Une pêche miraculeuse

La Malenuit avait créé cette étrange dichotomie qu’était le désoeuvrement de certains et la suractivité d’autres. En effet, les paysans avaient cessé de labourer et de travailler, décontenancés par la disparition du soleil, tandis que les loups, rendus courageux par cette obscurité constante, n’hésitaient pas à s’aventurer toujours plus près des grandes cités de Scylla. De même, les marchands s’étaient enfoncé dans l’inactivité la plus coûteuse, incapables qu’ils étaient de parcourir les routes sans être dérangés par des bandits qui ne savaient plus où donner de la tête. Il en était de même pour les marins, qui sont si nombreux dans ce pays.

La Malenuit n’avait pas seulement fait disparaître l’astre solaire, il avait également fait disparaître les poissons. En effet, ces derniers semblaient s’être déplacés massivement loin de la Côte de Sel. Les pêcheurs s’imbibaient donc d’alcool avec les maigres économies qui leur restaient, attendant avec résignation la fin de cette période malheureuse ou leur banqueroute. Certains d’entre eux gardèrent cependant courage et allèrent toujours plus loin dans la mer olienne. Ils furent si audacieux qu’après des journées de voyage, ils aperçurent l’archipel nelenite. Et là, miracle ! Au large des côtes nelenites, les eaux étaient poissonneuses, très poissonneuses. A croire que toutes les créatures de l’Olienne s’étaient donné rendez-vous ici. Heureux de leur bonne fortune, les pêcheurs revinrent au pays les cales comblées de poiscaille. Leur succès traversa Pharembourg, la ville comtale, comme un feu de plaine et bientôt, tous les pêcheurs de la Côte de Sel eurent vent de cette découverte.

Bientôt, des expéditions de nombreux bateaux osèrent pénétrer au plus profond de la mer olienne et ce furent bientôt des dizaines de navires qui jetaient leurs filets dans les eaux nelenites. Le phénomène prit de l’ampleur, et bientôt, on aurait dit que tous les marins scylléens avaient rejoint Nelen. Bien sûr, le voyage était dangereux et les pirates s’introduisirent à leur tour dans la danse. On apprit que certains navires esseulées avaient été capturés et que les équipages avaient été vendus sur les marchés aux esclaves des cités libres d’Ithri’Vaan. Cela n’arrêta cependant pas l’ardeur des pêcheurs, qui s’enrichissaient grâce à cette pêche miraculeuse. Les semaines passèrent ainsi, et peu à peu, une fois que les autorités eurent compris l’importance de cette découverte, décidèrent d’envoyer une partie de la flotte du Comte pour sécuriser ces eaux.

Le voyage étant long et difficile, les Scylléens ne tardèrent pas à se reposer sur l’île de Nelen. L’afflux de ces habitants temporaires et nombreux fut bien sûr pris pour une intrusion de la part des indigènes, qui ne tardèrent pas à tirer profit de la situation, se faisant charpentiers, bûcherons et promoteurs immobiliers. Un véritable quartier de petites cahutes fragiles et éphémères voyaient le jour sous ce ciel sans lumière, hébergeant d’abord les pêcheurs puis les marchands en gros, les prostituées, les voyous et tout ce qu’attire une ville en devenir. Autour de la pêche miraculeuse et de l’établissement sur Nelen s’organisa bientôt une vie intense et active. Des auberges naissaient non loin de la plage où de nouveaux bateaux débarquaient victuailles et boissons.

La flotte du Comte finit même pas s’installer dans l’ancien bâtiment de la Compagnie des Silencieux, tant leur présence devenait constante dans les parages. D’un hameau de quelques dizaines de familles, le village s’était transformé en campement pour des centaines d’hommes, pêcheurs, négociants, taverniers, soldats.