Confessions | Aerandir

Katalina était épuisée. Elle tenait à peine debout, et il était certain qu’elle n’aurait aucun mal à s’endormir. Elle n’aspirait plus qu’à se glisser sous ses couvertures et à fermer les yeux en priant pour que le sommeil l’emporte avant le mal de tête. En réalité, s’arrêter avait été une mauvaise idée, tout du moins pas la solution la plus reposante. Mais ce n’était pas grave, il ne leur fallait plus que quelques jours pour rejoindre Odelian, et elle n’aurait qu’à se reposer plus que de raisonnable avant la cérémonie. Elle s’était éloignée du repas et de la cacophonie qui y régnait, et marchait désormais en silence vers la chambre qu’on avait mis à sa disposition. Elle avait bien pris garde de mémoriser le chemin permettant d’y aller, demandant à la petite sœur de Johann de la guider une première fois. Une gamine adorable, tout le contraire de son aînée. Enfin, pour la défense du Commandant, elle n’était pas détestable, juste trop directe, trop franche et La ferme était silencieuse, une fois le capharnaüm du diner occulté. C’était agréable de retrouver un semblant de calme, elle pouvait de nouveau faire le tri dans ses pensées.

Comment se passerait donc sa « confrontation » avec ce monde qui n’était déjà plus le sien ? Si la noblesse avait eu vent de la venue des Hauts Prêtres chez elle, si elle avait entendu parler de la façon dont tous s’étaient agenouillés devant elle… Quelle serait leur réaction ? D’une certaine façon, elle était pressée d’en finir, de se présenter une dernière fois avant de, surement, tirer sa révérence. Ce qu’elle ferait ensuite, elle n’en avait aucune idée, mais elle savait qu’après le mariage de Gaucelm d’Odelian, plus jamais elle ne se présenterait en « Katalina Noblegriffon, héritière de la lignée des Noblegriffon ». C’était une page de son histoire qu’elle allait tourner, rien de plus et rien de moins, et ce qui s’écrirait sur la suivante était un mystère qu’elle avait hâte de percer. Gardienne, officielle ou non, mère… Heureusement, elle ne serait pas seule. Tournant sa tête vers Aerandir, qui venait de la rejoindre, elle esquissa un sourire et se lova dans ses bras.

« J’ai envie de fraises. » murmura-t-elle, taquine.

Le pire était que ce n’était pas uniquement une boutade, alors même qu’elle n’y réfléchissait pas la seconde d’avant. Elle avait entendu parler des envies des femmes enceintes, sans jamais y avoir cru réellement, mais elle devait bien avouer en cet instant précis que ses doutes vacillaient. Passant ses bras dans le dos du sang-mêlé, elle embrassa son cou avant de caller sa tête contre son épaule et de fermer les yeux.

Les yeux fermés ou non, c’était toujours l’obscurité que contemplait Katalina. Elle avait finit par s’y habituer. Chaque matin, se réveiller dans les ténèbres était un peu moins dur. Elle s’était pourtant mise à apprécier la nuit, se disant que quand la lune entamait son règne sur le ciel, son handicap n’avait plus d’importance. Elle redevenait l’égale de ces hommes et de ces femmes qui pourraient voir leur progéniture grandir. Garder les paupières closes ou non n’avait aucune espèce d’importance, ou tout du moins pas pour elle, pourtant, elle les ferma quand elle se lova dans les bras du sang mêlé. Ainsi étreinte, elle avait l’impression que tout redevenait normal, que tout irait bien, et que rien ne pourrait plus jamais l’atteindre. Elle avait pourtant eu la preuve que, même protégée par Aerandir, elle n’était pas à l’abri de tout, et que les plus mauvaises surprises ne venaient pas toujours des gens auxquels on aurait pu croire. Il avait été la cause de ses tourments, mais c’était inévitable, au final. Le monde n’était pas un conte de fées, le bonheur parfait n’existait pas, même si elle avait cru le trouver. C’était peut-être mieux ainsi, car qu’aurait été le bonheur s’il était devenu la norme ? Il faut parfois accepter que les choses aillent mal pour avoir le plaisir de les voir s’améliorer. Et elles s’amélioraient indubitablement, bercées par le rire clair et sincère du Gardien d’Arcamenel.

« Notre enfant mène-t-il déjà sa mère par le bout du nez ? Sait il déjà que le murmure maternel fera plier le rugissement paternel ?
- Peut-être… Ou peut-être n’a-t-il rien à voir là-dedans, comment savoir ? » répondit-elle dans un murmure, embrassant de nouveau son cou, sans ouvrir les yeux.

Elle aimait sentir ses doigts s’attarder sur son ventre. Elle aimait cette complicité autour de leur enfant à venir. Elle esquissa un léger sourire, s’imaginant la scène, s’enivrant de cette vision onirique et hors de portée. Mais qu’importait, au fond, qu’elle le voit, le sentir près d’elle, doux et attentionné, attentif et passionné, lui suffisait amplement. Il l’était tellement qu’il lui proposa de s’allonger et de fermer les yeux le temps qu’il aille chercher ce qu’elle voulait. Elle ne s’était pas attendue à cela. Après tout, il était déjà tard, et lui aussi devait être épuisé. Pourtant, elle ne dit rien pour l’en empêcher, car s’il aurait été agréable de le garder avec elle, l’imaginer fouiller les alentours de la ferme à la recherche des fruits tant convoités l’était presque plus. Combien de femmes pouvaient se targuer d’avoir une telle chance ? Elle n’en avait pas la moindre idée, mais la possibilité d’en faire partie était alléchante.

« Reviens vite, ou je risque de m’endormir malgré moi. » fut son seul encouragement, et elle fit son possible pour paraître sérieuse, même si elle ne put masquer le sourire réjouit qui s’invita dans les trémolos de sa voix.

Et elle le laissa partir, femme amusée devant le dévouement de son homme, comblée aussi d’une certaine façon. Sur l’instant, elle se rendit compte qu’elle espérait presque qu’il échouerait. Elle s’imaginait son retour après plusieurs heures de recherches infructueuses. Elle l’aurait alors pris dans ses bras et l’aurait bercé pour le consoler. Vision agréable, qu’elle n’abandonna pas alors qu’elle commençait à se débarrasser de sa robe. Seule avec l’obscurité, dans une chambre dont elle ignorait à peu près tout sinon l’emplacement de la porte et dut li, la peau délestée des étoffes qui la serraient depuis le début de la journée, elle posa une main sur son ventre et ne bougea plus, attentive au moindre mouvement. Elle ne savait plus exactement à partir de quel moment elle était supposée le sentir bouger en elle, et se doutait que ce ne serait pas pour tout de suite, mais c’était devenu une sorte de rituel qu’elle n’aurait manqué pour rien au monde. Mais ce qu’elle ressenti quelques secondes plus tard n’avait rien à voir avec le coup de pied maladroit d’un bébé. La vague qui la traversa n’avait rien de matériel, tout du moins pour la grande majorité des mortels, mais elle était bien réelle, et elle avait une… odeur. Le terme n’était pas exact, mais c’était le premier qui lui était venu à l’esprit. Elle n’avait rien touché de tel quand Trystan avait créé sa bulle de silence, mais peut-être était-ce parce que le sort était alors trop faible. A moins que sa perception ne s’améliore, mais c’eut été étonnant. Dans tous les cas, ce qui venait de se passer portait la marque d’Aerandir.

Déçue ? Peut-être un peu, elle aurait sans doute apprécié qu’il n’use pas de ses dons. Qu’il reste un homme démuni devant la soudaine envie de sa compagne enceinte, mais c’était mal le connaître. Il ne se laissait jamais prendre de court, après tout. Qu’avait-il fait, exactement ? Elle n’en avait aucune idée, ce pouvait être tout et n’importe quoi. A bien y réfléchir, la vague avait un… goût - encore une fois, le terme était inexact, mais quand la sensation ne vient d’aucun de vos cinq sens, il est difficile de trouver ses mots - de persuasion. Vraisemblablement, il n’allait pas la satisfaire seul. Haussant les épaules, elle esquissa un léger sourire qu’elle espérait non forcé et commença à s’habiller de sa robe de nuit. Elle n’avait pas matière à être déçue, elle le savait très bien. Elle connaissait le sang-mêlé, désormais, sans doute mieux que beaucoup, et elle avait très vite compris que les pouvoirs offerts avec sa charge de Gardien faisaient partie intégrante de sa vie. Pour lui, c’était comme se servir de ses mains ou de ses jambes. Dire qu’elle-même évitait de trop toucher des objets qu’elle ne connaissait pas de peur d’avoir une vision révélait bien toute la différence de leur condition respective. Quand elle fut prête, elle s’allongea, comme il le lui avait demandé, et attendit son retour. Rapidement, sa respiration se ralentit et elle plongea dans un état de semi-conscience. Elle ne réagit pas tout de suite quand il entra, mais finit par se retourner avec paresse sur le dos et s’étirer.

« Tu vois… Je suis presque endormie. » lâcha-t-elle en même temps qu’un bâillement, amusée malgré elle de son propre état. Attrapant l’oreiller, elle le posa contre le dossier du lit et s’y appuya. Elle crut percevoir l’odeur de fraises des bois et sourit, pas réellement surprise. L’arôme la ramena à son envie, non feinte, et elle dut réprimer son impatience de l’assouvir. « Qui les a trouvées ? »

Sa voix annonçait clairement que, si elle n’était pas dupe, elle ne se permettrait pas de lui reprocher quoi que ce soit. Même si elle avait du mal, encore, à accepter l’idée que les Chants d’Aerandir ait une telle influence sur son entourage - cela lui rappelait trop la période où elle doutait elle-même d’être la victime d’un de ses charmes, et ce n’était de toute façon pas « bien » - elle ne se permettait pas de juger. Surtout pas après avoir tué Nhilantar avec les siens. Il n’était toujours pas au courant, et ne lui avait pas posé de questions. Il fallait avouer que la situation ne s’y était guère prêtée, avec les querelles qui s’étaient succédé au sujet du voyage. Au grand soulagement de la Gardienne, il ne s’était pas renfermé parce que celui-ci était finalement devenu réalité. En réalité, il semblait même s’amuser, et peut-être y avait-il de quoi. Le rire de sa voix chatouilla les oreilles de Katalina qui esquissa un sourire. Lui faire oublier son nom, une idée amusante, au fond, bien qu’elle doutait d’en être capable.

« Seulement si tu viens me prendre dans tes bras. » lui répondit-elle. « Cette odeur est un supplice, fais moi donc goûter ton trophée. »

Il ne répondait pas, bien entendu. Katalina aurait été la première surprise si jamais le sang-mêlé lui avait avoué avoir utilisé un des gardes de son escorte ou un membre de la famille de Johann. A la place, il préférait laisser planer le mystère, usant de tortueuses paroles sibyllines qui, jadis, auraient arraché un froncement de sourcils à la pauvre noble. Elle n’était plus dupe, désormais, et voyait à travers du Gardien l’homme et ses défauts. Arrogance, fierté… Et jamais au grand jamais l’idée de remise en question ne l’effleurait. Aerandir était ce qu’il était, mais il était venu à elle quand elle était perdue dans la tourmente, l’avait prise par la main et l’avait ramenée vers les eaux calmes. Il avait bien le droit de tricher de temps en temps.

« Ce n’est pas important, de toute façon. » concéda-t-elle de bon cœur.

L’être amoureux de sa maîtresse. Jamais il ne mentait, d’une certaine façon. Il jouait avec les mots comme certains avec des balles, jonglant avec une aisance parfois déconcertante. Il avait raison, d’une certaine façon, car peu importait les moyens utilisés, le résultat était là. Katalina ne pouvait pas reprocher au sang-mêlé de se servir des dons de son Dieu, pas depuis qu’elle savait à quel point il était aisé de céder à la tentation. Tout était si facile, si évident, qu’elle avait du mal à mesurer la portée de ses actes. Elle avait tué Nhilantar poussée uniquement par la rage et la haine, elle avait assommé Licsis en essayant de l’aider. Que ferait-elle ensuite ? En réalité, elle jalousait presque son contrôle, mais savait que leur situation n’était pas comparable. Elle se demandait cependant comment avaient été ses premiers pas d’aveugle. Son passé de Haut Prêtre avait du grandement l’aidé, mais elle n’avait pas eu la chance d’avoir une préparation à ce qui l’attendait.

Seulement, l’heure n’était pas à ces questions qu’elle se posait sans cesse. Ce soir là, épuisée par une journée éprouvante, elle n’avait qu’une envie : se lover dans ses bras et manger ces fraises qu’il lui avait ramenées. Surtout qu’il la tentait, cruel animal tenant en ses mains tendues mais encore inaccessibles le fruit désiré. Heureusement pour lui, il répondit rapidement à son appel, prenant juste le temps de se dévêtir. Katalina esquissa un sourire ravi quand elle put se blottir contre lui. L’ombre d’un souvenir, une crise de panique dans les bains du Temple d’Alëandir, dansa devant ses yeux et le calme qu’elle ressentait alors lui réchauffa le cœur. Il porta à ses lèvres le trésor « durement » gagné, et elle put enfin savourer le délice sucré.

« Tu es un amour. » lâcha-t-elle dans un soupir, conquise une nouvelle fois.

Elle ferma les yeux, laissant ses doigts caresser les bras de son tendre alors que celui-ci effleurer la peau de son ventre. Un geste simple, mais ô combien appréciable. Soupirant doucement, elle se lova encore un peu d’avantage. Tout était parfait, éclatant de simplicité. Elle en oubliait presque l’ombre des dernières semaines, discordes planant toujours entre eux. Elle tenait peut-être une occasion de les chasser définitivement. Et ça valait la peine de prendre le risque de briser ce moment idyllique.

« J’ai tué Nhilantar. » lâcha-t-elle soudainement. « Cette nuit là, quand je me suis égarée dans le Royaume de Tyra… J’ai tué Nhilantar. »

« Te sens tu soulagée ? demanda-t-il en penchant légèrement la tête.
- Le devrai-je ? Alors que je n’ai fait que le… désirer. »

Ca avait été une leçon : se méfier de ses propres désirs. Une leçon difficile à assimiler, c’était un peu comme si elle ne pouvait plus se faire confiance. Mais elle n’avait plus le choix, et elle avait fait l’effort de se dompter, elle qui avait souvent lâché la bombe à ses émotions… Intérieurement, du moins. Elle s’était toujours autorisée à ressentir sinon à montrer, pour ne pas devenir folle. Elle s’était permise de confesser à Théodore, qui en savait plus sur sa protégée et sur ses ressentiments que quiconque, Aerandir mis à part. Fermant les yeux même si cela ne changeait pas grand-chose, elle se laissa aller, accueillant sa caresse avec un certain soulagement.

« La vengeance est souvent amère et dénuée de saveur, répondit-il sans rien laisser transparaître de ses émotions, mais parfois, elle se révèle le remède tant attendu.
- Je ne regrette pas de l’avoir tué. Pour se jouer de moi, il m’a envoyé un masque… Je n’ai pas pu le voir, et c’est une bonne chose, mais il y avait sa… signature. » Sa main vint se poser sur sa robe, effleurant le « N » qui, à jamais, graverait sa chair. « J’ai pu lui… parler. C’était étrange, il pouvait me voir, m’entendre, mais il était dans l’incapacité de me toucher. Impuissant. »

Laissant le silence s’installer de nouveau, elle se remémora la scène. Sa surprise, rapidement remplacée par de la peur. Son soulagement quand elle avait compris qu’il était impuissant. Puis leur discussion, et sa « victoire » sur le monstre qu’il représentait.

« Il n’est plus qu’un spectre… Déchu, pitoyable même. Il n’est plus digne de me hanter. »

Aerandir ne s’y tromperait pas, il saurait comprendre le véritable message et ses implications. Elle ne parlait pas à la légère, ce n’était pas des paroles en l’air et elle ne cherchait pas à se convaincre elle-même. Doucement, elle chercha ses mains, avant de les faire joindre sur son ventre et de les recouvrir ses siennes. Ses doigts s’égarèrent en légères caresses, à peine des effleurements, alors qu’elle pensait à tout ce qui avait pu se passer. Trystan et Serramire, les Hauts Prêtres et leur désir de reconnaître leur Gardienne, Johann et ses traumatismes… Tant de problèmes dont elle n’avait pas encore les réponses. Elle voyait sa terre natale écartelée, déchirée par des luttes intestines qu’elle aurait pu résoudre jadis. Elle entendait tout un Culte attendre sa venue, sans avoir réellement envie de répondre à son appel. Elle se confrontait, enfin, à un mur qui lui rappelait étrangement ses propres murailles, et elle se retrouvait dans l’incapacité de l’aider. Elle avait l’impression de ne pas être à la hauteur, d’être dépositaire de pouvoirs qui pouvaient faire la différence mais dont elle était incapable de saisir la véritable portée.

« Je me sens inutile, Aerandir. » confessa-t-elle.

Rarement dans sa vie elle n’avait du affronter pareil état d’âme. Elle avait toujours eu un but, un objectif à atteindre, clair et limpide dans son esprit. Aujourd’hui, à part pour imaginer son enfant grandir, elle avait du mal à envisager l’avenir, et même si cela restait une perspective qui lui réchauffait le cœur, ce n’était pas suffisant.

Etre Gardienne lui avait fermé toutes les portes qu’elle empruntait jadis, et elle ne voyait pas quelle voie il lui restait à emprunter.

La réponse d’Aerandir ne l’aidait pas vraiment. Savoir qu’il s’agissait là d’une réaction normale, tout à fait compréhensible et, à priori, passagère ne lui disait pas comment changer cet état de fait. Elle n’avait aucune envie d’attendre que le chemin lui soit dévoilé, comme il le disait. Elle n’avait jamais eu besoin de personne pour décider du cours que prenait sa vie. Elle avait certes eu plusieurs changements brusques de caps indépendants de sa volonté, mais au final, elle avait toujours pu influer d’une manière ou d’une autre. En résistant à Nhilantar, en choisissant de suivre Aerandir et de laisser Merwyn derrière elle, en planifiant son retour. Et elle n’entendait pas agir d’une manière différente cette fois-ci.

« Ce n’est pas tant le chemin que… commença-t-elle, avant de soupirer. Je verrai bien. Isylindë prévoit d’annoncer au Culte mon existence. Enfin, l’officialiser, même si cela revient au même. »

Il était audible que cette perspective ne l’enchantait pas. Pourtant, elle n’avait rien fait pour convaincre Hitihiel de changer ses plans, et elle entendait bien faire ce qu’on attendait d’elle du mieux qu’elle le pouvait. Parce qu’elle avait été élevé ainsi. On lui avait appris à faire ce que lui dictait son devoir et à ne pas fuir ses responsabilités. Elle n’avait pas choisi de naître noble et de porter sur ses épaules la charge de faire rayonner le nom de ses ancêtres, mais elle l’avait acceptée. Au final, était-ce différent de ce nouveau manteau ?

« Je suis désolée, mais… Après Odelian, nous devrons rejoindre Diantra. Je pourrai rencontrer le clergé de Tyra, de cette façon. Et cela me permettra de régler une bonne fois pour toute cette histoire de succession. »

A mesure qu’elle parlait, elle affirmait son choix et sa résolution, si bien qu’à la fin, il ne faisait aucun doute qu’elle agirait comme elle l’avait dit. Pauvre Aerandir, il avait déjà entendu ce ton, s’était opposé à sa compagne, mais à la fin, il s’était tout de même lancé sur les routes avec elle. Cette fois-ci, par contre, elle ne lui disait pas tout. Il y avait une autre raison qui la poussait à vouloir rejoindre la capitale : c’était là bas que se trouvait Licsis Nécrose, Haut Prêtre de son état… Un individu dangereux et violent, qu’elle devait surveiller. Mais il s’agissait là des affaires du Culte de Tyra uniquement, et elle ne pouvait pas y impliquer le Gardien d’Arcamenel. Elle n’aimait pas cela, mais elle n’avait pas besoin qu’on lui explique pourquoi elle ne pouvait rien y changer.

« Il suffira de longer les côtes pour éviter le gros des montagnes et de voyager lentement, et tout devrait bien se passer. »

En réalité, rien que l’idée de couvrir une aussi longue distance l’horrifiait, mais elle ne pouvait imaginer attendre son accouchement. Elle préférait souffrir un peu pour rejoindre Diantra et passer les deux semaines qui suivraient son arrivée à dormir comme une véritable marmotte plutôt que de tourner en rond dans sa demeure. Dans tous les cas, Katalina détestait tourner en rond.

Sur le coup, Katalina ne comprit pas. Elle se contenta de froncer les sourcils, de noter l’intervention et de se promettre de l’analyser plus tard. C’était souvent comme ça, avec Tyra. Elle ne disait rien au hasard, mais parfois, les raisons n’apparaissaient pas clairement du premier coup.

La vie de Katalina était devenue terriblement intéressante depuis la mort du Duc de Langehack. Trop intéressante, même, et elle devait à Aerandir d’arriver à supporter cet enchaînement improbable de péripéties. Même s’il avait ses défauts, même s’il commettait ses erreurs, il restait ce rocher auquel elle s’accrochait durant la tempête, confiante en sa stabilité. Et elle s’en voulait, même si elle le cachait bien, de l’obliger à voyager autant et de le conduire dans des environnements qu’il n’appréciait pas. L’entendre déclarer qu’il n’aimait pas Diantra était un nouveau poids qu’il rajoutait sur ses épaules. En plus de l’inquiéter pour le voyage, voilà qu’elle décrétait une destination qu’il ne portait pas dans son cœur. Fermant les yeux, elle se lova un peu plus dans ses bras, cherchant à trouver une solution. Aller à Diantra serait nécessaire, mais était-ce réellement si urgent. Ce qu’elle comptait y trouver pouvait sans doute être découvert ailleurs, et ce qu’elle comptait y accomplir pouvait être réglé après son accouchement. Néanmoins, était-ce sage de repousser ? La réponse, décréta-t-elle, viendrait d’elle-même après sa confrontation avec Licsis Nécrose. Après tout, le Grand Prêtre de Serramire pourrait très bien accéder à ses requêtes. Pour ce qui était de son Empire, il se débrouillait très bien sans elle et pouvait très bien continuer sur sa lancée. Elle n’avait qu’à s’y intéresser un peu plus et faire de nouveau parler d’elle pour rassurer ceux qui pensaient qu’elle les avait oubliés.

« Rato, llie naa nae shesh amim. » murmura-t-elle.
Bientôt, tu seras las de me suivre partout.

L’elfique… Katalina aimait cette langue, sa sonorité, mais surtout l’impression qu’elle lui donnait d’être seule au monde avec le sang-mêlé. De ce côté-ci de la frontière, loin d’Anaëh et de ses habitants, ils n’étaient qu’une poignée à parler la langue sylvaine. Les chances qu’un autre que lui comprenne ce qu’elle lui disait était donc quasi-inexistante, et cette idée lui plaisait. Attrapant une nouvelle fraise, elle en croqua la moitié avant de porter le reste aux lèvres d’Aerandir, pensive. Elle ne savait toujours pas ce qu’elle ferait une fois rentrée du mariage, mais avait pris le parti de le décider quand l’heure serait venue. Se soulevant légèrement, elle déposa un baiser à la commissure de ses lèvres, avant de s’abandonner contre lui.

« Kaimhi eithel. »
Dors bien.