dans le blanc des yeux en parlant de sa relation avec Zofia. Il ne pense pas avoir dit ou fait quoi que ce soit qui pourrait le trahir. Peut-être lit-il plus aisément dans l'attitude de sa sœur qu'il connaît depuis toujours ? Quoi qu'il en soit, il n'a pas à se montrer surpris devant une telle question.

-Si nous appartenions au même rang, cela ne changerait rien étant donné que nous sommes amis. Donc non, je n'aurais pas demandé sa main.

Il est d'un aplomb sans faille en disant cela et prononce ces paroles sans ciller, voire même un peu las d'avoir à se répéter sans cesse. Il ne veut pas entrer dans le jeu du "et si". S'ils avaient réellement une liaison. S'ils étaient nobles ou bourgeois tous les deux. S'ils s'aimaient d'un amour romantique... Entrer là-dedans serait le meilleur moyen de se trahir selon lui. Le moindre faux pas, la moindre interprétation et Rainier se figurerait tout savoir. Alors certes, il ne se tromperait pas en définitive. Mais ce n'est pas à lui de lui dire ce qu'il y a entre Zofia et lui. Si elle n'a pas jugé bon de le mettre dans la confidence, elle doit avoir ses raisons. De la même manière que sa famille à lui ne sait rien. Tout le monde désapprouverait. Et même si Natael avait matière à rassurer les Marger puisqu'il se sait capable de tout abandonner s'il tombait sincèrement amoureux, les d'Orman feraient plus que s'inquiéter pour lui.
Et puis, la prêtresse et lui n'en sont pas encore là. Ils en sont même loin...

Il fait tourner son thé dans sa tasse, fixant toujours Natael et sa réaction : ce dernier reste toujours aussi impassible. Rainier se caresse un instant la barbe, se demandant si ce n’est pas seulement sa sœur qui commence à s’attacher à quelqu’un qui ne l’aimerait peut-être pas autant qu’elle. Il déteste cette idée, mais il la connaît mieux que quiconque. Enfin, c’est ce qu’il a toujours cru. Maintenant, il ne sait plus si elle lui cacherait ce genre de choses. Et puis, la dernière fois qu’il a abordé le sujet, elle s’est fermée telle une huître qu’il ne sait plus s’il sera possible de lui soutirer à nouveau des confidences. Bon...peut-être que présenter un ami célibataire n’était pas la meilleure solution, mais hey! Qui a dit qu’il sait comment parler de ce genre de chose avec sa sœur ? De toute façon, à chaque fois qu’il parle de mari, elle l’envoie paître. Seulement, en ce moment, la rougeur de ses joues l’a trahi et un amour unilatéral pour sa sœur est la dernière chose que Rainier souhaite pour elle.

-Alors, je crois qu’il faudrait que vous envoyiez des signaux plus clairs.

Il ne peut pas savoir si ce noble est tout à fait honnête sur la définition de ce qu’ils sont, mais une chose est certaine, quelque chose se trame dans le cœur de sa sœur. Il soupire à nouveau, un peu plus sérieux :

-Autant à tous ces gens qui murmurent sur votre compte qu’à ma sœur…

Il regarde à nouveau le noble, sans méchanceté. Seulement avec une réelle inquiétude. Sa sœur s’énervera si elle sait ce qu’il s’apprête à lui dire, mais c’est plus fort que lui. Et puis, le commerçant à l’habitude :

-Parce qu’elle semble vous apprécier réellement. Assez pour rougir quand j’ai mentionné tout ce tintamarre vous concernant, mais surtout parce qu’une lueur s’allume dans ses yeux à chaque fois que votre nom est prononcé, une lueur qui m’a fait poser des questions vous concernant tout les deux. Je ne doute pas de vos bonnes intentions Natael, mais comprenez que parfois, une relation unilatérale peut se développer bien malgré vous. Et parfois, il vaut mieux arrêter le tout avant qu’un cœur ne s’en trouve brisé. 

Natael plisse légèrement les yeux à la première réaction de Rainier. Être plus clair dans leurs signaux ? Qu'est-ce que cela signifie ? Mais il ne dit rien et laisse le marchand parler avant de comprendre que Zofia s'est trahie bien malgré elle. Elle ne s'est certes pas ouverte à son frère mais elle n'a pu contrôler certaines de ses réactions. Il ne lui en veut pas mais il réfléchit à la façon de manœuvrer pour continuer à jouer la carte de la sincérité. Il ne faudrait pas que l'aîné des Marger se mêle davantage de leur relation au point de l'entraver. Sa mère leur suffit...
Le regard toujours dans celui de son interlocuteur, le noble baisse légèrement la tête dans un soupir contrôlé. Il sait qu'il ne ment pas car, tout cela, il le constate lui-même lorsqu'ils sont ensemble. Alors certes, il n'en avait rien vu jusqu'à ce qu'elle se montre tout à fait explicite avec lui... Il peut peut-être joué là-dessus.

-Vous allez me prendre pour un idiot mais je n'ai rien remarqué. La rumeur a dû aussi vous dire que je ne suis pas très doué pour ce genre de choses.

Il ne met pas en doute les observations de Rainier mais il ne peut pas confirmer les avoir constaté lui-même. Cela aurait été admettre qu'il jouait avec elle, ce qui n'a jamais été le cas. Pas volontairement en tout cas. Il avait lui aussi nourrit un intérêt pour elle mais ne s'en était aperçu qu'une fois face à la proposition de la prêtresse. Si elle lui a communiqué des signaux auparavant, il a été assez aveugle pour ne pas les voir... Les relations amoureuses et romantiques, ce n'est pas sa tasse de thé. Une fois qu'il est dedans, ça peut aller mais, pour se lancer... Zofia a pu remarquer qu'il n'est pas très à son aise.

-Dans tous les cas, j'en reviens à ma réponse précédente : je n'ai nullement l'intention de lui faire du mal. Comme je vous l'ai dit, je tiens suffisamment à elle pour cela. Je serais attristé d'être la cause d'un nouveau coup porté à son cœur déjà fragile.

Au milieu du sérieux de ses traits se lit une forme lointaine de colère et une peine des plus sincère. Il sait pour Anselm et il déteste cet homme pour ce qu'il a fait à Zofia. Il ne tient pas à lui causer du tort ni à la blesser parce qu'il n'est pas certain qu'elle s'en remettra. Mais ils se sont lancés là-dedans en toute connaissance de cause, conscients que ces bons moments passés ensemble pourraient tout à fait voler en éclat pour ne laisser qu'un goût amer et douloureux dans leurs Souffles. Cependant, leur dernière escapade a fait évoluer les choses entre eux d'une manière à laquelle il ne s'attendait pas... Plus il passe de temps avec elle, plus il est auprès d'elle, plus il l'embrasse, plus il lui fait l'amour... Et plus il s'attache à elle. Pour lui, toute cette histoire n'a rien d'une simple attirance physique. Ils ont commencé par tisser des liens bien plus forts et stables qu'une affection romantique. Ils ont été amis. D'excellents amis. Alors, s'ils développent d'autres sentiments maintenant, il sait déjà qu'ils ne seront pas près de s'éteindre...

Mais il ne peut pas parler de tout cela à Rainier. S'il apprécie de le voir se soucier autant de Zofia et de vouloir la protéger, il doit néanmoins se garder de lui faire savoir à quel point il est sincère avec elle et qu'il tient à leur relation bien plus qu'il ne lui est permis de l'avouer. Il faut que le marchand en reste à l'écart et ne les empêche pas de se voir. Cela alimenterait d'autant plus la rumeur et compliquerait leur liaison.

Rainier arque les sourcils dès qu’il lui annonce qu’il n’a jamais remarqué les réactions qu’il provoque chez sa sœur. Cela n’est pas impossible, mais si tel est le cas, il espère que le noble saura faire montre de prudence pour ne pas brouiller davantage les pistes. Et si ce n’est qu’un mensonge, Rainier n’est pas du genre à lésiner sur les mots ni à ne pas savoir défendre les Marger une fois de plus si un homme utilise sa sœur à nouveau. Seulement, Natael est un noble et s’attaquer de la sorte à un sang bleu est une chose très risqué. Les d’Orman sont puissants à Chiard et Rainier sait que cela ruinerait son commerce, commerce que son arrière-grand-père a bâti avec sueur et de ses mains nues. Il doute aussi que sa sœur lui permette de partir en croisade pour elle. Elle a déjà refusé pour cet imbécile d’Anselm et il n’était qu’un riche fils de commerçant et un foutu bon à rien, alors pour ce Natael...Il boit une autre gorgée de son thé, se rappelant les chiffres lamentables de ses comptes. ‘’Qui aurait cru que les histoires de cœur de ma sœur et ces états de compte allaient me donner des cheveux blancs ‘’ se dit le marchand.

-Dans tous les cas, j'en reviens à ma réponse précédente : je n'ai nullement l'intention de lui faire du mal. Comme je vous l'ai dit, je tiens suffisamment à elle pour cela. Je serais attristé d'être la cause d'un nouveau coup porté à son cœur déjà fragile.

Rainier ne peut s’empêcher de clouer ses yeux bleus dans les siens, un air sombre passant rapidement sur son visage aux traits habituellement plus jovials. Observateur, il croit aussi remarquer quelque chose dans les orbes du noble et ce qu’il y déchiffre le surprend. Son visage s’adoucit quand même, conscient que cette colère n’est pas dirigé contre l’ami de sa sœur et qu’il ne veut pas qu’il pense cela. Au contraire, Rainier veut bien croire la sincérité de Natael lorsqu’il lui assure qu’il tient assez à sa sœur pour lui éviter une nouvelle peine.

-Vous savez pour Anselm...J’imagine alors que vous comprenez pourquoi je suis inquiet pour elle. Mon commerce, c’est ma vie et le cœur des Marger, mais si Zofia a abandonné son nom de famille pour les robes de Néera, elle n’en reste pas moins ma sœur, que je chéris beaucoup. Tâchez donc de la ménager.

S’ils sont aussi proches, il n’est pas étonnant qu’elle se soit confié, même s’il se demande bien ce qui a pu causer cet élan de confidence. Même avec lui, Zofia n’a pas tellement parlé de cette douleur qu’elle a vécu suite à l’abandon d’Anselm. Et pourtant, d’aussi loin qu’il se souvienne, ils ont toujours eu une excellente relation où tous les deux n’ont jamais hésité à parler de ce qui trouble leur Souffle. Ces temps-ci toutefois, elle lui semble distante et rêveuse, spécialement depuis qu’elle est revenue de son expédition. Ce qu'il le rassure un peu quand même c'est de savoir qu'elle semble véritablement heureuse depuis que ce noble est entrée dans sa vie. Elle a certes très peu l'occasion de passer du temps avec sa famille, mais de revoir ces couleurs sur ses joues et ce sourire lui font du bien autant a lui que leur mère. Dommage que Rainier ne puisse empêcher ses élans protecteurs.

Natael hoche lentement la tête. Oui, il sait. C'est pourquoi il a conscience qu'il doit être plus prudent avec Zofia qu'avec n'importe quelle autre femme. Cependant, cela ne lui a pas demandé tellement d'efforts jusqu'à maintenant... La prêtresse le voit différent de la plupart des gens. Là où tous voient un rustre, elle voit un homme affligé d'un don devenu presque malédiction. Là où ils voient un oisif, elle voit un être dévoué non pas à une cause ou une religion mais à la Vie elle-même. Elle est la seule à le connaître réellement et à l'avoir vu sous tous ses aspects... Et à l'apprécier malgré tout. Il n'est pas près de la laisser partir.

Rainier lui demande -sans vraiment le faire- de mettre les choses au clair entre sa sœur et lui et de prendre soin de ne pas abîmer davantage son cœur. Il ne peut qu'acquiescer. Que répondre d'autre sans lui avouer la véritable nature de leur relation ?

Leur entretien se terminera sur cette note et ce faux engagement de la part du noble. La soirée aura décidément été éprouvante... Et plutôt que d'ébats sulfureux, il s'endormira en se rappelant simplement une sensation. Celle de se retrouver allongé dans les bras de Zofia, sa tête posée non loin de son cœur. Apaisé au point de pouvoir presque s'endormir sous ses caresses.

Et le lit lui semblera plus vide que jamais au réveil tellement cette vision lui aura paru réelle...