A la pêche aux renseignements.

Le calme était revenu depuis plusieurs jours maintenant sur les côtes de la Péninsule. Les locaux avaient peu à peu reprit leurs vies et reprenaient aussi la mer. Cette reprise d’activité n’avait pas échappé aux mécans qui s’étaient installés au large, en retrait, essayant de ne pas croiser les patrouilles. Les ordres du capitaine avaient été clairs à ce sujet, la vigie redoublait d’effort et La Bulle se tenait prêt à souffler dans les voiles afin de rapidement prendre de l’avance sur les possibles poursuivants, mais ce jour-là, une autre idée trottait dans la tête du Rokvenha.

Le matin n’était pas encore levé et les premiers marins pêcheurs avaient déjà embarqué pour afin de rentrer à l’heure des marchés. Karl, accompagné de son neveu et son fils étaient paisiblement en train de naviguer sur leur petite barque, quand soudain, traversant la brume matinale, un boutre arriva à leurs côtés. Lentement, le navire manoeuvra dans leur direction et se rapprocha lentement, ne cherchant pas à les percuter.

Pensant d’abord à un simple contrôle, Karl ne réalisa pas de suite que le bateau qui l’approchait n’arborait aucun pavillon soltarii et de ce fait, ne prit pas la fuite. Quand la coque noircie à l’odeur de sel, de sang et de mer arriva à bonne distance, une échelle en corde leur fut lancée et une voix en provenance du pont les invita à monter à bord.

Le pêcheur et ses proches eurent un moment d’hésitation, mais il était bien trop tard pour tenter de s’enfuir et il leur était tout bonnement impossible, alors, les trois hommes montèrent. Ils passèrent le bastingage et furent accueilli par l’équipage qui, sans violence les attrapèrent simplement par les bras en les menant vers la cabine du capitaine. Un des marins toqua et laissa ensuite le silence retomber durant quelques secondes, avant de voir s’extraire de la porte le Rokvenha. Ce dernier sourit en voyant les pêcheurs et s’avança alors.

Karl, un homme ayant passé la cinquantaine, reconnu alors l’homme à qui il avait à faire, il avait vu les nombreuses affiches avec son portrait robot qui étaient placardés partout sur les murs des cités côtières et son cœur manqua alors de lâcher sous la panique. Son fils et son neveux, deux grands gaillards, essayèrent de se libérer de leurs ravisseurs pour venir en aide au vieil homme qui se retrouva soutenu par Rocaille.

“Douc’ment, l’ami… T’vas m’caner ent’ l’doigts ‘vant même qu’tu m’sois dev’nu utile…” Souffla Caleb en approchant. “J’compte pas t’faire d’mal, ni à toi… Ni aux aut’, rassure-toi, j’suis là pour t’faire une proposition.” Karl reprit alors ses appuis, essayant de juger si le mécan face à lui était sincère ou non. Dans son regard Rokvenha ne transpirait pas la malveillance, mais il en avait tant entendu sur les mécans et leur appétit sanguinaire qu’il ne pouvait se résoudre à le croire sur parole, alors, silencieux, il écouta la suite.

“J’vais avoir b’soin d’toi, pour un p’tit boulot d’rien d’tout… J’veux qu’tu serve d’passeur à certains d’mes gars pour les déposer à Ydril, c’est dans t’cordres ça ?” Rokvenha pencha alors la tête, s’avançant légèrement vers son interlocuteur. Karl, essaya de prononcer quelques mots, mais la salive manqua dans sa gorge et il bégaya. “J…J’peux…J’peux pas…J’ai..j’ai - Tu…. ? - J’ai qu’une p’tite barque M’sieur… J’peux pas embarquer tout l’monde…” Lâcha enfin Karl dans une tentative de retrouver son souffle. Caleb soupira devant l’excuse et grimaça en portant son attention sur les deux jeunes et finalement, il sourit alors. “En c’cas, ça va êt’ simple, c’deux-là restent avec moi l’temps du boulot… ”

Les yeux des trois marins s’écarquillèrent alors, la condition imposée par le mécan leur semblait être une peine de mort dissimulée, quelques insultes en provenance des jeunes fusèrent et Karl supplia alors Rokvenha de le prendre à leurs places. “Si ça peut t’rassurer, j’compte pas toucher à un ch’veux d’tes chiards, disons qu’c’est un gage qu’tu m’joueras pas d’tours… Et même, j’compte êt’ plutôt bon avec toi pour c’boulot-là… Croqueuse ?” Il se tourna légèrement la semi-elfe déposa dans sa main une bourse assez lourde et remplie de souverains. “Là d’dans, y’a d’quoi payer une ennéade complète d’pêche et d’pouvoir te dédommager… Et même un p’tit peu plus, pour l’service rendu.”

Karl lorgna sur la bourse et reporta alors son attention sur le capitaine, qui semblait davantage sincère, finalement, il se détendit légèrement. “Tout c’que j’te demande, c’est qu’tu embarque mes gars et l’dépose à Ydril… Tu s’ras leur voie d’sortie aussi. Une ennéade, pas plus, pas moins… S’tu veux r’voir tes gosses en vie, pour sûr sinon… J’te fais pas d’dessin sur c’qui pourrait leur arriver. Et tout c’que j’te demande, c’est qu’on s’retrouve à l’endroit qu’t’indiquera Croqueuse… Ca t’va ?” Il renifla alors, finissant sa proposition. Karl sembla réféchir et surtout chercher le piège dans cette affaire, mais il n’en trouva aucun. Tout semblait trop beau en apparence, certes, mais s’il refusait, comment pourrait-il sortir vivant de ce navire et ses proches aussi ? Finalement, il hocha et Caleb ria de plus belle.

“J’savais qu’on pouvait trouver un ‘rrangement !” Posant la bourse pleine dans les mains cailleuses de l’homme avant de se détourner de Karl aussitôt l’accord passé. “Holden ‘pproche sale rat d’cale ! J’t’envoie en Ydril et tu s’ras suivi par un d’mes gars, j’sais qu’tu connais du monde là-bas et qu’tu pourras d’nicher des infos sur l’Rose… M’déçoit pas, ta vie est en jeu. Vous aut’, lâchez-les et dès maint’nant ils sont sous l’surveillance d’Rocaille… Vous savez c’qui vous en cout’ra d’leur causer du tort…”

Il ne chercha pas plus à discuter avec Karl et les deux jeunes hommes. Ces derniers restèrent silencieux, dans un au revoir rempli d’espoir. Finalement, Karl accompagné d’Holden et d’un second pirate reprirent aussitôt l’échelle en corde pour retrouver la petite embarcation, juste avant Croqueuse donna les dernières indications quant au lieu de retour. Ils ne perdirent pas de temps pour reprendre la mer et le boutre aussi, disparaissant de nouveau dans la brume au large.