La Mer pour Royaume, et toi, Sirène, pour Reine | Aalya

Le Voile était tombé sur le monde, comme la confusion sur l’esprit de Kelva. Subitement, irrévocablement, sans espoir de rémission. L’hybride y avait perdu son œil, déjà affaibli par les relents du Chaos. La lumière tamisée avait eu raison de l’iris là où la magie du Père n’avait pu obtenir gain de cause. Il avait pris cela pour un encouragement, une preuve qu’il avait fait le bon choix. Les véritables puissances n’étaient pas là où il les avait crues, et elles ne lui avaient pris qu’un œil en paiement de ses fautes, là où Il cherchait à s’emparer de son âme. Et surtout, découvrir le premier la désagréable conséquence d’une trop forte curiosité lui avait permis de prévenir Aalya avant qu’il ne soit trop tard. Fidèle à son nouveau choix de vie, il s’était réjoui, sincèrement, d’avoir pu être un bouclier la protégeant de ce monde qu’il voulait lui faire découvrir, ce monde que lui-même tentait de ré-apprivoiser.

Il l’avait conduite jusqu’à Ydrill, où il avait dû affronter la cuisante réalité : il était pauvre. D’esprit, bien évidemment, il avait été aliéné trop longtemps, et continuait de l’être, d’une façon plus pernicieuse. Mais il l’était surtout au sens le plus primaire possible. Dix ans qu’il n’avait pas touché un écu, dix ans qu’il vivait au dépend d’Abyssea, qu’il prenait ce dont il avait besoin, quand il en avait besoin. Oublié, cette époque, oublié Zelvajra. Il était Kelva, désormais, et Kelva ne pouvait se permettre de tuer pour subvenir à leur besoin. Il en était capable, mais c’aurait été attirer l’attention sur eux à un moment où à un autre. Il pouvait se débarrasser d’un homme isolé, peut-être même de quelques uns – après tout, le Chaos n’avait pas repris sa force en même temps que ses pouvoirs – mais il ne pouvait plus rien contre une troupe armée.

Il avait hésité. Après tout, ils n’allaient à Meca que parce qu’il avait glissé l’idée. Pourtant, l’idée de faire demi-tour avait rapidement été mise de côté. Le même problème se reproduirait partout où ils iraient : dès qu’ils pénétreraient dans une ville, ils seraient démunis. Certes, sur les routes, au milieu de la nature, l’un et l’autre savaient se débrouiller, mais Kelva ne protégeait pas Aalya pour qu’elle vive en ermite. Alors il avait travaillé. Beaucoup, trop peut-être. Il avait accepté le premier travail venu, jusqu’à ce qu’il en trouve un meilleur. Et ainsi de suite. Si bien qu’il avait du abandonner Aalya des jours durant. Il en avait souffert, mais s’était fixé un but et avait fait son possible pour s’y tenir. C’était pour son bien, ressassait-il à longueur de journée.

Et finalement, sa peine avait été récompensée. Kelva avait réglé tous les détails, ils pourraient partir le lendemain. Le capitaine semblait être un type du genre aimable pour deux sous, mais réglo. Payé, il ne chercherait pas les ennuis.

Il faisait nuit. Une vraie nuit, pas ce simulacre d’obscurité qu’avait été le lot quotidien du Voile. Sans réellement savoir pourquoi, il avait proposé à Aalya de l’accompagner un peu. Peut-être parce qu’il avait passé moins de temps qu’il ne l’aurait voulu avec elle, peut-être parce qu’il avait envie de lui annoncer la nouvelle dans des circonstances un peu particulières. Il ne savait pas très bien, la seule chose dont il était sûr était qu’il voulait voir son visage rayonner. Parce qu’au travers de son sourire, c’était celui de Sylea qu’il retrouvait.

« Meca est là, de l’autre côté. »

La mer, à perte de vue, s’étendait devant lui. Belle, d’une certaine façon, qui lui échappait en grande partie mais qu’il savait tout de même apprécié. Tout était si nouveau, même deux mois après sa repentance, il trouvait les choses les plus simples magnifiques… et les beautés vénérés par les humains laides et affreuses. Il ne savait plus vivre, en total déphasage avec le monde, il tâchait de s’adapter. Il faisait peine à voir, en réalité. Lui qui, jadis, avait été le Maître d’Abyssea après la disparition du Fils et la défection du Traître, il rampait pour le bonheur d’une elfe.

« Nous y serons bientôt. »