Soif d'inconnu ! (Gendry )

Le « Bosquet des Valeureux », comme on l’appelait dans la région, souffrait de l’abondance des premières pluies printanières. L’eau ruisselait des toits, cloisonnant voyageurs comme autochtones aux intérieurs ou bien aux porches, engorgeaient les sols déjà boueux et glissants, dont seuls les cochons semblaient en profiter. Un temps de chien, venu doucher les ardeurs des agréables rayons de l’astre solaire de la veille.

- Rentrez les enfants ! Z’allez attraper la mort !

Noéla et Léance, la sauvageonne et le fripon, surnommés ainsi la tenancière de l’auberge, sortaient tous deux de la grange. Et ni l’un ni l’autre ne semblait guère vouloir se presser malgré les protestations du vieux père Magot.

- ♫ J’ai bien mangé… J’ai bien bu ! J’ai la peau du ventre bien tendue ! ♫ Chantait la petite Noéla en tapotant vigoureusement ledit ventre avec un grand sourire.

- Z’avez pas piqué dans les réserves quand même ?!

- Noooon…

Le vieillard poussa un soupir à s’en décoller les dents tandis qu’il leur ouvrait la porte de l’auberge en leur jetant un regard déconfit.

- Essuyez-vous les pattes, sinon ça va barder !

À l’intérieur, l’âtre crépitait ardemment, réchauffant l’air ambiant de cette déjà bien chaleureuse bâtisse où s’étaient réunis quelques groupes de voyageurs et d’aventuriers. Tous attendaient que passe le mauvais temps autour de pintes et de repas chauds, y allant de leurs anecdotes quant à leurs dernières pérégrinations et péripéties. Si certains, au vu de leurs armures abîmées et de leurs cicatrices, semblaient avoir de la bouteille, d’autres en revanche débutaient sans aucun doute dans le métier. Et cela sans compter les quelques enfants qui, visiblement, arboraient fièrement épées de boucliers de bois, mimant leurs faits d’armes devant la cheminée face à une assemblée hilare.

- Ah ! Aïe !

- Aïe ! Aïe ! Aïe !

Méléhant, s’étant tenu en embuscade à côté de la porte, venait d’attraper et le fripon et la sauvageonne par les oreilles.

- Alors, on est allé se servir sans demander ? Siffla-t-il entre ses dents tout en affichant son regard le plus sévère. Rosie va vous passer le savon de votre vie. Et je gage que vous allez récurer des casseroles tout le mois durant.

- Non ! Non ! Lui dites pas M’sieur Méléhant !

- Ah non ? Il marqua un instant de pause alors que son regard allait de l’un à l’autre et qu’un fin sourire se dessinait sur son visage. Dans ce cas, vous viendrez me trouver pour une leçon supplémentaire ce soir au lieu de participer à la veillée avec les autres.

- Mais…

- Il n'y a pas de « mais » qui tienne. Coupa l’homme en lâchant les oreilles des sacripants. Filez donc remettre la clef où vous l’avez trouvée. Et qu’on ne vous y reprenne pas une fois de plus !

Si son accent forçait le respect, on notait tout de même ce ton chantant qu’ont les mots dans la bouche des suderons. Quant à façon de se tenir et ses manières, elles avaient tout de celles des hommes de haute extraction, pour sûr Méléhant avait reçu une bonne éducation dans sa prime jeunesse.

- Ces deux-là…

Deux années, cela fait deux années que Gendry s'est installé à Fernel. Et on ne peut pas dire que les choses furent simples. Il lui a d'abord fallu faire ses preuves comme artisan et il a été contraint de travailler quelques ennéades avec le forgeron et maréchal-ferrant fernelois. Quand un maître et son apprenti bossent sur la même forge, l'équilibre se fait naturellement. Quand deux artisans doivent partager une forge, c'est vite l'enfer, même si chacun est de bonne composition. Mais l'essai a été concluant, le maréchal-ferrant indiquant que le nouveau venu connaissait son métier.

Gendry a alors cru, naïvement, qu'il pourrait se faire construire sa propre forge avec ses deniers, constitués principalement de la vente de sa précédente forge dont il avait hérité à Scylla, ville suderone où il est né et qu'il a fui pour fuir ses souvenirs, après la mort du père, décédé de chagrin quelques mois après la mort de son épouse. Ville, accessoirement, où ils étaient encore nombreux à savoir pour ses impressionnantes cicatrices qu'il cache sous ses vêtements, son mi-masque et son collier. Sauf que la forge en question, la Seigneure des lieux, Louise de Fernel, l'a faite construire elle-même. Ainsi, la forge appartenait à Fernel, et Gendry pouvait y vivre et y travailler en échange de services rendus à la maîtresse des lieux.

Cette proposition, a priori honnête, a déplu à Gendry, qui s'en est ouvert à Dame Louise, dont l'excellente humeur a disparu rapidement. Gendry a expliqué qu'il n'était un noble mais un artisan, qu'un artisan avait besoin de son propre outil, qu'il payait des impôts et que c'était ainsi qu'il servait son Seigneur, et qu'il pouvait comme tout citoyen être mobilisé le cas échéant. Et que lui voulait être artisan et non un ouvrier seigneurial. Froidement, la Seigneur des lieux lui a indiqué qu'elle était la loi chez elle et que s'il revenait à l'idée du ferronnier de s'adresser à elle de la sorte, elle lui ferait découvrir les excellents outils de torture fabriqué ici par le passé et qu'il pourra tester personnellement.

La pilule était amère pour notre ferronnier, qui devait réfléchir aux options qui se présentaient à lui. Quitter Fernel ? Il venait à peine d'être reconnu comme compétent, partir l'obligeait à tout recommencer à zéro, encore. Et pour aller où ? Quelle ville l'accepterait comme "bourgeois artisan", surtout avec son allure et son mi-masque qui fait croire à certains qu'il serait affilié à Arcam ? D'un autre côté, la Seigneure des lieux vient de le menacer clairement, ce qui ne lui laisse d'autres choix que courber l'échine, ou fuir. Et c'est pour réfléchir qu'il s'est rendu au Mont d'or, afin de s'isoler et faire les soins utiles pour que ses cicatrices ne deviennent pas handicapantes.

Mais il faut croire que cette journée n'était pas celle de Gendry car d'isolement il n'en eut pas longtemps. Après avoir remarqué au loin un couple étrange composé d'une bourgeoise et d'un serviteur semblait-il, et s'ils étaient à pied par ici, c'est probablement parce qu'ils avaient subi une attaque. Aussi les a-t-il rejoints pour leur proposer son aide. Sauf que le domestique était un esclave et la bourgeoise une haute prêtresse drow, nommée Kha'linas do Ath. En découvrant les cicatrices de la drow, Gendry a espéré que le fait qu'ils partagent le même drame pouvait les rapprocher assez que pour qu'il ait la vie sauve, un humain n'étant pas armé pour vaincre une drow. Peine perdue, Kha'linas a sorti la plus belle dague que Gendry n'ait jamais vue et la lui a planté dans le ventre, provoquant une hémorragie non létale. Car la prêtresse voulait que Gendry transmette un message à Louise. Et Gendry est parti, non en direction de Fernel mais pour un long détour, s'assurant ainsi que la drow ne le suivait pas, car une drow seule pouvait faire du dégât à Fernel. Arrivé à destination une fois assuré qu'il n'était pas suivi, il transmit l'information principale : "Prêtresse drow au mont d'or" avant de s'effondrer, exsangue.

Il sortit du coma grâce aux bons soins du meilleur soigneur fernelois qui a pris soin de cacher ses cicatrices et de sauver son secret et est passé de quasi paria à héros. En remerciement, Louise de Fernel lui a offert la forge qu'elle avait fait construire, ce que Gendry n'a pas compris. Il fut même invité à l'accompagner à Diantra, avant d'être renvoyé à sa forge où, suite à la menace de guerre entre humains et nains il devait œuvrer pour réparer toutes les armes ferneloises pendant que le maréchal ferrant s'occuper de préparer les chevaux.

C'est ainsi que, petit à petit, Gendry, peu liant, s'est forgé sa réputation dans le nord. Il était celui qui avait survécu à une drow, puis l'artisan ayant créé le kit de voyage. Son travail commence à être reconnu, aussi pour la fabrication de tonneau en chêne dont il s'occupe du cerclage. Mais rien ne sera jamais simple. Maintenant que les tensions avec Louise de Fernel sont apaisées et qu'il a trouvé un équilibre dans sa vie, cette dernière quitte Fernel pour épouser un Duc du Médian. Et que décidera le nouveau seigneur quant à sa forge ? Car il n'y a pas de titre de propriété. De nouveaux efforts sont à prévoir, et Gendry sature.

Mais si le destin est facétieux, il l'est parfois dans le bon sens, ce que Gendry avait tendance à oublier. Un visiteur lui a fait commande de gonds de porte à fabriquer sur mesure, ce qui prend du temps. Et n'ayant rien de mieux à faire, il a discuté avec Gendry. Enfin, le visiteur a parlé et Gendry a écouté en tapant du marteau sur le fer encore chaud. Et ce que le visiteur lui a raconté a fortement intéressé notre ferronnier. Une guilde accueillant des aventuriers a été créée il y a une dizaine d'années. Des artisans viennent en aide aux aventuriers et la guilde aide les citoyens. Et Gendry a besoin d'aventure, de se changer les idées. Le travail ne manque pas, mais il reste le maréchal ferrant s'il part quelques ennéades. Aucune grosse commande n'est en cours. Alors, pourquoi ne pas se rendre sur place et vérifier les informations. Au mieux, il aura un contrat comme artisan pour la guilde ou une aventure à vivre, au pire il aura fait le voyage pour rien, mais ne dit-on pas que les voyages forment la jeunesse ?

Le choix ne fut pas bien compliqué et le voyageur fut surpris de constater que son récit avait éveillé l'intérêt du jeune ferronnier. Il lui indiqua connaître l'adresse d'un des points de rencontre des membres de la guilde : L'auberge "Le Bosquet des Valeureux", non loin de Jersada en Alonna. Une petite trotte à cheval mais pas trop, pas trop éloigné de la route royale puisqu'elle passe par Jersada. Lorsqu'un convoi commercial quitte Fernel, Gendry les accompagne, avec un sac en bandoulière contenant quelques outils, ses dagues, ses produits de soin, une bourse avec de quoi tenir deux trois ennéades en extérieur, et enfin son marteau de forgeron qu'il a accroché à son dos. Il n'hésite pas à jouer de ses muscles pour remplir et vider les chariots et procéder si besoin à une réparation ou l'autre. Et comme en prime il se déplace avec son propre cheval, un Fernelois qui lui a été offert l'année précédente, et qu'il ne dérange pas car très taiseux, cela en fait un compagnon de voyage apprécié. Il fera la route de Jersada vers l'auberge seul et sans difficulté particulière. Une fois arrivé sur place, surpris par la bonne humeur de l'assemblée présente, il se dirige vers celui qui lui semble être le tenancier du lieu.

- Messire, la bonne journée. Une rumeur m'a informé que par ici vous recruteriez des aventuriers et des artisans. Si cela se confirme, il me plairait de proposer mes services, pour une aventure ou comme ferronnier, suivant les besoins.

Méléhant délaissa les enfants pour se retourner vers le nouvel arrivant, l’observant tout d'abord de pied en cap l’espace d’une seconde, il se fendit par la suite d’un sourire avenant et lui tendit une pogne amicale.

- Recruter est un bien grand mot, mon ami. Mais nous avons du travail pour toutes les bonnes âmes volontaires. Fit-il en désignant de l’index un large tableau de bois sur lequel trônait nombres d’affichettes. Vous trouverez votre bonheur par là-bas, sans aucun doute. À moins que vous ne cherchiez des camarades ou que vous vous sentiez l’âme de rejoindre une troupe ? Et dans ce cas, je ne saurais que trop vous conseiller de prendre place à une table, commander de quoi boire et manger à Rosie et vous familiariser avec nos habitués.

Le suderon scruta les tables les unes après les autres puis en désigna une. Y était installé un homme d’une trentaine d’année au regard vif, mais à l’humeur visiblement maussade. Le bougre tirait une tête de six pieds de long en touillant son bol de soupe sans réelle conviction. Tout de cuir vêtu, il arborait deux épées à la ceinture, il ne faisait nul doute que celui-là n'en était pas à son coup d'essai.

- Lui par exemple, je sais qu’il cherche des compagnons. Souffla Méléhant en opinant du chef en direction du ferronnier. Voilà deux jours qu’il traîne sa bosse par ici sans parvenir à se décider. Je le connais bien, c’est un bon gars. Si je ne m’abuse, sa quête comporte quelques inconnus et assez de voyage pour décourager les nordiens du coin, qui eux préfèrent ne pas s’éloigner plus que de raison des terres qui les ont vus naître.

Méléhant invita le nouveau venu à prendre ses aises, à s’installer et à se laisser porter par l’ambiance joyeuse, presque festive régnant entre ces murs. Car ici, les enfants braillaient et jouaient entre les tables, les voyageurs, qu’ils fussent de simples bougres ou des marchands, se prenait aux récits des aventuriers, et ces derniers festoyaient en se partageant leurs exploits dès qu’ils le pouvaient.

- Gallen ! Lança Méléhant au blondin attablé qui leva la tête dans l'instant. J'en ai peut-être un pour toi !

Lâchant sa cuillère, l'aventurier fit signe au ferronnier d'approcher. Son air maussade laissa vite place à un sourire franc et volontaire.

- Installe-toi camarade, tu veux un bol de soupe ? Je m'appelle Gallen au fait. Enfin... Tu l'as entendu.

Suivant les instructions de son interlocuteur, Gendry jette un oeil vers le tableau de bois et ses affichettes, avant d'avouer d'un ton las :

- Malheureusement, je ne sais pas lire...

Il est probablement loin d'être le seul en ce monde, mais cela semble lui indiquer que les aventures sont limitées aux instruits, ce qui déjà le démotive un brin. Mais quand on lui conseille de rejoindre une troupe, de prendre une table et de quoi manger, il retrouve son "sourire", entre guillemets car il ne sourit pas vraiment. Avec un mi masque, le sourire radieux ne se verrait pas beaucoup, de toute façon.

- Je vais même prendre une chambre pour la nuit. Et si vous avez quelqu'un pour prendre soin de mon cheval, ça serait super. C'est un fernelois qui m'a été offert, j'y tiens particulièrement.

Commande faite, il continue de suivre du regard ceux présentés par son interlocuteur, apparemment un combattant qui ne trouve personne pour l'aider dans sa quête car elle s'éloigne un peu trop de l'Alonna. Cela pourrait convenir à notre ferronnier, peu sensible au bruit des enfants qui s'amusent alentour. Il a l'habitude de les chasser de sa forge. Le lieu est dangereux par nature, trop chaud (mais ça plait en hiver) et surtout on y frappe du marteau et on y fait des étincelles. Alors, quand le ferronnier dit qu'il faut partir et qu'il le dit avec un marteau en main et du fer rougi pas loin, on l'écoute. Le fer rougi, il ne l'a pas, mais bien le marteau. Il s'installe aux côtés du dénommé Gallen après que celui-ci l'ait invité à le rejoindre.

- Gendry, ferronnier. Et ouep, une soupe me ferait plaisir. Pas trop chaude par contre.

Les présentations sont faites, Gendry attend la suite. Pas trop longtemps, la patience n'est pas sa vertu première. Par exemple, il fait du rangement quand son fer chauffe, alors qu'il pourrait attendre qu'il soit chaud sans que ça ne choque personne.

- Et si tu m'expliquais ce qu'il y a à faire, que j'vois si j'pourrais y être utile. J'suis pas couard, mais j'ai pas été formé aux combats. J'ai d'autres qualités.

Enfin, il présume. Il sait se débrouiller seul, c'est une qualité. Utile à un aventurier, c'est une question dont il ignore la réponse.

Méléhant avait opiné du chef à l’intention de Gendry. L’on prendrait soin de sa monture et Rosie lui apporterait la clef de sa chambrée un peu plus tard. Aux révélations sur ignorance des mots, Méléhant n’avait pu s’empêcher de lui conseiller d’en parler à ses camarades de voyage s’il s’en faisait ce soir.
Le suderon avait toujours cet air de malice au fond des yeux lorsque ceux qu’ils appelaient les « jeunes pousses » affichaient cet air désespéré devant le tableau d’affichage, et c’est sans un mot de plus qu’il laissa Gendry rejoindre Gallen à sa table.

- C’est vague, le boulot. Enfin... Complexe on va dire. J’ai besoin de gens qui n’ont pas froid aux yeux, qui ne sont pas pressés et n’ont pas peur de voyager. Souffla Gallen dans un sourire en se retournant pour faire comprendre d’un signe à Rosie de lui rapporter un autre bol de soupe. Pour le moment, l’idée est d’enquêter sur une histoire pas commune dans les montagnes. Une histoire colportée par des mineurs et les tailleurs de pierre du côté de Lourmel. Mais… Après, on risque de devoir faire un peu de route, peut-être même jusqu’en Ithri’Vaan.

L’homme sort une carte de son sac, il désigne les Pykes d’Ortheim puis l’emplacement de Thaar.

- Tu sais lire une carte ? Tu sais lire tout court en fait ? S’empressa-t-il d’ajouter en haussant un sourcil, constatant l’incertitude du type masqué face à lui. Si c’est pas ta tasse de thé, ne t’en fais pas. On est beaucoup dans la Guilde à avoir appris auprès de ceux qui savaient déjà. Méléhant donne des cours de temps à autre. Et moi, je peux te donner des bases pendant le voyage. C’est facile, tu verras. Enfin, si tu veux en être.

Rosie interrompt les deux hommes tandis qu’elle dépose un bol de soupe sur la table ainsi qu’une grosse clef en fer devant Gendry.

- C’est la chambre du fond sur votre droite, lorsque vous montez à l’étage. Vous ne pourrez pas vous tromper.

- En tout cas, il ne faut pas t’en faire. De toute façon, il faut bien commencer quelque part. Tu apprendras sur le tas, comme nous tous ! S’exclama Gallen en poussant le bol de soupe vers le nouveau venu tandis que Rosie s’en allait voir d’autres tables. Tu viens d’où ? Si c’est pas indiscret. Tu as déjà fais quelques quêtes pour la Guilde ?

Le début du récit sur la quête qui les attend pousse Gendry à donner son avis.

- J'peux pas dire pour les mineurs, et pourtant, des minerais, j'm'en sers. Mais la plupart des tailleurs de pierre que j'ai connus sont pas du genre à en raconter pour impressionner. Ce qu'ils font est déjà assez impressionnant comme ça. Donc s'ils disent avoir vu quelque chose, c'est qu'ils l'ont vu. J'préférerai qu'on prenne ce qu'ils ont dit comme une réalité et non une "histoire" ou une légende. 'fin, j'partirai dans cette optique.

Ce qui s'envisage pour l'après lui met des étoiles dans les yeux.

- L'Estrevent ? Super !

Quand Gallen sort une carte et lui demande s'il sait lire une carte ou lire tout court, Gendry fait simplement non de la tête. Puis se détend un peu quand la soupe arrive.

- Vous m'direz combien j'vous dois, m'dame. J'vous paierai avant de rejoindre ma chambre.

Visiblement, les dettes, Gendry n'aime pas ça. L'interrogatoire auquel il s'attendait démarre, et Gendry répond honnêtement.

- J'suis originaire de Scylla, mais en 18 j'me suis installé à Fernel. Le pays des ch'vaux, ça peut être sympa pour un gars qui sait taper l'fer. Maréchal-ferrant ça le fait. Et j'avais plus de chance de pouvoir l'être dans une seigneurie que dans un Comté ou un duché, style Erac, Aretria ou Odelian. Mais pas de pot, ils en avaient un. Mais juste un. Donc, pour tous les à côté, j'étais le bienvenu.

Les galères, c'est pas vraiment important à raconter. Il a eu un peu plus de mal que cela à s'intégrer mais c'est aujourd'hui qui compte. Puis il a fait un voyage de Scylla à Fernel, ce qui signifie qu'il a traversé toute la péninsule. En terme de capacité de déplacement, il vient de faire ses preuves.

- C'est la première fois que je démarche pour la Guilde, que ça soit comme aventurier ou artisan. L'aventure m'intéresse, mais j'ai peu de titres de noblesse, 'fin comme aventurier j'veux dire. Si on excepte ma rencontre avec la Haute Prêtresse drow au Mont d'Or qui était accidentelle, le seul truc un peu remarquable que j'ai fait a été d'accompagner la future Duchesse d'Erac de Fernel à Diantra. Pas comme garde, d'autres tenaient ce rôle mais comme artisan. J'sais taper le fer, j'ai de bonnes notions en ébénisterie, je pouvais dépanner s'il y avait un problème en chemin. Problème qui n'a pas eu lieu. J'ai été renvoyé vers Fernel dès que le problème avec les nains a été connu, pour retaper les armes et armures des soldats pendant que le maréchal-ferrant ferrait les chevaux de guerre. Sinon, j'passe la majeure partie de mon temps dans ma forge, à faire les commandes ou à tenter de créer des choses. Bon, j'suis ferronnier, mais je sais réparer des armes, les affuter, faire des pointes de flèche... des flèches aussi, d'ailleurs. J'suis chasseur quand on m'y autorise. Histoire de prendre du ptit gibier pour moi et du plus gros pour les auberges. J'ai pas pris mon arc, j'ai préféré prendre mon marteau. Des archers, ça se trouve. Des gens qui savent travailler le métal ou le bois, ça se trouve moins.

Il a fini son CV, qu'il ne trouve pas impressionnant. Il sait qu'il sera jugé sur ses actes et ne cherche pas particulièrement à se vendre. C'est un bleu pour l'heure, il n'a pas été formé au combat, autant être honnête. Mais il sait se débrouiller, et c'est une qualité. Puis si jamais il n'avait pas le tempérament pour vivre des aventures, il pourra toujours dépanner comme artisan, pour peu que des aventuriers passent par Fernel. Il leur fera un prix.

Gallen avait chassé l’idée de paiement d’un geste de la main avant de tapoter son torse pour signifier que le repas était pour sa bourse à lui. Un simple geste, car il ne voulait pas interrompre le récit du jeune homme, un récit auquel il prêtait une attention toute particulière.

- Je vois. Fit l’aventurier en hochant la tête doucement avant de porter son bol à ses lèvres et en avaler le contenu d’une traite. Les voyages ne te font pas peur en somme. Et tes connaissances du métal nous serons probablement utiles à un moment où à un autre. Car la demande est... Un peut particulière, il s’agit de concevoir un alliage sans commune mesure. Il se fendit d'un sourire. Complexe, comme je le disais.

Le blondin plongea la main dans son sac pour en sortir un feuillet visiblement usé par le temps et qui n’avait pas été épargné ni par le soleil ni par l’humidité. Il le déposa sur la table avant de le pousser vers Gendry.

- Tiens, c’est un abécédaire. Il a connu des jours meilleurs, mais il est toujours aussi utile que lorsqu’il était propre comme un sous neuf. Il marqua un temps d’arrêt avant de se pencher sur la table et plonger son regard dans celui du jeune ferronier. Une prêtresse drow ? Demanda-t-il en esquissant un sourire qui laissa vite échapper un léger rire. Ici, dans le Nord ? Tu veux m’en raconter un peu plus ? C’est que… On en rencontre pas des masses des noirauds par ici. Ça a de quoi inquiéter… On va pas se mentir, dans la majorité des cas, ils ne sont pas là pour profiter du paysage. C’est même étonnant que tu t’en sois sorti à vrai dire…

Gallen se tourna vers la serveuse qui repassait à leur hauteur et commanda deux chopes de bières.

- J’ai eu l’occasion de rencontrer des doebs en Ithri’Vaan, mais c’est autre chose. Là-bas, ils font partie du paysage depuis des siècles et font société avec tout le reste. Ils n'ont pas grand chose des puysards qui font trembler le reste du monde. Du coup, ton histoire m’intrigue.

Il l’écoutait, et avec un fin sourire sur les lèvres qui ne manquait pas de s'étirer. Car le bonhomme ne tarissait pas quand on l’interrogeait, et Gallen avait toujours apprécié les histoires. Surtout de genre là, celles qui laissent des traces, marquent les mémoires et font la renommée des bonnes âmes. Aussi, alors que Rosie leur rapportait de quoi épancher leur soif, l’aventurier s’en trouvait à se délecter autant du breuvage que de paroles de son nouveau compagnon.

Et le bougre n'était point avare en détails, bien au contraire. Cependant que le nom de la prétendue « haute prêtresse » eldéenne franchit les lèvres du jeune ferronier, Gallen manqua de s’étouffer avec sa bière. Toussant dans sa chope, il se frappa le torse par réflexe, déglutissant avec toutes les difficultés du monde.

- Et bien… Il se racla la gorge, se laissant ensuite aller à une nouvelle lampée de cervoise afin de faire passer son mal. C’est ce qu’on appelle avoir un fer à cheval dans le cul. Enfin, je veux dire, ç'aurait pu se finir plus mal.

L’aventurier fut comme un parcouru d’un frisson l’espace d’une seconde. Il termina le contenu de sa chope d’une traite et afficha à nouveau ce sourire relativement discret qu’il arborait habituellement.

- J’aurais bien une ou deux histoires à te raconter en chemin. Certainement pas aussi… Originales que la tienne. Quoique... Je me défends pas mal en la matière ! Et… L’aventurier laissa le temps suspend l’espace d’un instant, les yeux rivés dans ceux de son interlocuteur. J’ai déjà entendu ce nom. Je te raconterai comment plus tard. Si ça peut te rassurer, c’est loin d'être la même personne que ta prêtresse…

Gallen se redressa, contournant la table pour s’arrêter au niveau de Gendry et déposer une main amicale sur son épaule.

- On partira demain à l’aube, je te conseille de ne pas veiller trop tard, la route est longue jusqu’aux Pyks d’Ortheim et… Parfois un peu dangereuse. Même si je doute qu’on croise beaucoup de tire-laines en chemin.