Encore du courrier (pv Nicolaï)

Deux jours passés à Serramire à s'occuper de la fille de Katalina. La petite reprenait un peu de forces, mais Aureane commençait à fatiguer, ses nuits entrecoupées de tétées ne l'aidaient pas à récupérer de tout ce qu'elle avait vécu auparavant. Nicolaï, de son côté, allait mieux et sa vue revenait peu à peu, au grand soulagement de la jeune fille qui n'avait cessé de se sentir coupable pour ce qui s'était passé. Elle continuait à espérer de tout son cœur qu'il recouvre un jour parfaitement la vue.

Enfin, remords ou non, la vie continue et ce jour là, elle arriva devant la chambre de Nicolaï avec de quoi écrire une lettre. Elle revenait d'une visite à Katialyne et elle avait normalement prévu une petite promenade avec le jeune homme, sauf qu'il pleuvait des cordes et qu'elle n'avait pas envie de mettre le nez dehors.

Frappant à la porte, elle attendit sagement la permission d'entrer.

" Nicolaï ? "

Allant poser encre, plume et papier sur la table, elle ne put s'empêcher de lui sourire et de passer un doigt sur sa bague en fil de chemise. Enfin, elle n'était pas là pour lui sourire béatement - un peu de tenue, que diable ! - elle se reprit donc et commença à expliquer :

" Cela fait un moment que je songe à écrire à ma famille mais... "

Elle haussa légèrement les épaules, ne sachant trop comment continuer.

" Je ne sais pas comment m'y prendre... Que leur dire ? Ce dont je me souviens est si confus... mais je ne veux pas les inquiéter... mais si je passe tout sous silence... enfin... "

Et puis, ce qu'elle ne disait pas, c'était que remuer seule ces souvenirs la faisait pleurer immanquablement. Un peu de soutien lui ferait peut-être du bien et l'empêcherait de se laisser aller. malgré tout, elle hésita à nouveau et demanda timidement :

" Pourriez-vous m'aider ? "

Elle ne savait pas vraiment en quoi, au juste. Après tout, il pourrait lui répondre qu'elle connaissait mieux sa famille que lui et lui faire remarquer qu'elle n'avait qu'à ne rien dire. Mais si à présent elle avait l'espoir de revoir les siens, elle ne pouvait pas envisager de tout passer sous silence. Autrement, comment justifier ce long silence dans sa correspondance ?

Jouant à nouveau avec sa bague improvisée, elle reprit finalement en baissant les yeux :

" Enfin... si cela ne vous dérange pas... "

Il devait se dire, encore une fois, qu'elle se montrait décidément bien timide avec lui, mais elle n'arrivait pas trop à trouver le juste milieu dans son comportement envers lui. Difficile d'ignorer qu'elle avait surtout envie d'aller se serrer dans ses bras quand elle savait qu'elle devait se tenir tranquille, parce que ce ne serait pas lui qui serait le plus sage des deux.

Aureane parlait au jeune homme en le regardant, aussi elle ne rata pas le soudain changement de comportement. Que se passait-il ? Qu'avait-elle dit de si choquant ? Elle se figea à son tour, ne sachant plus que faire, osant juste terminer sa phrase. Le soupir qui suivit lui fit baisser les yeux. Elle aurait dû se taire, une fois de plus. Elle ne savait pas pourquoi, cette fois, mais cela ne changeait rien.

Lorsqu'elle releva les yeux, il était plus pâle que jamais, à tel point qu'elle quitta la table pour s'approcher de lui, inquiète à l'idée qu'il ne fasse un malaise. Mais il se mit à parler, la coupant dans son élan :

" J'ai une lettre à remettre à Diantra. "

Une lettre ? De qui ? A qui ? Les questions ne franchirent pas ses lèvres, pourtant. Cela ne la regardait sans doute pas. A vrai dire, c'était une explication relativement crédible : Nicolaï avait servi, ou plutôt devait servir de messager. Mais la façon dont il avouait cela n'avait rien de rassurant. Que contenait ce message ? Et puis, pourquoi lui, au fond ? Les drows devaient bien se débrouiller pour faire circuler des missives à Diantra en cas de besoin, non ?

Le silence s'installa un instant, mais, debout devant lui, à scruter son visage pour essayer de comprendre, la jeune fille ne dit rien.

" Je leur avais parlé de notre ''pacte''. Je me serais tué si je t'avais perdue. Et je me tuerais encore si c'était le cas. "

Que racontait-il ? Leur pacte... elle fit un effort de mémoire et se souvint de quoi il s'agissait. Ce fut à son tour de pâlir. Pourquoi disait-il une chose pareille ? Certes, elle n'en doutait pas, cela la touchait et elle-même ne pouvait envisager de le perdre. Mais, pourquoi lui rappeler cela maintenant ? Cette détresse lui faisait peur.

" Pourquoi... ? "

Elle se tut, voyant qu'il inspirait et ne voulant pas l'empêcher de continuer. Elle continuait à le dévisager en cherchant désespérément des explications. Qu'est-ce que toute cette histoire cachait ?

" J'ai découvert quelque chose sur mon passé au Puy. Des choses que j'aurais préféré ne jamais savoir en fin de compte. C'est aussi ce qui a joué dans notre libération. "

Oh. Aureane marqua un temps. Elle ne s'était pas attendue à cela. Par contre, elle ne voyait pas à quoi il faisait allusion, du moins, ne pouvait-elle comprendre le lien. En tous cas, c'était, semblait-il, assez perturbant, car il paraissait complètement désespéré. Elle essaya un instant de démêler l'histoire, se disant que, peut-être, elle avait raté un élément important qui puisse l'éclairer, mais elle avait beau chercher, elle ne comprenait pas davantage.

Il en avait dit à la fois trop et pas assez, mais ce qui était certain, c'était qu'il ne souhaitait pas vraiment aborder le sujet. L'ennui, c'était qu'elle avait besoin de savoir. Mais lui ne voulait pas. Il ne voulait pas du tout. Elle se taisait assez souvent pour reconnaitre ce genre de signe. Elle avait l'impression qu'il lui hurlait de ne pas demander, ou qu'il suppliait d'arrêter. Aureane baissa la tête. Rien n'était pire que les non-dits, et elle aurait aimé qu'il lui fasse confiance. Car il venait de lui dire implicitement que ce qu'il cachait pouvait la faire fuir. De quoi pouvait-il bien s'agir ? En quoi son passé aurait-il pu influer sur l'amour qu'elle lui portait ?

Aureane garda le silence un bon moment, puis finit par s'approcher encore et lui prendre les mains. Tout doucement, comme si elle avait peur de le brusquer.

" Nicolaï... je suis là et je ne partirai pas, ne dites pas que... l'imaginer mort la fit bredouiller, ne dites pas cela, je vous en prie. "

Elle aurait voulu savoir. Vraiment. Pas par curiosité malsaine mais parce qu'elle sentait que c'était important et que le savoir malheureux à ce propos la rendait tout aussi triste. Si seulement elle avait gardé toute sa tête, peut-être n'aurait-elle pas eu besoin de le lui demander, peut-être aurait-elle put l'aider au lieu de le forcer à remuer cela ? Il fallait qu'elle sache, sinon elle tournerait éternellement ses questions dans sa tête et en deviendrait folle. Pourquoi ne lui faisait-il pas confiance ?

" Nicolaï... je... ce n'est pas grave si... vous voulez garder ces informations pour vous. Je suis désolée, cela ne me regarde pas, je n'aurais pas dû vous demander... Cela ne me dérange pas. "

Elle avait toujours très mal mentit et elle le savait. Pour tenter de cacher son trouble, elle retourna à la table et fit mine de regarder sa lettre.

" Je vais rester vague sur ce point, voilà tout. Personne n'a besoin de savoir. "

Pourquoi ne lui faisait-il pas confiance ? Elle ne pouvait s'empêcher de se répéter cette question. En même temps, ce qu'elle lui avait dit était vrai : elle estimait que ses affaires ne la regardait pas. Elle n'avait pas à exiger des informations sur quoi que ce soit. Bien-sûr que non. Mais se dire qu'il pensait détenir quelque chose qui pouvait l'éloigner de lui... voilà qui la troublait malgré elle. Mais elle ne poserait plus de question, c'était promis.

Quoi que cache Nicolaï, c'était un secret lourd à porter. En voyant sa réaction, la jeune fille commença à se dire que non seulement elle aurait mieux fait de se taire, mais qu'en plus elle n'était pas du tout certaine qu'elle avait envie de savoir. Il commençait réellement à lui faire peur. Elle avait tenté de se rattraper, mais il n'était pas stupide et comprit bien qu'elle était loin de s'en moquer.

Elle releva la tête vers lui lorsqu'il lui posa une main sur l'épaule.

" Je ne veux pas te perdre Aureane. Mais... mais ces cachoteries vont le faire. Je vais te perdre parce que je te cache des choses. "

Aureane secoua légèrement la tête, bredouillant :

" Mais, non, voyons... "

Non, il pouvait garder ses secrets, elle ne lui en voudrait pas. On lui avait appris qu'une femme devait se montrer discrète vis-à-vis de son mari, alors, même s'ils n'étaient même pas officiellement fiancés, elle n'allait pas se mettre à réclamer des explications ! Seulement... elle devait reconnaitre que s'il gardait pour lui quelque chose qui devait plus tard être découvert et faire encore plus de mal à ce moment... Elle ne savait plus où elle en était, partagée entre l'envie de savoir ce qui devait soit-disant la faire fuir et la peur d'apprendre quelque chose qui confirme les craintes de Nicolaï. Si c'était pour devoir le quitter... elle préférait ne pas savoir. En même temps elle savait à quel point leur vision de la vie était différente : avec un peu de chance, ce qui paraissait terrible au chevalier lui semblerait insignifiant et elle pourrait le rassurer.

Il lui prit la main, marqua un temps.

" Si nous avons été libérés. C'est parce que...je...j... "

Parce que... ? Parce que quoi ? Aureane commençait à se sentir vraiment angoissée. Pourquoi avaient-ils été libérés ? Avait-il fait quelque chose pour cela, qu'il regrettait... ou pas ? Que s'était-il passé ? Quel lien avec son passé ?

" Je suis toujours le même, Aureane. Toujours. Rien n'a changé en moi. Je suis toujours le même. D'accord ? Rien n'a changé. "

La jeune fille riva son regard au sien, essayant de repousser le flot de suppositions qui l'assaillaient. Pourquoi aurait-il dû changer ? Qu'est-ce qui était différent ? Les histoires de sa grand-mère racontant des pactes avec les démons lui revinrent en mémoire. Que c'était-il passé avec ces maudits drows ? Avait-il était forcé de faire quelque chose pour obtenir leur libération ?

Il aurait peut-être eu besoin d'un mot d'encouragement, mais elle avait la gorge trop nouée pour dire quoi que ce soit.

" C'est mon grand père qui m'a acheté au Puy et qui t'a ensuite récupérée. C'est un drow. "

Aureane pâlit et se figea. Longtemps. Ce qu'ajouta le jeune homme ne parvint pas jusqu'à elle. Elle était restée bloquée sur ce qu'il avait dit une seconde plus tôt. Il avait été acheté par son grand-père. Son grand-père. Qui était un drow.

Son grand-père était un drow.

Nicolaï était un drow.

Aureane ouvrit la bouche pour chercher de l'air, serra la main de Nicolaï tout en secouant la tête.

Nicolaï était un drow.

" Nonnn... " C'était une supplication.

Elle ne pouvait pas croire ça. Pas lui. Elle le lâcha et recula légèrement, les larmes aux yeux.

" Il vous a menti... "

Bien-sûr que non. Même elle ne croyait pas à ce qu'elle avançait. S'il y avait eu le moindre doute, Nicolaï ne lui aurait pas présenté cela ainsi. Mais elle ne pouvait pas accepter ça... c'était... c'était... Elle continuait à secouer la tête en fixant le sol pour chasser ce cauchemar. C'était cela : un cauchemar. Elle allait se réveiller.

Nicolaï, un drow ? Un cauchemar. Un simple rêve comme elle en faisait toutes les nuits. De loin le plus terrifiant mais... Les drows étaient des abominations. Elle ne se souvenait plus de son séjour au Puy, mais elle en avait assez entendu dire avant et, même avec sa mémoire défaillante, elle gardait certains sentiments suite à ce voyage en enfer qui ne s'estomperaient pas de sitôt. Une véritable terreur. Les sombres étaient des monstres qui torturaient, violaient et tuaient sans vergogne. Nicolaï...

Elle releva les yeux sur lui et essuya maladroitement ses larmes. Pourquoi lui ? S'il ne s'était pas trouvé entre la porte et elle, elle serait peut-être déjà sortie. Ou peut-être pas, ses jambes la portaient à peine. Elle avait reculé jusque contre le mur, elle ne pouvait pas aller tellement plus loin. En même temps... en même temps, c'était Nicolaï. Elle ne pouvait pas fuir. Pas devant lui.

C'était exactement ce qu'il avait craint. Elle lui avait assuré qu'elle ne partirait pas. Et il était drow. Gardant le silence, Aureane baissa les yeux. Il s'y était attendu. Et... il n'allait pas sauter sur elle pour l'égorger. Bien-sûr que non. Il était toujours le même. Un drow. Un quart de sang, peut-être, mais tout le monde savait que ça revenait au même. Elle avait passé tout ce temps avec un drow ? Elle n'aurait jamais pu l'imaginer. Jamais. Il n'était pas... comme ça. Pas du tout. Pas étonnant qu'il ait cherché à le cacher. Qui pourrait vouloir rester aux côté d'un drow ? N'importe qui aurait plutôt tendance à réclamer sa tête !

Elle le regarda à nouveau. Jamais elle ne pourrait faire une chose pareille. C'était Nicolaï... Elle s'essuya à nouveau les yeux, paraissant se calmer. C'était lui. Lui qui l'avait engagée lors du tournoi, lui qui aimait les tartelettes au citron, lui qui l'avait sauvée de Vershork, lui qui avait partagé l'épreuve du Puy... et pire encore, étant donné que si elle ne se souvenait plus de grand-chose, lui avait appris qui était...

C'était horrible. Il devait vivre avec ça et elle... elle réagissait de façon à enfoncer le clou. Aureane ouvrit à nouveau la bouche, prenant conscience de ce qu'elle avait fait. Elle venait de se comporter comme s'il était un monstre et ce, malgré tout ce qu'il avait fait pour tenter d'y échapper. Au fond, elle avait été encore plus cruelle que n'importe quel drow.

Un drow. Impossible à accepter, malgré tout. Elle ne s'était pas comportée comme s'il était un monstre : ce n'était pas du "comme si". Que n'aurait-elle donné pour se réveiller ? Mais c'était ainsi. C'était terrifiant, mais elle n'avait pas le choix. Nicolaï avait compris depuis longtemps que si elle ne l'acceptait pas ainsi, il la perdrait. Et elle le perdrait. Son cœur se serra. Il y aurait un cauchemar bien pire que celui-là et il ne tenait qu'à elle de l'éviter.

La jeune fille hésita, essayant de refouler tout ce qu'elle savait des drows et tout ce qui lui faisait instinctivement horreur.

Finalement, elle fit un pas en avant, un peu hésitant :

" Nicolaï... "

Elle avait murmuré, ne trouvant pas ses mots. Juste son prénom, comme pour demander confirmation qu'il s'agissait bien de lui. Qu'au fond, rien n'avait changé. Elle était effrayée, certes... mais elle ne voulait pas l'abandonner. Pas comme ça.

Aureane n'arrivait pas à réaliser. Ou plutôt, elle ne voulait pas réaliser. C'était trop... trop... Elle soupira légèrement et essaya de s'éclaircir les idées. Au-delà du désespoir et de la panique, que ressentait-elle réellement ? Elle avait peur, certes, mais de quoi ? Des drows ? De lui ? Pouvait-elle réellement avoir peur de lui ?

Le jeune homme finit par la regarder à nouveau et elle le dévisagea comme si elle cherchait un indice quelconque sur ses origines.

" C'est toujours moi. "

La jeune fille eut un instant d'hésitation, puis hocha lentement la tête. Il avait raison. C'était toujours lui. Mais justement, l'ennui, c'était ce qu'il était. En même temps... c'était lui. C'était Nicolaï. Celui qu'elle aimait. Elle ne bougea pas lorsqu'il fit mine d'aller vers elle et se ravisa. Se mordant la lèvre, elle essaya encore une fois de trouver ne serait-ce que quelque chose à dire.

Ce fut lui qui brisa le silence, lui rappelant qu'il lui avait demandé sa main. Il lui avait demandé de l'épouser et elle avait accepté. Même si elle avait prétendu qu'il lui fallait l'accord de son père, même si la bague n'était qu'un fil, elle avait dit oui et cela avait valeur d'engagement à ses yeux. Or, si elle était allée jusque là, c'était qu'elle était convaincue du bien-fondé de son choix. Elle ne pouvait pas le remettre en cause juste parce que... parce qu'il... elle perdit à nouveau pied, face à cette réalité sordide.

Aureane baissa la tête en même temps que le jeune homme, luttant pour trouver ce qui était juste. Toute son éducation lui criait de partir en courant et, de fait, elle en aurait bien été capable un peu plus tôt, alors qu'elle était sous le choc de la découverte. A présent... l'émotion un peu passée, elle voyait juste Nicolaï, plus malheureux que jamais et sans doute bien plus perturbé encore qu'elle à l'idée d'avoir du sang drow. Qu'aurait-elle fait à sa place ? Elle aurait été persuadée qu'elle le perdrait, que jamais il ne voudrait l'épouser avec de telles origines. Nul doute qu'elle aurait préféré le lui cacher et qu'elle s'en serait rendue malade.

Lui, il avait pris le risque, il lui avait fait confiance. Il venait de mettre son bonheur entre ses mains, en somme. Il savait pertinemment comment elle allait réagir et pourtant, il avait fait le choix de tenter une explication pour être honnête avec elle. Comment pouvait-elle ensuite se servir de cela contre lui ? Il aurait pu ne rien dire, tout garder pour lui. Elle n'en aurait jamais rien su : en quoi ressemblait-il à un drow ? Elle avait beau le dévisager, elle ne voyait rien de monstrueux chez lui. D'ailleurs, elle n'avait jamais rien vu de tel en le regardant.

Le silence s'éternisait, mais Aureane avait besoin de temps pour faire la part des choses. Raisonner n'était pas facile quand on avait une terreur viscérale qui obscurcissait l'esprit.

Elle avait déjà eu peur de Nicolaï, au tout début. Parce qu'il était noble, juste pour ça. Question d'éducation aussi. Elle s'était aperçue qu'elle se trompait lourdement. Se pouvait-il qu'il en soit de même maintenant ? Ce qui était certain, c'était que l'air malheureux du jeune homme était pire que tout. Cela, elle ne pouvait pas le supporter. Quel drow aurait agi comme il le faisait ? Aucun, ou du moins, si c'était le cas, ils ne méritaient pas le nom de monstre... et au fond, elle s'en moquait complètement : ce qui lui importait, c'était que Nicolaï, lui, ne méritait pas qu'elle le traite ainsi.

Franchissant soudainement la distance qui les séparait, elle alla se planter devant lui... hésita en regardant le sol et se mordant la lèvre une nouvelle fois... Elle cherchait que dire, ne trouvait pas et finalement... l'enlaça sans crier gare. Elle avait besoin de savoir que c'était lui : retrouver ses bras, son odeur, ne pouvait que l'en persuader. Drow ou pas, elle s'en moquait. Elle se remit à pleurer sans pouvoir s'en empêcher et enfouit son visage contre son épaule.

" Je veux toujours, oui... murmura-t-elle entre deux sanglots. Je suis... désolée... d'avoir réagi aussi... aussi... "

Elle ne trouvait plus ses mots, trop occupée à le serrer dans ses bras pour s'assurer qu'il était toujours le même. Bien-sûr que oui... elle s'en voulait d'avoir réagi de la sorte, mais l'idée même des drows la faisait frémir. Elle avait besoin d'être rassurée. On lui avait toujours dit que, même dilué, le sang des sombres refaisait surface. Elle voulait se convaincre que ce n'était pas le cas.

" Vous n'êtes pas une "chose" vous êtes Nicolaï... c'est tout ce qui compte. "

Et à en juger par la façon dont elle le serrait dans ses bras, cela lui suffisait... pour peu qu'il veuille bien le lui assurer encore une fois.

Aureane essaya de se calmer un peu lorsque Nicolaï entreprit de sécher ses larmes. Mais la situation était trop compliquée, elle n'arrivait plus à savoir où elle en était. Dès qu'elle pensait "drow", elle paniquait et lorsqu'elle voyait le jeune homme, elle ne pouvait pas se résoudre à le considérer comme tel. Mais il n'avait toujours pas décidé de la massacrer sans raison, preuve qu'il était toujours le même. Le même. Elle se répétait ces mots en essayant de se persuader que rien n'avait changé. En réalité, elle s'accrochait à lui pour ne pas partir. Une façon de se convaincre par la force. Il n'était pas un sombre, ou s'il l'était cela n'avait pas d'importance. Comme c'était trop difficile à accepter, elle préféra décider qu'il était simplement Nicolaï et que cela lui suffisait. Elle ne le quitterait pas : elle ne pouvait pas faire ça.

Lorsqu'il l'embrassa, elle ne put réprimer un petit frisson de plaisir, oubliant tout à fait sa peur. Oh non, elle l'aimait trop pour l'abandonner. Elle lui rendit son baiser, puis baissa les yeux en rougissant. Elle avait retrouvé un sourire timide et s'empourpra encore davantage quand il lui demanda quand elle se déciderait à le tutoyer.

" Je... ne sais pas... c'est trop... étrange... "

Elle eut un petit sourire d'excuse, pour une fois, elle avait l'air de trouver la remarque plus amusante que gênante. Elle commençait au moins à se faire à l'idée qu'il pouvait lui dire quelque chose sans vouloir la prendre en faute. Il était bien lui-même et c'était un soulagement immense.

A contrecœur, elle se décida à quitter ses bras pour reprendre une distance respectable. Serrée ainsi contre lui, elle ne pouvait pas réfléchir convenablement. Pour elle, ce n'était que la deuxième fois qu'elle l'embrassait et cela lui faisait bien trop d'effet pour qu'elle ose encore le regarder en face. Elle se détourna pour essayer de reprendre contenance et jeta un coup d'œil à la lettre. Avec tout cela, elle avait totalement oublié la raison de sa venue. Une idée lui vint soudain, lui faisant perdre son sourire.

Se retournant vivement vers Nicolaï, la jeune fille s'exclama avec anxiété :

" Promettez-moi que vous tairez vos origines à ma famille. "

Elle essayait de se maîtriser, mais elle avait vraiment peur :

" Ils vous tueraient, ils n'hésiteraient pas une seconde. "

Un accident était si vite arrivé, quand on dérangeait dans un coin perdu de campagne... Or, elle n'ignorait pas à quel point Nicolaï pouvait ne pas s'inquiéter des convenances, décider de passer outre les évidences parce qu'il estimait que telle ou telle façon de faire n'avait pas lieu d'être. Mais tout le monde était loin de partager son avis. Il y avait des choses avec lesquelles on ne plaisantait pas.

" Promettez-le moi, je vous en prie. Ne jamais le leur dire, quoi qu'il arrive. "

Après tout, il n'y avait pas de raison qu'ils posent la question. Mais on ne savait jamais... Pour qu'elle ose exiger quelque chose de lui, il fallait que cela lui paraisse suffisamment important, autrement, jamais elle ne se serait permis de lui parler de la sorte. A vrai dire, elle ne lui laissait pas vraiment le choix : il était hors de question qu'elle le mette en présence de ses parents s'il risquait de décider soudain de jouer la carte de l'honnêteté et de la confiance. A ce sujet, il ne pouvait que tout perdre.

Une fois la question réglée, elle se décida à en revenir à sa lettre, essayant de faire abstraction de son ascendance et surtout du baiser qu'ils venaient d'échanger. Elle se mit à jouer nerveusement avec sa plume, réfléchissant à voix haute.

" Alors... Je peux dire que si je n'ai pas réécrit, c'était parce que nous avons été enlevés par des pirates... "

Visiblement, elle guettait l'approbation de Nicolaï, plutôt mal à l'aise. Écrire à ses parents, ce n'était pas comme écrire à Guilaine. Elle faisait bien plus attention à ce qu'elle disait.

" Que... nous avons été emmenés au Puy... que nous avons pu partir... "

Elle ne savait que donner comme raison à leur libération. Finalement, Nicolaï avait été vague sur cette histoire de lettre.

" Les drows... vous aurons forcé à être leur messager... ? C'est un peu cela n'est-ce pas ? "

Elle ne voulait pas mentir, mais il était hors de question de donner l'entière vérité ou de trop en dire. En même temps, elle s'interdisait de poser des questions plus précises à Nicolaï : elle l'avait fait une fois, elle avait déclenché une catastrophe. Ce qu'il avait fait avec son... elle répugnait à dire cela, mais c'était ainsi, avec son grand-père, ne regardait que lui.


[hrp : je me suis permis de dire que tu acceptais la demande d'Aureane, si ce n'est pas le cas, dis le moi, j'éditerai en conséquence]

La promesse parut être une formalité pour Nicolaï, qui ne devait pas mesurer ses craintes. Mais au moins, il avait accédé à sa demande et elle se remit à respirer librement, après un "merci" on ne peut plus soulagé. Ce n'était pas la première fois qu'ils étaient en décalage, mais, au fond, la seule chose qui importait était qu'ils soient d'accord sur ce point. Elle ne pouvait imaginer qu'il en soit autrement... Si elle-même frémissait encore en pensant à son sang drow alors qu'elle le connaissait si bien, il ne fallait pas rêver quant à la réaction de ses parents s'ils apprenaient une telle horreur.

Cela réglé, elle entreprit de s'attaquer à sa lettre. La remarque de Nicolaï lui fit lever la tête, hésitante.

" Eh bien... Je ne veux pas trop en dire, mais je ne veux pas mentir non plus. "

Il savait à quel point elle cachait mal la vérité : si ses parents avaient le malheur de lui poser la moindre question sur ce qu'elle avait dit, nul doute qu'ils s'apercevraient qu'elle mentait.

" Alors... Chers parents,... je vous écris cette lettre... afin de vous donner de mes nouvelles. Voilà bien longtemps... que je n'ai correspondu avec Guilaine... et je souhaite vous informer... elle se mordit la lèvre, reprit son écriture et sa lecture à voix haute, de ce qui m'est arrivé dernièrement. "

Bon. Elle essayait d'aller au plus simple, mais ce n'était pas évident. Il lui suffisait de savoir qu'on lirait ses mots à son père, pour qu'elle s'inquiète et ait envie d'abandonner. Jetant un coup d'œil à Nicolaï pour obtenir son assentiment, elle reprit :

" Le seigneur KalonErc'h et moi-même avons eu quelques ennuis,... qui... elle suspendit son geste, plaça finalement un point, avons eu quelques ennuis. En effet, nous... avons eu la malchance de nous faire enlever par... des pirates. Rassurez-vous, nous allons bien, mais... nos mésaventures nous ont conduit... loin de Dyriet... où nous habitions. "

Ou comment éluder le pire : en fait, Nicolaï avait raison : ce n'était pas si compliqué. le tout était d'espérer que ses parents restent discrets sur cet événement quand ils auraient leur fille en face d'eux. Elle ne supporterait pas de répondre à des questions.

" Nous trouvant à présent non loin du village, j'espère... pouvoir vous rendre visite prochainement... elle hésita, corrigea, nous espérons pouvoir vous rendre visite prochainement. "

Elle rendit un sourire timide au jeune homme, n'osant imaginer comment la rencontre se déroulerait. Et quand ? La question demeurait. Il était évidemment hors de question d'abandonner la petite Katialyne, mais ils ne pouvaient rester éternellement sur place. Il n'était pas davantage possible d'emmener le bébé, leur situation restait donc en suspens. Nicolaï avait dit qu'ils devaient attendre, elle attendrait donc.

Il était temps de conclure et elle reprit sa plume pour inscrire :

" J'espère que vous vous portez bien. je vous embrasse, Aureane. "

C'était bref et bien plus concis que lorsqu'elle écrivait à Guilaine, mais cela suffirait. Relevant la tête elle eut un petit rire, un peu nerveux, en ajoutant :

" J'espère qu'il ne vont pas paniquer à l'idée de vous voir... "

Puis, plus sérieusement, elle osa ajouter :

" Vous ne vous offusquerez pas qu'ils vous montrent trop de respect ? Je sais bien que... que vous n'aimez pas, mais... "

Elle n'était pas sûre de pouvoir se permettre d'insister, mais elle craignait trop la rencontre pour ne pas s'expliquer. Gênée, elle se plongea dans la relecture de sa lettre et souffla délicatement sur l'encre pour la faire sécher. Elle s'inquiétait beaucoup de leur arrivée à Trois-Chemins. Déjà, si elle avait dû revenir seule, cela n'aurait pas été évident, mais alors en amenant un noble, qui plus est pour la demander en mariage... A cette pensée, elle se remit pourtant à sourire. D'ailleurs, en réalité, elle devait reconnaitre que sans lui elle n'aurait sans doute jamais osé retourner chez les siens. Sans compter qu'elle n'en aurait probablement pas eu les moyens.

" Vous savez... Je suis contente que vous m'accompagniez. Vraiment. "

Bon, elle n'avait pas les mots pour exprimer tout ce qu'elle ressentait, mais son regard en disait long... même un peu trop long et elle se remit à rougir en rangeant sa lettre.