Qui séme le vent, récolte la tempête [PNJ de Marc-Aurèle]

Diantra. Capitale du royaume de la Péninsule. Royaume dirigé par un régent aidé d’un conseil des pairs et des gouverneurs, car le souverain Bohémond n’était autre qu’un adolescent incapable de régner. Un jeune être, qui ne se rendait encore pas bien compte de la précarité de sa position, et des difficultés qui seraient siennes une fois qu’il ceindrait la couronne pour de bon. Tout le gratin Péninsulaire avait été rassemblé ici, à Diantra, pour une Grande Foire festive et douce, que beaucoup de nobles, de dames, et de simples gueux, apprécierait sans aucun doute.

Mais il y avait quelqu’un qui était là par obligation, et non par choix. Une obligation toutefois très bien venue, car, s’il devait suivre son suzerain dans ses déplacements officiels, il y avait bien longtemps que le vieillard n’avait point revu Diantra.

Hippocrate Asclepios n’était nul autre que le guérisseur officiel du Comte Magnus de Terresang. Erudit croyant, intellectuel curieux, guérisseur passionné, le vieil homme à l’âge vénérable avait cultivé l’intellect et la curiosité médicale en pilier de vie. Son passe-temps favori était la lecture. Son rêve, de se rendre jusqu’en l’académie des Elfes… Ses buts : être un guérisseur capable de toutes les prouesses, et de ne jamais, ô grand jamais, cesser ses recherches et sa quête de connaissances.

Il lisait d’ailleurs une très épaisse encyclopédie qu’il avait dans sa bibliothèque Arétanne. Il l’avait déjà lue, il y a longtemps. Mais pour ce voyage qui semblait long, et qui lui imposait de seulement emporter de quoi assurer la couverture médicinale du Comte, il n’avait pu prendre qu’un seul livre… Aussi prit-il le plus gros.

Il était tout à sa lecture, lorsqu’un garde déboula dans sa petite alcôve. L’ordre claqua avec une extrême sévérité : le Comte Magnus était pris d’un malaise. Ou d’une maladie. En tout cas, de quelque chose ayant provoqué son inconscience. Et ses dons étaient exigés séant.

Ni une ni deux, le vieil érudit enfila ses deux sacoches en bandoulières. Elles pendaient à chacun de ses flancs, et le cliquetis témoignait de l’épais contenu de verre et d’acier qu’étaient ses instruments, ses fioles et ses onguents. Marchant d’un pas peu sûr – dû à son grand âge – il suivit le militaire, et arriva bien rapidement au cabinet familial, dorénavant celui de Magnus.

Il y vit alors le corps inconscient du Comte, une tripotée de frères et de sœurs aux alentours, vérifiant le pouls, la respiration de celui qui était non seulement leur frère, mais aussi leur Comte.

« Par la très sainte Mère, que ce passe-t-il ici ?! » Demanda-t-il en criant, alors qu’il comprenait qu’il allait devoir faire preuve de professionnalisme, en plus d’une certaine autorité. Tout ce monde au chevet du Comte, cela était bien trop. Il s’avança, se frayant un chemin, et ordonna que l’on s’écarte. Face à Thorus, il s’exprima : « Que s’est-il passé ? Comment est-ce arrivé ? »

La panique électrisait l’ambiance de cette alcôve familiale, où frères et sœurs, vassaux fidèles et serviteurs, se bousculaient pour connaître l’état de santé du suzerain d’entre tous, pour ce qui était des Arétans. Pour l’instant, la suite des évènements de Diantra, la proximité du sacre du Roy Bohémond, n’étaient que des évènements accessoires, des évènements secondaires, peu importants en fin de compte.

Hippocrate, fidèle guérisseur, n’en n’avait aussi rien à faire, en cet instant. Tout ce qui l’intéressait, c’était de savoir ce qui pouvait bien se passer, ou plutôt dysfonctionner, dans le corps – et peut-être l’esprit – du Comte d’Arétria. Heureusement pour lui, les gens firent une petite place, devenant plus nette alors qu’enfin Thorus agissait de concert avec lui. D’une petite zone dénuée de gens, l’on fit place nette, afin qu’enfin le guérisseur puisse officier.

Il écouta alors attentivement les propos du frère du Comte. Le récit était quelque peu décousu, ou du moins, prêtait à confusion, mais le fait qu’il y ait eu cette soudaine absence, une tentative de discussion, avant que la chute et l’inconscience ne survienne, était une première piste d’analyse. Mince, mais au moins était-elle présente.

« Quel bras s’est bloqué, alors qu’il tentait d’ouvrir la porte ? Le droit ? Ou le gauche ? »

Car il était connu que le côté gauche était le côté du cœur, donc, le côté principal des humeurs. Le guérisseur avait en effet beaucoup échangé au cours de sa vie, avec les prêtres et prêtresses les plus adeptes de la Mère, de sa magie, et des connaissances liées justement aux soins dédiés par le clergé. Il avait lui-même réalisé plusieurs études médicales, usant autant d’onguents que d’herbes et de plantes ; autant d’instruments qu’il eut de corps à examiner. Lorsque cela était possible… La Péninsule n’était point unifiée quant à la possibilité d’étudier des sujets décédés.

Se plaçant à la gauche du patient – du Comte donc – Hippocrate commença son œuvre. Il déposa sur le bureau ses deux sacoches de cuir, lesquelles firent un tintement de verre plein et de verre vide ; les onguents s’entrechoquant dans un bordel, qu’Hippocrate qualifierait « d’organisé ».

Plaçant son index et majeur droit aux jointures fatiguées par la vie sur entre le bord la plus externe des os du poignet gauche, et le tendon fléchisseur dudit poignet, le guérisseur pu apprécier l’ardeur des pulsations cardiaques du Comte. Celles-ci étaient rapides, puissantes, faciles à ressentir, signe d’une très grande activité cardiaque, d’une augmentation de la tension artérielle, comme diraient certains spécialistes. Ne disposant d’aucun instrument capable de déterminer plus d’informations que celles-ci, Hippocrate comprit que le cœur était touché.

Son second geste fut de placer sa main gauche, gagnée par l’arthrose, sur la poitrine du Comte. Celle-ci se soulevait avec une amplitude trop grande, par rapport à celle de l’endormi classique ; et avec une fréquence également plus grande. Il se pencha alors, plaçant son oreille droite au-dessus du nez et de la bouche de Magnus. Aucun râle, aucun sifflement, aucun crépitement d’aucune sorte, ni aucune écume blanche ou rosée aux commissures des lèvres.

« Les poumons… Ne sont pas touchés. »

Dit-il, avant de s’éloigner, et de reprendre son examen global. Ses deux doigts de la main droite se déplacèrent, quittant le poignet gauche du patient pour rejoindre le côté de la gorge, au niveau des vaisseaux que l’on nomme « jugulaires ». Là encore, les pulsations étaient puissantes, bien plus que celles du poignet, puisque ces vaisseaux là étaient plus larges, le flux plus grand, et plus proches du cœur. On ressentait alors beaucoup mieux l’activité cardiaque à ce niveau-ci.

L’examen se poursuivit au niveau des pupilles du Comte. L’une après l’autre, le guérisseur souleva les paupières. D’abord l’une, puis l’autre, exposant les pupilles à la lumière ; puis les deux en même temps. Fort heureusement, les deux réagissaient de concert, mais point aussi rapidement ni aussi facilement que d’ordinaire. Le patient avait également beaucoup sué. Finalement, Hippocrate se releva.

« La pneumonie n’y est pas pour grand-chose, mon seigneur. » Dit-il à Thorus. « Il s’agit sans aucun doute d’une crise d’angoisse mêlée d’un malaise bénin. Notre suzerain à dû s’énerver plus que de raison, et son cœur n’a point supporté. Il faut l’allonger dans un lit confortable, le dévêtir afin que tombe la fièvre, surélever légèrement son buste afin que ses poumons soient libres. La pneumonie laisse des séquelles, je préfère prévenir que… Guérir. » Quelle ironie pour un guérisseur. « Je vais préparer de ce pas un onguent pour qu’il puisse respirer convenablement. Il a besoin de repos, et d’une surveillance accrue. Que l’on me prépare une assise, je veillerais sur lui jusqu’à-ce qu’il se réveille. »

Dès que l’on aura commencé à exécuter ses ordres, le guérisseur commencera son onguent.

Alors que tout les bras s’agitaient, alors que ceux, encore commandés par l’esprit plutôt que par les sentiments, s’occupaient de ramener le corps de Magnus jusqu’en une couchette confortable, où il serait dévêtu pour pouvoir réguler sa température corporelle, Hippocrate, lui, vaquait à ses occupations de guérisseur. Autrement dit, il rejoignit le plus rapidement possible son office, et prépara les onguents de circonstance.

Quelques pincées de ceci, quelques pincées de cela, un liant en quantité semblable à deux cuillères à soupe, pour maintenir le tout en une pommade épaisse. Un peu de poudre, seulement trois pincées, et enfin, un dernier ingrédient pour assurer l’efficacité dudit onguent. La préparation nécessitait une seringue, un peu d’eau, un mortier et un pilon, et plusieurs minutes de patience et de professionnalisme.

Enfin, le guérisseur pu revenir aux côtés du Comte. Avec ses onguents, avec ses bandages, avec ses tissus et ses cataplasmes, il se rendit aussi rapidement que possible, jusqu’au chevet du Comte. Il fut satisfait de le trouver étendu dans son lit, dans une tenue de coucher. Au moins n’était-il plus drapé dans d’épaisses soieries, et se trouvait-il dans une position de repos. Là, Hippocrate pourrait l’ausculter à souhait, contrôler sa sudation, ses pulsations, et analyser le comportement de son corps.

Comme indiqué plus tôt, Hippocrate, aidé de deux serviteurs, réhaussa le buste de Magnus, de sorte qu’il se retrouve demi-assis, avant de répéter l’opération avec les jambes du Comte, et de les relever. Cette action était connue pour soulager la pression du corps sur les poumons du patient, et, les jambes levées permettaient de favoriser le retour du sang, et donc, de diminuer les affres d’une tension artérielle trop haute. Personne ne savait vraiment comment cela se passait… Hippocrate pensait seulement que cela était dû à l’action de la gravité, permettant au sang de revenir plus facilement au cœur. Mais cela n’était point prouvé, évidemment.

Une fois Magnus placé dans cette position, le guérisseur écarte la chemise du noble suzerain, et appliqua dessus le fameux onguent. Une touche plus petite fut appliquée au-dessus de la lèvre supérieure, afin que le camphre puisse aider l’action sur les alvéoles pulmonaires. Au moins, le Comte pourrait s’oxygéner correctement, et Hippocrate pourrait être rassuré sur cette aspect de la santé de son suzerain.

L’évidence de ce qui était arrivé au Comte, apparut bien vite aux yeux du guérisseur. Les traits du Comte s’apaisèrent au bout d’une heure dans cette position, et son corps commença à montrer les signes de la guérison. Son cœur arrêta sa chamade, sa peau arrêta sa sudation, et ses muscles, au départ crispés, se détendirent doucement. Tout indiqua finalement que…

« … Il dort, mon seigneur. » Dit Hippocrate à Thorus, presque trois heures après que la prise en charge eut débutée, et après qu’il eut décidé de quitter le chevet du Comte, rassuré de son état. « Une vilaine crise d’angoisse mon seigneur. Magnus s’est laissé emporté par son émotion, et celle-ci aura eu raison de son cœur. Ses jours ne sont pas en danger, pas encore en tout cas. » Il vit bien l’étonnement dans les yeux du frère du Comte, aussi s’empressa-t-il de reprendre. « Son Excellence est encore jeune, messire, mais sa santé décline. La pneumonie l’aura affaiblie plus qu’il ne voudrait bien l’avouer, et son tempérament épuise son cœur. Je lui conseillerais bien de prendre un mois entier de retraite au bord de la mer, mais je sais qu’il refuserait bien vite. Je crains fort qu’une crise plus grande ne puisse faire cesser son cœur… Messire, vous devrez le protéger pour ne point que cela recommence. Au moins pendant les deux prochains mois… »

Plus facile à dire qu’à faire, Hippocrate en était bien conscient.