Poursuivre La Grande Forge [PV Gaedrath]

Début de la 5e ennéade de Karfias
19e année du Onzième Cycle
À la recherche d’une forge

Sans toutefois se résoudre à se départir de son éternel sourire en coin, Cìryon commençait à désespérer. Alëandir était peut-être fameuse pour son Académie, pour son éclectisme culturel, pour ses ateliers de couture, ou encore pour son importance politique et spirituelle, mais elle ne l’était pas pour ses forges ! D’entre toutes les Cités, on aurait cru que ce serait plutôt Ardamir – la Cité d’Arbres et de Sève – qui serait la dernière à se préoccuper de métaux et de pierres, mais c’est finalement elle qui avait servi de foyer au Toer Tamindal. Quant à Alëandir… avec une telle Académie, et autant d’alchimistes et de mages de renom, qui aurait cru qu’elle soit aussi peu versée dans la forge !

Loin de ses fours et de ses chaudrons Daranovans, l’elfe s’était trouvé de faire avec ce qu’il trouvait. Et rien de ce qu’il trouvait ne le satisfaisait entièrement. Alors il choisissait la forge de l’un pour la fabrication d’un alliage, et celle de l’autre pour un autre lingot, le tout en fonction du matériel disponible, faute d’une installation assez versatile.
Problème étant, le temps viendrait bientôt à manquer. Transporter son matériel personnel et ses lingots d’une forge à une autre était certes mieux pour la qualité optimal de son travail… mais pas pour l’optimisation de son temps. À cette vitesse, le groupe parti en Annon serait revenu qu’il serait loin d’avoir terminé, et ça… ça ce serait impensable. Infliger à Artiön de survivre sans focaliseur près d’un mois durant était déjà beaucoup trop long. Lui en tout cas n’aurait pas supporté de passer autant de temps séparé de ses outils de forge.

- Tshhh.

Cìryon avait fini par souffler, rattrapé par la frustration. Arpenter l’immense Cité Blanche à la recherche du parfait atelier – et en traînant derrière lui son poids en matériel et en alliages – commençait à devenir épuisant. Une prière finit par être offerte à L’Amant. Le souhait de la forge parfait fut exprimé. De la forge qui lui permettrait de pleinement exprimer son talent, de pleinement explorer les sentiers qu’il voulait battre, de créer du beau. Cìryon avait besoin de créer du beau.

Et L’Amant répondit à ses prières.

Cela faisait une décennie à peine que Cìryon avait rejoint les rangs des Tamin Dolan, et en conséquence, occupé qu’il était par son travail à Daranovar, il n’avait – à sa grande tristesse – que trop peu eu le temps de les côtoyer. Seulement, à défaut de les côtoyer, il avait eu un aperçu de la qualité de leur travail, de leur expertise, et de leur approche de leur Art. Quel ne fut donc pas son soulagement lorsqu’il finit – bien trop tard à son goût – par reconnaître les fruits d’une technique devenue familière. Des clous aux lames, il n’avait pas besoin de voir l’elfe en face pour reconnaître les objets qui décoraient ce dernier atelier comme la production du Tamin Dolan Sosa. Et si son atelier était à la hauteur de ses créations…

- Eh Gaedrath ! le forgeron Daranovan lance à la volée et à haute voix, sans savoir si l’elfe en question était vraiment présent, ne se souciant que d’être entendu par-dessus le fracas des marteaux Partant pour donner un coup de main à un camarade ?

Parce qu’en plus d’un forgeron, Gaedrath était un mage. Alors pressé comme était Cìryon, le soutien d’un arcaniste ne lui serait pas de refus. Et puis… il n’avait rien à perdre.

Le front trempé de sueur, Gaedrath repoussa du revers de sa main les mèches  de sa chevelure drue collé contre, vers l'arrière. À l'extérieur, une voix l'interpella, une voix étrangement familière, mais qu'il n'arrivait pas à discerner. Il connait mon nom. Quelqu'un devait lui jouer un tour, à moins qu'il commençait à perdre la raison et que des voix résonnaient sans sa tête. Sûrement pas. L'artisan décrassa ses mais recouvert de suie et déposa ses outils sur la table. Voilà près de quatorze jours que Gaedrath travailla sur ce projet, et bien que cela consistait plus à réparer les fracas d'une lame forgée par un autre artisan, il y mettait tout son temps et son énergie. Sans se soucier du fait, que, il n'avait pas réellement d'autre chose en quoi dépenser, ce temps...

Traversant l'atelier pour se diriger vers l'extérieur, il ne perdit pas de temps et forgea un raccourci dans un mur de pierre drue à l'entrée, qui avait vu plus d'une fois ce tour de passe passe. L'énorme bloc rocailleux se mit à vibrer, gronder puis à s'enfoncer par terre à une vitesse fulgurent. Derrière, le Tamin Dolan se tenait, dans sa carrure robuste. Je ne m'attendais pas à cela. S'il s'attendait - encore et encore ! - à voir un congénère grand, svelte et gracieux, il rencontrait un visage familier, d'à peu près la même taille, mais toujours plus charmant qu'il ne le serait jamais. Gaedrath fit un pas vers l'extérieur, le sol de nouveau gronda alors que le bloc rocailleux refait surface derrière pour refermer le trou dans le mur.

"Cìrion." Il croisa ses avant-bras contre son torse bombé, "que me vaut le bon plaisir de ta visite, camarade ? Je crois bien que c'est mon atelier qui t'intéresse, plus que ma compagnie."

Qui la vaudrait ?Nommé Tamin Dolan depuis seulement une décennie, Gaedrath ne le connaissait que de nom et de visage. Ils étaient, au même titre d'être de récent Tamin Dolan, d'un âge plus ou moins équivalent, ainsi que d'une taille minuscule. Et si malgré ces ressemblances, Cìrion aurait peut-être devenu quelqu'un de cher, celui-ci était beaucoup plus sociable, bavard que lui. Restait à savoir ce qu'il comptait faire dans sa forge avec ses outils.

- Si tu veux tout savoir… Cìryon se permet, une fois son collègue arrivé, de s’enfoncer à l’intérieur de l’établissement …tout dépend de toi.

Le regard du forgeron inspecte attentivement tout ce qu’il ne pouvait pas voir depuis l’extérieur. Les lingots de matériau bruts et d’alliages, les fours, les enclumes, les différentes pinces, marteaux, couteaux, ciseaux et éventails, la moindre note griffonnée à portée de vue, le moindre prototype laissé sur une table, rien ne lui échapperait. Sans s’en cacher une seule seconde, Cìryon appréciait ce qu’il voyait, s’autorisant même à l’occasion un grognement de satisfaction face à un objet d’une qualité particulièrement appréciable, ou un outil dont il aimerait profiter.

- Loin de moi l’idée de te déranger. il lance en continuant de tourner en rond à la recherche du parfait établi Donc s’il le faut je suis prêt à me débrouiller seul… en t’empruntant un peu ton atelier, mais seul tout de même. il gratte une enclume du bout de l’ongle et pose les copeaux de métal sur sa langue, l’air réflexif Par contre si tu veux absolument m’aider… il hausse les épaules, feignant un air innocent …je ne vais pas essayer de t’en dissuader. Surtout qu’avec ton talent en magie il jette un œil aux alliages et au sceptre dans le chariot qu’il a traîné derrière lui pendant des jours tout ça ira beaucoup plus vite.

À son tour Cìryon croise les bras devant sa poitrine, mais plutôt que de se diriger vers son interlocuteur, son regard reste braqué sur le four et l’enclume devant lesquels il s’était arrêté. Des alliages solides ces deux-là. Exactement ce qu’il lui fallait. Un four capable de supporter les chaleurs dont il avait besoin pour son travail, et une enclume qui ne se désagrégerait pas plus vite que le métal sur lequel il frappe.

- Plus sérieusement il se retourne enfin en direction de Gaedrath, saisissant au passage le bâton de métal qu’il s’était mis en tête de reforger je dois m’occuper de refaire une santé au focaliseur d’Artiö… de l’Aran il se rattrape, se rendant compte que tous ne s’adressaient pas au Roi par son prénom et j’aimerais être sûr d’avoir terminé d’ici à ce qu’il revienne de son voyage dans l’Est.

Le forgeron joue un peu à soupeser sa propre création, la passant de main en main, puis se lançant dans une passe d’arme qui aurait probablement été bien plus adroite si le bâton n’avait pas été près de deux têtes plus grand que lui.

- Déjà parce que le pauvre, ce serait dommage de le priver de son focaliseur plus longtemps, mais en plus, plus vite je commencerai à travailler sur son armure, mieux je me porterai. il soupire J’ai toujours trouvé les cuirasses plus intéressantes à travailler que les armes. Et puis… son visage se fend d’un grand sourire …difficile de faire mieux pour prouver ses talents en tant que forgeron que d’habiller l’Aran. Déjà parce que tout le monde le regarde, il finit par laisser échapper un rire mais en plus il faut dire que celui-là en particulier il n’est pas simple à habiller !

Il souffle, et son visage retrouve son sérieux. Cìryon finit par reposer le sceptre. Les mains sur les hanches, il lance un dernier regard en direction de Gaedrath, le nez se retroussant en une amicale provocation.

- Alors ? Qu’est-ce que tu en dis ?

Sans perdre plus de temps, Cìrion s'invita à l'intérieur tandis qu'à son arrière, Gaedrath le suivait de près. Non pas que l'interminable fouinage de son confrère le dérangeait tant que cela, mais le simple fait de le voir fourrer son nez partout où il traînait l'irriter. Il ne trouver rien qui a grande valeur, de toute manière. Se força-t-il à ruminer. Sans grand intérêt, l'artisan l'écoutait parler de sa infiniment grande tâche confié par le Aran lui-même. Gaedrath se demandait bien, où fichtre se trouver son atelier à ce drôle d'oiseau, mais il se remémora alors que Cìrion ne venait pas ici. Il était loin de Daranovar, tout comme lui était loin de Malereg. Non pas qu'il s'en plaignait...

"Je suis un Tamin Dolan très chargé."Mentit-il sans broncher, et ma forge requiert ma présence et la puissance de mes bras à chaque instant. Saurais-tu que le commandant des armés royales s'est présenté pour demander réparation de sa seconde arme, il y a quatorze jours ? Je ne pourrais me permettre de le faire attendre trop longtemps.

S'était-il essayé de se vanter, mais Gaedrath eut le rappel que c'était au Aran que Cìrion devait forger pour. Se renfrognant assez vite, l'artisan regarda les flammes de l'âtre bouger et gronder avec prestance, réfléchissant alors à l'offre que lui offrait l'autre. S'il refusait, voilà une opportunité gâché et peut-être source de représailles à l'avenir. Mais jamais n'avait-il travaillé avec un partenaire, il n'aurait jamais osé demander à une autre personne d'être son fardeau, ou encore le forcer à devoir le côtoyer. Quoi que, le Aran sans armure au champ de bataille, si ce serait amusant à voir quelques secondes, serait amer à son trépas.

Et la sensation de voir sa propre marque sur l'armure d'un Aran le faisait frémir. Et le sentiment de sauver dans les décennies qui suivront un Aran par un propre acier, presque autant.

"Avec le Aran, je pourrais habiller trois soldats de l'armé. J'accepte ton offre, mais je vais y apposer ma propre signature sur une pièce que personne ne doutera de sa présence, et tu en feras part au Aran en le livrant.

- Marché conclu !

Cìryon accepta sans attendre ni broncher. À vrai dire, Cìryon ne savait même pas réellement ce qu’il acceptait. Dès le moment où les mots J’accepte ton offre avaient été prononcés par son collègue, son attention s’était focalisée ailleurs, et les conditions posées par Gaedrath ne s’étaient faites qu’une bouillie de mots à ses oreilles. Mais qu’importe ? Il n’y avait pas grand-chose comme conditions pour le dissuader de travailler avec quelqu’un d’aussi talentueux que son camarade Tamin Dolan.

- Côté sceptre… Le forgeron soulève un lingot d’Akar et un d’Odeline dans un râle d’effort, et les jette ensemble dans une des urnes destinées au four. Si tu pouvais déjà m’aider à fondre tout ça…

Un alliage d’Akar, d’Acier et d’Odeline. C’est de cela qu’était majoritairement fait le bâton. Seulement au vu des températures de fonte de l’Odeline et de l’Akar, impossible de fabriquer le-dit alliage sans un matériel capable de les porter à ces températures, et elles étaient nombreuses les forges dont ni les fours, ni les récipients, ni les outils n’étaient faits pour y résister. Ici par contre… Ici Cìryon pourrait peut-être même s’amuser à jouer avec sa petite réserve de pierre de lune. Et qui sait, avec l’aide de Gaedrath, peut-être pourrait-il se rapprocher encore un peu plus de la création du premier Las’Danir.

- Pour l’instant la manœuvre est relativement simple. J’ai juste besoin d’un peu plus de l’alliage dont j’ai fait ce sceptre-là. il prend l’objet en main pour le présenter une nouvelle fois Le but ensuite ce sera d’encastrer le sceptre dans un cylindre de l’alliage de la bonne taille et de le resculpter pour en obtenir une version plus grande. il lance un regard complice à Gaedrath Avec un mage de ton acabit pour aider sur la fusion et la solidification, on ne devrait pas en avoir pour plus de quelques heures. Et ensuite on peut passer aux choses sérieuses.

Le regard de Cìryon se perd sur son chariot, et s’accroche aux copeaux de pierre de Lune. Le forgeron habituellement tout sourire peste intérieurement. Si seulement… il était tout près. Tout près d’être de ceux ayant forgé le légendaire acier Veladrien. Et il savait comment faire. Tous les Tamin Dolan savaient comment faire. Mais vous n’aviez pas les outils pour. Vous ne les aviez plus du moins. Et rien qui vous permette d’en fabriquer de nouveaux. Fichue lignée Las’Danir… il avait fallu qu’ils repartent avec ce qu’ils vous avaient amené.

- Mais d'ailleurs... le sourire de Cìryon lui revient alors qu’il se retourne vers Gaedrath Si tu veux, avant de s'attaquer à ça, je peux aussi pour les armes du Commandant. Comme ça on sera plus tranquille pour la suite.

Et cette tranquillité vous risqueriez d'en avoir besoin. Il avait une petite idée, Cìryon, pour l'armure de l'Aran. Une idée qu'il se savait incapable de mettre en oeuvre sans l'aide de Gaedrath... mais qui même avec l'aide de Gaedrath leur demanderait à tous les deux probablement énormément de temps, et d'attention.

Étrange, Gaedrath doutait de quelque chose. En regardant de plus près le caractère éloigné de son camarade Cìrion, il se demanda si celui-ci l'avait réellement écouté ses conditions de travail. Reste à espérer que cela ne cause pas de troubles à l'avenir. Enfin, ce n'était pas si important. Il avait accepté, ce qui était déjà cela, et les regrets de l'autre ne faisait nullement parti de ses soucis. Mais ses propres soucis, qu'est ce qu'ils étaient ? Il jeta un coup d’œil vers les lingots posé sur les urnes, sans savoir réellement qu'étaient les matériaux précisément. Il y avait plus rapide, et qui raccourcissait largement le temps que cela fonde.

"Comme ceci?" Gaedrath tendit son bras à l'intérieur de l'urne avant qu'un cône de flamme rougeoyantes, entremêlées, ne viennent consumé une partie des matériaux.

Une méthode peu approprié. Ce qui en rien n'égalisait les résultats d'une forge - la magie du Tamin Dolan n'atteint pas la chaleur nécessaire pour la faire fondre à la bonne température. Mais c'était un début au travail nécessaire. Il prit par la suite la boucle rond de l'urne par ses larges mains, encore froide de l'extérieur mais qui lui brûlait le bout des doigts saisissant les rebords intérieur. Par la suite, il suit Cìrion tout autour de la pièce comme s'il était le maître des lieux... évidemment, Gaedrath n'osa pas relever le problème.

"Parce que les mains de l'Aran grossissent autant que lui-même ? Le sceptre passe pour un ustensile dans ses mains à présent ? Il souffla du nez, et reprit plus sérieusement : "Cela demandera beaucoup de ressources et d'énergies, et je ne suis pas un grand mage, ne t'attend pas à des miracles."

Ensemble, s'ils apprenaient à travailler côte à côte comme étant une et seule même personne, ils pourraient faire des merveilles. Rien que cette technique de la part de Cìrion, bien qu'il ne paraissait pas vouloir le montrer, rendait Gaedrath curieux et envieux d'en savoir plus. Voir excité, bien qu'il n’emploierait pas ce mot. Il puisa tout de suite vers les réserves et murmura à un assistant de rassembler les matériaux - en très grande quantité - nécessaires à l'alliage. Son attention se retourna à nouveau vers le Daranovan qui fit une suggestion que l'artisan n'aurait jamais pensé. Un peu d'aide pour la lame ne serait pas de trop... Ce serait même appréciable, oui, mais... Ce fut à lui qu'on demanda, et il comptait bien ne pas laisser quelqu'un d'autre s'accaparer le projet.

"Ce ne sera pas nécessaire." Répliqua-t-il net, directement, d'un trop plus tranchant qu'il ne l'aurait voulu.

Gaedrath venait à peine de commencer à reforger la lame, et il lui faudrait encore plus de semaines avant d'atteindre d'y en finir. Il avait promis au commandant qu'il finirait vers le début du prochain mois, mais avec l'attirail que Cìrion venait d'emmener, la lame retrouvera un nouvelle éclat deux ennéades en retard. Mais, après tout, ces dix-huit de plus en attente ne dérangerait probablement pas plus que cela un soldat maniant avant tout la lance... du moins, espérait-il.

- Comme tu veux.

Cìryon haussa les épaules, amusé par la réponse de son collègue. Voilà longtemps qu’il n’avait pas côtoyé de forgeron jaloux de leur création. Peut-être y avait-il dans cette épée plus d’investissement qu’il ne l’aurait pensé. Une pièce de bravoure probablement. Si Gaedrath tenait à expérimenter quelque technique de fabrication particulière dans son raccommodage de l’objet, pas étonnant qu’il ne veuille pas qu’un autre y touche.

- Bon, en attendant que ça ait fondu… Le forgeron fouille son chariot pour en ressortir ce qu’il avait au départ appelé un « cylindre » Belle bête hein ?

Un « cylindre ». En réalité, un patron grossier de ce à quoi il voulait que le sceptre final ressemble. Un immense bâton de mage de près de 2m50, et légèrement plus large que ne le serait l’objet terminal, puisqu’il s’agissait du moule dans lequel il verserait le métal fondu.

- Et dire qu’Artiön joue avec ça comme si c’était une allumette. il roule des yeux C’est que c’est quelque chose la bénédiction des dragons.

Remarque perdue sans l’être d’un ami défendant un ami. Cìryon ne s’était départi ni de son sourire ni de son ton enjoué. Il s’en séparait rarement. Mais derrière les sourires et les plaisanteries innocentes d’un elfe à l’humeur légère, il y avait le poids d’une enfance passée à défendre des amis plus sensibles qu’il n’y paraissait.
D’un côté il y avait eu Maltlin, enfant du milieu d’une fratrie, sur lequel reposaient les immenses attentes d’une grande famille. Un elfe dont le tempérament forgé par des parents trop durs avait rendu le contact social difficile.
De l’autre il y avait eu Artiön, qui avait été transformé – déjà une première fois – par l’adolescence. Aussi grand qu’il ait pu être, et aussi fort qu’il ait pu devenir, il était différent, et même chez les elfes, la différence pouvait faire mal.
Aussi imperturbables qu’aient pu sembler l’un comme l’autre, il était arrivé plus d’une fois que Cìryon ait eu à leur offrir une épaule sur laquelle pleurer et à sécher leurs larmes. Justement parce qu’imperturbables qu’ils donnaient l’air d’être l’un comme l’autre, il était rare que leurs pairs se rendent compte d’à quel point les mots pouvaient les heurter.

- Sinon... le forgeron s’appuie nonchalamment contre son chariot de ton côté, ça ne t’arrive pas souvent de rager à l’idée que l’on ait perdu les outils du Toer Tamindal ? il lève les yeux au ciel Depuis que je suis Tamin Dolan, je n’arrête pas de me dire qu’à l’heure qu’il est autrement j’aurais pu être en train de travailler de l’acier Veladrien. Puis qui sait, j’aurais peut-être même pu trouver de quoi faire mieux que ça encore ! Et à la place, je suis forcé de continuer avec mes alliages composites… il rit doucement Le pire, c’est que je suis sûr de ne pas être bien loin d’une formule alternative pour obtenir quelque chose de proche de l’acier de légende… mais il faut se l’avouer, dans ce genre de situation, même être proche paraît tellement loin !

Plus que cherchant juste à faire passer le temps pendant que le métal fondait, ce que ses confrères pensaient de la situation, il en était sincèrement curieux. Il faut dire que si Cìryon n’avait pas été aussi occupé dernièrement, il aurait probablement été tenté de se diriger vers les terres du Zagazorn, dans l’espoir qu’ils veulent bien confier des outils acier Veladrien parmi ceux qu’il devait leur rester à eux… À moins que ceux-là, le Voile ne soit parti avec.