Convoqué... [ Dyarque, Elycia ]

Ça avait une journée des plus classiques. Tout s'était déroulé le plus normalement du monde sous le ciel grisonnant d'automne. A ce qu'il semblait le duc avait lancé quelques projets sur le Duché. S'en résulta une certaine agitation : conseillers et riches amis du Duc circulaient en tout sens pour discuter de choses ou d'autres et mettre en place les affaires importantes. Le Duc Garnat apparaissait de temps à autre pour lancer quelques instructions ou répondre à des questions.
Moi, j'avais eu ma journée libre comme tout mes hommes, récemment sélectionnés pour m'accompagner. J'en profitais donc pour entraîner ceux qui le voulaient bien. Nous avions donc travaillé diverses techniques telles que "l'épée sans maître". Méthode considérée par certains comme une fantaisie mais qu'il est toujours utile d'avoir étudié.
Bref, une journée un peu mouvementée mais tout à fait classique. Ce genre de journées sous le ciel gris d'automne qui vous donnent l'impression de ne pas avoir fait tout ce que vous vouliez faire quand elle arrive à son terme. Ainsi, quand tout le monde se mit en marche pour rentrer chez soi après cette journée tout à fait commune, le soleil déjà presque couchant perça enfin les nuages gris, et au château, on se rendit soudainement compte qu'aujourd'hui, journée tout à fait commune, Jiriad Garnat, Duc de Daranovar, était introuvable.
La journée un peu mouvementée mais tout à fait classique succéda donc à une soirée paniquée et peu commune.
J'utilisai mes pouvoirs d'urgence pour tenter de faire rentrer les choses dans l'ordre. J'envoyais des troupes faire des recherches dans le Duché, et demandais ensuite aux Comtés et Baronnies adjacents de faire de même.
Quelques jours passèrent et on ne trouva aucune trace du Duc. On dut donc se résoudre à "l'enterrer" et sa succession fut vite annoncée. Les Lanthaloran, des gens très conservateurs à ce qu'on m'a dit. C'est eux qui prennent la tête, et, il semblerait que j'ai agit trop précipitamment en lançant les recherches puisque le groupe des rôdeurs, sensé agir dans le secret sinon dans la discrétion, soit désormais plus connu qu'il ne devrait l'être.
Quoiqu'il en soit j'ai dû susciter la curiosité des Lanthaloran car ils m'ont convoqué. Ce n'est pas vraiment un mal puisqu'après tout, maintenant que le Duché change de tête il faut bien que je sache où je vais. Néanmoins cette situation a de quoi m'angoisser. Je ne le laisse pas voir bien entendu. Je suis résolument calme, je me sers de mon stress pour rester alerte. Je n'ai pas intérêt à rater cette entrevue.

On m'annonce, on me fait entrer. Je jette un rapide coup d'oeil aux duc et à la duchesse, ils sont comme on me les a décrits : Dyarque de Lanthaloran, un visage fermé et dur ; Elycia de Lanthaloran, une elfe plutôt élégante.
La froideur du Duc n'a vraiment pas de quoi encourager, l'élégance du la Duchesse à côté de lui nuance cette impression mais il n'y a pas à dire, cela rebute.
Allez, il faut y aller, je les salue donc respectueusement.

-Madame la Duchesse, monsieur le Duc. Vous m'avez fait convoquer.

C’était par le plus pur des hasards qu’Elycia avait trouvé des documents concernant le groupe de rôdeur servant sous le règne de son disparu cousin Jiriad. En faisant le ménage dans ses papiers, elle était tombée sur quelques notes et documents les concernant, dont le nom de celui qui les dirigeait, ce qui avait piqué sa curiosité. Après tout, si ce groupe plus ou moins secret oeuvrait au service de la famille ducale, elle devrait tôt ou tard se charger de rencontrer ne serais-ce que leur chef. La duchesse nouvellement nommée avait alors chargé un messager de prévenir Tauril de la maison de Valelil qu’il était convié à une rencontre afin de discuter de sa position.

Ainsi donc, le rôdeur se présenta en temps et en heure devant elle et Dyarque. Ce que souhaitait surtout connaître Elycia, c’était où allait sa loyauté. On disait l’elfe très proche de son prédécesseur. Or, les tensions qui avaient séparés leur deux familles avaient longtemps fait quelques étincelles, en plus de alignement respectif. D’un côté, les Lanthaloran et ceux qui croyaient que l’ouverture sur les autres pays étaient un grand mal et, de l’autre, les Garnat et ceux qui s’alliaient volontiers aux différentes races du continent. Où se rangerait le jeune homme se tenant devant elle? Il n’était nullement question de le juger sur ses croyances et idéaux. Si s’allier aux humains étaient nécessaire à ses yeux, Elycia pourrait toujours l’inviter à choisir un autre employeur correspondant plus à ses attentes sans lui en tenir rigueur. Dans le cas contraire, et bien, ce serait pour le mieux. Toutefois, cela, elle ne pourrait le savoir qu’après s’être entretenu avec lui face à face.

Ce fut Dyarque qui parla le premier, saluant Tauril sans déroger à son habitude. Sa femme ne put qu’être peinée pour le jeune elfe, qui ne devait pas avoir côtoyer beaucoup d’homme comme lui au long de sa courte vie. Quoiqu’il en soit, elle le salua à son tour, lui souriant gentiment afin de contrebalancer la froideur de son époux.

- Pardonnez notre soudaine demande, mais nous pensions qu’il était important de nous puissions discuter de votre situation à vous et les hommes que vous commandez.

Le menton haut, elle semblait fière et calme, prête à tout, même l’impossible. Son sourire soulignait son air serein. Contraste saisissant entre les époux. Ne dit-on pas que les contraires s’attirent? Quoiqu’il en soit, ces quelques mots prononcés, Dyarque se leva et lui offrit presque aussitôt son bras. Elle n’avait nullement besoin d’aide, mais appréciait grandement le geste à sa juste valeur : l’une des marques d’affection de son aimé lui témoignait et qui restait presque imperceptible aux yeux des étrangers à ce spectacle depuis longtemps routinier, mais jamais mal accueilli. D’ailleurs, les traits de la duchesse se firent tendres, son regard, amoureux, lorsqu’il croisa celui de Dyarque. Elle retrouva son sourire chaleureux du départ.

Elle hocha la tête en signe d’accord lorsque son mari proposa à Tauril de faire l’entretien d’une manière plus intime. Certes, son éternel inquiétude au sujet de la santé de Dyarque la préoccupait encore à cet instant, mais si elle voyait qu’il se sentait faible, proposer quelque chose à manger ou même de s’asseoir pour un moment ne paraître pas impoli ou malvenue. Et même si cela n’arrivait pas, ce serait toujours une excellente idée. Il est toujours plus agréable de discuter dans la tranquillité autour de fruits frais que l’un debout et les autres assis. C’était si... Humain.

- Ce serait en effet regrettable de vous laisser ainsi. Profitez de notre hospitalité, il fait toujours bien mieux de parler d’égal à égal. (Elle se tourna vers Dyarque.) N’est-ce pas?

Tout comme son mari, il n’y avait aucun sous-entendu, aucune manigance ou test. Si Elycia souhaitait savoir quelque chose, elle lui demanderait directement et non de manière détournée. La réponse serait plus franche et il n’y aurait pas de fioritures et de faux-semblants. Ils n’étaient pas là pour faire le procès de Tauril, simplement s’enquérir de son actuel travaille et de ses projets d’avenir.

-Je vous suis avec plaisir. Il sera bien plus commode de discuter de tout cela de manière détendue.

Oui, ça serait beaucoup mieux. Je ne suis pas du genre à m'angoisser mais ce genre d'audiences n'a rien pour me rassurer.
Le Duc avait mentionné mes origines. J'avais toujours pensé qu'il ne serait pas évident de travailler dans le discrétion que l'ancien Duc Garnat me demandait avec un tel nom. Non pas qu'il soit un poids, mais j'ai aujourd'hui l'étrange impression qu'il me trahit.
Mais revenons à l'essentiel. Visiblement ils ne semblent pas disposés à m'assaillir des subtilités de la politique (ce qui m'arrange puisque je n'ai jamais vraiment été éduqué que pour le militaire), apparemment ils préfèrent simplement me parler... entre amis ? Non ! Le mot est bien mal choisi, disons simplement qu'ils n'ont pas l'intention d'essayer de me piéger. Ce ne sont pas des manières elfes il faut bien le dire.
Pourtant même si le Duc semble conciliant et sa femme accueillant, on m'a raconté tant de choses sur la fermeté des Lanthaloran que je ne saurait baisser ma garde si rapidement.
Enfin, la Duchesse avait soulevé un point important, à l'heure qu'il est je n'ai plus de travail. Et c'est pour cela que je suis là aujourd'hui.

-Vous avez raison Madame. Il faut clarifier les choses.

Je réfléchis un moment. Devrais-je engager la conversation d'avantage ? Ah ! J'ai toujours eu du mal avec les manières de la noblesse. J'hésite toujours jusqu'à la manière dont je dois appeler le Duc et la Duchesse !
Bref, je les suivis, tournant sur moi même dans un léger bruissement de ma cape de voyage vert fonce, attachée au col par une épingle à l'insigne de ma famille.
Je méditais encore en me mettant à avancer. Chaque pas apportait une question que j'aurais pu poser, mais je trouvais à chaque fois que c'était aller trop vite en affaires.
Tant pis, il serait mieux de laisser les Lanthaloran commencer. Après tout ils devaient déjà savoir ce qu'ils attendent de moi.
Sur quoi allaient-ils m'interroger ? Sur mon niveau d'implication auprès du Duc ? De ce côté là c'est assez simple, je connais des détails que même le conseiller militaire de l'époque ignorait. Maintenant que j'y pense cela m'apporte un élément de secours pour la discussion. Élément sans doute assez sensible mais plutôt décisif.
Évidemment ce qui risquait de les déranger c'était notre travail presque au secret. Il n'est pas très elfe d'avoir recours à des méthodes que l'on pourrait qualifier de fourbes. Surtout quand cela va jusqu'à ce que je peux leur révéler. Après tout les Lanthaloran étaient réputés pour être très conservateurs, je doute qu'ils apprécient ce genre de méthodes.
J'essayai à nouveau de lancer la discussion, mais mon regard croisa le visage froid du Duc qui m'arrêta dans mon élan.

-Ainsi donc, risquai-je finalement, de quoi souhaitiez-vous m'entretenir précisément ? Peut-être... conviendrait-il que je m'explique sur les fonctions des rôdeurs du Duc Garnat ?

Ainsi donc, tous avait adopté l’idée d’aller marcher plutôt que de rester là. Une bonne chose. Si beaucoup préférait s’asseoir, Elycia aimait davantage bouger, ne pas rester inactive. Même une conversation pesante et tendue pouvait alors devenir quelque chose d’agréable. L’activité physique permet alors de se concentrer et ainsi oublier le stress en évitant de penser trop loin. Quoique marcher n’était pas vraiment difficile ni très demandant. Il faudrait songer à changer la façon d’arranger les réunions de sorte à les faire en marchant, ce serait accommodant et beaucoup moins amusant.
Comme si c’était possible!

- Malheureusement, ajouta la duchesse au commentaire de son mari, je ne peux que déplorer l’utilité uniquement militaire du château et ses dorures superflues. Deux choses qui m’ont toujours déplus de cet endroit. (Un petit sourire amer se dessina sur les lèvres le temps d’une seconde.) J’ai toujours pensé que les richesses entreposées entre ces murs pouvaient servir à bien plus que de simples décorations vouées à se ternir. Cependant, ce n’est pas le sujet de notre conversation, alors ne nous y attardons pas plus que nécessaire.

Ses lèvres affichaient de nouveau un sourire chaleureux et accueillant. Elycia, son bras passé autour de celui de Dyarque. Toutefois, elle ne se soutenait nullement sur celui-ci. Le dos droit, le menton haut et les traits fiers, quoique serein, la duchesse dégageait cette aura de confiance absolue et de calme détermination qui impose le respect. Son autre main se posa sur le bras de son époux et Elycia se cala à sa marche. Dyarque était elfe à prendre tout son temps et, surtout, à ne pas se presser inutilement. Quant à elle, même si se presser n’étant pas vraiment dans ses habitudes, elle bougeait, marchait, beaucoup plus rapidement. C’était comme adopter deux temps différents. Un pour Dyarque et un sans Dyarque.

Alors que le trio s’aventurait dans les longs couloirs du château de Daranovar, Elycia ne put que remarquer les hésitations de leur invité. Chose compréhensible, quoique inutile. Il n’y avait pas de soucis à se faire au sujet d’une quelconque offense temps qu’il s’expliquait correctement, si c’était ce que le jeune homme craignait. Quoique, peut-être étais-ce à cause de Dyarque. Son manque d’expressivité avait tendance à faire rebuter même les plus téméraires, même si cela n’était pas ses intentions, uniquement sa façon d’être. Il y avait longtemps qu’Elycia l’avait compris. Ce qui n’était malheureusement pas le cas de tous et chacun.

La duchesse resta muette, attendant que Tauril prenne la parole. Une façon de le tester? Peut-être, peut-être pas. Elle même n’en était pas réellement sûre. Mais le jeune rôdeur semblait vouloir prendre la parole sans en trouver le courage. Si elle l’interrogeait la première et lui enlevait l’occasion de prendre l’initiative, cela deviendrait une mauvaise habitude. Par lui-même, il trouverait beaucoup plus vite l’assurance nécessaire à prendre la parole, malgré leur rang respectif. Après tout, c’était chose bien superficielle. Cela ne valait pas la peine de se mettre dans tous ses états pour si peu.

Lorsque le jeune Tauril se décida finalement à parler, Elycia l’écouta sans l’interrompre, arquant tout de même un sourcil. Oui. Il faudrait parler des rôdeurs. Si Jiriad avait trouver une utilité spéciale à ce groupe d’elfes, Elycia tenait tout de même à en discuter avec leur chef afin de juger elle-même de la pertinence d’un tel groupe financier par le coffre ducal. Si son prédécesseur avait laisser quelques notes et explication sur ces derniers, elles étaient brèves et laissaient beaucoup de points sombres. Quelques précisions ne feraient pas de tords. Elle prit la parole après que Dyarque eut lui-même parlé :

- Effectivement. Nous voudrions en apprendre plus sur le groupe que vous dirigez avant de prendre toutes décisions à leur égard. Vous comprendrez que, bien que nous soyons les successeurs à la direction du duché, nous ne partageons que peu des idéaux des Garnat. C’est à vous, par la suite, de faire votre choix quant à votre propre future. Cependant, ne prenez pas cela comme un moyen de pression quelconque. Nous désirons simplement être franc envers vous.

Et c’était vrai.

Le Duc était un véritable bloc de glace, une glace que sa femme seule semblait pouvoir faire fondre.
En cela l'attitude de Dyarque de Lanthaloran avait quelque chose de touchant.
Mais cessons ces considérations je dois maintenant improviser un exposé sur les rôdeurs du Duc Garnat. Enfin, improviser n'est pas le mot puisque j'ai étudié le sujet sous tous les angles avant d'arriver, je m'accorde néanmoins un léger temps de réflexion avant de commencer.

-Et bien, entamais-je, Jiriad Garnat a créé son groupe de rôdeurs dans l'idée de bénéficier d'un groupe d'action pouvant, pour ainsi dire, passer là où l'armée régulière resterait bloquée. Nous ne sommes pas une force secrète mais plutôt une force discrète.
Nous passons la majeure partie de notre temps au contact de la population, ou à prendre des nouvelles de tout le duché, ceci pour conserver une certaine stabilité.
Nos fonctions sont en fait assez diverses, cela va du message diplomatique à la frappe militaire tactique en passant par la mission de reconnaissance. Sans compter que je suis informé de la plupart des affaires politiques du Duché, y compris de certains détails que beaucoup de gens ignorent.
Les yeux et la main du duc en somme.

Je marquai une légère pause pour réfléchir à la suite de mon exposé. En fait, il était assez étrange de se rendre compte à quel point mon poste est important.

-En fin de compte, repris-je, Nous reflétons assez bien l'évolution des rôdeurs d'aujourd'hui, nos capacités ne sont plus vraiment employées que dans les intérêts personnels des plus puissants.
Bien sûr nous avons toujours ce rôle de "passerelle" entre les villes et la nature, mais c'est aujourd'hui plus de l'ordre de l'initiative personnelle. Notre rôle requiert d'avantage d'art de combat et de talent politique que de connaissances botaniques ou de communion avec la forêt.
La noblesse n'écoute pas la nature.

C'était sans doute un portrait bien pessimiste que je dressai là, mais après tout la Duchesse semblait attendre une discussion franche.

Bien, j'avais vaguement résumé nos fonctions. Du moins je pense avoir évoqué l'essentiel. Il va maintenant falloir statuer sur la suite des choses, comme l'a si justement rappelé le Duc d'un ton glacial.
La politique m'a appris à empêcher le moindre battement haussement de sourcil révélateur, mais malgré le calme parfait de mon visage il est certain que l'éclat même de mon regard trahit mon angoisse.

Les commentaires du Duc se passent de réponses tant leur vérité s'impose d'elle même.
Une vérité cruelle qui me donne l'occasion de réfléchir.
Nous autres, rôdeurs, nous devons de servir notre peuple autant que la nature. Mais si ce peuple s'éloigne de la nature que devons nous faire ?

"Nous avons changé, les rôdeurs ont changé, autant faire avec."
Au fond c'est vrai, les rôdeurs ne sont guère plus que des soldats avec un statut particulier. Dois-je pour autant m'y résigner ? Dois-je cesser de rêver à ces contes d'un passé plus accueillant ?
Dyarque est troublant. Milles années d'expériences disent à un jeune centenaire d'abandonner ses rêves d'enfant. Que dois-je penser ?
Je suis bien jeune, je m'en rends clairement compte à présent. Je suis jeune et éternel, et pourtant je me sens déjà dépassé par le temps.
Alonna m'aura finalement ouvert les yeux. Tout change, tout a déjà changé. Nos forêts, nos villes, nos demeures ne sont pas inviolables, loin de là. Rien ne saurait durer éternellement. Moi même, comme tout elfe je suis promis à l'éternité, et pourtant je sais que le moindre faux pas me la fera perdre. Je ne serai donc pas un des fabuleux rôdeurs dont je descend, je ne serai pas un des fantastiques guerriers en totale communion avec la nature dont mon père me contait les histoires. Je ne suis qu'un soldat à la botte de puissants personnages, tout juste doté de quelques pouvoirs hiérarchiques particuliers. Dois-je me résoudre à cette facilité ? Au fond c'est vrai, le Duc a bel et bien raison, il faut savoir vivre avec son temps. Mais que certaines vérités sont dures à accepter !

Je ne dis rien. Je fais quelques pas dans les jardins. Ceux-ci ont d'ailleurs beaucoup à envier à Anaëh. Involontairement je ramène toujours mon regard à cette forêt qui couvre une partie du paysage.
Le soleil étire ses rayons à travers les branchages du jardin. Je laisse ces doigts de pénétrants envahir mon corps d'une chaleur dont il semblerait que j'ai besoin. L'air chaud chasse un instant les questions compliquées, il y a des moments où j'aimerais pouvoir ne penser à rien.
Ah ! Chez nous un elfe est considéré adulte à partir de 120 ans, l'âge de raison comme on dit. Il semblerait pourtant que ce ne soit qu'à 143 ans que je commence vraiment à me sentir changé.
Je ne dis rien, et pourtant mon visage dit clairement que j'ai compris les paroles du Duc, ou tout du moins que j'en ai tiré mes propres leçons.

Mais voilà que viens la première question. Oh ! Elle est simple en effet, mais aussi des plus rudes.
Je ne connais les Lanthaloran que de réputation, tout comme je ne connaissais Jiriad que de ce qu'on m'avait dit sur lui avant d'entrer à son service. Comment puis-je savoir si je pourrais leur accorder la même loyauté ?

- Si vous me le permettez monsieur, dis-je, je reformulerais votre question pour y répondre : A qui va ma loyauté ? A cela la réponse est plus simple : elle va à mon peuple, aux terres qui m'ont vu naître et grandir et que je veux servir et protéger. Pour y arriver je dois-donc servir ceux qui les dirigent.
Pour servir le peuple, servir ses dirigeants. C'est sans doute cette même logique utopiste qui a fait que les rôdeurs sont ce qu'ils sont maintenant. Fais-je bien de l'appliquer ?
- La seule confiance que je peux donc vous accorder est la même que n'importe quel elfe peut accorder à son Duc.
Kÿria ! J'ai peur d'aller trop loin. Et pourtant je ne fais que dire la vérité, la confiance que je leur accorde ne dépend que d'eux. Je leur impose donc d'être de bons seigneurs, et sinon quoi ? Sinon ils se débarrassent de moi ! Je n'ai aucun poids politique face à eux. Quoique... Je connais quelques informations plus ou moins sensibles, mais toute information peut être étouffée.
Allons, je m'affole pour rien. Et puis... j'ai au moins démontré que je les plaçais sur le même pied d'égalité que Jiriad. Je n'ai ni une confiance aveugle ni une opposition catégorique, je suis parfaitement neutre et il faut espérer qu'on me reconnaisse au moins cette qualité.
Le Duc me l'a dit, j'ai jugé sans connaître. Et bien je ne ferais pas la même erreur, j'attendrais de voir les Lanthaloran à l'œuvre pour juger s'ils sont dignes de confiance. Après tout il s'agit de Daranovar, les terres de mon enfance, je ne peux pas décider trop hâtivement.


[PS : ne soyez pas perturbés si vous voyez des trucs qui sont pas dits dans ma fiche (genre mon âge) je ne fais qu'introduire des éléments de ma future fiche. ]

Loin de se détourner de la conversation, Elycia laissait plutôt à son époux le soin de répondre de poser les questions. ( Chose rare, de le voir aligner autant de mots et de phrases en un si court laps de temps. Autant en profiter, même si ce n'ait pas vraiment celui qu'elle aurait choisi... ) Ainsi donc, la duchesse, non sans se départir de son sourire, écouta légèrement en retrait, mais toujours bien présente. Habituellement, c'était plutôt le contraire, Dyarque regardait et elle parlait. Dans ce cas, il avait prit l'initiative. La majorité de leurs congénères étaient d'ailleurs intimité lorsque cela arrivait. Dyarque ne pouvait qu'avoir de bonnes, très bonnes, raisons pour sortir ainsi de son mutisme. N'est-ce pas? Malgré tout, Elycia ne put que trouver la chose amusante, et peinante pour le jeune Tauril. De bien plus vieux elfes auraient probablement eut peur de l'attitude presque fonceuse de son mari.

Ainsi donc, dans son écoute silencieuse, Elycia analysait les paroles de Tauril. Était-il sincère? Il en avait l'air. Et pourquoi ne pas croire en sa sincérité? C'aurait été injuste de sa part. Probablement, lorsque l'entretien serait fini, Dyarque et elle en parlerait plus en détails, mais pour le moment, le jeune rôdeur avait le bénéfice du doute, même si ce dernier allait dans les deux sens. Après tout, la duchesse avait vécue bien assez longtemps pour savoir qu'on ne peut voir entièrement blanc ou entièrement noir, encore moins lorsqu'il est question de ce genre de concept. Au bout d'un certain nombre de siècles, on apprend qu'il est toujours bon de n'accorder qu'une partie de sa confiance, sans toutefois se montrer ouvertement méfiant. Était-ce à force de voir le bien et le mal en ce monde? Les dieux soient remerciés qu'elle est perdue cette fougue aveugle qui caractérise les jeunes et les mortels, ainsi que les sombres.

La sagesse ne s'acquiert qu'avec l'expérience et le poids des ans. Malheureusement. Et ce, même pour eux.

Tout comme les deux hommes présents, Elycia se laissa aller à porter son regard aux alentours, elle qui avait jusqu'alors poser les yeux sur Tauril ou Dyarque, signe qu'elle écoutait et ne perdait pas un mot. Entre les murs de la forteresse de Daranovar, on ne pouvait nier les beauté des jardins, ni la magnificience des larges arbres qui y parcemait des reposants coin d'ombres. Cependant, à ses yeux, cela lui apparaissait comme... Comme quoi? L'image lui évoquait très certainement un oiseau en cage. Même si tout était magnifique, bien entretenu, admiré et chéri, rien n'était "sauvage". À l'état brut. Il y a de cela bien longtemps, on avait planté ces arbres et ces fleurs, créé ces étangs et tracé ces sentiers. Dans quel but? S'approprier la nature? Dyarque aurait probablement sourit à cette suite de pensée. D'habitude, c'était lui qui pensait à cela, pas elle. Cette vision était à la fois belle et triste. Tout comme l'oiseau en cage. Peu importe à quel point la cage est dorée, les barreaux restent, encore et toujours.

- Si je comprends bien, intervient-elle en reportant son attention sur Tauril, votre confiance ne dépend uniquement que de notre valeur en temps que protecteurs du duché. Que si nous nous montrons digne à vos yeux de mériter cette confiance. Suis-je dans l'erreur?

Son ton était léger. Il n'y avait aucun reproche, ni dans sa voix, ni dans ses gestes ou son expression. Une conclusion à l'analyse de ses paroles, c'était tout. Cependant, en tant que tel, il n'avait que reformulé la question pour éviter d'y répondre directement. C'était tout de même bien joué et assez bien dit. Si Dyarque et elle se montraient à la hauteur de ses attentions, alors il leur ferait confiance. Dans le cas contraire, elle ne pouvait prédire ses agissements, mais il serait probablement pousser à trouver un autre seigneur à qui louer ses services.

- Si tel est bien le cas, j'espère alors que nous pourrons vous convaincre qu'il n'est pas une erreur que de le faire. Mon époux et moi-même ne voulons que le bien d'Anaëh et ses habitants. Nous ferons notre possible pour que la confiance placé en nous ne soit pas injustifiée.

-Je ne connais pas beaucoup d'elfes qui ne désirent pas le bien des leurs, répondis-je d'un air de simple constatation lorsque la Duchesse m'assura de leur volonté d'être les dignes protecteurs de leur domaine, mais je ne doute pas que vous saurez mettre à profit tous les outils à votre disposition.
Une fois de plus je ne répondis pas directement, ou plutôt, j'avais fourni une réponse qui, je le pense, suffisait à tout englober.

C'est étrange, maintenant que j'y pense je connais sans doute mieux qu'eux ces fameux "outils", qu'il s'agisse des infrastructures du duché, de la répartition des postes de garde dans Anaëh, des organisations secrètes de Jiriad pour le contrôle des terres ou encore des spécialités de chaque artisan de la cité. Ainsi ce rôle de guide, inhérent au métier de rôdeur se prolonge jusqu'ici. En fin de compte ne suis-je pas moi même responsable de la qualité de la régence du Duc et de la Duchesse ?

J'interrompis mes pensées, remarquant que le Duc me scrutait, mes yeux croisèrent les siens mais je ne m'aventurai pas à soutenir ce regard de glace opaque. Toutefois je m'interrogeai d'être ainsi fixé.

Je reportai mon attention sur la discussion :
-En vérité, la bonne marche du duché dépend autant de vous que des personnes dont vous pouvez vous entourer. Il y a un certain nombre de choses que vous devrez savoir sur le duché pour le diriger efficacement.

Précipitais-je un peu trop les choses ? Sans doute pas tant que ça, mais je ne peux jamais m'empêcher de redouter d'être trop brusque, bien que les évènements m'aient plusieurs fois appris que c'était bien souvent inutile.

Le Duc ne disait plus rien, ce qui -en tout honnêteté- m'aiderait à me détendre, bien que ses mots soient souvent justes, je me sentais plus à l'aise avec la duchesse qu'avec son époux, chose peut étonnante si l'on croit ce que j'ai déjà entendu dire sur les Lanthaloran.

Un haussement de sourcil de la part de la duchesse. Cependant, elle ne coupa pas le jeune elfe devant elle. Elle ne se considérait pas arrogante, ni fermée d'esprit, mais il lui semblait que plus Tauril parlait, plus il surévaluait sa valeur. Oui, il avait été proche de Jiriad, oui, il avait été le dirigeant de ces rôdeurs, oui, il connaissait nombres de secret sur les affaires du duché, mais il semblait oublié sa position. Et elle n'aimât pas cela. Alors qu'il parlait d'outils, Elycia voyait plutôt cela comme une façon de sous-entendre son utilité. Ce qu'elle détestait ce genre de manigances, surtout de la part d'un être à peine sortit de l'enfance.

Toutfois, à l'exception de ce haussement de son arcade sourcilière, la duchesse ne fit rien d'autre pour faire sentir son début d'irritation ou son désaccord. Au contraire, elle hocha la tête en signe de compréhension et continua à sourire tout aussi joliment. Ne pas sous-estimer le pouvoir d'un sourire : lorsque votre interlocuteur croit que tout ce qu'il dit est gentiment prit par vous et que vous n'allez pas en sens contraire, il continue à donner le fond de sa pensée sans se méfier. Oh! Tauril ne disait rien de bien méchant. Elycia le trouvait simplement trop sûr de lui pour son rôle dans l'engrenage du duché et pour son âge. Il lui faudrait encore bien des années pour comprendre toutes les facettes de la société et la sagesse de les utiliser efficacement.

C'est pourquoi, lorsqu'elle prit la parole, la noble s'assura de ne mettre aucune brusquerie dans son ton, formulant le tout comme une question presque enfantine :

- Si je comprends bien, vous considérez que nous nous devons de connaître bien d'autres secrets de mon prédécesseur avant de pouvoir pleinement occuper nos fonctions et que, puisque vous étiez proche de lui, vous êtes le mieux placé pour le faire. Vous incluant alors dans notre entourage à la direction du duché étant la meilleure solution.

Il était fort probablement qu'il se rétracte et fasses beaucoup plus attention à ses paroles par la suite, déjà qu'il semblait peser lourdement ses dires auparavant, mais Elycia avait déjà son idée en tête, le reste de la conversation ferait pencher la balance que très peu d'un côté ou de l'autre désormais.

Certes, Jiriad était très "humains" dans sa façon d'agir, accumulant secrets par dessus secrets, mais des siècles de politique et l'accès aux papiers de l'ancien duc avait permis à Elycia d'en découvrir presque toutes les facettes. Après tout, un homme aussi peu consciencieux que son cousin, quoiqu'il fut bien plus jeune qu'elle, était facile à lire. Non, elle n'aurait pas besoin de Tauril, ni de ses rôdeurs, même si leur donner une petite place ne serait pas une mauvaise idée. Néanmoins, le jeune elfe en face d'elle ne convenait pas comme conseiller, ni comme informateur. L'ancien conseil de Lanthaloran ferait amplement l'affaire. Avec Dyarque, elle ne pouvait échouer à protéger le duché.