L'occasion fait le larron [Trystan]

Après le fort riche entretien avec Nakor, le temps des palabres mondaines était venu. Le temps était à la moisson, puisque le seigle allait enfin révéler sa présence au roi, bien tardivement certes, mais les affaires courantes l'avaient toujours tenue écartée de la cour royale. L'on en faisant une peinture pour le moins gauloise dans l'orient Mervallois, on contait de sombres orgies, où des chiens en ruts montaient des nains atroces, on parlait des affaires de boudoirs, des raclures de bougeoires et des gouttes de sangs que libéraient les pucelles après les premiers spasmes de plaisirs charnels.

Mais évidemment les temps avaient du changer, et les antiques tapisseries de la grande salle de réception du manoir de Merval, qui décrivent en détail ces scènes pittoresques ne sont sans nul doutes que les phantasmes d'un dément.

La baronne, à qui l'on avait gracieusement accordé des quartiers dans le château, pris quelque temps pour se pomponner et se décida même à mettre quelques fards afin de faire forte impression au suzerain suprême. La voyant ainsi faire, le lieutenant d'arme Di Fletri ne put s'empêcher de se racler la gorge.

Eulalie tourna vers lui son regard étrange, cerné d'une fine ligne noire qui faisait ressortir son oeil le plus clair.

"Oui?" demanda-t-elle, impatiente.

"Sauf votre insigne et immense respect, belle dame de Merval, je ne crois point utile de vous farder ainsi... sa royale majesté est frappée de cécité..." bredouilla-t-il, cachant à moitié son visage misérable derrière son bouclier.

"Sortez séant Di Fletri, et priez pour que mon entrevue avec le roi se déroule sans encombre, sans quoi je déciderais de vous faire bouillir par le grand compotier", les choses étant clarifiées, la baronne pouvait s'avancer vers son auguste hôte désormais.

Elle parcourut les salles et les corridors, marchant un temps qui lui sembla une éternité, et imaginant en son fort intérieur combien de personnes avaient du se battre et mourir d'horrible façon en cet endroit durant les macabres incursions de la soldatesque des insurgés. Eulalie de Merval montra son sceau aux gardes qu'elle croisait afin que l'on ne lui fasse point de questions. Les gîtons sont souvent d'irrécupérable bavasseurs. Elle avait appris que le régent de Scylla avait lui aussi entrepris le voyage jusqu'à Diantra peu avant, pour quel motif? Elle en ignorait tout.

Enfin elle parvint devant les lourdes portes de la salle du trône. Pas si lourdes que cela à vrai dire, elle les aurait construites plus massive si elle avait du en dessiner les plans. Elle se réconforta un brin en se disant que sa demeure en possèderait un jour de pareilles, quand le commerce refleurirait et qu'elle pourrait peupler sa baronnie de bâtiment luxueux autant que marmoréens.

On l'annonça, et elle entra, la tête haute. Elle était la baronne de Merval, Eulalie, et le roi la recevait en ce jour.

La salle était sublime, mais la dame ne s'attarda pas à détailler chaque parcelles de dorures sur les colonnes ou les hauts murs.

Une fois arrivée non loin du trône de Trystan de Diantra, elle s'agenouilla et se présenta.


"Majesté, parangon de justice et glorieux suzerain de l'humanité, je vous sais gré de l'honneur que vous me faîtes à moi, Eulalie de Merval, Baronne de Merval, de m'accueillir en votre auguste demeure. Je souhaitais vivement vous rencontrer et me présenter à votre majesté, tant il est vrai que je pris mes fonctions il y a quelque temps déjà et que je n'avais point eu l'honneur de m'introduire auprès de vous."

Elle s'arrêta un moment... Sa voix était sombre et un rien obséquieuse, comme il se devait sans doute lorsque l'on s'adresse au souverain.

Elle releva pourtant le regard pour l'observer et le détailla, tout en restant un rien courbée.

" Merval, à l'ouest " poursuivit elle presque dans un murmure, dans un excès de modestie qui lui fit serrer les poings.

Eulalie de Merval... Jeune héritière de la baronnie, autrefois dirigée par la sorcière Morgause, réputée pour sa laideur autant que son penchant pour les arcanes. Trystan l'avait rencontré avant de perdre la vue et s'en souviendrait sans doute toute sa vie. Rarement il lui avait été donné de voir pareille laideur. Mais grand esprit. En perdant la vue, il avait cependant apprit à reléguer quelque peu l'apparence pour privilégier l'esprit, dépouillé qu'il était de ces considérations finalement futiles. Mais Morgause était morte et c'était la jeune Eulalie qui l'avait remplacée. Une jeune femme dont il n'avait eu que peu d'échos. La demoiselle était discrète, mais semblait contrôler sa baronnie d'une main de fer dans un gant de velours et avec une certaine sagacité.

Et voilà qu'elle se trouvait à Diantra et se décidait enfin à rendre hommage au roi. Pour sa défense, il s'était passé bien des choses qui l'avaient tenu éloignée de la Cour. Mieux valait tard que jamais, et le roi allait enfin pouvoir s'entretenir avec la jeune femme. Il n'était pas aisé d'être femme et de diriger une terre. On l'annonça alors et elle prit la parole, avec force flagorneries et formules ampoulées. Elle parlait comme une vraie courtisane, rompue à cet exercice.

- "Ma Dame, soyez la bienvenue à Diantra. Votre présence ne s'est faite que trop rare et cela est regrettable. Avez-vous fait bon voyage?"

Il était temps d'apprendre à connaître ses vassaux. Il y avait eu tant de changements et le Noblesse était fragile, la position de chacun loin d'être assurée... Morts, trahisons, disparitions, voilà le lot quotidien des nobles sangs. Sans compter les complots et autres machinations afin d'être toujours en haut de l'échelle. Beaucoup étaient ambitieux, peu se contentaient de ce qu'ils avaient. Du haut de son trône, le roi surplombait l'assemblée, noire silhouette austère. Il portait pantalon et tunique noire, aux riches arabesques d'argent. De longs cheveux noirs encadraient son visage sévère, alors que ses yeux verts clairs, aveugles, mais non pas morts, semblaient scruter l'âme, sans voir la chair. Il perçut le murmure de la demoiselle. Sans pour autant comprendre ce qu'il signifiait exactement.

Eulalie regarda le roi, il semblait assez sévère. Elle lui reconnut cependant un pantalon des plus coquets, avec ces fines arabesque argentées. Le roi était la figure centrale du royaume, de celles que l'on devait respecter, et celui-ci ne manquait pas à la règle. Majestueux et digne, il en imposait à la baronne qui sut pourtant garder une certaine contenance face à lui. La dernière entrevue du roi s'était sans doute produite avec Morgause, la sorcière aux traits si étranges. Quel pitiée que le roi ne puisse voir le minois de sa nièce et nouvelle baronne de Merval.

Sa question la confondit, mais sans se démonter elle lui répondit avec joliesse :

" Le voyage fut très agréable sire."

En effet, les routes étaient sures, bonnes et si ce n'est quelques embuches, nul obstacles ne s'était opposé à elle. Il faut dire que les ingénieurs de la péninsule avaient de long temps travaillé à ce qu'elles soient pratiquables en toutes saisons et par toutes sortes de convois. Il fallait se rendre à l'évidence, voyager à notre époque était autrement plus confortable que cent ans auparavant. L'automne arrivait mais le temps était encore bien doux, aussi la jeune baronne ne put réprimer l'envie de faire savoir à son suzerain à quel point elle appréciait cette periode.

"Il fait un temps superbe n'est ce pas? c'est dans ce genre de situation que l'on regrette de ne pas travailler dehors".

Elle pensa qu'à cette période là, c'était la récolte des pommes que l"on laisserait flétrir. Elle imagina les petits paysans vaquer à leurs activités et les vastes champs maraichers avec leurs arbres chargés de fruits juteux.

Mais l'heure n'etait pas à la rêverie. Tout autour d'elle s'élevait le château de Diantra, citadelle imprenable s'il en était et qui imposait sa puissance à quiconque le pénétrait. Elle était ravie d'avoir fait le chemin pour saluer le roi et lui signifier sa venue.

Banalités pour amorcer une conversation plus protocolaire. Mais après tout, pourquoi cela aurait-il du être strictement politique? Il pouvait bien mener cette entrevue de façon moins guindée et plus conviviale si le cœur lui en disait. La jeune Eulalie de Merval ne se le permettrait pas, mais n'avait-il pas tous les droits? Elle répondit que le voyage avait été fort agréable, avant de finalement, parler du temps qu'il faisait. Un mince sourire se dessina sur le visage sévère du roi qui acquiesça :

- "Il semblerait qu'après avoir été voilé si longtemps, le soleil ai décidé de se montrer et de nous accorder ses bienfaits plus tardivement... Nos récoltes ayant souffert de cette nuit divine, nous ne pouvons que louer cette arrière saison clémente, n'est-ce pas?"

Il se leva pourtant, alors que Thibault s'avançait, offrant son bras au monarque afin qu'il descende rejoindre la jeune baronne. Arrivé devant elle, il lui tendit le bras, un sourire aimable aux lèvres :

- "Seriez-vous de ces femmes qui apprécient le grand air Dame? A défaut de travailler dehors, je peux toutefois vous offrir de profiter de ce temps en ma compagnie, dans les jardins du palais. Ils sont de toute beauté."

Certaines dames fuyaient la lumière du soleil comme la peste, conservant ainsi un teint de lait. La baronne n'était peut-être pas de celles-là. Trystan avait toujours été plus enclin à se montrer plus chaleureux avec les femmes qu'avec les hommes. Il avait le contact facile avec elles en règle générale. Il était bien fait de sa personne, riche et puissant, ce qui faisait tourner bien des têtes. Il n'ignorait pas que beaucoup convoitaient sa couche et qu'autant regrettaient qu'il n'ai nulle maîtresse à satisfaire. C'était un fait assez rare pour être souligné, mais il n'avait pas besoin d'une autre femme pour le contenter que la reine. Si sa mère, la duchesse d'Erac, avait été assez frivole, l'homme qu'il l'avait élevé lui avait inculqué de solides notions d'honneur et de devoirs. Deux éducations se disputaient souvent en lui, mais galant et charmant, il savait l'être. Il savait aussi que cela ne manquerait pas de faire jaser, mais il n'en avait cure. On pouvait bien raconter demain que le roi avait jeté son dévolu sur la jeune et ravissante baronne de Merval, qu'il avait couché avec, il était habitué à ce genre de ragots et ne s'en formalisait plus.

- "Comment se porte Merval? Et sa ravissante baronne?"

Aveugle, mais pas sourd. Pas besoin de voir pour savoir que la donzelle était fine comme un roseau et bien plus appétissante que son aïeule. Ce qui n'était pas bien difficile, c'était vrai. Mais Merval avait enfin une dame au joli minois à sa tête. Jolie et, d'après ce qu'il avait entendu dire, assez fine concernant la politique. Pour ne rien gâcher. Il aimait les femmes de pouvoir, qui ne se laissaient pas piétiner par leur condition de femmes et devaient fournir deux fois plus d'efforts que les hommes pour assurer leur légitimité. Il les appréciait et s'en méfiait.