Laissez la bouteille. (T'riss)

Souvenir. Souvenir qui vous hante, qui vous obsède, ne vous lâche plus. Il était insupportable de voir qu’une seule et même image reste dans les pensées de quelqu’un, nuit et jour. A y penser sans relâche, l’être concerné en deviendrait fou sans doute d’autant plus que la remise en question de toute une vie d’errance était remise en cause. Certes, le trait était un peu exagéré, mais l’essentiel était là. Ce n’était pas seulement cette rencontre avec cet elfe noir sorti de nulle part mais aussi celle avec « l’Epéiste d’Ebène » - comme il souhaitait se faire appeler -, Elverion. L’une en avait enchaîné une autre, c’était un fait, mais cette accumulation de faiblesses trop lourdement coûteuses commençait a sérieusement la perturber. Apprendre au sein d’une communauté si éphémère qu’était celle des Humains l’avait-elle rendue si faible ? Là où son expérience était maîtresse contre ces êtres sans cervelle qu’elle haïssait tant, elle n’était qu’expérience trop faible comparée à celle d’un Sylvain ou d’un Drow digne de ce nom. Elle se sentait faible. Terriblement faible face à ses semblables et ce n’était pas pour renforcer l’humeur du jour. Edethlyn allait mieux depuis quelques jours – ou peut être semaines, la jeune femme avait tendance à perdre la notion du temps – malgré son handicap raciale, mais elle n’était néanmoins pas tout à fait rétablie, ce pourquoi la Sylvaine avait jugé bon de les faire voyager uniquement dans l’Ithri’Vaan pour le moment sans trop d’objectif à atteindre.

La louve, ce soir-là, avait préféré rester seule avec elle-même, choix que sa compagne avait accepté. Elles s’étaient arrêtées non loin d’une ville ou plutôt une sorte d’avant-poste d’une faction encore inconnue. Cela faisait bien longtemps que Jayla n’avait pas posé un pied dans une cité peu importe l’état dans lequel elle était. Se séparant de son amie assez loin de l’endroit, elle réduit la distance qui l’en séparait assez rapidement, sa jambe allant mieux elle aussi, ses mouvements étaient beaucoup plus fluides et reviendraient, à l’aide de quelques exercices, aussi agiles et rapides qu’avant. Tient, un avant-poste Drow. L’accueil y serait extrêmement chaleureux, il n’y avait aucun doute là-dessus. Ahah. Elles avaient donc progressé un peu plus à l’est que prévu, soit, l’elfe irait quand même dans ce piège à bonnes âmes. Le comité d’accueil risquait d’être typique, un groupe de l’armée des Sombres. Qui prêterait attention à une voyageuse voilée ? Pas grand monde. Hors de question de passer par l’entrée « principale » - si l’on pouvait appeler cela ainsi. Il faisait nuit noire, elle ne sous-estimait pas ces chers originaires de l’Elda, bien entendu, mais elle passerait de toute façon sans incident et sans se faire voir, il était bien d’avoir foi en soit de temps en temps.

Chose faite, introduite dans le camp fort bien développé pour un simple avant-poste, elle s’étonna de l’activité des lieux. Dissimulée dans les revers de sa cape son visage soigneusement obscurcit par la partie du vêtement placé sur sa tête, elle passerait pour une elfe noire sans trop de problème, quoi que. Elles avaient toutes tendances à être plus dénudées qu’autre chose à en voir la faible population féminine avoisinante.

Pénétrant dans ce qui avait tout l’air d’être un semblant de taverne, elle se dirigea directement vers le fond de la salle si peu peuplée. La barrière de la langue lui serait fatale pour quiconque essaierait d’entrer en contact avec elle, mais la discussion n’était pas le but de la soirée. Elle allait sombrer bêtement dans la boisson pour noyer son humeur maussade, douces liqueurs qui raviraient sa soirée. Exilée, elle attendait simplement qu’on vienne la servir sans qu’elle ait à se faire prier. Elle jouerait ainsi la voyageuse – elle doutait fortement de sa capacité à se faire passer pour un homme vue son gabarit – muette, elle se devait de ne pas prononcer un mot au vue de la différence de sonorité entre le langage Drow et les autres. Rien qu’en en ayant entendu une ébauche, la différence sautait … aux oreilles.

Servie plutôt rapidement, elle fixait le vide, son verre à la main faisant incessamment tourner le liquide oranger et translucide au creux de la coupe s’y perdant dedans par la suite comme dans une abysse. La vue de ce tourbillon ajoutée à la chaleur du lieu et de la fatigue accumulée des dizaines et des dizaines de jours passés, cette simple action eue sur elle les mêmes effets que la vision d’un brasier, d’un feu craquant. Hypnotisée, si bien qu’elle ne faillit même pas remarquer la silhouette se dirigeant vers elle, reculée du reste de la populace drow de la taverne.
Un simple regard vers le haut pour croiser les pupilles de la nouvelle venue, un sourire d’un côté comme de l’autre.

Eh bien, on ne se quitte plus T'riss. Cela faisait si longtemps. Ironie. C’était bien là la dernière personne que la Sylvaine s’attendait à voir. Portant l’alcool à ses lèvres, elle vida son verre d’un seul coup et le reposa sur la table. Un vague air de déjà vu planait dans l’air.

Non vraiment, T’riss était la dernière personne qu’elle s’attendait à croiser ici. Certes c’était un camp drows et elle y avait davantage sa place que Jayla. Elles avaient du voyager en parallèles depuis leur entrevue chez les Humains qui remontaient à quelques semaines déjà.

Jayla... C'est plutôt risqué pour toi de t'aventurer ici, un goût démesuré pour le danger ?
Ce n’est pas comme si c’était chose inhabituelle. Et puis, dans l’Ithri’Vaan, il n’y a pas grand chose d’autre, ils ne me remarqueront pas de toute manière. Ils ne sont bons qu’à regarder si leur verre ne s’est pas trop écarté de l’endroit où ils l’avaient posé préalablement. Question risque j’ai vu pire.

Elle dénigrait un peu trop cette race en apparence, elle avait tendance à se mettre un peu au dessus de tout le monde concernant sa capacité à passer ni vue ni connue – c’était en partie vraie, elle n’avait aucun mal à être aussi discrète qu’une ombre dans l’obscurité et aussi silencieuse qu’une plume fendant l’air. Mais elle avait, au fond, bel et bien conscience que les Sombres n’étaient pas des humains et que si elle se faisait prendre, ses chances de s’en sortir étaient bien plus minces qu’elles ne l’auraient été dans le cas de ces stupides Humains.
Ce n’était pas non plus sans compter sur le bien que cette petite pointe de risque lui procurait, un peu d’adrénaline la mettait dans une situation qui lui faisait du bien, ce besoin omniprésent de sentir ce risque, ce danger n’importe où était essentiel maintenant que les choses revenaient à peu près à la normale. Elle recherchait le calme et à la fois ce stress, c’était complètement contradictoire et pourtant les faits étaient bien là.

A boire, bonne idée tient ! T’riss avait pris place à ses côtés et eut cette bien belle idée que d’exiger ce qui serait leur troisième compagnon pour la soirée. L’alcool drow était plus corsé que celui des humains, enfin quelque chose qui se buvait ! Brûlant la gorge, le doux breuvage coulerait sûrement à flot pour les heures à venir, ça allait en devenir une habitude.

Ou alors une envie subite de te saouler, des problèmes de coeur chérie ? Se saouler pour oublier ce qui s’attachait tant à sa mémoire depuis des jours pour l’un, des semaines pour l’autre.
Plus compliqué que ça. Se resservant elle et T’riss avec les nouvelles bouteilles apportées, elle descendit un nouveau verre à moitié étant comme dans la nécessité de rentrer dans cet état d’ivresse sans pour autant oublier ce qui était arrivé pendant les dernières semaines. Disons que bien des choses se sont passées depuis notre dernière rencontre et pas pour les plus heureuses.

Telle qu’elle était partie, elle pourrait raconter sa vie à sa compagne en l’espace d’une soirée. Elle n’aurait pas à se poser la question de si oui ou non un élément était à omettre ou pas, T’riss avait déjà été auparavant cette amie de taverne et poursuivait le rôle ce soir-là. Il serait peut-être bon d’arrêter là cette habitude. Ou pas.

Entre changeur de monde complètement timbré et sombre manipulateur à la langue criblée de pointes acérées, ça n’a pas été de tout repos. Oui il y’avait mieux comme dernières semaines sans doute.

Elle faisait encore tourner le liquide dans son verre, histoire de s’occuper les mains dans la nervosité ramené par l’évocation de ce dernier mois qui ne se résumait globalement qu’à ces deux êtres sortis de nulle part.

En fait, je ne sais pas qui était le plus fou des deux. Enfin soit. Et toi donc, quel bon vent te ramène vers l’est de Miradelphia ? Je pensais que tu allais prolonger davantage ton voyage chez le Peuple Ephémère.

Elle revoyait des visages qu’elle préférait oublier. Le dernier allumé ne lui avait pas fait un si grand mal, même si une petite remise en question avait été à l’ordre des jours qui s’en étaient suivis, ce n’était pas bien mal finalement, le moment avait été simplement dur à passer. Celui qui l’avait précédé par contre, elle se demandait bien s’il avançait dans ses projets de reconstruction du Monde. Elle en rit. Un fou.

Elle ne connaissait que très peu ce peuple drow et elle se lamentait du fait que ce qu’elle en voyait pour le moment c’était une bande d’ivrognes qui ne valait pas mieux qu’une bande d’humains gesticulant ne pouvant aligner un pied devant l’autre. S’ils décidaient de s’attarder sur les deux elfes du fond de salle, il serait superflu de savoir parler leur langue, un coup de pied placé là où il fallait suffirait à les envoyer valser et qu’ils s’endorment comme des larves gisant au sol. Soit, son élément de comparaison était toujours ces petits lombrics d’humains, mais l’état d’ivresse ne devait pas grandement varier d’un peuple à un autre.
Sa remarque suivante lui arracha un sourire. Il valait mieux en rire qu’en pleurer de toute manière, elle ne reverrait sans doute ni l’un ni l’autre de toute manière. Et oui effectivement, attirer la mauvaise graine était une qualité qui lui était bien propre et particulièrement présente dans son cas, il était bon de croire qu’elle ne saisissait pas vraiment en quoi c’était une réelle bénédiction du hasard ou de n’importe quelle autre chose qui décide de son sort.

J'ai beau ne pas les apprécier, j'ai croisé un humain particulièrement inventif et endurant qui m'a amusée quelques nuits, c'était divertissant. C'est ce que tu devrais faire de temps à autre, Jayla. Juste t'envoyer en l'air sans te poser de question, ça requinque une femme.

Elle partageait bon nombre de choses avec T’riss mais là était ce qui pouvait sûrement la rebuter le plus. Là où la sang-mêlé considérait l’homme comme un jouet dont on pouvait se débarrasser comme bon nous semblait, assouvissant n’importe quoi n’importe quand, Jayla, elle, n’arriver pas à cerner ce trait là.

J’avoue plutôt préférer la compagnie d’une bouteille que d’un homme. Pas le même domaine, je suis bien d’accord.

Chaste et pure ? Elle ne l’était pas. Coincée ? peut-être un peu, le contraire même de T’riss en fait.
Leurs intérêts divergeaient et ce point-là était un prétexte pour révéler l’abysse gigantesque qui séparait les deux femmes si différentes finalement malgré quelques ressemblances.
Si elle ne disait pas tout haut qu’elle voyait ce comportement comme celui d’une catin, elle n’en pensait pas moins. Peu importe son rang dans l’échelle sociale, enchaîner les couches quand l’envie la prenait sans sentiment avec pour unique envie de satisfaire une envie était quelque chose que l’elfe ne pouvait concevoir et estimer, c’était des pratiques qui faisaient chuter l’estime que Jayla avait pour T’riss. Même si elle se doutait que derrière cela se cachait cette haine envers le genre masculin, rien n’y changeait. Ajoutons à cela le fait que la Sylvaine voyait l’acte sexuel comme un assouvissement et non un jeu ou même un partage, le résultat n’était pas très édifiant. Bref, l’heure n’était pas à un débat sur la sexualité de l’une ou de l’autre ni à la place de la femme par rapport à l’homme.

J’y pense. Je passe du coq à l’âne mais bon, tu connais à peu près la géographie des environs ? Ça fait un moment que je n’ai pas jeté un œil sur une carte et je n’ai aucune idée d’où je me trouve. L’aventure et l’errance, c’est sympa un temps, mais, pour certaines raisons, j’ai besoin de retourner vers l’Anaëh. L'appel de la nature sans doute. Finit-elle par ironiser en affichant un large sourire. Elle ressentait le besoin de se rapprocher étrangement de son … de son peuple. Les elfes qu’elle n’avait au final que trop peu côtoyés l’attiraient alors pour une raison inconnue. Ces êtres qu’elle avait pris l’habitude de rejeter et de dénigrer pour rien au fond. Ce périple serait une occasion pour parfaire deux ou trois choses voire davantage sur sa connaissance des Syvains et de tout les concernant, il fallait bien qu’elle le fasse un jour et le plus tôt sera le mieux.

J’ai remarqué également que … Sol’Dorn ? C’est bien le nom de cet endroit ? Que Sol’Dorn, pour un avant post regroupait bien peu de soldats, il se passe quelque chose de particulier pour une désertion pareille ?

Simple en apparence comme chemin, elle n’était pas sans savoir que la route serait longue. Elle devrait donc dans un premier temps retourner sur ses pas et se rapprocher à nouveaux des terres humaines qu’elle avait eu tant envie de ne jamais revoir, come back et re bonjour les mortels. Le passage d’Aduram risquait d’être un peu plus compliqué que de longer la côte certes, elle n’avait pas vraiment idée de la manière d’approche de ces elfes Sombres, elle avait déjà foulé plusieurs fois Aduram mais les circonstances voulaient que le peuple se reconstruise doucement après Alonna, moins dangereux en somme. Ayant repris du poil de la bête, la tâche e révèlerait plus ardue que rentrer dans Sol’Dorn sûrement.

Il y a des rumeurs parmi les soldats oui. D'après ce que je sais, il semblerait que le nouveau Souverain des Sombres soit un peu plus bouillonnant que l'ancien. Cela bouge au Puy d'Elda. Je ne sais pas exactement ce qu'il se prépare par contre, j'ai croisé un viel « ami » qui m'a parlé d'une vengeance, mais de quoi exactement difficile a dire. Mais une chose est sure si Sol'Dorn se vide, se n'est pas anodin.

La belle affaire. Les drows profiteraient peut être de l’affaiblissement récent des Humains pour foncer sur la Péninsule et prendre leur revanche en effet, c’était ce qu’il y avait de plus logique, et de plus dangereux encore pour sa situation. Encore une guerre ? Il n’y avait pas à dire, ces dernières années, les peuples étaient en forme et les tensions étaient à leur comble.

Dans un cas je me retrouve avec tous les bataillons de Sombres jamais imaginés en plein sur mon passage et dans l’autre … bien qu’Aduram encercle Aduram, s’ils veulent attaquer les Sylvains c’est plutôt côté Alëandir, modifiant peut être un peu la marche pour éviter Uraal. Dans ce cas là, ils ne me gêneront pas, du moins je l'espère.

Risqué, trop risqué au vue de l’état de son amie, elles n’auraient strictement aucune chance face à cette bande d’assoiffés de sang – c’était caricatural mais au fond … Vue la sublime chance qui s’était entichée à la jeune femme, elle optait pour le cas le plus dangereux, pourquoi diable Elda irait s’attaquer aux Sylvains, certes la vengeance était un plat qui se mangeait froid – on ne s’épargne pas les dictons à trois sous – mais de là à se jeter sur une querelle qui date de millénaires passés juste … maintenant, le nouveau souverain drow devait en avoir lourd contre Dyarque. Ou pas.
Bref, les affaires politiques n’étant pas plus son genre que le patriotisme, elle se contenterait de suivre son chemin point barre, l’improvisation serait reine, chose qui lui avait tant réussi par le passé, il faut le dire.

Je ne vais pas de là à souhaiter la paix sur Miradelphia mais, ils n’auraient pas pu choisir un autre moment bon sang ! Ça va finir par impliquer même ceux qui se contrefichent de leur gue-guerre. Imagine-nous, pauvres petites personnes parfaitement pacifiques se mêler à cette potentielle rivalité qui fera couler plus de sang que d'eau ne se déverse déjà dans Uraal ! Petite voix penaude - terriblement jouée d'ailleurs, il ne fallait pas en douter - , elle se resservait à nouveau et bu quelques gorgées de l’alcool qui trônait fièrement sur leur table – il ne faudrait pas que sa gorge se mette à s’assécher, n’est-ce pas ? Pas plus de volonté que ça d’aller prêter main forte T’riss ? Finit-elle par ajouter avec un sourire. Elle savait bien que l’intérêt commun était le cadet des soucis de la sang-mêlé désormais, rien que le fait qu’elle puisse tolérer le fait de travailler pour des Humains sans les tuer, de bavasser avec une Sylvaine était révélateur.

Tu comptes faire quoi de ton côté ? Rester pour préserver le comptant de population de cet avant-poste ?