J'ai fait une bétise ? [Bureau de Trystan] (Trystan & Nakor)

Zoile était en repos. La Reine lui avait accordé un moment pour aller jouer. Bon, accorder, ça semblait sévère. C'était pas vraiment accorder, parce que Zoile avait la chance de pouvoir faire pas mal ce qu'elle veut. Mais quand la Reine voulait faire mumuse toute seule avec sa fille, Zoile prétendait que la Reine lui avait accordé du repos. C'était moins contrariant que de dire qu'elle l'avait envoyé jouer ailleurs parce qu'elle préférait être seule avec sa fille un moment. Zoile avait, comme tous les enfants, une tendance à l'égoïsme et à s'approprier l'affection des gens. Elle avait partagé cette affection particulière avec la Reine durant plusieurs mois et là, elle devait partager en plus avec Lyhann. Zo se débrouillait comme elle pouvait pour que cette contrariété ne tourne pas en aversion pour la petite Lyhann.

Malgré tout, Zo adorait le bébé royal. C'était un adorable poupon. Curieux et tout. C'est donc tout paradoxalement que Zoile, quand elle devrait s'amuser comme les autres enfants, s'occupait plutôt à construire un mobile avec de grosses perles de verres, des rubans et des grelots. Ça allait être le plus beau des mobiles !

elle était en train d'attacher une rangée de perles et de grelots quand un domestique pousse la porte et entre dans la pièce où elle se trouve. Elle lève les yeux, question de voir qui c'est, puis retourne à son bricolage. Mais le domestique se plante à côté d'elle et respire. Elle lève les yeux de son ouvrage à nouveau.

- Mademoiselle Kelligan, le roi vous attends dans son bureau.

Et il repart aussitôt, la laissant seule. Elle met un moment avant de bouger. Le roi veut la voir ? Dans son bureau ? Elle n'est jamais allée à l'école. Mais instinctivement, elle tente de chercher dans ses souvenirs qu'elle bêtise elle a fait pour qu'elle soit appelée au bureau de Trystan. Elle pose là son oeuvre de perles et de rubans, puis elle se lève et se dirige vers le bureau du roi. Tranquillement, question de ressasser les derniers à la recherche de ce qu'elle a bien pu faire pour se retrouver là.

Les couloirs sont long. Du moins en ce moment. Et elle fait exprès de marcher le plus lentement possible. Elle cherche vraiment ce qu'elle aurait pu faire et elle ne voit pas du tout. À moins que ce soit pour une bêtise passé y a longtemps ? Oh non...

Elle finit par s'arrêter devant la porte entrouverte du bureau de Trystan. Elle respire à fond, puis tire sur sa belle robe pour faire disparaître les faux plis. Et elle entre dans la pièce.

Elle marche jusque devant Trystan, les yeux ronds, la mâchoire serrée. En passant, elle se penche pour ramasser Eze qui passe par là et elle le glisse dans son tablier, machinalement. Ce qui lui donne une idée.

- J'ai fait une bêtise ? Où c'est Eze ?

Eh oui, si Eze fait des bêtises, c'est certain que c'est elle qui devra le gronder.

Le roi avait essayé d'arranger ses journées de façon à pouvoir étudier la magie avec Nakor. Il n'était pas un guerrier, ne l'étais déjà pas quand il voyait et ne le serait maintenant plus jamais. Il ne lui restait que la magie pour imposer le respect bien que certaines personnes y soient réfractaires et voient là sorcellerie dans leur ignorance crasse. Mais cela importait peu, il était doué dans ce domaine et il se devait d'exploiter ses dons de magie pour les affiner, les affuter... comme une arme. Avec la situation actuelle, il avait sérieusement besoin de pouvoir compter sur quelque chose de tangible et prouver qu'il nétait pas qu'un faible aveugle impotent.

C'était une idée qui lui était intolérable!

Et si auparavant, il était déjà quelqu'un de rigide ayant besoin de tout contrôler, ce trait de caractère s'était encore accentué avec sa cécité. La raison en était simple : son univers visuel était mort, il ne pouvait se repérer qu'avec son nez et ses oreilles, ainsi que sa mémoire. Et tout devait absolument rester à la même place. Fort heureusement, de par son apprentissage de la magie, il avait développé un imaginaire impressionnant et une excellente mémoire. Il lui était facile de parcourir une pièce et de la reconstituer dans son esprit... et de s'y situer bien sûr. Dans ces cas là, il était autonome, n'ayant besoin de personne pour se déplacer, comme s'il y voyait.

En revanche, en terrain inconnu, c'était une autre affaire et là, il devait compter sur Lilianna ou Thibaut pour être guidé, à sa plus grande frustration...

Quoiqu'il en soit, il avait invité Nakor dans son bureau pour une petite séance de magie. Le vieux mage n'ayant plus aucun devoir avec la Lignée et le tesmp étant passé depuis le sauvetage des orphelins, il avait du temps libre pour le roi qui faisait tout son possible pour s'en trouver également.

Ils avaient longuement parlé de ce don de vision qui semblait s'être abattu sur le roi. Malédiction selon lui, surtout parce qu'il ne contrôlait rien. Cela faisait d'ailleurs de longs mois qu'il n'avait plus rien vu. Mais il ne s'était pas passé de drames notables non plus.

Et à la fin de la séance, Trystan avait parlé de Zoïle à Nakor. Il lui avait narré l'étrange entretien qu'il avait eu avec elle à la naissance de Lyhann... Ses paroles sur le Mal, sur le marais, sa façon de promettre de veiller sur Lyhann comme quelques bonnes fées de contes. Cette étrange et ténues vibration magique également. Cette enfant avait quelque chose, le roi en aurait mis sa main à couper, mais il voulait que Nakor rencontre Zoïle et se fasse sa propre opinion.

Aussi avait-il fait mander la petite fille près de lui, priant pour qu'elle ne craigne pas de le rencontrer. Il était d'un abord moins aisé que Lilianna et était plus distant. Oh, il aimait la petite fille pleine de vie et naïve, qui adorait Lilianna et Lyhann, mais il ne savait guère montré ces choses là et préférait s'abstenir par crainte de se révéler maladroit.

Il entendit la porte s'entrouvrir et leva la tête vers la petite fille qui se montrait soudain timide. Elle l'était souvent avec lui. Il sourit doucement à ses paroles et secoua la tête, amusé :

- "Si Eze a fait une bêtise, je ne suis pas au courant."

Il pencha un peu la tête, avant d'inviter Zoïle à approcher sur le canapé où il était assis.

- "Non, je voudrais te présenter un ami Zoïle. Rassure-toi, tu n'as rien fait de mal... et Eze non plus."

Rassurant, son sourire était sincère, alors qu'il reprenait :

- "Zoïle, je te présente Nakor."

Dans la pièce, il y avait effectivement une troisième personne : un vieillard à cheveux et barbe blanche, à l'air vénérable, mais au regard rieur. Enfin vénérable... Tout dépendant du moment et de la situation! Il n'hésitait pas à gourmander le roi comme il aurait gourmandé un de ses orphelins!

- Si Eze a fait une bêtise, je ne suis pas au courant.

Elle émet un petit soupir de soulagement. Tant mieux ! Elle n'aurait pas à le gronder. Elle n'aimait pas gronder Eze. Il ne faisait pas exprès d'effrayer les dames. Mais personne ne le comprenait ce pauvre crapaud ! Mais alors... si Eze n'a rien fait... c'est elle alors ? Mince... qu'est-ce qu'elle a bien pu faire... elle a peut-e^tre oublié de changer les bougies dans la chambre de la Reine ? Non, elle l'a fait... elle le fait tous les jours... elle a peut-être oublié un jour... ou alors elle a laissé traîné quelques trucs ? Elle ne sait pas trop... un retard ? Minceeeeee...

- Non, je voudrais te présenter un ami Zoïle. Elle jette un rapide coup d'oeil vers le dénommé Nakor. Rassure-toi, tu n'as rien fait de mal... et Eze non plus.

Ah ouais ? Elle sourit, un sourire timide, visiblement soulagée de ne pas être fautive.

- Zoïle, je te présente Nakor.
- Bonjour... dit-elle, timide. Elle dévisage le vieillard avec une certaine méfiance. La saine méfiance des gamins à qui ont dit de ne pas accepter de bonbons es étrangers. après une seconde de réflexion, elle esquisse une timide révérence, rapide, comme les domestiques ont coutume de faire pour rester efficace et rapide.
- Bonjour Zoïle! En effet je me nomme Nakor, je suis un très vieil ami du roi et ... tu sais, je vais te dire un secret mon enfant : à mon âge, on reconnait quelqu'un qui dit la vérité!

Ce vieillard est fascinant. Plus il parle, plus son visage efface la méfiance. elle s'avance même un peu, question de partager un vrai secret, intéressée par le dit secret. Tout les enfants aiment les secrets, c'est bien connu.

- Oh... répond-t-elle, avec l'innocence et l'air grave de celui à qui on confie un secret très important. Aucun lien avec elle-même ne se fait. Elle accepte le secret comme une confidence et non un conseil à demi voilé.
- Ce qui est amusant ici, c'est que tu es entrée en pensant que tu avais commis une bêtise, à moins que ce ne soit ton crapaud? Elle hoche la tête. Oui, c'est vrai. Et toi et moi on sait qu’Eze n'a rien fait hein? Elle hoche encore la tête et jette un rapide regard au roi. Évidement qu'il n'a rien fait, le roi l'a dit. Alors dis moi selon toi, qu'as tu fais mon enfant, qui t'amène devant le roi et moi?
- Euh...

C'est une question piège ? Oui, forcément. Elle réfléchit encore et plus sérieusement à ce qu'elle aurait pu faire pour devoir en répondre devant le roi... tsé, devant la vielle chipie qui donne les ordres, elle aurait comprit ce qui se passe, que c'est un truc qu'elle a oublié... encore... oh ! C'est peut-être ça ! La Chipie a décidé de tout rapporter ses gaffes au roi ! Ooooooh nooon ! Un vent de panique agite la gamine et elle plante son regard sombre dans les yeux de Nakor.

- Mais je fais pas exprès de faire des gaffes !
- Crrâwk
- J'ai peut-être oublié une bougie ou deux...
- Ârrrk.
- ou peut-être de revérouiller une porte en sortant ? C'est ça ? J'ai oublié un verrou ?

Et la gamine se questionne sérieusement. Elle fronce les sourcils et son regard devient vague, parce qu'elle réfléchit.

- Crrrrrrâwk.

Zoile observe Nakor, puis jette un coup d'oeil au roi, cherchant de qui des deux doit-elle se faire pardonner, ou du moins présenter ses excuses.

Il retint un sourire alors qu'il entendait le soupir de soulagement, certes discret, de Zoïle alors qu'il lui assurait que son crapaud n'avait à priori rien fait. Zoïle était une brave gamine, serviable, gentille, attentionnée avec Lilianna et Lyhann, faisant de son mieux quand on lui déléguait une tâche, souvent adorable, pleine d'entrain... Mais étrange. Même Lilianna l'avait ressenti la dernière fois, quand la petite avait parlé d'un ton solennel et vibrant d'une magie ancienne.

Il la rassura ensuite en lui disant qu'elle non plus 'navait rien fait de mal. Non, elle avait juste un quelque chose qui intriguait le roi et plus précisément le mage qu'il était et il se devait de trouver quoi. Et pour cela, il avait besoin de Nakor qui était un véritable puit de sciences. Après tout, il guidait bien le roi dans l'exploitation de son don visionnaire, peut-être saurait-il trouver en quoi consistait la magie de Zoïle?

Il présenta alors Nakor à l'enfant qui lui lança un bonjour timide. Il resta impassible en écoutant le vieillard parler, se demandant ce qu'il tramait alors qu'il parlait de reconnaitre la vérité. pensait-il que la petite pourrait lui mentir? Trystan n'avait jamais constaté de mensonges chez la fillette. Cependant, il dut reconnaitre que de livrer un secret à l'enfant semblait la mettre en confiance, même si elle ne semblait pas saisir où il voulait en venir.

Il lui demanda alors ce qu'elle avait bien pu faire pour être là. La pauvre! Elle ne saurait jamais répondre à Nakor, ne sachant sans doute même pas qu'elle avait un potentiel magique certain! Trystan sourit, attendri, alors qu'elle se trompait totalement et pensait avoir négligé ses tâches quotidiennes. Il secoua doucement la tête et reprit pour lui venir en aide :

- "Non Zoïle. Ne t'inquiète pas pour ça, ce genre de petits oublis ne nous intéressent pas."

Jamais elle ne se retrouverait devant le roi pour ça, quand bien même la maitresse des chambrières s'en plaindrait. Lilianna était trop attachée à la fillette pour la congédier pour ce genre de broutilles.

- "J'ai parlé de toi à Nakor. Tu sais, lui aussi est préoccupé par la sécurité de Lyhann et quand je lui ai dis que tu avais décidé de veiller sur elle, il a voulu te rencontrer."

Doucement, il l'amenait à se remémorer le jour où elle avait découvert la petite princesse et jurer de la protéger contre le Mal.

- "Nakor est un vieux bonhomme un peu bizarre, mais il sait plein de choses et sait faire quantité de tours de magie. Il a aussi beaucoup voyagé. Il connait bien les marais... Mais je crois que tu les connais encore mieux que lui."

Alors c'est pas pour des oublis, ou parce que la matrone s'est plainte. Alors là, Zoile ne sait pas du tout ce qu'elle a pu faire pour se retrouver devant le Roi. Elle a beau chercher, elle ne voit rien. Même quand le Roi la dirige vers Lyhann et sa promesse, Zoile ne voit pas pourquoi. À moins que Nakor y soit pour quelque chose plus que le Roi. Mais elle n'a jamais vu ce vieux monsieur. Quoique... si, peut-être... y a longtemps... ou non... elle ne se souvient pas...

L'air grave de la gamine est étonnant. Elle prend tout ça avec un sérieux tout adulte.

- Nakor est un vieux bonhomme un peu bizarre, mais il sait plein de choses et sait faire quantité de tours de magie. Elle jette un oeil suspicieux vers Nakor. Magicien ou sorcier ? Hum... il a plus l'air d'un magicien. Les sorciers sont en noir et ils ont un nez crochu. elle connaît tout ça, c'est écrit dans les histoires. Il a aussi beaucoup voyagé. Il connait bien les marais... Mais je crois que tu les connais encore mieux que lui.
- C'est vrai ma petite, tu sais, j'ai vécu longtemps, et un peu partout, et je dois dire que je connais un peu les marais. Mais quand on m'a dit que tu semblais les connaitre mieux que moi ... houuuuuu j'ai été jaloux!

Cette fois, l'air de Zoile se fait interrogatif. Ah ? Pourtant, elle ne les connaît pas beaucoup. Elle les a traversés... enfin, non, elle a traversé LE Marais. Juste LE Marais.

- Euh... dit-elle, l'air gêné, mais le magicien se met à parler. Et elle l'écoute attentivement. Il lui pose quelques questions en rafales. Elle ne comprend pas du tout où il veut en venir. Il est jaloux ? Mais... de quoi ? Y a pas de quoi être jaloux...

Puis y a l'étincelle et la petite étoile lumineuse qui s'élève entre la gamine et le vieillard. La lumière se reflète dans le regard sombre de la gamine et après avoir fixé l'étoile quelques secondes, elle reporte son attention sur Nakor, le regard brillant, visiblement admirative.

- Vous êtes un magicien, déclare-t-elle, lui accordant dès l'instant toute sa confiance. Elle a entendu en quoi consiste la magie qui brille comme ça, mais que le Roi entende ou non, elle aurait tout de même parler, juste parce que c'est un magicien. Et les magiciens, c'est bien connu, ils sont gentils. Dans toutes les histoires, c'est écrit. Alors elle va répondre à ses questions. Le temps de se les rappeler, elle prend soudainement un air gêné. Vous savez, je les connais pas vraiment les marais. J'ai traversé que LE Marais, pas les autres, dit-elle en insistant sur le singulier du dit marais. C'est pas sa faute, c'est Lufotu qui le mettait en majuscule plusieurs fois retracé. Et pis Eze était avec moi, je pouvais pas me perdre. Eze, c'est un crapaud, vous savez. Il a l'habitude DU Marais.
- Crrrrrâw, approuve Eze, impassible, de la poche du tablier de Zoile.
- Mais ça fait longtemps, vous savez. Puis elle s'approche un peu, puis ajoute, sur le ton de la confidence, Si vous voulez, demandez-moi ce que vous voulez savoir sur les marais et si je le sais, je vous le dirai. Et comme personne entend, je dirai pas que vous saviez pas.

Et, pleine de bonne volonté, elle lui tapote doucement l'épaule, compatissante.

Elle aura épargné la honte au vieux devant le roi ? Eh bien tant mieux ! C'était pas bien la honte. Souvent, un personnage des contes était honteux et ça finissait toujours très mal pour lui. Et puis, sans crier gare, il lui passe le bout de sa barbe en plein visage. Elle se raidit, surprise par le geste et surtout le "hou", mais sourit aussitôt qu'elle saisit que ce n'est en rien menaçant. Elle laisse même échapper un petit gloussement ravi. Puis elle écoute attentivement les question du vieil homme.

- Bon, si tu me permets donc de te poser des questions sur ... Le marais... Elle hoche la tête. C'était une question facile. et bien justement, j'aimerai que tu me dises comment tu t'es retrouvé dans le marais, pourquoi est ce que tu l'appelle LE marais alors que nous disons tous généralement LES marais lorsque nous en parlons, tant ils sont étendu sur les terres orientales de notre monde et ... ho oui c'est là le plus intéressant : comment as tu pu sortir de là sans te perdre, en revenant en bon état de là bas alors que ces terres sont reconnus comme étant vide de nourriture et d'eau potable ma petite chérie?

Zoile est ravie de pouvoir aider le vieil homme. Le roi avait posé des questions, mais elles n'avaient pas été aussi claires que celles de ce Nakor. Zoile réfléchit tout de même un instant.

- Bah, vous savez, je me qui pas retrouvée dans le marais... j'étais pas perdue. Je me suis réveillée dans Le Marais. J'étais trempée, vous pouvez pas savoir ! Et pis, vous venez de le dire.. ils sont tellement étendus... mais c'est toujours le même... m'enfin... si y'en a plusieurs, moi, j'en ai traversé qu'un seul. Et il était trèèèèès grand. Et pis, sur la carte, c'était écrit LE Marais, pas Les Marais. Et c'est grâce à Eze que j'en suis sortie !

Joyeusement, elle prend le gros crapaud dans son tablier, crapaud qui semble soudainement vraiment très gros, au moins trois fois plus gros que lorsqu'il était dans le dit tablier. Bon, d'accord, elle le tient à un ou deux centimètres du nez de Nakor, mais un si gros crapaud aurait vraiment pu rentrer dans la poche de son tablier ? Le batracien fait un clin d'oeil au magicien.

- C'est Eze qui m'a ramené à manger et c'est lui qui a trouver les sources pour que je puisse boire. Eze, c'est un crapaud, informe-t-elle, en toute connaissance de cause, et les crapauds s'y connaissent en marais.
- Crrrrrâw, approuve le batracien tandis qu'elle le replace dans son tablier. Il semble nettement plus petit maintenant.

Zoile secoue vivement la tête et tapote la tête du petit crapaud dans la poche de son tablier. C'est pas tout à fait ça. Il est gentil ce monsieur. Pas comme les autres qui te disent quoi faire. Zoile a toujours été d'une candeur dangereuse, mais Eze l'a toujours protégé. Et malgré tout, elle avait apprit qu'il fallait se méfier de certaines personnes. Pas parce qu'elles sont méchantes, mais parce qu'elles veulent trop en savoir. C'est Lufotu qui lui racontait ça.

- Nan, c'est lui-même qui a choisit son nom. Parce que vous savez, Eze, il a pas de maman. Enfin, oui, mais il sait pas qui c'est. Les crapauds, ils ont pas vraiment de famille. C'est un amas d'oeuf laissé au hasard. Il a eu de la chance Eze, lance-t-elle, tout sourire.
- Crrrrâw.
- Oui, je sais, Eze. Il dit que c'est pas que de la chance. Elle tapote la tête du crapaud, puis le sort de son tablier et le pose sur le sol. Il sautille un peu plus loin. Eze est un crapaud exceptionnel, vous savez, dit-elle avec un brin de fierté dans la voix.

Elle le regarde sautiller et se glisser sous un meuble, à la recherche d'un insecte, ou quelque chose de plus gros... tout le monde sait que les crapauds bouffent tout ce qu'ils dominent. Et c'était d'autant plus vrai avec Eze. Elle l'avait vu bouffer des trucs incroyablement gros pour sa taille.

Et ensuite, le vieux Nakor lui demande s'il peut voir la carte. Aussitôt, pour la première fois depuis le début de l'entretient, Zoile hésite. Lufotu n'aime pas être vu. Il préfère rester caché sous la robe de Zoile. D'ailleurs, Zoile le sent réagir à la proposition. C'est subtile, mais c'est comme ça qu'il la prévient d'un danger ou de quoique ce soit de mauvais pour elle. L'air amusé et ravi de Zoile s'estompe et elle dévisage le vieil homme.

- Je... je l'ai perdu... ment-elle, bien qu'elle se souvienne parfaitement que le nommé Nakor lui ait affirmé qu'il savait si les gens mentaient ou non.

Mais Lufotu lui disait souvent que mentir pour se protéger, c'était pas mal. Alors c'est ce qu'elle faisait. Elle se protégeait et protégeait surtout Lufotu. Lufotu lui avait dit bien souvent que personne ne devait lui mettre la main dessus, parce qu'il est exceptionnel. Et comme Eze, Lufotu lui avait à maintes reprises sauvé la vie. Elle allait donc le protéger.

Zoile sourit à Nakor. Oui, c'est vraiment magnifique. Elle n'a jamais eu vraiment d'amis, avant, à cause des sirènes de son père et surtout parce là où elle vivait avec son père et sa mère, il n'y avait pas beaucoup d'enfants et la plupart étaient plus vieux qu'elle ou trop jeune. Alors elle a joué très souvent toute seule. Donc la réplique suivante n'est pas étonnante.

- Oh, j'ai toujours parlé avec tous les animaux, affirme-t-elle avec aplomb. Elle ne ment pas à ce sujet, ça c'est certain. Bon, elle s'est toujours imaginé parlé avec tous les animaux et c'est techniquement la même chose avec Eze, donc elle ne fait pas du tout la différence. Et pis j'ai pas rencontré Eze dans le marais. C'est dans une grange, quand je suis partie de chez moi, y a longtemps. Mais il m'a dit qu'il venait du marais quand j'm'y suis réveillée.

C'était la pure vérité. Alors restait à savoir si Eze avait été envoyé là par on ne sait qui, ou alors c'est un hasard et Zoile, en toute innocence, invente tout ça. Mais elle ne ment pas, c'est certaine, du moins pas à ce sujet.

Mais l'insistance du mage envers la carte, même manifesté par la seule confirmation qu'il sait lorsqu'elle ment, la met dans tous ses états. En fait non, pas elle vraiment, mais en réaction avec ce que Lufotu, bien dissimulé sous sa robe, sous son tablier et gardé en place par la ceinture de son tablier, manifeste son mécontentement. Elle le sent, elle le ressent. C'est comme une sueur froide, qui lui glace les os. Elle dévisage Nakor.

- Je sais, que vous me l'avez dit... murmure-t-elle, timidement, lui avouant ainsi qu'elle sait qu'il sait qu'elle ment.

Elle déglutit péniblement, visiblement intimidée, gênée, ou peut-être un peu honteuse de mentir comme ça. Soudainement, comme si on lui avait fait un encouragement silencieux elle fixe le mage de ses grands yeux noirs, contraste saisissant avec la pâleur de sa peau et ses cheveux dorés.

- Ne me posez plus la question, ordonne-t-elle avec une sévérité mystérieuse qui ne lui ressemble pas.

Visiblement, une force sombre enveloppe la gamine et même si le roi n'entend rien, il arrive presque, sans certitudes, à ressentir le même trouble que lorsqu'elle affirmait protéger la princesse. La même puissance étrange, indéchiffrable pour le moment. Nakor, dans sa grande expérience, saisit mieux l'effet provoqués. C'est l'effet de crainte, de malaise, comme se retrouver seul dans un marais, la crainte de ce qu'on ne voit pas, mais qu'on croit caché derrière nous. Vous savez, cette impression de malaise qui pousse les humains à demander tout haut "Y'a quelqu'un ?"

Elle est presque sur le qui-vive. Les épaules un peu reculées, il ne manquerait pas grand chose pour qu'elle bondisse de côté et se sauve à toute jambe. Un simple geste brusque de Nakor la ferait détaler comme un lapin. Pourtant, après quelques secondes, elle se sent mieux. Elle est moins craintive. Elle cligne des yeux, pas trop certaine de ce qui se produit, mais elle a senti quelque chose. Un quelque chose de beaucoup trop grand pour elle. Mais en même temps, la caresse rassurante de Lufotu qui lui dit que tout va bien, avant que son emprise s'estompe et ne disparaisse.

Lufotu a des centaines d'années. Il a des dizaines de générations de sorcières entre ses pages. Si Nakor est un grand et sage mage, Lufotu est un puissant et perfide grimoire. Pour l'instant, Nakor protège la gamine, il ne lui veut pas de mal... ou de bien, peu importe, le livre ne détecte pas d'opposition à Zoile. À lui, certes, mais Lufotu n'est pas obligé de révéler qu'il a des centaines d'années. Il n'est pas obligé de démontrer sa puissance. Zoile est encore trop jeune, pas assez résistante. Lufotu est éternel. Pas immortel, mais éternel. Il peut être brûlé, déchiré, détruit, certes, mais le temps ne peut rien contre lui. Tant qu'il reste en état de dévoiler sa mémoire passée, il gardera sa puissance.

Puis Nakor lui donne congé. Il lui dit qu'il est content et qu'elle n'a pas fait de bêtises. Soulagée et rassurée, elle soupire et lui adresse un grand sourire ravi.

- Oh, alors je suis bien contente aussi ! Elle hoche la tête, s'incline devant Trystan, fait une petite révérence polie à Nakor. Je vias terminer le mobile pour Lyhann !

Puis, rapidement, elle quitte le bureau, en refermant soigneusement la porte. Ses souliers claquent avec enthousiaste dans le couloir tandis qu'elle retourne bosser sur son cadeau pour Lyhann.

Durant tout lentretien entre le vieux magicien et l'enfant, Trystan avait été sourd, en plus d'être aveugle. Même s'il avait compris le geste du magicien, il ne pouvait nier avoir mal supporté cet isolement total. Il avait, durant un court laps de temps, perdu un deuxième sens, qui lui était devenu primordial, il s'en rendait compte maintenant. Cependant, il ne laissa rien paraitre de son trouble, alors que l'entretien s'achevait et que Zoïle sortait, laissant les deux adultes seuls.

- "Une sorcière des marais..."

Le roi s'était fait pensif. Cela ne lui disait pas grand chose, mais cela semblait parler à Nakor. Comme si c'était à mettre en doute... Et Nakor commença son petit cours d'histoire, sous l'oreilel attentive du roi qui redevenait un élève qui buvait ses paroles. Cela n'avait rien de réconfortant. Les sorcières étaient mauvaises, il insistait bien là dessus et Zoïle en était une. Il nuance pourtant, en parlant de la naïveté de Zoïle et de la formidable protectrice qu'elle pourrait être. Trystan aimait bien la gamine et ne voulait pas lui faire de mal sous prétexte qu'elle pourrait être une menace. Lilianna non plus, bien qu'il savait déjà qu'elle s'inquiéterait s'il lui prlait de la nature de Zoïle. Il était face à un dilemme : laisser Lilianna dans l'ignorance, garantissant ainsi le fait qu'elle continuerait à aimer et s'occuper de la petite, ou lui dire, au risque de l'effrayer... Il n'aimait pas lui cacher des choses et si elle l'apprenait, elle risquait fort de lui en vouloir.

- "Vous dites qu'elle est guidée par un livre, qui recèle l'âme et les connaissances d'une sorcière... Est-il possible d'envisager qu'il puisse corrompre le coeur de Zoïle malgré nos efforts?"

Il espérait que non... Mais comment savoir?

- "Et si nous tentons de lui soustraire ce livre pour le détruire, qu'arrivera-t-il? Nous laissera-t-il seulement faire?"

Il s'interrompit, reprenant à voix basse :

- "A-t-elle pu lancer un sort ou prêter un serment magique? Quand elle a juré de protéger ma fille, il s'est passé quelque chose Nakor, réellement et je ne sais pas quelle est la nature de cette magie, ni l'impact de ses paroles ou de sa volonté..."

- "Je vois."

Donc, impossible de se débarasser de ce livre et de trancher le lien. Il restait toujours la solution de l'apprivoiser, de laisser Zoïle se développer en l'entourant d'amour. Comme c'était déjà le cas maintenant. Si trystan était réservé à l'égard de l'enfant, il n'avait jamais eu un mot brusque avec elle. Mais Zoïle était surtout folle de Lilianna et de Lyhann. Cela suffirait-il?

- "Alors nous continuerons d'élever Zoïle et de la laisser développer son amour pour ma femme et ma fille, tout en la tenant à l'oeil. J'espère sincèrement que sa naïveté tiendra le mal éloigné, mais j'ai bien peur qu'en elle ne se livre un jour un combat qui décidera de son avenir."

Bien, elle resterait près de la princesse et de la reine. Elle les protégerait.

Mal, elle serait chassée, voire tuer. Trystan verouilla son coeur en envisageant cette possibilité. Ce n'était qu'une enfant et il ne s'imaginait pas condamner à mort cette ravissante fillette, qui serait un jour une femme maléfique, si le sort en décidait ainsi.

- "Bien. Je vous prierais de n'en rien dire à personne, pas même à la reine, même si elle vous le demande. J'aimerais qu'elle ne s'inquiète pas inutilement et surtout, que son comportement ne change pas face à Zoïle, ce qui risquerait d'avoir des conséquences catastrophiques. Nous serons deux à surveiller cette enfant, puissent les dieux faire que cela suffise."

Trystan sourit et son attitude signifiait clairement que l'entretien était terminé.

- "Merci Nakor, c'est un réconfort de vous avoir auprès de moi."

Et c'était la plus stricte vérité. Le mgicien était puissant et bienveillant, mais terrifiant quand il défendait une cause juste. C'était un allié de choix. Et une sorte de grand père de substitution parfois.