Gribouillages & Souvenirs { Libre }

Dans quoi me suis-je donc lancé ?

Je regarde le bâtiment devant moi, assis sur une des dernières poutres en bon état d'une maison voisine. J'ai entre mes mains un simple crayon et une feuille, et je tente de redessiner la maison, entièrement consumée par le feu. Une rapide analyse me confirme qu'elle a été construite et brûlée plusieurs fois... et pour cause, je ne suis pas devant une maison ordinaire. Devant moi, il y a ma maison, celle qui m'a vu naître... grandir... sombrer dans les abysses des ténèbres si accueillant alors que j'y mettais le feu il y a si longtemps maintenant, condamnant mes "parents" à rejoindre Tari. Il n'existe plus de celle ci que quelques pierres facilement reconnaissable par les gros blocs de pierre blancs. Cette maison a ensuite été reconstruite pour abriter à nouveau la vie. Puis il y a eu l'attaque des félons qui l'a détruite une seconde fois.... Jamais deux sans trois, faut-il que je reconstruise cette maison si c'est pour qu'elle brûle dans quelques... jours ? Mois ? Années ? Décennies ? Centenaires ?
J'ai obtenu le droit de rénover ce quartier en début d'après-midi. Le reste de ma journée a été consacrée à trouver des ouvriers pour commencer les travaux demain. Les gens se relèvent peu à peu et s'ils n'ont pas faim tout de suite, il est dans la nature humaine d'être prévoyant. Trouver une bonne équipe d'hommes forts et obéissant n'a pas été si dur. Puis, me voilà, assis là à contempler et dessiner, distrait par des souvenirs importuns qui remontent. Je n'entends pas Niel qui arrive, je ne le vois pas non plus d'ailleurs... merci le don des illusions. Je sens sa présence dans mon esprit alors qu'il prend contact avec moi. Il a donné un sens à ma vie, et a modifié tant de choses en moi. Pour le meilleur comme pour le pire, d'ailleurs !

* Tu as l'air bien nostalgique ! Ne me dis pas que tu vires sentimental, ce ne sont que deux ou trois cailloux superposés...*

J'éclatai de rire avant de lui répondre simplement.

* Tu as vraiment une vision étrange du monde, Niel ! Mais... tu as raison. C'était ma maison il y a longtemps, j'ai des souvenirs qui remontent.*

* Te souvenir d'un homme qui te battait toi et ta mère, et a laissé mourir ta sœur, te rends nostalgique ?*

Les paroles sont crues mais véridiques. Niel est désolé le seul a être au courant de ce genre de détails, toutes les personnes de mon entourage sont mortes désormais. Je recommence une vie à zéro... oui, cette maison doit recommencer à zéro.

- Il faut la raser, et la reconstruire sur un modèle différent.

Perdu dans mes pensées, j'ai parlé à haute voix sans m'en rendre compte.

* Quoi ?*

* La maison*

Quelques gribouillis plus tard, j'ai une représentation plus ou moins exacte de ce que je souhaite, Niel jette un coup d'oeil et une seconde plus tard, je vois la maison terminée, comme je l'ai repensée. Ce n'est qu'une illusion, mais cela me semble être un bon travail. Puis, comme toujours, l'illusion disparait...

* Voilà. J'ai fais une maison, il ne me reste plus que tout le reste du quartier.*

J'éclatai d'un rire cristalin en ressentant le profond desespoir de mon compagnon. Et que comptait-il que nous fassions ? Nous balader ? Chasser ? Non, il faut que je fasse mes preuves pour le Roi humain d'abord. Ensuite... Ensuite, notre vie reprendra son cours.

Lysia avait quitté le comté de Christabel peu de temps auparavant, avec pour seule compagnie Sereine, sa monture. La jument semblait se délecter de ces promenades interminables, ce qui n'était point le cas de sa cavalière. Elle avait beau apprécier les longues balades, voir sa vie se résumer à une éternelle excursion n'était pas particulièrement excitant. Lassée de dissimuler son visage, la jeune femme ne portait plus sa capuche, et sa longue cape sombre était pliée dans sa besace. Elle avançait à une allure soutenue, ne sachant pourquoi elle poussait ainsi son équidé, puisque rien ne l'attendait à Diantra. Et pourtant, elle ressentait le besoin de s'y rendre, et ce plutôt rapidement. Son instinct lui parlait rarement; elle devait l'écouter lorsqu'il se manifestait, c'était évident. Les derniers kilomètres, la jument commença à fatiguer; elle trainait le pas, trébuchait régulièrement, hénissait d'agaçement, et ne cessait de s'arrêter. Lysia s'arrêta donc une bonne heure, faisant un petit inventaire de ses biens. Elle possédait si peu qu'elle ne savait pas comment se présentait les prochains mois. Mais elle avait toujours vécu comme ça, alors elle s'en sortirait. Elle avait l'impression de ne soucier de rien, ce qui était plutôt étrange, vu sa condition précaire.

Lorsqu'elle parvint enfin à Diantra, la jeune fille poussa un long soupir. Elle avait commencé sa formation ici. Elle était à présent une espionne, au compte de personne. Le problème des métiers de ce genre, c'était de se trouver une clientèle dans la plus grande discrétion. Elle ne cherchait donc pas; le destin finirait bien par l'amener chez un potentiel client. Après tout, elle ne pouvait se déclarer, ou elle ne pourrait pas faire son boulot. Une espionne connue de tous n'était plus une espionne. Elle avait pensé fréquemment à se trouver un nom de code, à ne jamais montrer son visage, ou encore à ne jamais se montrer tout court. Mais elle avait besoin d'y réfléchir encore, de recevoir des conseils. Mais elle ne connaissait aucune personne de confiance... Elle était donc toujours au même point, et ne semblait pas avancer. Lysia leva les yeux au ciel, comme pour montrer son désaroi, puis descendit de sa monture. Les petites ruelles de la cité n'était pas particulièrement pratique pour la monte. Elle jeta un coup d'oeil à Sereine, et lui tapa sur la croupe, en souriant < Va ma belle, je t'appellerais plus tard. > La jument poussa un très léger hénissement, puis prit le petit trot, disparaissant en quelques secondes de la vue de sa maitresse.

Lysia posa ses mains sur ses hanches, et balaya les alentours du regard. De nombreuses personnes regardaient intensément l'autre côté de la rue, un peu plus loin. La jeune femme fronça les sourcils, et s'approcha d'un petit groupe d'enfants, qui semblaient horrifiés. < Que se passe-t-il ici? > Demanda-t-elle d'un ton curieux. < L'feu a ravagé c'te maison, pour la troisième fois m'dmoiselle! > Lysia jeta un coup d'oeil au petit garçon vêtu de haillons qui venait juste de lui répondre, et lui donna une petite pièce de bronze. Puis elle s'approcha, laissant ses cheveux bruns encadrer son visage fin; une capuche n'était plus vraiment utile, par ici, rien ne passait innaperçu. Un jeune homme, qui devait avoir un peu plus de la vingtaine, était assis sur un tas de poutres en mauvais état. Lysia s'avança vers lui, et s'arrêta à sa hauteur.

< N'est-ce pas dangereux de rester ici? > Sa voix était posée et calme, et la jeune fille se demandait pourquoi elle venait d'engager la conversation. Peut-être cette attitude mystérieuse qu'adoptait l'homme l'intriguait. Surement, même. Elle baissa les yeux, et son regard tomba sur une feuille où des plans de maisons étaient dessinés. Elle hocha le menton, et ajouta : < Oh je vois, vous êtes chargé de reconstruire tout ceci? > Elle posa une main sur son épée sans s'en rendre compte, et conclu, en souriant < Vous avez pas mal de travail il me semble! >

Une douce voix - c'est-à-dire pas celle de Niel - me tira de mes songes. Non loin se trouvait une magnifique créature, les mains sur les hanches. Un peu moins d'un mètre soixante-dix, des cheveux bruns mi-long et un visage bien proportionné et aux traits agréables, même si le tout constituait une beauté timide, bien loin de l'extravagance des quelques femmes qui pouvaient traîné dans les environs à une heure aussi tardive de la nuit. Non, de toute évidence, la belle inconnue n'était pas ce que l'on appelé ici une "fille de joie", une de ces femmes si pauvres qu'elles vendaient leur corps à quelques hommes pour satisfaire leurs basses pulsions. Qu'est-ce qui me permettait de dire cela ? Il existait dans l'aura de cette femme, un certain orgueil ou tout simplement

quelque chose qui la rendait honorable. Sa silhouette était gracieuse et je devinai sous ses vêtements la musculature sèche de l'effort et des longs voyages.

- Dangereux ? SI vous parlez de ces quelques poutres, elles ne tomberont pas plus bas !

J'avais prononcé ses quelques mots d'une voix douce d'où perçait le rire. Après tout, il me fallait désormais rompre avec mes anciens principes d'asociabilité et devenir tout le monde jusqu'à me fondre dans Diantra, ne laissait personne se faire de fausses idées sur moi et ne laisser courir que les rumeurs positives. Avoir un dragon aide à connaître les rumeurs et, mes sens accrus me permettent d'entendre bien plus que je ne le devrais. Ils rendent aussi plus bruyante cette ville qui l'est déjà beaucoup pour un simple mortel. La jeune inconnue jette un oeil à mes dessins et en vient à la juste conclusion que je suis architecte, cela m'aurait surpris qu'elle ne l'ait pas compris... avec un oeil si malicieux, elle ne fait pas partie de quelques niaises incapable de voir. Je descends de mon amas de bois et de pierre pour lui faire face, subrepticement je vois sa main s'attarder sur la poignée de son épée. Je lève les deux mains au niveau de mes épaules.

- Je trouve la ville trop bruyante de jour, j'aime me receuillir dans le silence pour travailler... N'ayez pas peur de moi, je ne vous veux aucun mal.

Bien sûr, la méfiance est de mise pour quiconque voyage seul, de plus lorsque c'est une jeune et jolie femme dans la fleur de l'âge. Je baisse mes mains, il y a une limite tout de même et il est bien connu que plus quelqu'un tente de vous faire croire qu'il est innocent, plus il est coupable - ou impliqué. Je ramasse mes quelques dessins tombés au sol, dans ma tête résonne le rire de Niel qui semble beaucoup s'amuser de cette situation.

- Je m'appelle Evan, et je suis Architecte au service du roi.

Et Niel qui rit encore... "Au service du roi"... Tant que ce qu'il me demande n'est pas contraire à mes plans, ou à mon absence de plan puisque l'improvisation a toujours été ma maîtresse.

- Et vous, qui êtes vous ? Ce n'est pas prudent de traîner dans les quartiers ravagés après la tombé de la nuit...

Aurai-je discerné dans ma voix un petit ton moralisateur ?

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