Siège d'Etherna ... Première étape d'une épique épopée

Un concert de cornes de guerre odélianne résonna sous les étendards qui flottaient mollement dans l’air givré du matin, au sommet du Fort du Bélier. L’ost odélian était magnifique. Les fiers piquiers d’Assar, reconnaissable à leur cimier bleu, brandissaient bien haut leurs bannière, alors que de larges formations de d’arbalétriers se rassemblaient près des cavaliers lourds. Tout un cirque de personnes non combattantes, mais essentiel au bon fonctionnement d’une armée, tel des barbiers, des fourrageurs ou encore quelques filles de mauvaise vie, s’était constitué près des faubourgs et n’attendait plus que le départ du comte et de la puissante armée qu’il levait depuis plusieurs semaines.

Gaucelm sortit du Fort du Bélier d’un pas assuré, son plan lui semblait bon, et il arborait un petit sourire ravi. Le Gras se mit en place sur un petit marche pied et fut hissé par un système de cordes et de poulies, et quelques serviteurs musclés qui activaient l’ascenceur. Une fois sur sa monture, Gaucelm lança un regard triomphal vers le sud, observant fièrement les quatres mangonneaux qu’il avait réussi à construire dès les premiers jours de la guerre civile. Le Gras fit alors sonner les cornes de guerre, et l’armée s’ébranla dans un concert de hourra et de cliquetis métalliques. La marche du Bélier venait de débuter, résolue, inarrêtable…

La première étape devait être Etherna. L’innocente baronnie, qui semblait bien loin des tumultes du siège de Diantra, allait connaître elle aussi un chapitre sombre en cet hiver maudit par les Cinq. La marche fut rapide à travers le plat pays d’Odélian, et après avoir passé Dens, la glorieuse armée odélianne posa un premier pied sur le sol d’Etherna.Douze milles hommes en armes franchirent la limite imaginaire et se dirigèrent vers la capitale de la baronnie, en fin de journée. Le Gras fit monter le camp à une demi lieue de la ville, qu’on devinait dans les ombres du crépuscule terne de l’hiver.

Les officiers hurlèrent les ordres et dans un brouhaha général, les combattants odélians défirent leur paquetage et commençèrent à monter les tentes, alors que d’autres s’attelaient à martyriser le bois situé à l’ouest du campement. La discipline odélianne ravissait Gaucelm qui poussa un énième gloussement de contentement, alors qu’il convoquait un scribe près à rédiger l’annonce que les messagers devaient porter partout dans la baronnie.

Sous la lueur branlante de deux larges bougies plantées sur une fourche, servant de bougeoirs de fortune, Gaucelm commença la dictée.

**************************************************

Gaucelm poussa un pouffement aigu, en affichant un visage des plus satifaits avant de se tourner vers le brave Fulbert, qui s’attelait déjà à la copie de la missive. Le Gras imprima le Bélier d’Odélian sur le rond de cire grisâtre, signant ainsi son discours. Les crieurs odélians partirent, six jeunes gaillards odélian, chacun portant le même discours,. Leur mission était simple, ils devaient parcourir la baronnie pendant 3 jours, tentant de rallier une milice ethernienne à travers ses mots enflammés. Le Gras observa ses fières estafettes s’éloignaient dans les dernières lueurs du jour, alors qu’il faisait préparer sa monture et une escorte. La petite grue, qui servait à déposer délicatement le fessier du comte sur sa selle, et qui évitait à de nombreux serviteurs de se briser le dos, fut mise en place et le Gras fut hissé. Il prit la tête d’un escadron de chevaliers de l’Ordre du Cygne et avança vers les murs de l’innocente cité.

La hampe de la bannière d’Odélian, tenu par Jehan de Rochefort, le fidèle bras droit du Bélier, était drapée de blanc, symbole dérisoire et hypocrite de paix. Gaucelm allait délivrer son discours sous les murs d’Etherna, fièrement campé sur ses étriers. Il fit sonner deux fois les cornes de guerre, annonçant son arrivée aux défenseurs qui se serraient derrière les murailles d’Etherna. Il attendit quelques minutes, préparant son entrée en scène magistrale, puis il prit une profonde inspiration avant de débuter sa vindicte implacable.

Peuple d’Etherna

En ces heures sombres, de luttes intestines et de chianlie, je m’adresse à vous, et vous prie d’écouter mes paroles.
Je viens à vous, avec de sombres nouvelles, qui ont, pourtant, réveillées en moi une noble détermination à faire éclater la vérité et à punir les fous qui se dressent contre le bien être du peuple humain. J’ai, avec moi, la preuve que les sombres murmures comploteurs hantent les couloirs du palais de Sainte Berthilde, que les événements du Langecin, tel la disparition tragique du défunt duc Arathor, souillent les murs, jadis immaculés du fief de cette noble famille, que l’attaque d’Oësgard, soutenue par les troupes du marquis, serait dans le but de former un état indépendant, ennemi du Roy, exactement comme les maudits insurgés qui mettent en péril Diantra. Comment peut-on tolérer cela ?! Qui peut tolérer cela ?! Pas moi en tous cas, ni aucuns des fiers odélians. Et je ne tolérerai pas, que l’infâmie règne à quelques heures des grasses et vertes plaines d’Odélian.

Je viens à vous, non pas en conquérant, mais en libérateur, en guide. Je viens à vous, pour que chacun prouve que les hommes du Nord ne sont pas tous des traîtres et des comploteurs, qu’ils sont fidèles et vaillants, et qu’ils ne se soumettent pas au Tyran.

Et ensemble, mes amis … Ensemble, nous purgerons la vermine qui ose corrompre les saintes terres du Roy, qui est responsable des tempêtes qui accablent l’ensemble du Royaume, et cette vermine a un nom … Aegar ! … Aegar le Vil !! … Aegar le Félon ! … Encore une fois, ensemble nous pourrions, non, nous DEVONS réagir et faire front. Comprenez que je ne suis pas l’ennemi, baissez vos armes et ouvrez moi les portes, car je me bats pour que la justice triomphe. Unissons nous !!

Je veux croire que les hommes des fières plaines etherniennes sont amplis de ce même sentiment de justice, mais si votre âme était déjà corrompu, c’est avec détermination que je vous soumettrais à son jugement.

SUS AUX REBELLES ! POUR LA JUSTICE ! POUR LE ROY !

Le Gras afficha un sourire triomphant alors qu’il reprenait le chemin de son campement de fortune. Il ne doutait pas qu’une réponse lui parviendrait sous peu, la seule qu’il tolèrerait d’ailleurs …

Douze mille hommes… Le sol grondait au passage de la masse humaine que représentait l’ost d’Odelian. Une avancée des plus pacifiques, si on excluait que cette armée n’avait rien à faire sur les terres qu’elle foulait. Au pacifisme relatif se mêlait donc la saveur âcre des ambitions expansionnistes. Le Gras Bélier, comme on le nommait parfois en ces plaines, n’avait pas une réputation de saint, loin de là. On le disait gourmand, glouton même, avide de victuailles comme de pouvoir. En fait, on disait bien des choses à son sujet… Si bien que beaucoup furent surpris, parmi les gardes qui l’observaient depuis les remparts, quand il commença son discours.

Depuis plusieurs semaines, des rumeurs inondaient la calme baronnie d’Etherna. On disait que le voisin du nord levait ses armées, sans jamais pouvoir donner avec certitude la raison de cette agitation. Partout, on s’agitait. Oesgard et Serramire se regardaient en chiens de faïence, et quelques barons comme Aemon d’Ancenis ou Semoras d’Olyssea se mobilisaient eux aussi. La peur au ventre, ils avaient fait de même, à une vitesse bien moindre… Se défendre sans donner l’impression de menace, faire comprendre à leurs voisins qu’ils n’avaient aucune envie de se lancer sur les voies guerrières. Ils pensaient avoir réussi.

Mais la folie des hommes semblait n’avoir pour limite que leurs ambitions démesurées et leur imagination débordante. Et le Bélier flottait désormais haut face au rempart d’Etherna. Avec, derrière lui, une horde de fidèles écoutant passionnément leur guide. Et pour cause, le discours de Gaucelm d’Odelian était inspiré. Il prouvait à la face du monde qu’il n’était pas qu’un noble oisif et glouton mais aussi un orateur de génie, car même s’il n’était pas à l’origine des mots qui sortaient de sa bouche - l'histoire ne le disait pas - il n’en restait pas moins qu’il leur donnait une dimension unique. Les gardes se regardaient, indécis, on murmurait que peut-être il n’avait pas tord… Beaucoup n’habitaient pas dans une ville qui n’avait pas pour habitude d’accueillir autant d’hommes d’armes en son sein. Sept mille soldats assuraient la sécurité de la baronne.

Mais s’il avait pour lui une assurance rare, il avait surtout une armée pour démentir ses propos. Des hommes armés jusqu’aux dents, qui n’avait rien de preux chevaliers libérateurs. Si bien que, quand l’armée s’en fut retournée à son camp, on fit rédiger une missive à la destination de l’envahisseur.

« Au comte d’Odelian.

Nous avons pesé vos mots avec attention, sire, et tâché de trouver la meilleure voie pour notre bon peuple d’Etherna. Nous mentirions en affirmant que vous n’avez pas trouvé écho en nos cœurs. Nous vivons dans une époque troublée, où le respect d’une monarchie séculaire se perd.

Pour autant, nous ne sommes pas prêts à marcher avec vous contre les infamies qui secouent notre civilisation. Si, vraiment, vos intentions sont aussi louables que l’indiquent vos paroles, alors passez en paix et rejoignez Sainte Berthilde, car là bas se trouve votre combat. Là bas, et non ici…

Mais Etherna restera souveraine de ses Terres, maintenant et à jamais. »

Douce nuit d’hiver étoilée qui étendait innocemment son manteau sur les plaines paisibles d’Etherna, inconsciente des sombres événements qui avait lieu sous elle. Un cavalier surgissant hors de la nuit, brandissant sa torche, gagnait peu à peu le campement d’Odélian. Gaucelm fut tiré de sa somnolence par un jeune serviteur, qui brava l’odeur musquée qui émanait de son comte. Le Gras sortit de sa tente, les yeux clipant encore de fatigue et se saisit de la missive, la décachetant d’un geste vif et la lisant rapidement. La main épaisse se crispa autour du parchemin qui se froissa en une seconde. Le comte soupira profondemment, et retourna sous sa tente sans dire un mot. Il fit un petit signe de tête aux gardes, qui resserrèrent les rangs autour du messager, ne le laissant pas sortir sans l’approbation de Gaucelm.

Un concile s’improvisa entre Gaucelm et ses vassaux. Les officiers, tous de vieux briscards aguerris, rejoignirent rapidement le Bélier. Il y avait bien entendu Jehan de Rochefort, son fidèle bras droit et seigneur d’Assar, mais également, Foulques de Prademont, seigneur des provinces nords du comté et chef de l’Ordre du Cygne, ainsi que Géraud de Dens, cousin du comte et qui commanderait une compagnie lors de la bataille. Le Gras prit la parole en exposant la missive.

Cette réponse de pleutre sied bien à ces gens. Ils résistent, alors nous attaquerons. On ne pourra pas dire que mon offre n’était pas généreuse … Jehan, mon bon, la carte.

Le vieux seigneur à la moustache parfaite déploya une carte d’Etherna et de ses environs sur la table en bois légèrement vermoulue qui s’étalait dans la tente du Comte. Il posa une petite pierre sur chaque coin du parchemin et expliqua son point de vue sur l’approche a adopter sur la ville.

Je propose une attaque par le nord, ça reste le chemin le plus direct, bien sur nous couvrirons tout de l’est à l’ouest. Un tir continu de nos mangonneaux devrait avoir raison de leur faible muraille …

Commençons par des feux grégeois, obligeons les à sortir de leur terrier…

Foulques et Géraud acquiescèrent, ainsi que Jehan, qui ne put retenir un sourire malsain devant l’idée du Gras. Foulques prit alors la parole.

Et si nous tentions l’attaque par l’est ? Avec le soleil dans le dos, nous avons un nouvel avantage !

Gaucelm écoutait l’argument du noble chevalier avec attention. Il se gratta le double menton alors qu’il repensait à la topographie du terrain qu’il avait rapidement étudié en revenant de son magnifique discours. Il tenta de se rappeler de chaque créneau et de chaque tour qui ornait la muraille, ainsi que du moindre bosquet qui sortait du sol. Les deux idées avaient du charme et des avantages, mais le Gras se devait de trancher, cet imbécile de Géraud se contentait d’écouter et n’apportait rien au débat. Il ne devait sa seule présence qu’à l’insistance de sa mère, il faut l’avouer ; même si il était plutôt doué une épée à la main, il se révélait un bien piètre meneur d’hommes. Le Gras trancha … dans le vif.

Mes amis, je choisis les deux plans …

L’assemblée échangea des regards incrédules, Jehan arquant même un sourcil dubitatif, alors que Gaucelm reprit, après un petit gloussement dont il a le secret.

L’est à l’avantage du Levant, mais est plus fortifié … Le nord est le chemin le plus court, mais nous y serons attendu … Nous sommes largement supérieurs en nombre, nous pouvons risquer un étirement de la ligne. Gardons une réserve plus importante au nord, au cas où le reste de l’armée d’Etherna garde le cap de sa Baronne rebelle. L’artillerie, quand à elle, se déploiera dans cet axe nord est, protégé sur les deux flancs. La ville m’a semblé peu fourni en artillerie défensive, je pense que nous pouvons débuter le bombardement aux premières lueurs du jour et poursuivre cette tactique pour les forcer à réagir … Un tir toutes les quinze minutes me semble être un bon début, les catapultaires doivent en être informés rapidement. Pour la cavalerie, mon bon Foulques, vous commanderez le flanc ouest, prêt à intercepter d’éventuels renforts ou en cas de sortie des etherniens, vous occuperez une position sur le flanc idéale. Jehan, à vous l’est, j’ai toute confiance en vos hardis Assarois, mais restez prudents. Je commanderai le centre … Ah oui, Géraud … Hmm … Vous serez sous les ordres de ce bon Jehan … Bien … Messieurs, nous entrons en guerre … Dormez en paix.

Les seigneurs quittèrent la tente du comte, après un bref salut militaire. Jehan informa les catapultaires des positions à prendre, alors que Foulques prenait le chemin de sa tente, réfléchissant déjà au déroulement de la future bataille, suivi de près par Géraud. Le Gras s’accorda alors un repos qu’il pensait des plus mérités.

*********************************************************

Une faible lueur jaunâtre apparaissait derrière le voile de la nuit qui se déchirait peu à peu, alors que une bise hivernale venait mordre la face rougeaude du Comte. L’armée odélianne se mit en branle avec célérité, gagnant ses positions à travers la plaine blanchie par les affres de l’hiver sous le doux son du tintement des plates entre elles. Un soleil blafard inonda la plaine de ses rayons, alors que l’armée du Bélier tenait sa position. Gaucelm fit venir le messager ethernien, tremblotant de peur devant le déploiement de puissance du comte. Le pauvre gueux devait trempé ses braies ridicules et difformes, idée cocasse qui fit pouffer Gaucelm, alors que le jeune homme se tenait devant le regard de rapace du Comte, triomphant sur son destrier au milieu de la masse des fiers guerriers odélians. Il arqua un sourcil devant la gueusaille fébrile, puis il s’adressa à lui en souriant.

Je vous laisse repartir, mon bon

Le gueux n’eu pas le temps de pousser un soupir de soulagement, qu’il était enserré par les hallebardiers l’entourant, ficelé comme un vulgaire saucisson et tiré hors de la vue de Gaucelm. Le Gras se redressa sur sa selle et entama un petit discours.

Fiers enfants d’Odélian

Voyez … Voyez où la folie des hommes peut mener …

Face à nous, se dresse une ville de pleutres et de traitres ! Dans ma bonté, j’ai voulu croire que nos voisins se rallieraient à nous, épris de la même justice qui nous anime. Mais non ! NON ! La fourberie d’Aegar a déjà gagné la tranquille baronnie d’Etherna, et sa vile baronne sert déjà les intérêts du Félon. Mais les hommes d’Odélian ne laisseront pas faire ! … Car notre peuple est fier, est fort et est juste !! … Car nous sommes le bras de la Justice !!! … Nous ne pouvons faillir mes amis.

Puisque seules les armes peuvent résoudre cette épopée, resignons nous … ET MONTRONS A SES PALTOQUETS DE COUARDS, LA RESOLUTION D’ODELIAN!!!!

POUR LA JUSTICE ! POUR ODELIAN !

LE BELIER FLOTTERA HAUT !

Un beuglement grave s’éleva des troupes odéliannes en réponse au discours enflammé de leur chef. Comme pour sceller les paroles du Gras, un premier projectile s’écrasa contre la muraille de la ville, libérant des flammes mortelles en explosant. De nouveaux vivats fusèrent depuis les rangs des piquiers et les cornes de guerre poussèrent leur barrissement si reconnaissable. Un second tir fusa au-dessus des piques odéliannes, mais il semblait avoir deux projectiles cette fois. Le premier, le feu grégeois, retomba juste derrière la muraille, alors que le deuxième, plus léger, virevolta avant de s’écraser dans une rue désertée de la ville. La carcasse démembrée du messager noyait les pavés de sang alors qu’épinglait sur sa chemise, on pouvait lire une étrange missive.

Citation :

Si vous n’êtes pas avec moi, vous êtes contre moi …

Alors que le Gras scrutait la ville assiègée, il se mit à glousser et ne put s’empêcher de s’exclamer.

Je lui avais dit que je le renvoyais dans sa ville

La traîtrise annonçait son glaive sous la lente marche mortuaire du temps. Et voilà que la nuit le recouvrait, et que les dieux fous croyaient en la bonté de cet acte barbare. Les osts D’Odelian suivaient leur marche impeccable, et de l’autre coté du rempart, on guettait. La paranoïa avait gagné le sang des troupes mobilisées, renforçant les murailles de toute leur volonté d’agir. Retenant son souffle, la nuit claire laissait échapper un léger suffoquement, et priait à l’espoir d’un infini salvateur. La guerre approchait ; la guerre brûlait !

Le peuple d’Etherna, si effacé de la vie politique jusqu’alors, se terrait dans ses draps tremblant. Partout, les guetteurs promettaient la sûreté de la population, criant au braves gens de fermer l’œil, et d’endormir femmes et enfants dans la plus douce des sphères admirable. L’océan de tendresse guettait, fière et haut. Mais déjà, à la pointe de l’horizon, l’ennemi découvrait sa silhouette grasse et indigne en compagnie du soleil. Le commandant d’Odelian, si gras fut-il, n’avait donc aucune pitié ?

Le cor sonnait, lourd et grave, tirant de leur torpeur la populace apeurée. Ce long bruissement lourd raisonnait dans les entrailles de la ville, sommant toute âme capable de combattre à lever son glaive. Les soldats affluaient, peu à peu, tandis que les troupes minimales s’affairaient déjà à viser les imprudent, tenant les remparts aux mieux. Les cœurs battant faisaient écho aux tambours de guerre, et les dagues affutées côtoyaient les arcs tendus. Sous la voûte d’or, le ciel s’apprêtait à être obscurci sous les volées de flèches, déjà aiguisées au sang de l’ennemi. Derrière, on calmait les ardeurs des feux grégeois.

" -Capitaine ! Capitaine…

L’ennemi est à nos portes mon capitaine, et son armée est gigantesque ! Quels sont vos ordres ?

L’homme balafré tournait la tête avec une grâce indéniable. La fougue de ses yeux semblait se ternir d’une lueur ocre, un or délicat et délicieux, doublé d’une folie sans nom. Il savait, déjà, à quel point la mort si belle les caressait de près. Lentement, l’homme se leva, dur et fier. D’un geste de main, il imposait son autorité aux vassaux.

- Mes amis, l’heure est grave.
Le comte d’Odélian, se croyant si puissant, est prêt à déferler sur la ville. Ses troupes se calculent en une mer innombrable, oui. Et leur artillerie est lourde, et sans pitié. Le soleil annonce le sang, et c’est l’ennemi qui doit tomber. L’attaquer de front est une baliverne, un piège. Soyons plus rusé que lui. Soyons maître de notre destin ! Ne subissons pas…
Laissez croire, tous, aux soldats du comte à leur suprématie. Dotons la ville d’une activité silencieuse, faible. Préparons nos embuscades, et nous les tiendrons en échec lorsque, trop confiants, ils se jetteront dans la gueule du loup.
Nous ne nous laisserons pas abattre ! Nous ne cèderons pas la victoire ! Mes amis, aux Armes !

Les soldats s’activaient, suivant leur nouvelle directive. Au loin, les armées distinguaient la ville d’Etherna, où le chahut de quelques hommes régnait. Semblant désorganisée et sans défense, la ville était comme prise au dépourvu. S’attendait-elle à des négociations ? Etait-elle déjà soumise au comte, avant même le combat ?

Le Gras observait Etherna, juché sur son fier destrier caparaçonné, qui diffusait de larges nuages vaporeux à chaque exhalation. L’armée odélianne tenait ses positions, prête à marcher sur la ville qui semblait trembler sur ses fondations. L’astre diurne se levait paisiblement , baignant la plaine d’Atral de ses frais rayons hivernaux, et apportant un soutien involontaire à l’aile est des assaillants. Les remparts semblaient bien calmes, les défenseurs abandonnaient-ils déjà la partie ? Avaient-ils compris qu’ils étaient perdus et qu’il valait mieux s’allier au glorieux ost d’Odélian ? Rien n’était sur. Mieux valait être prudent, et appuyer là où ça fait mal. Sa voix grave résonna.

Estafettes !!

Tel une volée de moineaux, plusieurs jeunes garçons se massèrent autour du comte. Chacun portait une petite besace de cuir, et plusieurs rouleaux de parchemins qui pendaient à leur ceinture. Ils venaient, pour la plupart, de familles bourgeoises et étaient lettrés, leur permettant de transmettre les ordres du général.

Ordre à l’artillerie … La cadence de tir doit être maximale. Faites tomber le donjon du château

L’un des jeunes gars détala vers l’arrière des lignes, alors que le Gras continua sa dictée, sachant que si ce symbole tombait, le moral des défenseurs prendrait un coup.

Préparez échelles et béliers ! Avançons avec célérité jusqu’aux murs. A mon signal, sus à l’ennemi.

Les estafettes firent comme leur collègue précédent, et partirent en courant, portant la parole de Sa Grassouillerie à ses fiers fantassins, guerriers de la justice et de la vérité. Le Bélier faisait patienter encore un petit instant sa ligne impétueuse, et dès lors que les premiers tirs visant le donjon passaient au-dessus du Comte, il s’adressa à son fidèle sonneur de cor.

Gatien, mon bon … Sonnez la charge

Le gaillard s’exécuta, extirpant un son long et grave de son instrument ouvragé, et les autres cornes de guerre répondirent en chœur, tandis qu’un grondement témoignait de la mise en marche. L’armée odélianne, semblable à une immense machoire prête à dévorer sa proie, resserrait son étreinte sur la ville frémissante. Les bannières flottaient au devant des fiers régiments , qui marchaient d’un pas lourd vers les murs de la cité. Les arbalétriers portaient leur pavois, légèrement en retrait, suivant les piquiers, qui voyaient leurs flamberges claquant sur leur jambières d’acier. Les catapultaires et les servants s’activaient, et un rocher venait frapper le donjon et ses alentours toutes les dix minutes, alors que l’armée odélianne progressait rapidement, jusqu’aux murailles.

La première ligne d’ arbalétriers se précipitèrent en avant et posèrent leur pavois ; ils mirent en joue le haut des remparts, et arrosèrent les créneaux, tandis que les fantassins hissaient les échelles. La seconde ligne d’arbalétriers se précipita au niveau de la première, et ses derniers reculèrent en bon ordre, prenant une position plus sur pour recharger. Sur plus d’un tiers de l’épaisse muraille, les hommes du Bélier partaient à l’assaut, et bientôt le premier pied odélian foula le haut des remparts, alors qu’une pierre ébranlait la tour centrale du château.

Dame la Guerre, compagne funeste de la Mort, s’abattait sur la belle et paisible contrée d’Etherna. Se voilant de noir, la ville de la baronne subissait les assauts féroces d’un comte assoiffé de pouvoir et d’ambition. Avec ou contre lui, le résultat serait le même, mais peut-être aurait-il fallu céder. Le doute s’insinuait dans les esprits fatigués des assiégés. Le capitaine ayant pris les commandes commençait à être contesté, les colères naissaient et surtout, surtout, la peur enflait au rythme de la terrible avancée adversaire. Au dessus de leur tête, les roches irrégulières traçaient leurs courbes gracieuses, terminant leur course contre le donjon de la ville.

« ATTENTION ! »

Déjà, l’édifice souffrait… Des débris se détachaient de l’ensemble, et tombaient sans que rien ne puissent les arrêter. Les rares mages présents dans la ville, citoyens parmi tant d’autres, apportaient leur aide comme il le pouvait mais ils n’étaient que des hommes, créatures impuissantes devant les lois impitoyables de la gravité. L’un d’eux mourut même de fatigue, à avoir voulu trop en faire… La poignée qu’ils étaient fut, au final, bien peu utile.

« La porte ! Protégez la porte ! »

Le balafré continuait dans son rôle, et on l’écoutait, sans réelle conviction mais avec le minime espoir que, peut-être, il savait ce qu’il faisait… On s’activait donc. Les archers, cachés derrière les remparts, sortaient de leur cachette et répondaient aux arbalétriers, avec peine cependant. La masse humaine s’avançait, toujours plus proche, toujours plus menaçante. Et puis vinrent les échelles... Les premières furent prestement éloignées des murailles, mais il en venait toujours plus, et une grande partie de l’armée avait été dévolue à la protection des citadins… Une trop grande partie, peut-être.

Et puis, les premiers combats sur les remparts commencèrent. L’avantage était aux hommes d’Etherna, jusqu’à ce qu’une section de rempart tombe aux mains de l’ennemi. A partir de ce moment là, la panique s’empara des défenseurs, qui subirent quelques pertes lourdes de conséquences, avant de pouvoir enfin reprendre ce qu’ils avaient perdu… Pour se rendre compte qu’une autre portion était tombée… Et ainsi de suite.

Pour autant, les alentours de la belle porte d’Etherna tenait bon. Parce qu’ils n’avaient pas le choix…

Etherna était devenu un phare solitaire qui tentaient de résister à l’océan de lames étincelantes et déchaînées, qui venait s’échouer sur la grève des remparts. Bien que l’avance des odélians fut rapide et sans heur, les étherniens révélèrent leur position lorsque les premières échelles atteignirent le haut de l’enceinte protectrice. Les premières flèches étherniennes atteignirent, dans un bruit sec, les rangs serrés de l’armée du Gras, qui ne put retenir un petit grognement, lorsque le premier sang versé venait des plaines odéliannes. Gaucelm laissa son regard longeait la ligne de bataille, depuis le levant, où Jehan harranguait ses hommes, à l’ouest, où la porte semblait échapper, pour l’instant, à l’avance implacable de son armée. Un sourire malsain barra son visage, alors qu’une pierre virevoltait au-dessus de son crâne chauve avant d’aller s’écraser contre le donjon qui sembla vaciller une seconde. Le Gras trépignait d’impatience, et semblait pester dès qu’il surprenait un de ses hommes choir depuis les hauteurs crénelées, suivant avec intérêt les combats qui avaient lieu sur les remparts.

C’est du rempart nord que vint le premier fait d’armes des assaillants, lorsque 30 mètres de muraille tombèrent aux mains des odélians. Cependant, les défenseurs parvinrent à repousser les assaillants au prix de combats acharnés, déchaînant un concert de tintements métaliques et de cris féroces et agonisants. Mais bien vite, c’est à l’est que la défense céda devant les assauts des gens d’Assar, après un feu dévastateur des arbalétriers. Ce bon vieux Jehan menait ses ouailles de main de maître, comme à l’accoutumée, et les flots d’assaillants se déversaient sur les murs en beuglant comme des prédateurs se ruant sur leurs proies. Les Assarois tinrent bon lors de la contre attaque et virent leur nombre grimper face aux défenseurs fébriles, parvenant à gagner l’abri des tour, lorsqu’un nouveau rocher percuta la tour du donjon dans un grondement sourd.

Le Gras plissa les yeux avant de râcler sa gorge et cracher un glaviot jaunâtre, comprenant que ces vils étherniens utilisaient des mages pour renforcer leurs défenses. Maudits, soient ils ! Il fit mander deux nouveaux messagers et leur dicta, sans détourner son regard un instant du champ de bataille.

Première et Deuxième compagnie … Ouvrez les portes. Regroupez vous et avancez prudemment. Quatrième compagnie … Sortez les béliers et attaquez par l’ouest. Une ligne d’arbalétriers sur les remparts et une autre à la porte avec les pavois. Continuez l’asaut, nous sommes proches de la victoire.

Le jeune partit en courant et Gaucelm poursuivit, alors que l’autre estafette retranscrivait fidèlement les propos du Comte.

A Monseigneur de Prademont … Tenez vos cavaliers prêts, mon bon Foulques … La porte devrait bientôt céder

Comme le premier messager, le second détala comme un lapin, laissant Gaucelm , seul face à l’apocalypse qu’il avait déchaîné. Il sourit légèrement, même si l’idée d’un siège l’enchantait peu, les défenseurs avaient commis l’erreur de se terrer et avaient négliger les remparts. Il avait du être troublé par la verve et ce discours enflammé qu’il leur avait lancé la veille … probablement … surement … sans doute … Flatterie et narcissisme quand vous nous tenez ! …

Mais il fallait garder l’esprit clair et réactif, la flagornerie attendrait … Son plan était simple … En pratique. Les remparts semblaient céder un peu partout à présent, il fallait donc appuyer l’assaut et parvenir à descendre dans la ville. La quatrième compagnie, jusqu’alors en réserve, devait se diriger, munis de se béliers –de simples troncs d’arbres couper sur place, certes, mais parfaitement à même de faire souffrir les portes d’Etherna- appuyer par une escouade d’arbalétriers. Il continuait à tirer parti de l’erreur adverse, en multipliant les fronts pour permettre l’arrivée de toujours plus d’hommes derrière les murs de la ville. Les portes devaient être ouvertes, soit de l’intérieur, soit de l’extérieur, et cette prise en étau empêcherait une pleine exploitation des défenses. Un roc passa au-dessus du Gras, qui suivit le projectile des yeux, laissant un échapper un petit juron en voyant le projectile ricocher sur le donjon et retomber en plein milieu de la ville. Il murmura quelque chose à propos de l’incompétence de certains catapultaires et tourna son regard vers l’est. Les flots d’Assarois se déversaient sans relâche depuis les échelles, et se précipitaient au bas des escaliers, pour se regrouper dans la ville. Jehan était un tacticien accompli, et Gaucelm savait qu’il avancerait avec précaution. Les étherniens préparaient probablement des embuscades, et les combats de rues sont toujours imprévisibles et meurtriers, mais il fallait les noyés sous un flot de lames et carreaux. Les premières torches furent allumées et déjà, à l’est de la ville, les premières maisons s’embrasèrent, alors qu’au nord, la ligne d’arbalétriers tenaient les remparts et couvraient la mer d’assaillants qui gagnaient les hauteurs. A l’ouest, malgré de nombreuses pertes, la quatrième compagnie parvint à amener trois béliers près de la porte, grâce au soutien de l’escouade d’arbalétriers. Gaucelm fit envoyer la première compagnie de hallebardiers en renforts près de la porte, ainsi que deux autres escouades d’arbalétriers, tandis qu’il put voir à l’ouest Foulques et ses cavaliers se rapprocher lentement, prêts à fondre dans les rues d’Etherna. Une nouvelle pierre ébranla le donjon qui résistait toujours, arrachant un juron à Gaucelm. Il soupira pour se calmer, réalisant bien que la victoire était proche, les rues de la ville allait à présent être souillées de viol, de rapines et de sang … La récompense du guerrier probablement … surement … sans doute …

Le manitou du ciel laissait apparaitre sur les remparts les effluves du sang, déversées en grande quantité, trop grande. Les hommes d’Etherna gémissaient leur douleur au visage des assiégeants, tandis que les épines de la guerre grinçaient le long des effluves ensanglantée. La mare de haine se déversait, comme à Diantra, et les chefs de guerre se devaient de l’empêcher, coûte que coûte. L’espoir brillant animait les cœurs perdu d’un second souffle. Partout, le rouge s’épandait en une folie vomitive.

Les femmes courraient, cachaient leurs enfants, contemplant de leurs yeux larmoyants les hommes tomber dignement au combat. Les cris de rage s’intensifiaient. Au creux d’une ruelle, une femme à genoux vomissait sa haine, tandis qu’une autre gisait, en pleurs, â même le sol.Les insultes au comte d’Odelian se répétaient dans la baronnie, en écho grave et fidèle.

" - Que le comte soit maudit ! Qu’il regarde ses crimes en face ! criait l'un.

- Au bûcher le gras ! Pendez-le par l’asticot boudiné ! déclamait l'autre, emplit de haine.

-Faites lui fondre la graisse au feu de joie ! Renchérissait un troisième.

- Qu’il nous accorde la pitié ! Clémence et miséricorde !" gémissait une femme, pleurant sur son sort en serrant son enfant dans ses bras, nouveau né.

Devant le chaos d’Etherna, le balafré gisait, une larme jonchant sa défaite. La stratégie avait échoué, et l’indiscipline des hommes, à présent chaotique, était devenue folie incontrôlable. On ordonnait d’éteindre les feux, et de s’occuper des femmes. Les drapeaux blancs étaient levés. La reddition pointait à la vue de la terreur. Etherna ne serait pas ruine, non, et la vie y serait préservée. La retraite accompagnait le long cor de guerre, sonnant à tout homme de déposer les armes. La cruauté des hommes indisciplinée se soldait par la mort.

Les portes étaient ouvertes, vaincues, invitant les seigneurs à parlementer. Un messager y détalait à toute allure, sur son cheval brun. Littéralement jeté aux pieds du gras, il s’agenouillait devant sa grasseté hégémoniale.

" - M…maître tout puissant ! Etherna s…s’agenouille à v…vos pieds et implore v..votre clémence. Que sa ma..majesté épargne les vies ! Pitié au comte d’Etherna, nos généraux att..attendent imp…patiemment votre venue. Epargnez… épargnez nous… "

Le messager tremblait soumi. Incapable de se relever, il attendait qu’on le jette en dehors de la vue du gras. Sur la place d’Etherna, les généraux attendaient, fermement. Les drapeaux étaient secoués. Les blessés secourus. La défaite était amère, mais personne ne devait un jour contempler Etherna en ruine. La pauvreté animait les lieux, tristement… Et les quartiers tombés gisaient encore aux mains de l’ennemi.

[Le doux son de la victoire]

Etherna … Etherna, morne plaine …

L’armée odélianne continuait à déferler sur les remparts de la pauvre ville, sous l’image triomphale des étendards, arborant le Bélier, claquant dans la légère brise hivernale. Les projectiles massifs continuaient de pleuvoir contre la tour branlante du donjon, alors que moults fumées s’échappaient des bicoques ridicules qui se massaient autour du domaine du baron. Gaucelm contemplait la scène avec fierté et une certaine émotion. En effet, c’était presque émouvant de voir ses hommes fondre en bon ordre sur l’ennemi totalement dépassé, luttant en vain pour repousser les forces de la Justice et du Roy … Cocasse, même lui commençait à croire à son discours. Partout sur les murs, les odélians levaient bien haut leurs bannières, signifiant, à qui ne l’avait pas remarqué, que la cité était perdue et que les combats au cœur des rues sales allaient sceller le sort des etherniens.

Les rangs de guerriers odélians avançaient en bon ordre, nettoyant maison après maison, pillant, tuant et violant avec la même application. Certains etherniens, probablement noyés de chagrin, osèrent hurler leur haine envers le Gras, juste avant qu’un flamberge ne vienne répandre leurs entrailles et leur sang sur les pavés noirâtres des rues affolées d’Etherna. Personne ne pouvait insulter Sa Grasseté sans subir son courroux, matérialisé par le fer de ses soldats. Au détour d’une rue, on pouvait apercevoir trois fantassins trousser une femme qui hurlait, alors qu’elle tentait de cacher à son enfant le spectacle malsain qui inondait la ville. Plus loin, c’est un homme qui agonisait en crachant du sang, après avoir tentait de s’opposer aux viols de sa femmes et de ses filles. Bien que discplinée, la horde odélianne demeurait faite de chair, de sang et d’idées lubriques … Certains diront, juste des hommes …

Loin de ses scènes de stupre et de violence, le Gras observait la porte, qui résistait aux vaillants assauts de son armée. Il mordillait sa lèvre inférieure nerveusement, c’était long … Beaucoup trop long. Pourtant, alors que l’agacement commencait à inonder Gaucelm, il vit, au sommet du donjon, un étendard blanc et déchiré se hissait pour venir dominer les lieux du crime.

Foutre ciel !! Les nigauds se rendent !! … Cessez le feu !! La victoire est à nous !

Il se tourna vers son fidèle sonneur de cor, et lui dit, en levant l’index, comme un chef d’orchestre prêt à lancer le grand final de la symphonie macabre de cette triste journée.

Gatien, mon bon …

Et le cor retentit, signalant aux forces du Bélier que la cité était à eux, qu’elle se rendait et s’inclinait face à l’hégémonie d’Odélian. Les soldats restèrent encore quelques instants en état d’alerte, n’osant croire que ce siège s’achevait si vite, pensant à une fourberie de l’ennemi, pourtant, la cavalcade folle d’un homme apeuré qui fendait la marée de lames odéliannes, acheva de les rassurer. L’homme et son destrier noir rejoignirent l’arrière garde de l’armée du Gras et le messager fut amené bien vite au pied de Gaucelm, qui ne pouvait enlever un sourire triomphal de son visage tout poisseux de sueur odorante.

M…maître tout puissant ! Etherna s…s’agenouille à v…vos pieds et implore v..votre clémence. Que sa ma..majesté épargne les vies ! Pitié au comte d’Etherna, nos généraux att..attendent imp…patiemment votre venue. Epargnez… épargnez nous…

Un gloussement s’échappa du gloître luisant du Gras, savourant pareil spectacle et pareil discours. Ces gueux étaient têtus mais ils savaient s’adresser aux vainqueurs, reconnaissons le … Il se pencha vers le pauvre homme et lui dit.

Calmez-vous, mon bon … Soyez un homme, par les Cinq ! … Allons signer cette reddition

Il fit raccompagner l’homme jusqu’à sa monture, puis Gaucelm chevaucha à ses côtés, suivi par l’Ordre du Cygne de Foulques de Prademont, faisant onduler leurs gofannons avec fierté et arrogance. C’est au petit trot que la cavalerie pénétra sous l’arche de pierre qui accueillait les portes grinçantes et massives d’Etherna. Tout ce petit monde se dirigea vers la Grand’Place d’Etherna longeant les lignes de cadavres et d’enfants s’égosillant de douleur, puis le Gras fit stopper la colonne avant de déclarer.

Qui fait office d’autorité ici ?! Allons … Montrez-vous !!

La place gémissait de tout son long, lentement éprise de l’acre atmosphère sanglante qui régnait. Les enfants avaient été arrachés à leurs mères violées et torturées de l’intérieure pour assoir la suprématie des vilains. Les hommes du gras faisaient pendre les impunis, et ce par la l’intimité la plus brûlante. La lente atmosphère s’égosillait sous la torpeur, tandis que les clameurs cessaient, et que les hommes d’Etherna se retranchaient. Certains fous, refusant de se rendre, trouvaient la mort sur les piques aiguisées.

Les feux du mal couvaient dans le nord de la ville, rongeant la paille de l’habitat, noyant dans les flammes les braises incandescentes et l’horreur de la peur en un vaste étau descendu du ciel. Les violons pleurant retentissaient dans le gosier des femmes, qui trempaient les dépouilles des maris et des enfants égorgés, trouvant l’écho de la mort dans leur propre cœur. Et les ouvriers usaient de leur poitrail nu, en plein hivers, pour combattre le feu, déjà ébréchés par la guerre, pensant les blessures à l’aide de tissus imbibé de sang. Partout, le secours volait en éclat.

L’hégémonie du gras trônait dans les tambours du cœur du balafré. La désolation prenait à même la gorge, en un vomissement dur et grave, étouffé par l’horreur abjecte qui coulait encore en gouttes de sang caillé sur les épées des victorieux. Etherna pleurait sa propre mort, et préférait la reddition au massacre. Les soldats-chiens d’Odelian étaient contenus par leur maître, encore, n’ayant touché que peu de population dans leur déboires. Aux sons calmes des tambours de guerre, l’exécution d’Etherna languissait. Le peuple, pris en tenaille, se voyait offrir la soumission.

Qu’Estel fasse son entrée ! Que l’ange d’Etherna sauve son peuple, au travers des vents et marées, des nuages et de la pluie, du soleil et de la voute de verre du ciel. Que les atours s’embrasent sous son pas, qu’elle brille, comme le soleil, de cette libération. Ô Néera, toi qui connais si bien la terre, toi qui pourfends si bien les mots, explique la déchirure des hommes, absous leurs pêchés de ta magnificence. Pourquoi ? Pourquoi ?! Mais Estel Serindë ne viendra pas. Pas plus que la providence de Néera. Dans l’antre de son cœur, Etherna le savait.

Les clameurs s’élevaient, à mesure de la progression du balafré. L’homme digne regardait les chiens d’Odelian pénétrer la capitale. Ses pas lourds claquaient sous son armure blanche, et s’évaporaient dans les airs d’un air fier, et presque provocateur. Son épée luisait, sortie de son fourreau. Semblable à un psychopathe effréné, roi même des ladres fous, mais roi de cette posture impérial, qui attend son jugement.

« -L’épée d’Etherna est votre ! »

La soumission s’accompagnait d’un lourd fracas de métal. L’homme agenouillé tendait l’épée, gisant dans ses deux paumes ouvertes, à la vue du gras. Des clameurs de protestation s’élevaient, rapidement tues par la peur. Etherna souffrait, visiblement, sous le poids énorme du gras.

Quelle douce journée, n’est-il pas ? … Le Gras ne tenait fièrement au milieu de la place d’Etherna, toisant avec dédain la masse de badauds mécontents qui observaient la scène de loin. Un homme grand et large d’épaules s’extirpa de la foule crasse et se dirigea la tête baissée vers le Comte d’Odélian, qui arborait un petit sourire ravi. Le guerrier posa un genou à terre et tandis son arme en position de soumission, alors que les paroles sortaient de sa bouche avec un ton légèrement vibrant, l’émotion d’une telle rencontre, probablement.

L’épée d’Etherna est votre !

L’image était digne d’un tableau … Caïus Grassius Caesar triomphant devant le chef Ethernix, cocasse non ? … Il jubilait, la victoire avait été rapide et peu coûteuse en soldats. Point de comtesse en vue, la ville était donc sous les ordres de cet homme, alors, soit ! Il accepterait la réddition. Bien que les etherniens, se massant petit à petit autour des odélians, vociférèrent quelques instants, mais se turent devant les armes de leurs conquérants. Gaucelm se pencha légèrement vers le balafré et lui répondit.

Levez vous, fier combattant d’Etherna … Jurez-moi fidélité et cette épée, je vous la laisse …

Il leva les yeux vers la foule qui le toisait de regards haineux et agressif. Il se dressa sur ses étriers, faisant résonner sa voix grave qui ricochait sur les façades des maisons.

Encore une fois, mes amis … Ne me voyait pas comme un conquérant. J’ai cédé à la violence, je l’avoue … Mais c’est en dernier recours et je le déplore … Voyez par vous-même … Où sont les nobles d’Etherna ? … Où sont les dirigeants de votre peuple fier ? … Est-ce cet homme courageux et digne qui devrait être là ? … Lui, le fidèle bras armé ? … Vous êtes victime des associations malveillantes de vos dirigeants, et je suis ici pour vous en libérer.

Il fit une pause brève, pour avancer son destrier plus près des étherniens dans un silence qu’il voulait dramatique. Il reprit son discours.

Je ne nie pas l’implication d’Odélian dans vos malheurs, mais je souhaite vous prouver que là n’était pas ma volonté … On m’a rapporté des scènes de cruauté et de barbarie, perpétrées par des odélians, saillsant le nom et la renommée de ce peuple. Amenez-les !!

Cinq hommes baillonés et ligotés, portant casques et armures des piquiers d’Assar furent amenés face au peuple qui criaient vengeance. Le Gras poursuivit en désignant les cinq mécréants du doigt.

Voyez … Je ne saurai toléré pareil comportement en dépit des ordres. Viol … Rapine … Meurtre de civils innocents … Jamais je ne tolèrerai ces pratiques barbares et dégradantes Justice !! … Qu’on leur coupe la tête !!!!

Etrange image qui me vient, que celle de la Dame de Cœur … Mais, bref, revenons à l’histoire … Aussitôt dit, aussitôt fait, et cinq têtes roulèrent bientôt sur les pavés sales et irréguliers. Les corps sans vie furent emmenés, ainsi que les têtes des criminels pour être brûlés.

Justice ! Sachez que chacun d’entre vous, qui a subi des préjudices pourra réclamer pareil justice envers son agresseur.

Il se tourna vers le balafré, puis l’interrogea.

Quel est votre nom, mon bon ? Acceptez vous de vous joindre à moi ?

Une bien sombre journée, où le monde s’écroule et s’effondre et où les mots prennent un tout autre sens que celui qu’ils avaient encore à l’aube et dont l’entière signification s’est perdue, fracassée et démantelée par la volonté du vainqueur, contraignant le vaincu à la soumission devant cette nouvelle Vérité.
C’est la fin d’un monde, annoncé par un Bélier, à défaut d’être un loup, dévorant les fondations de cet univers, faisant tomber ses divinités et ses géants avant de promettre la renaissance quand l’ombre aura cessé de le tourmenter, mais l’aube nouvelle aura transcendé le monde, et la vie jamais ne saurait retrouver ce qu’elle fut avant cette nuit terrible. Et les nouveaux fondateurs du monde, usant des restes de l’ancien pays pour modeler l’avenir tissé par les sombres dames du destin sont déjà désigné… Le sombre bélier et le sauveur balafré, artisans d’une nouvelle ère, un nouveau chapitre commençant dans le sang et la violence, l’outrage et l’horreur des crimes de guerre.
Le lumineux sauveur se releva quand le Gras Bélier le lui demanda, écoutant sa requête, réfléchissant mais il n’eut guère le temps de prendre la parole que déjà, le nouveau seigneur s’adressait à la foule furieuse, éprouvant la haine et la colère à l’égard du monstrueux envahisseur qui venait de balayer les vies qu’ils s’étaient construite… Oh, il ne faisait aucun doute qu’ils referont de l’existence quelques choses, mais jamais plus ça ne saurait être pareil maintenant, et on ne pouvait décemment pas laisser passer les crimes, les viols et les horreurs perpétuées par les soldats.
On entendait ça et là des hommes et des femmes proférer des insultes, le traitant de monstre horrible, prononçant sans peur ni crainte d’audacieuses accusations, il était le responsable, point un sauveur, qu’un opportuniste venu ruiné l’existence de ces propres gens pour son égoïste plaisir. Il ne s’octroierait pas la sympathie du peuple, pas aujourd’hui, et il devrait compter sans les acclamations du peuple vaincu.
On hua plus encore l’arrivée de cinq soldats auteurs d’immondices, et c’est l’œil critique que le blanc balafré observa le manège se jouant, écoutant toujours attentivement le discours du nouveau seigneur et maître de ces terres et à la fin de son discours, une courageuse femme hurla à l’adresse du Gras.

- Et vous, Gras Seigneur ! Vous prêterez vous à cette Justice pour le préjudice que vous nous avez fait ! Foutaises que sont ces balivernes, vos beaux mots ! Vous êtes un monstre et vous devez payer comme eux vos crimes !

Le balafré alla vers elle, implorant un silence sans qu’un mot ne soit prononcé, l’obéissance amena à la pensée qu’il ne fut pas quelconque en ces terres, loin d’être un banal officier des troupes, il incarnait plus pour ce peuple, et ne souhaitant guère plus de victimes chez les siens, il en était venu à agir avant d’en revenir au Seigneur. Il prie un ton respectueux, toujours digne et droit.

- Je me nomme Sir Edric Haart, humble chevalier d’Etherna et défenseur de cette cité et de son peuple. Veuillez pardonner les paroles de cette femme, vos hommes ont mis un terme sous ses yeux à l’existence des siens avant de saccager sa demeure avant que je ne puisse exercer la Justice, puissiez vous être clément et ne pas punir sa colère naturelle devant sa perte.

Il jeta un coup d’œil désolé à la femme avant de continuer.

- Puissiez vous également tenir parole, et que les manants soldats de votre pays soient justement châtiés pour les horreurs qu’ils ont causé et les malheurs engendrés pour les faibles et les innocents qui n’ont guère portés les armes pour mener les combats.

C’était une requête, sa condition avant de terminer par une chose qu’il regrettait, car il devenait dès lors en son for intérieur un parjure.

- Pour que ma promesse à ce peuple et à la Déesse soit tenue, je jure en mon nom et sur mon honneur, devant ces humbles témoins et devant Néera de vous être fidèle et loyal, mon Seigneur.

La voix vociférante d’un gueuse alpagua le Bélier pendant son discours implacable, la petite insolente ! Elle osait proférer injures et menaces à son encontre … Elle paierait. Le chevalier d’Etherna prit la parole, prenant un ton respectueux et doux à l’oreille de Sa Grassouillerie.

Je me nomme Sir Edric Haart, humble chevalier d’Etherna et défenseur de cette cité et de son peuple. Veuillez pardonner les paroles de cette femme, vos hommes ont mis un terme sous ses yeux à l’existence des siens avant de saccager sa demeure avant que je ne puisse exercer la Justice, puissiez vous être clément et ne pas punir sa colère naturelle devant sa perte … Puissiez vous également tenir parole, et que les manants soldats de votre pays soient justement châtiés pour les horreurs qu’ils ont causé et les malheurs engendrés pour les faibles et les innocents qui n’ont guère portés les armes pour mener les combats.

Les sourcils froncés, Gaucelm répondit presque du tac au tac.

Bien sur, Messire. Je suis aussi choqué que vous, par ses actes de barbarie ignobles. Et le jugement sera aussi immédiat pour les fautifs qui ont causé le courroux de cette gueuse. Elle pourra venir identifier les agresseurs dès qu’elle le voudra.

Elle servirait ainsi de catin à quelques soldats, et finirait au fer dans les geôles odéliannes, voir torturée à mort dans le plus grand secret. Après tout, si tous les siens étaient morts, elle ne manquerait à personne. Elle avait la fesse ronde et la poitrine opulente, largement de quoi ravir les braves odélians. Quand je vous disais qu’elle paierait … Gaucelm reprit alors son discours, portant la voix de nouveau, pour que chaque badaud l’entendent, une fois que le balafré eut promis son allégeance.

Pour que ma promesse à ce peuple et à la Déesse soit tenue, je jure en mon nom et sur mon honneur, devant ces humbles témoins et devant Néera de vous être fidèle et loyal, mon Seigneur.

Le chevalier d’Etherna, Edric Haart, vient avec moi ! … Et vous, braves etherniens … Viendrez vous avec moi ?!

Il resta un instant immobile, savourant une seconde sa victoire sur tous les tableaux. La journée avait été magnifique. Une dernière chose restait à faire …

****************************************************

Sous les flammes vacillantes des bougies qui dégoulinaient déjà, Gaucelm commenca la dictée et Fulbert fit glisser sa plume sur le parchemin, la trempant rapidement dans l’encrier en quelques occasions.

Lettre au Roy, au Sénéchal de Sephren et à la Duchesse d’Erac.

L’heure est grave ! La trahison d’Etherna était bel et bien réelle. Mon armée a du livrer une dure bataille pour s’ouvrir le chemin de Diantra, mais je suis parvenu à matter les rebelles. La baronnie s’est rendue et rallie la cause royale. Mes craintes exposées, lors de notre rencontre en Erac, étaient malheureusement fondées. J’ai, aujourd’hui, la preuve de la félonie d’Aegar de Sainte Berthilde et je compte bien la faire éclater au grand jour. Mon intention est toujours de joindre nos armées, mais à présent Olysséa et Sainte Berthilde me barrent la route … Je souhaiterais vous faire partager les preuves accablantes que j’ai pu collecter … Mais comment faire ? Aucun chemin n’est sur pour moi.

Que les Cinq veillent sur vous.

Gaucelm, Comte d’Odelian

Il sourit, satisfait, lorsque Géraud entra, un parchemin entre les mains, puis il l’ouvrit avant d’annoncer clairement.

Voilà le total des pertes, mon oncle … Première compagnie du Premier Régiment de piquiers d’Assar : 68 pertes dont 12 d’hémorragies ; Deuxiè …

Venez en au fait, Géraud ! Les chiffres …

Oh … Euh … Un total de 682 hommes morts ou disparus, tous régiments confondus

Seulement ! … Aaah quel bonheur ! A peine 1000 guerriers de moins, pour combien qui se rangeait sous sa bannière en plus ? Décidemment les choses se déroulaient à merveille. Il hêla le jeune Géraud avant qu’il ne quitte la pièce.

Hé ! Dites-moi … Les soldats exécutés en place publique tout à l’heure ? …

Cinq brigands prit dans les cachots d’Odélian et emmenés avec nous, comme vous l’avez demandé.

Très bien, mon bon … Vous pouvez disposer

Quel fourbe !