Dans les clameurs de la foule [PV : Valkore & Mokhy] [Terminé]

Kirgan. Éternelle Kirgan.

Cela faisait bien longtemps que Dun Eyr n'avait refoulé de ses pieds bottés les longues galeries de la Belle Troglodyte qu'était cette cité. De vastes errances sur les chemins battus, entre Elfes et Humains, l'avaient trop longtemps retenu loin de ce Coeur de la Roche, chère à tout Nain sous la montagne.

La Cavité Centrale ruisselait d'un peuple hétéroclite et vibrionnant, qui portait barbes et sourires. C'étaient là les fidèles Nains, fiers et braves, et courageux jusqu'aux cieux si lointains. Partout, des pas s'agitaient, des bras se levaient, des voix grommelaient. Ah, les voix des Nains ! Peut-être était-ce là ce qui avait le plus manqué à Dun Eyr : ces franches voix qui tourbillonnent, rocailleuses comme seule la roche sait l'être, assoiffées sous les mille coups de la pioche d'airain, et qui toujours reviennent, émergent une fois encore de leurs galeries de granit, pour s'abreuver aux chopes altières d'une quelconque taverne bavarde. Il n'y avait là que faces enjouées, voix enjouées, et la bonne camaraderie de ceux qui combattirent un siècle durant, frères de guerre, pour revenir, fourbus mais honorés, goûter au repos essoufflé des marteaux de jadis.
Et là, perdu dans la foule immense, Dun Eyr en humait les clameurs.

Il était bon d'être à nouveau chez les Nains.

Valkore avançait en quête de nouvelles choses à découvrir.
Il regardait ça et là les différentes échoppes, les passants, la manière dont le sol était dallé, l'architecture de cette maison... et puis soudain...

Aïe !

Valkore se releva, il venait de trébucher à l'instant même après avoir marché sur un lacet de sa chaussure droite.
Il se pencha pour observer son couvre-pied et constata qu'il n'était pas abîmé.
Ouf, maman l'aurait grondé s'il était déjà bon pour retourner chez le cordonnier.
Depuis les évènements de la semaine dernière il était... enfin bref, il fallait penser à autre chose.
Valkore se releva, jetta un coup d'oeil à gauche... un coup d'oeil à droite.
Il ne trouvait pas de "cible" idéale.
Quand soudain, à travers les passant, il le vît : LUI.

Le jeune Nain se dirigea vers Dun Eyr et se planta devant.

- Bonjour monsieur ! Tu peux m'aider à refaire le lacet de ma chaussure s'il vous plaît ?

Les Nains sont petits, certes, c'est un fait avéré et scientifiquement prouvé. Si le commun de la Race sort de terre aux alentours d'un mètre et quarante centimètres, certaines sommités culminent à plus de vingt-cinq centimètres de là - la légende voudrait même que Flodìn le Géant eût dépassé ces statures exceptionnelles.
Et pourtant - et ce, même selon les critères Nains - l'être qui se trouvait devant Dun Eyr était vraiment petit.

Les enfants Nains... Le Haut-Prêtre, accoutumé aux routes rabattues et aux repaires crasseux des villages assaillis, avait oublié jusqu'à l'existence de ces petits rejetons de la Montagne - étranges Nains, qui n'ont pas même de barbe.
Évidemment, lors de ses errances, le peu d'enfants que Dun Eyr avait croisés avaient déjà perdu - irrévocablement - l'air d'innocence qui se dégageait de ce petit visage juvénile. Là-bas, sur les collines de la Dross, ou dans les forêts affamées des Baronnies lointaines, les enfants n'étaient plus que bandes éparses de pillards à la maraude, fourches à la main, enduits de masques de terre séchée, les yeux tordus par la faim. Bêtes sauvages, enfants-loups, ils n'étaient plus qu'à moitié pensants...

Là, toutefois, Dun Eyr sentit un étrange frisson le parcourir. La race Naine s'affaiblissait de jour en jour, et à chaque nouvelle lune, les naissances se raréfiaient parmi les Fils de la Roche. Kirgan était vieillissante, Lante ne portait plus que l'ombre de sa jeunesse, et Almia se saoulait pour oublier ses rides, jusqu'aux lueurs du tout petit matin.
Mais en cet instant, le Haut-Prêtre avait sous les yeux toute la splendeur des jeunes progénitures de son peuple fier et ancien. Ainsi, tout ne serait peut-être pas vain, en fin de compte...

Dun Eyr se hâta de chasser ces songes maussades de son crâne. Pour l'heure, il avait mieux à faire que de s'assombrir l'esprit sous les tristes augures de l'avenir des Nains.
Il y avait là un tout jeune Nain, au sourire débordant, et aux lacets défaits.
Pourquoi ne refaisait-il pas lui-même ses lacets, telle était la question...

Cette simple vue réjouit le cœur de Dun Eyr, dont la mémoire avait oublié jusqu'à l'ombre de telles images, fragments heureux, insouciants et légers. Cependant, devant la curiosité dévorante du petit Nain, le Haut-Prêtre décida de s'amuser un petit peu : tirant de sa besace un carré de cire rouge, il y traça une petite rune stylisée puis, tournant la tablette par-devers lui, il murmura :
- Que se renoue ce qui n'aurait jamais dû s'écouler libre, par l'Opalescent Arca, ô Cœur des enlacements vermeils.

Comme par magie - et pour cause... - les deux lacets se relevèrent en serpents de corde, filèrent un instant, frémissants, dans les airs, puis s'entrelacèrent et se replièrent, noués à nouveaux, et comme neufs.
Certes, jouer ainsi avec la puissance divine, Dun Eyr trouvait cela un peu puéril. Mais c'était bien la première fois depuis de longues et terribles semaines qu'il usait de ses Runes pour autre chose que brûler et balafrer, saigner et écorcher.
Alors, pour aujourd'hui... le Haut-Prêtre s'accommoderait bien d'un peu de puérilité.

Waouh ! Valkore n'avait encore jamais vu une telle magie, bien qu'il était lui-même "pratiquant" de cette dernière. Mais ce genre de sort, jamais il n'en avait étudié. Il était émerveillé, ne plus jamais avoir besoin de se baisser ou de demander à quelqu'un de refaire ses lacets, voilà l'avenir ! Valkore était bien décidé à en savoir un peu plus sur cette puissante magie qui anihilerait à jamais les risques de maux de dos lors de renouages de lacets.

- Oh ! Tu es trop fort monsieur ! Comment tu fais ça ? Tu peux m'apprendre s'il vous plaît ? J'aimerais faire ça moi aussi !

Valkore regarde le Nain devant lui en levant la tête vers le haut, un large sourire fendant son visage.

L'enthousiasme de la jeunesse... admirable, se dit Dun Eyr. Qui avait dit que les Nains étaient décadents ?

- Ainsi, un Apprenti-Runiste ? Mmh... La magie nécessite plus qu'un grand sourire pour que l'Énergie se laisse apprivoiser à tes songes, mon cher petit ami.

Le Haut-Prêtre jeta un regard alentour, sur le peuple Nain qui fourmillait au sein de la Cavité. Il y avait là tout Kirgan, marchands et négociants, forgerons et brasseurs, et même quelques baladins. Cela bruissait, cela bourdonnait, cela vivait, et soupirait.
Et, bien sûr, parmi ceux-là se détachaient les uniformes vifs et tranchants de la garde, les veilleurs perpétuels de la Cité Troglodyte, les Yeux de la Roche. Leurs armures semblaient un peu lourdes au coeur de la gaieté ambiante, et pesaient avec rudesse sur les larges épaules des protecteurs. Même sous les voûtes de pierre, la guerre retrouvait toujours son chemin, ainsi...

Quelques regards se retournaient sur le Haut-Prêtre et l'Enfant, mi-surpris mi-amusés. Quelques uns saluaient vaguement Dun Eyr, d'autres n'y prenaient pas même gare. Au loin, près des Tunnels Achalandés, une petite troupe de Prêtres discutait, drapés dans de longues toges couleur de roche, et devisait à la lumière d'un lourd éclat de roc.
Ce n'était peut-être pas là la meilleure place pour de la magie expérimentale...

Avisant une anfractuosité proche - autrefois, il y avait eu là une Taverne, se souvenait Dun Eyr... mais les tenanciers s'en étaient allés sur les chemins depuis fort longtemps, et ne subsistaient de cet âge pas même les murs de grès blanchi - le Haut-Prêtre s'en approcha de quelques enjambées. Cela ne devait pas faire plus de douze pieds de large, et moins de dix par le haut.
Alors, le Haut-Prêtre se pencha, ramassa un fort caillou obtus, l'éleva d'un bras... et se contenta de le jeter au milieu du lieu, où il rebondit en cliquetant sur les gravas, et se figea, inerte comme tout autre caillou que lui.

Alors, avec une nonchalance toute bienveillante, Dun Eyr fit volte-face, et l'on pouvait qu'un vaste sourire parcourait toute l'amplitude de ses lèvres grises. Aussi loin qu'il creusât dans sa mémoire encombrée, il ne lui souvenait plus d'avoir souri ainsi depuis des siècles...
- Prépare tes Runes, et soulève-moi ce caillou... mais avant cela, dis-moi ton nom, mon cher petit ami.

Valkore observait le vieux Nain. Que faisait-il ? Il regardait autour de lui... certainement une technique à lui pour se concentrer et accumuler de l'énergie magique ! Valkore s'empressa de l'imiter et observa à la perfection ce que l'ancêtre regardait.

Il y avait... wouuaaah, plein de gens. Un monsieur qui avait l'air gentil, une dame qui sentait bon. A côté de cette dernière, Valkore pût même reconnaître Grumdi, un compagnon de bêtise avec lequel il s'entendait bien, mais il semblait trop occupé à soulever une jarre remplie pour s'amuser avec lui, et puis de toute façon, Valkore étudiait en ce moment même. Il pût sentir les milles et une odeurs qui régnaient dans l'air : viande, fruits, roche humide, fer chaud, mais également poussière, transpiration, alcool et même vomi.

Valkore remarqua que l'aîné posa son regard sur les gardes. Il est vrai qu'ils étaient beau avec leurs belles armures, leurs armes... mais lui aussi était bien équipé ! Valkore se redressa, fier de leur ressembler. Plus tard, lui aussi il s'engagera dans la garde, peut-être, et il s'amusera beaucoup, comme eux !

Valkore suivit le vieux Nain comme son ombre quand ce dernier alla ramasser le caillou, il le regarda le lancer et écouta sa requête.

- D'accord monsieur ! Tu vas voir que je suis fort ! Ah, sinon, mon prénom à moi, c'est Valkore.

Valkore fît un large sourire au prêtre, content qu'on s'intéresse à lui. Après quoi, il fixa son objectif des yeux et se concentra, il avait une mission a remplir : bouger ce caillou.

Le jeune Nain tira son stylet de sa ceinture, et pointa le caillou avec ce dernier.

- CAILLOU BOUGE DE LA !

Après deux autres essais, il soupira. Mais... quel idiot, il tira une de ses petites tablettes de cire en rougissant et n'osa pas voir la réaction de l'autre Nain qui devait sûrement se moquer de lui. Allez... il faut se concentrer pour ce genre d'exercice. Valkore fixa des yeux le caillou, gribouilla ce qui ressemblait plus ou moins à... à rien sur sa plaque de cire et cria :

- CAILLOU BOUGE DE LA !

Mais rien, le caillou ne bougeait toujours pas. Valkore se mît à genoux devant le caillou, pour pouvoir lui parler, et lui demanda gentiment de bouger, après quoi il réessaya de tracer une "rune" en demandant, gentiment, au caillou :

- Caillou, pourrais-tu bouger, s'il vous plaît ?

Mais la politesse ne marchait pas non plus face à ce caillou teigneux. Quelle impolitesse ! Valkore avait été poli pourtant, à croire que les parents de ce caillou ne l'avaient pas éduqué ! D'accord... Valkore allait donc employer les grands moyens. Il se releva et prît une deuxième tablette de cire sur laquelle il dessina sa spécialité : une rune Ma. Tout du moins, il essaya... la tablette était trop dure, à force de ne pas avoir été utilisée, et Valkore n'arrivait pas à graver sa rune dedans. Il détacha donc la troisième tablette de sa ceinture, souffla et inspira un grand bol d'air et grava la rune Ma sur sa tablette. L'effet ne se fît pas attendre, une terrifiante étincelle émergea du caillou.
Valkore était fier de lui, mais le caillou n'avait toujours pas bougé.
Comment faire... il n'était pas vraiment doué dans ce domaine, à vrai dire il n'avait encore jamais essayé ce genre d'exercice et il ne savait pas du tout comment s'y prendre. Mais il était malin, il avait son plan ultime.

Valkore se baissa, ramassa le caillou avec sa main et se retourna avec un sourire triomphant vers son "enseignant".

- Regarde monsieur ! J'ai réussi ! J'ai réussi ! J'ai soulevé le caillou !

C'est avec une grande joie et plein de fierté qu'il revînt près du vieux Nain, soulevant victorieusement le petit caillou qu'il avait au creux de la main.

Soulever le caillou... Des bataillons entiers d'aspirants s'étaient broyé les dents sur cette épreuve quasi-légendaire. La plupart du temps, ils n'arrivaient à rien; certains d'entre eux, toutefois, recelaient un tel potentiel de puissance que leur simple frustration avait suffi à embraser tous les cailloux dans un rayon de plusieurs mètres - la plupart du temps, cette explosion de rage consumait aussi l'étudiant.
Enfin, les plus hardis tentaient des combinaisons hypothétiques et hautement improbables de Runes contraires, amenant des alliances contre-nature qui avaient souvent des résultats passablement regrettables - l'Adepte Gèrolkhân avait fortement contribué à élever cette épreuve au rang de mythe, le jour où il parvint par inadvertance à intervertir le caillou avec son propre nez...

Dun Eyr sourit avec chaleur au jeune Nain. C'était peut-être là le premier qu'il voyait soulever le caillou avec les mains.
Primaire, certes, mais indubitablement efficace.

Cela aurait pu en rester là.Le Haut-Prêtre aurait pu passer une main bienveillante sur la frimousse de l'enfant, et lui payer un gâteau de champignons avant de passer son chemin. Mais pourtant, pourtant... Il y avait eu cette étincelle.
Ce Valkore - car ainsi se nommait-il - possédait la maîtrise de la Rune Ma, la grande Roue de Feu, le Charme des Rouge-Cuirasses. Peu de Nains de son âge pouvaient se vanter d'un tel savoir. A une telle époque de sa propre vie, Dun Eyr lui-même ne pouvait alors concevoir à une tablette de cire d'autre utilisation que le registre d'une taverne...

Cette étincelle, éphémère mais brillante, effrayait même le Haut-Prêtre. De tels donc pouvaient se révéler dangereux pour les néophytes. La Rune Ma avait déjà su se révéler fascinante à plus d'un esprit juvénile, jusqu'à broyer son corps en l'Éternel Brasier. Ainsi s'égaraient les âmes sur les sentiers de la gloire...
Fort heureusement, le Haut-Prêtre connaissait d'autres moyens d'adoucir les esprits à la rencontre des Runes flottantes.

- Eh bien, Valkore, tu es déjà un grand Runiste, crois-en les souvenirs d'un vieil errant comme moi. De mémoire de Prêtre, peu d'érudits ont pu se vanter de maîtriser le Fer et le Feu à ton âge. Mais voyons un peu ceci...

D'un long doigt élégant - chose rare pour un Nain, accoutumé à une fière paire de pognes trapues - Dun Eyr traça dans la poussière de roche un étrange creuset à simple barre, comme une ancre recourbée.

- Voici Nû, emblème de la Mirifique Néra, Déesse par delà les Cieux, et Suprême Créatrice des Souffles. Elle est la vie, elle est le grand coeur de ce monde, la pulsation des arbres.

D'une main, Dun Eyr s'empara d'un autre caillou, et le porta bien haut dans la lumière. Les forges proches, et quelques fanaux de tempête, conféraient à la pierre inerte un fier chatoiement de braise portée au rouge.

- Mogar, Valkore, Mogar est toute la fureur de ce monde, Mogar est le tonnerre du Feu qui s'effondre des cieux. C'est le Grand Guerrier qui parcourt les Nuages, et sa Lame n'a de cesse de labourer le sillon des forteresses. Regarde briller le feu, regarde fondre l'airain sous le marteau embrasé de l'artisan. Mogar nécessite toute ta violence pour naître d'entre le froid.

Dun Eyr marqua une légère pause et, portant le caillou à ses lèvres plissées, il souffla longuement, doucement, sur la surface grisâtre. Aussitôt s'envola toute la poussière de la roche, s'étiolant en volutes assoupis, rêveurs et baladeurs, dans les airs lourds des Bas-Tunnels de Kirgan.

- Mais Néra, Valkore, o Néra... Néra n'est que douceur, elle n'est que légèreté. Elle danse sur les ailes des papillons tout juste éclos, et dans la brise du petit matin encore tout embrumé. Même les forêts, aux grands arbres vénérables et puissants, sont trop rudes pour abriter la belle Déesse qui court la Lune. Aussi, Valkore, laisse toute ta haine, quitte les flammes de Mogar le Brûlant, et tourne-toi vers les doux oripeaux de Néra l'Assoupie. Et si la Déesse le veut, et si ton coeur s'apaise, alors donne vie à ce caillou. Fais-le s'éveiller, fais-le danser un cour instant au creux de tes paumes.

Et, s'effaçant d'un pas, Dun Eyr replongea en son sourire mutin, les yeux rivés sur le tout jeune Nain...

Valkore avait écouté sagement ce qu'on lui apprenait. Il aimait apprendre, quand il apprenait des choses ça lui permettait souvent de faire plein de trucs rigolos après. Mais cette fois-ci, la leçon était différente que les leçons avec Papa, c'était... plus compliqué. Valkore ne comprenait pas toujours tous les mots que le vieux Nain utilisait, mais l'essentiel était qu'il comprenant le sens global de ses phrases. Ne pas s'énerver... Valkore était plutôt quelqu'un d'amusé et joyeux et il ne s'énervait que très rarement, mais il est vrai qu'il lui est arrivé d'enrager sur un exercice face auquel il restait impuissant plus d'une fois. Ne pas s'énerver, être gentil, chercher la douceur. Mais Valkore avait déjà demandé gentiment au caillou de bouger, et ce dernier n'avait pas bronché pour autant. Ppfff... être apprenti runiste, c'est quand même dur !

Mais Valkore n'abandonna pas pour autant. après avoir plus ou moins bien intégré les propos du vieil homme, il observa la rune qui était tracée au sol. Elle était belle, Valkore l'aimait beaucoup. On pouvait sentir une paix intérieur submerger corps et âme à sa simple vision, et Valkore avait hâte de la reproduire. Il ne perdît pas plus de temps et dégaina son stylet ainsi qu'une tablette de cire dont il effaça l'ancienne rune gravée. Il observa l'esquisse sur le sol... un sourire, comme maman quand elle fait des bons gâteaux et qu'il sautait de joie à leur fumet. Et un trait vertical, comme le bâton de Ma. Après avoir achevé son oeuvre, Valkore recommença l'exercice à maintes reprises, afin d'ancrer dans sa mémoire la rune. Après quoi, il se releva et prît un caillou à son tour. Il souffla dessus, comme Dun Eyr et la poussière, mélangée à quelques postillons, s'éleva dans les airs tandis que Valkore toussotait. Il n'aurait pas dût porter le caillou ainsi à ses lèvres.

Quoiqu'il en soit, il jetta un coup d'oeil au caillou "propre" lui expliqua gentiment.

- Monsieur le caillou, nous allons faire un exercice tous les deux !

Il posa alors le caillou devant lui, s'agenouilla devant et commença à graver sur une plaquette de cire la rune Ma, mais également la rune Nû de Néra, bien qu'il ne connaissait pas encore son réel nom.
Il se concentra pour reproduire à la perfection les symboles, puis il s'adressa aux cailloux en laissant la puissance des runes agir.

- Soulève toi monsieur caillou, vole !

Le caillou ne s'envola pas, mais une nouvelle petite étincelle s'échappa de sous le caillou, ce qui eu pour effet de le faire sauter, certes d'une distance infime, mais sauter tout de même. Valkore ne savait pas s'il devait considérer cela comme une réussite ou non, il pensait que le caillou aurait lévité dans les airs. Il se retourna donc vers l'ancien, quelque peu déboussolé.

Dun Eyr n'avait pu s'empêcher de sourire de surprise devant le caillou mouvant. Décidément, ce petit Nain se révélait de plus en plus surprenant...

Et puis, il était arrivé. Un vrai Nain, un pur Fils de la Roche. Et, pire que tout, un Ingénieur. De ces Nains plus prétentieux que le volcan lui-même, pour la simple raison qu'ils savent bâtir de grosses arbalètes.
Le rude dialecte de Kirgan heurta les oreilles du Haut-Prêtre, de prime abord. Il avait presque oublié cela... Et ce rire. Quel rire, par Lirgan, quel rire...

Avec un brin de malice, Dun Eyr se souvint que sous les voûtes ciselées de la Cité Troglodyte, parmi les cavités de marbre fin, entre les pilastres de basalte argenté, vivait un peuple. Un peuple bruyant, bravache, avide de guerres, la chope perpétuellement à la main, la barbe enrobée d'un nuage de tabac noirâtre, tout sourire jusqu'aux dents. Un peuple qui s'amassait dans les tavernes, se saoulait à la bière de champignon jusqu'à l'aube, rendant sur les comptoir tout l'or miné dans la journée, et s'effondrant aux petites lueurs, ivre mort. Un peuple qui repartait, brumeux, à chaque matinée, pour creuser la pierre, la pioche tremblant sous les relents de la bière.
Tels étaient les Nains.
Et c'était bien pour cela que Dun Eyr les aimait.

Plongé dans son sourire, le Haut-Prêtre laissa parler l'Ingénieur. Celui-ci avait tiré une lourde arbalète, fort garnie au bâti, et la vantait devant Valkore. Ses petits doigts gourds montraient la double rune Ma-Nû qui ornait son travers, et demandait à l'Apprenti de nomme l'enchantement.
A ce qu'il semblait, l'Ingénieur n'avait aucune idée de la magie de son arme...

Dun Eyr hésita un instant. Il abhorrait par-dessus tout les impolis qui interrompaient son cours. Surtout lorsqu'il avait à instruire un élève aussi vif que Valkore.
Mais après tout... Se taisant, le Haut-Prêtre préféra laissa couler les choses.

Et si cela tournait mal, l'Ingénieur apprendrait qu'il ne fallait jamais mécontenter Dun Eyr...

Valkore fût surpris par l'apparition de l'Ingénieur.
Qui était ce monsieur ? Un ami de son professeur du jour ? Etait-il lui-même apte à lui enseigner des choses sur les runes ? Il semblait que non, Valkore fronça légèrement les sourcils en voyant arriver l'individu, mécontent de ne pas avoir eu la réponse de la part du vieux prêtre suite à l'interruption du cours. Cependant, ce sentiment fît vite place à la curiosité coutumière de Valkore. Il l'observa rapidement et se retourna vers Dun Eyr pour voir sa réaction, mais remarqua rapidement qu'il devrait se débrouiller seul.

Quand l'arbalète fût présentée sous le nez de Valkore, ce dernier s'en empara pour mieux fixer les runes.
Les traits de Valkore se plissèrent légèrement sous la concentration alors qu'il scrutait l'objet de la curiosité de l'ingénieur. Qu'était-ce... des traits, une boule. Valkore tourna, retourna, pivota, rotationa, tournicota l'arbalète, mais rien n'y faisait, il ne reconnaissait pas la rune. Il ne se rendait même pas compte que la rune ressemblait énormément à celle qu'il avait tracé peu de temps auparavant. La déception commença à se faire ressentir et Valkore abandonna l'idée de trouver la signification de cette rune. Cependant...

L'arbalète était entre ses mains, tripotée par ses petits doigts. Son regard se posa sur l'arme, puis sur le petit caillou, l'arbalète, le bout de roche... et l'idée lui vînt !

- Je sais pas monsieur, mais on va bien voir !

Valkore agrippa le caillou de sa main gauche, il arma "rapidement" l'arbalète avec grande difficulté et posa le caillou à la place où un carreau aurait normalement reposé. Après quoi, il visa un mur au hasard et s'écria.

- Yaaaahhhh !!! A L'ATTAAAAAQQQUUUEEEE !!!

Après quoi, il tira.

Dun Eyr eut un regard surpris en direction du négociant Nain à la devanture passablement ébréchée. Les vieilles coutumes Nains se perdraient-elles ? Haut-Prêtre ou non, un fier Nain n'aurait pas hésité un instant à envoyer son poing en travers de la mâchoire de Dun Eyr. Étrange, étrange...

Mais il y avait plus étrange encore. Il y avait Valkore.
Dun Eyr lui adressa avec chaleur un sourire débordant : décidément, ce petit bout de Nain était un génie. Non content de maîtriser plus ou moins les Runes, son esprit bondissant recélait des légions entières d'idées saugrenues, de véritables trésors d'ingéniosité.
Et - chose inhabituelle pour cette vieille éminence grise et grave qu'était Dun Eyr - le Haut-Prêtre adressa à l'Apprenti un vif clin d'œil.

- Remarquable, Valkore, absolument remarquable... Peu de jeunes Nains ont ton pouvoir, et les rares qui en jouissent ne sont déjà plus que de vieux grincheux reclus dans leurs manoirs clos de basalte.

Puis, lentement, sans rien changer à sa face hiératique, Dun Eyr tourna ses yeux de roche vers l'autre Nain. Non content d'avoir interrompu le Haut-Prêtre avec son élève, ce prétendu-Ingénieur n'avait pas même daigné donner son nom.
Chez les Humains, cela aurait valu un Duel sur le champ d'honneur.
Sous les forêts elfiques, il y aurait eu de longues méditations de paix dans le murmure des saules.
Mais à Kirgan la Belle, entre les arcades séculaires, l'on savait s'amuser...

Dun Eyr parcourut un instant la silhouette du Nain, et ne tarda pas à découvrir ce qu'il y cherchait : là, passée à la ceinture, dans l'ombre des replis de la veste, saillait une lourde clef à mollette.
Parfait, se dit le Haut-Prêtre.

- Valkore, les Runes ne sont pas qu'affaire de force. Le Sorcier honni déchaîne toute sa force dans la Magie, trop aveugle pour ressentir la pulsation chimérique du Flot. Mais les Runes, Valkore, chantent comme des arcs, comme des oiseaux : c'est affaire de précision. Si tu concentres toutes tes facultés, tu pourrais rougir un rivet sans échauffer le métal alentour. Feu Maître Kuln Khar pouvait embraser un brin d'herbe sans roussir les prairies sous les vents; l'on dit même que les libellules demeuraient sans crainte sur les flammes, car les Runes épargnaient leurs pattes d'éther. Quant à toi, Valkore, il n'y a nulle prairie, nulle herbe à brûler par ici. Mais ce brave Nain arbore là une belle clef d'acier, que tu sauras porter au rouge sans élimer son tabard.

A l'adresse de l'Ingénieur, le Haut-Prêtre ne bougea pas un cil, ne laissa échapper pas même un signe. Son visage demeurait figé en son demi-sourire lunatique, comme taillé dans un beau marbre roux, à fines nervures. Si le cobaye avait cherché là un quelconque réconfort, il pouvait abandonner tout espoir...
Et, avant que de retourner à son masque de silence, Dun Eyr lança à l'Apprenti un ultime clin d'œil.

Valkor observa l'ingénieur, étonné.

- Pourquoi je dois devenir un prêtre ? Je veux pas moi, c'est nul, je veux devenir un graaaaaannnnnnnnnd runiste, comme papa !

Après quoi, il écouta Dun Eyr qui le félicitait et lui fît un clin d'oeil. Il était fier de ces compliments, et bomba le torse lorsque le prêtre lui affirma qu'il égalait de très vieux Nains dans le domaine des runes.

Puis, son aîné lui donna de nouvelles explications... Valkore n'assimila pas toutes les informations, mais il mémorisa quelques mots clés : Runes, chant, précision, concentration, feu. Feu ? Un feu qui brûle, mais ne brûle pas autour ? Valkore ne voyait pas très bien comment tout cela était possible, mais il acquiesça sans avoir compris, pour ne pas décevoir son interlocuteur ! Maintenant, il devait faire rougir la clé à molette. Dun Eyr fît un clin d'oeil à Valkore qui lui en fît un également, en ricanant. Valkore aimait bien les clins d'oeil, c'est rigolo. Quand il joue avec des amis, parfois il leur arrive de faire des clins d'oeil, quand par exemple ils jouent au garde qui doit chercher le voleur qui a volé l'orange d'un marchand par exemple, et que le garde et bien il questionne quelqu'un mais que en fait c'est pas lui le voleur et que le voleur il fait un clin d'oeil à l'autre qui rigole aussi. Les clins d'oeil, c'est vraiment drôle !

Mais drôle ou pas, là n'était pas le sujet. Valkore devait rendre cette clé rouge ! Bon, il savait que le chaud rendait le fer rouge, il l'avait déjà vu chez le forgeron. Valkore se concentra alors, il lui fallait également être très précis, le prêtre l'avait dit. Il dégaina son stylet, grave une belle et grosse rune Ma sur une tablette de cire rouge et se concentra sur la clé à molette. Elle était toute grise, comme ça barbe, mais elle devait devenir rouge ! Rouge, et si sa barbe devenait rouge ? Ce serait drôle, et il pourrait faireu n clin d'oeil à Dun Eyr ! Mais il ne fallait pas ! C'est la clé qu'il devait chauffer, pas la barbe. Valkore se concentra un peu plus, fixant la clé, la barbe... non ! la clé ! Puis, il toussota pour s'éclaircir la voix et arriva dans la phase finale : le chant ! Il fallait chanter, on venait de le lui apprendre.

- Ainsi font, font, font, les petites arbalètes, ainsi font, font, font, des gros trous et s'recharg'ront !

Valkore ne savait pas si la chanson devait avoir un rapport, mais il n'avait que celle là dans la tête, à cause de l'arbalète qu'on lui avait prêtée. Allez, il faut rendre cette barbe rouge ! Euh non, la clé à mol...

Mais c'était trop tard, la puissance de la rune Ma venait de faire son oeuvre, et la barbe de l'ingénieur commençait à prendre feu.

- Oups !

"Tu es trop bouillonnant, Dun Eyr. Trop impétueux. Parmi les fleuves rouges qui tombent sous les replis des montagnes, tu n'es point le silencieux rû qui serpente au long de ses dédales, tu n'es point la claire rivière qui chante sous les saules aux oisillons. Tu es, Dun Eyr, le torrent furieux des roches, qui transporte sa colère et mille corps vers les chutes pourpres du monde..."

Ainsi parlait Maître Kuln Khar, sage parmi les sages, au temps où Dun Eyr n'était qu'un Aspirant dans le Temple de Lirgan. Certes...
Mais Kuln Khar avait aussi été le premier à se jeter dans la mêlée, lors de la célèbre "Rixe des Chopes Fendues", qui avait à jamais marqué Lante par les trois jours interrompus de bagarre au cœur même de la cité.

Et tandis que le Haut-Prêtre s'emparait rageusement de ses tablettes runiques une fois encore, il se souvint de Kuln Khar, émergeant de la cohue, la robe maculée de bière et de sang, pour crier :
"Le sage peut être sage, l'idiot demeure un idiot."
Tirant son stylet de sa besace, Dun Eyr contempla un instant Mokhy, l'Ingénieur rustre. Que pouvait donc se dire le Haut-Prêtre à cet instant ? Probablement passait-il en revue l'écheveau des envoûtements qu'il aurait pu incanter sur le Nain à la barbe roussie. Le brûler, le métamorphoser en rat des cavernes ?... Intéressant.
Pourtant, un simple regard alentour apprit au Haut-Prêtre qu'ils n'étaient plus seuls. Quelques badauds, quelques Nains vagabonds, et là-bas deux marchands des Baronnies, observaient en coin la scène. Certains commençaient de s'amasser, bruissant de murmures, de rires.
Derrière, les Gardes Royaux, réfugiés sous l'airain de leurs cuirasses, gourmandaient du regard l'agitation naissante. Les Nains étaient par nature bagarreurs, leur sang grondait en eux. Les Tavernes avaient toujours été leur exutoire favori : de la chaleur, de la bière, et d'autres cogneurs à la ripaille.
Mais ici, au sein-même de la cavité centrale...

D'un oeil averti, Dun Eyr lorgna la cassette de Mokhy, hérissée de métaux et autres lingots... et qui écrasait présentement le pied du Haut-Prêtre.
Cela ne manqua pas de lui murmurer quelques idées d'enchantement...
Traçant à toute vitesse un enchaînement complexe de Runes, comme un cracher d'arbalètes. Qu'était-ce là ? Doubles traits, creuses cavités, encoches fines... C'était là tout ce qu'aurait pu voir un novice, mais pour Dun Eyr, tout cela faisait sens.
Alors même qu'il élevait sa tablette, le Runiste se demanda avec amusement :
Un Ingénieur poursuivi par sa propre ingénierie, un créateur pris en chasse par ses créations... est-ce que cela court vite ?

Que tes souffles, Néra aux bras blancs, agitent l'airain.
Que ton maillet de roche, Rodmin au coeur d'argent, réville les monolithes de jadis.
A ton bastion, Bel Ikthor, aux portes rouges, frappent les chimères sans armure.
Et par ton chant, Lirgan l'Étoilé-des-Songes, s'assemblent les vents et les marées vermillonnées.

Là, dans le sac aux métaux, quelque chose bougeait : les barres frémissaient, se tordaient, ondulaient en serpents, quelques étincelles bleuies venaient danser aux coutures du cuir. Tout cela prenait forme...
Dans un éclair, Dun Eyr eut peur. Terriblement, irrémissiblement peur. Et s'il avait vu trop haut, si les Runes jaillissaient de leur propre soupir, si son âme tombait sous l'effort ?... Il avait été fou de mêler ces desseins divins.
Avec rage, rage contre lui et sa bêtise, Dun Eyr recracha sa peur hors de lui-même, et concentra ses forces filantes sur le sac. Il ne s'agissait plus de pâlir, il s'agissait d'être, et de lutter.
Soudain, sous la brume des Énergies courantes, les lingots ferreux bondirent en un instant, érigés en titans, furieux. D'entre le sac s'éleva une rude forme, automate rouge des métaux, au squelette du plus bel airain. Il avait la large stature des Nains, mais une épaisseur de muraille, et rude comme mille doloires, sans autre visage que quelques poches de fer. Puissant comme un étrange rouage, il arrachait du sol ses lourdes pales et ses paumes grises, entre le Haut-Prêtre et l'imprudent Mokhy. Et, si quelque chose pouvait ressembler en cela à des yeux, alors il toisait l'Ingénieur d'un fort cuisant regard...

Qu'était donc cet être à l'âme d'acier fort ?
Il était l'improbable assemblage des métaux de la giberne, l'étrange silhouette tracée par vingt lingots et six clefs unis sous les Runes.
Et les érudits l'auraient nommé golem.


L'étourdissement prenait Dun Eyr, les griffes de l'énergie puisaient violemment en son esprit. Il ne saurait maintenir cet enchantement trop longtemps, mais pour l'heure... Un véritable rocher de métal, froid comme un lourd pivot, dressait ses épaules d'airain face à Mokhy.
Se redressant, Dun Eyr contempla son œuvre - non sans une pointe de fierté ivre - et lança :

- Mokhy, fier Mokhy. Les Nains sont les Nains, et c'est déjà beaucoup. Et si tu es fort occupé, alors pars maintenant, et d'un pas sûr, car ma créature redeviendra le lot de tes outils lorsque tes pieds seront un peu éloignés. Quant à l'heure, il me faut retourner en mon Temple, redescendre en l'abîme de la montagne. Et si tu veux connaître l'Harmonie pure des runes, alors il te faut, Valkore, me suivre sous le monde...

Déjà, Dun Eyr s'éloignait de quelques pas, l'esprit tout absorbé à l'effigie de métal. Cette scène ridicule n'avait que trop duré, et les badauds s'attroupaient par trop alentour.
Le doux silence de son Temple enfoui manquait au cœur du Nain fourbu...

Valkore observa avec attention les actes du vieux prêtre, avec admiration. Il mémorisa les gestes qu'il faisait sur sa tablette, ou du moins essaya, pour peut-être pouvoir les mimer plus tard.

Lorsque le Golem s'éleva, il trembla de peur et d'excitation à la fois. Une telle puissance magique réunie sur une simple tablette, il avait hâte de pouvoir faire cela lui aussi ! Il écouta l'avertissement de Dun Eyr pour Mokhy, et son invitation à son encontre.

- Oui monsieur ! Je viens avec toi !

Après quoi, Valkore vînt se placer aux côtés du vieux Nain et s'agrippa à ses vêtements de la main droite pour ne pas risquer de le perdre.

(Désolé, pas beaucoup de temps donc un petit post court histoire de faire avancer le RP quand même !)

Chocs, claquements, brimbalements divers de métal ramassé. D'un seul mot de Dun Eyr, le Golem n'était plus. Les outils étaient retournés à l'inertie de leur sac, gris et froids, comme morts.
L'œil trouble, le Haut-Prêtre tenta de reprendre son souffle, avec peine. Il avait été trop loin dans l'enchantement, au point fatidique où le sort engloutit la vie elle-même, dévore l'âme du magicien téméraire. Pour cette fois, le Nain s'était arrêté à l'extrême-limite de ses forces runiques. La chance, seule la chance...
Ne devoir sa survie qu'à la chance, voilà qui empoisonnait l'esprit de Dun Eyr.
Et avoir risqué son souffle pour un Ingénieur malappris, voilà qui le rendait fou...

Un long moment, le Haut-Prêtre demeura muet, accoudé à la paroi de pierre, le teint blême, blafard comme la peur.
La peur ? Comment pouvait-il encore se faire peur, lui, Dun Eyr, sage parmi les sages dans les éminences de Kirgan.
En définitive, grommela-t-il pour lui-même, Maître Kuln Khar avait une fois encore raison : "Il n'est pas plus ignare que le Prophète qui dit tout pouvoir."

Il restait encore un long chemin à parcourir pour que Dun Eyr atteigne le grave savoir qu'il croyait détenir...


Alors, le Nain émergea de ses pensées, et se tourna vers sa droite. Valkore, tout sourire, attendait son Maître, les yeux baignés de curiosité.
Le sagesse commencerait là, ainsi...

- Viens, Valkore, nous marchons dans l'abîme de Kirgan, vers le Temple du Ciseleur Vermeil. Mon esprit ne sait que peu de choses, mais toutes ces maigres lumières, je te les transmettrai. Peut-être voleras-tu un peu plus loin que ton idiot de Maître...

Et, le sourire au coeur, Dun Eyr s'enfonça dans les ténèbres brunes d'une galerie plongeante, et le petit Apprenti venait sur ses pas.