L'Ssuu'hha d'l'Aphyon : Funérailles de Brylyan

Gow d'l'xuz

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Mourir en combattant, c'est la mort détruisant la mort. [William Shakespeare]

L'Ssuu'hha d'l'Aphyon

En ce jour, la Chambre Magmatique avait été ouverte à tous. Le peuple drow avait été convié aux funérailles de leur Roi défunt. Le corps avait été transporté en secret au sein du Temple de Teiweon afin de maquiller le corps. Les embaumeurs l'avait lavé, l'avait parfumé et enduit de baumes conservateurs. Le Sanctuaire de la Reine des Morts avait, alors, résonné d'une kyrielle de prières jour et nuit. Les chants s'étendaient au sein de tout le Puy d'Elda, inlassablement, laissant une atmosphère étrange. La Mort régnait. Tous devaient savoir qu'on ne défie pas Teiweon. Tous devaient savoir que la Mère enlaçait même les êtres que l'on pensait intouchable et éternel. Tous devaient craindre Teiweon Danath'Korr. C'était ainsi. La veillée funèbre ne jeta que davantage un vent de terreur sur le Volcan endormi. Plusieurs sacrifices furent offerts à la Déesse afin que ceux-ci accompagnent le Roi dans sa traversée du Royaume. Il ne serait pas seul.
Pour ce jour, Brylyan sera vêtu de ses plus beaux effets personnels. Sa rapière et son armure avaient une place particulière et l'accompagneraient aussi dans l'au delà. Un bandage avait été appliqué au niveau de son cou afin de joindre la tête et le corps. Le tout fut masqué par un col montant. Il serait intact comme de son vivant. Dans un premier temps, une marche funèbre, officielle, aura lieu afin que le peuple drow puisse voir une dernière fois leur Suzerain car eux ne pourraient pas rentrer au sein du Temple. Le défilé débuta du Palais Royal. Sur un autel d'ébène, le Souverain reposait. Deux rubis fermaient ses paupière. Ils étaient portés par les disciples de la Mère. Les Prêtresses chantaient de leur voix aussi sensuelle que terrifiante. La Haute-Prêtresse ouvrait la marche. Une robe en soie noire revêtissait ses courbes, laissant ses hanches dévoilées et un décolleté plongeant et généreux. De hautes cuissardes remontaient jusqu'à mi cuisse laissant admirer quelques dessous de dentelles tandis que sa longue et épaisse chevelure d'un blanc argenté flottait au vent. Quelques perles sillonnaient ses cheveux. Les mains jointes, elle susurrait ses incantations à la Mère. Son visage était en partie dissimulé. Deux lanières de cuir barraient ses yeux, allant se perdre ensuite parmi sa tignasse. Une gemme ornait le centre de son front, bleutée, luisante, étincelante. La garde personnelle de l'Ancien Roi suivait derrière le lit funèbre, précédé par les esclaves destinés à accompagner le défunt.

Lentement mais sûrement, la cortège funéraire arrivait jusqu'à la Demeure de la Mort. Les quelques marches furent montées et la Haute-Prêtresse se figea afin de se tourner vers la foule. Les bras s'élevèrent en bras, paumes voués aux cieux. Elle intima le silence. Tous se turent. Sa voix forte, d'une douceur illusoire retentit.

« Chers Sombres, nous sommes réunis en ce jour pour honorer notre défunt Roi. Que Teiweon lui réserve la place qui lui est due au sein de son Royaume. »

La Saigneur Hune'Baenre était bien jeune. Avant d'être lue, elle ne pensait pas devoir accomplir une telle cérémonie quelques temps après être devenue ce qu'elle est aujourd'hui. Une lourde responsabilité reposait sur ses épaules. Il ne fallait pas faillir. Il fallait pas faiblir. Elle se devait de se comporter en Haute-Prêtresse, digne de son titre. L'occasion n'était que trop belle. Ce présent de la destiné devait être cueilli avec précaution. Elle pourrait prouver qu'elle méritait sa place. Elle pourrait prouver qu'il fallait se méfier de son influence.

Un fidèle, sorti de l'ombre, se rapprocha d'elle renfermant en ses mains un flambeau où dansait une flamme bleutée. S'agenouillant aux côtés de l'Aveugle, il tendit la torche à la foule, ou plutôt lui montrait.

« Lorsque ce réceptacle s'embrasera, les Portes de la Mort s'ouvriront emmenant à jamais le Suzerain Brylyan Naerth. »

Désignant d'un main le flambeau, de l'autre le vase destiné a brûlé, la Haute-Prêtresse rejoignit à nouveau les mains ensuite. Le Prêtre prit place derrière le réceptacle dans l'attente du signal. Tous ne pouvaient entrer au sein du Temple, ce moyen était simplement pour indiquer l'incinération du Roi afin que les drow puissent adresser un dernier hommage à leur Souverain. Elvanshalee fit volte face et pénétra au sein de son Sanctuaire. Le défilé se remit en marche, traversant les couloirs dont les flancs étaient creusés pour y laisser quelques ruisseau coulés. Bientôt, ils arrivèrent au sein de la grande nef dont le chœur abritait la haute statue de la Mère des Morts. L'autel avait été préparé. Les Prêtres y transportèrent le lit funèbre et l'y déposèrent pendant que les Prêtresses continuaient leur chant et leur danses rituelles.

Le moment était venu. L'Obok Yathrin se faufila entre l’effigie de Teiweon Danath'Korr et le Pyrée. Ses paroles doucereuses, de cette voix sulfureuse aux accents gutturaux se rependit à nouveau dans la salle, une fois que les hauts dignitaires drow furent rassemblés et firent silence.

« D'anthe Ilhar plynn l'quortek d'udossta Valuk, Brylyan Naerth, nau'thal xunsin wund dosst varash, belbau uk l'k'lar vel'bolen zhah trok'hr ulu ukta. Dos shlu'ta tlu maharria xuil uktQuortek. »

(Chère Mère prenez l'âme de notre Roi, Brylyan Naerth, conduisez le au sein de votre royaume, donnez lui la place qui lui est due. Puissiez-vous être clémente avec son Âme.)

Pendant ce temps, les esclaves du Roi, des femmes, habillées de robes bleues, l'esprit embrumé par quelques drogues et alcools afin que leur mort soit moins douloureuse furent disposées tout autours de l'autel, gloussant, couinant, gémissant, chantant. Les religieux continuaient leur litanie inlassablement. La Haute-Prêtresse prit une dernière fois la parole.

« Si une quelconque personne que ce soit désire prendre la parole qu'il le fasse ou se taise. »

Ils avaient le droit de faire leur hommage si ils le désiraient surtout la sœur du Roi. La Saigneur Hune'Baenre attendit quelques instants. Si quelqu'un prit la parole, elle l'invita à la rejoindre et prononcer ce qu'il avait à dire. Au quel cas, Elvanshalee s’avança en direction de l'autel. De sa paume naquit une flamme bleue tandis que les arabesques étincelaient à nouveau. Elle fit le tour des deux cercles inflammables entourant l'autel. Les chants avaient cessés autant que les danses. Les acolytes se tenaient dans le dos de la Haute-Prêtresse, patientant. Sans attendre plus, elle mit le feu au premier contour qui ne tarda pas d'enflammer le second jusqu'à embraser l'autel et son Suzerain. Tous continuaient de faire silence jusqu'à ce que la clameur de la Fille de la Mère ne retentit par de là le Temple. Les cantiques reprirent de plus belles, fortes, puissantes, exaltantes.

Là dehors, le Prêtre au flambeau ne tarda guère à enflammer le réceptacle et réciter avec ses pairs les mêmes prières.

Pauvre con…

Le Ditronw Da’re n’osa bien sur pas exprimer cet avis à voix haute lorsqu’il passa voir le corps du souverain défunt dans le boudoir du temple de Teiweon Danath'Korr, mais il n’en pensait pas moins au fond de lui-même. Le peu de respect qu’il avait toujours eu envers la royauté trouvait sa confirmation dans les derniers événements. Un duel, une lame, voilà qui venait de trancher non seulement le cou de Brylyan mais surtout la stabilité du royaume.

Comment le Gardien d’Uriz avait-il osé tuer le roi ? Non, correction… comment le Gardien d’Uriz avait-il osé tuer le roi puis ficher le camp tel un vulgaire voleur ? Ne voyait-il pas le chaos dans lequel allait sombrer la race des drows ? Ne comprenait-il donc pas ce qui allait se passer ? Son message incitant les plus puissants seigneurs drows à prendre le pouvoir s’ils s’en sentaient capable pouvait se traduire aisément par un appel au conflit. Tebirahc ne comprenait-il pas les conséquences de ses actes ?

Ou peut être les comprend-il trop bien, justement.

Réalisant qu’il venait de murmurer cette dernière phrase, le vieux sorcier fusilla du regard le prêtre étonné qui se demandait si les mots lui étaient destinés.

Tebirahc n’avait pu agir que sur ordre d’Uriz lui-même, jamais le Gardien n’aurait pris sur lui de renverser ainsi le pouvoir du Puy sans l’accord préalable du Père des Batailles. La main divine agissait, mais pourquoi avoir détruit un roi qui lui était dévoué ? Cela ne semblait avoir aucun sens, et si les dieux agissaient parfois par caprice en se comportant comme véritables enfants gâtés, cette fois cela semblait dépasser les limites habituelles. Mais… et si…

Et si…

Fouillant sa mémoire, Haldren se remémora un rapport reçu sur la dévastation subie par les nains durant le Voile. Uriz châtiait d’abord le peuple des montagnes, s’attaquait-il désormais à ses plus loyaux porteurs de morts ? S’attaquait-il aux drows ? La stabilité apportée par Brylyan suite à la chute du Triumvirat lui déplaisait-il au point que le dieu en vienne à ces méthodes extrêmes pour remuer la marmite nommée Elda ?

Des énigmes dans le noir…

En tout cas la cérémonie funéraire fut somptueuse, comme on devait s’y attendre. Une méthode polie de rappeler que si le roi mourait, le pouvoir royal allait perdurer dans la main de son successeur. Entouré de plusieurs de ses adeptes, le seigneur des ombres garda néanmoins un visage maussade et renfermé. Ces imbéciles faisaient semblant de croire que tout restait normal, même l’ignominieuse blessure ne se voyait pas, bien cachée par les vêtements et le haut col de la tenue du monarque tombé.

Décidément, la situation ne plaisait pas à Haldren. Non pas qu’il pleurait le roi, il aurait plutôt craché sur le cadavre avec plaisir. Les rois… tous les rois… ne méritaient rien d’autre que la mort. Comme à chaque fois qu’il méditait sur le sujet, le sorcier revécu la destruction de son clan, plus de trois siècles auparavant. Son clan, les Baenfere, dont l’arrogance démesurée les avait poussés à défier la royauté, à tenter de perpétrer un coup d’état. Folie écrasée dans le sang… folie à laquelle lui seule avait survécu, plus par chance qu’autre chose d’ailleurs.

Et maintenant ? Un autre roi, aussi méprisable par ce qu’il représentait allait-il réussir à écarter ses rivaux et asseoir son auguste postérieur sur le trône vaquant ? Une seule chose semblait certaine : avant que cette histoire ne soit finie, le sang coulerait à flots au cœur du volcan.

L'enterrement de Brylyan passait quelque peu au second plan dans l'esprit de nombreux Drows. Un règne s'était achevé de manière brutale et seuls des questions et l'après-règne intéressaient ceux qui assistaient à la cérémonie. La décision du Gardien d'Uriz était une décision bien dura à avaler surtout quand on savait que Brylyan ne s'était pas détourné de la voie des batailles. Uriz détestait-il la stabilité ou alors se plaisait-il à répandre le chaos partout où il passait ? Ni Ellyrion, ni même les récents raids sur la frontière n'ont semblé attirer de faveur et le Gardien s'était encore éclipsé sans prévenir après son geste.

C'était surtout une ambiance d'inquiétude que l'ancien roi laissait derrière lui car chacun allait revendiquer le trône pour lui-même. Sans descendance de l'ancien roi les prétendants allaient être nombreux et nul doute que la Prêtresse Alyryne aurait plus à faire à justifier les actes du Gardien plutôt que de suivre la voie de son frère. Honnêtement les événements récents n'étaient guère pour plaire à la Prime Sorcière, certes de nombreux poids s'étaient envolés avec la chute de Brylyan dont une surveillance assez agaçante mais la stabilité du règne lui avait permit de mener à bien certains projets et à réformer l'école de Magie. Les luttes intestines allaient détourner certaines de ses ressources auxquelles elle aurait bien aimé une toute autre utilisation, mais elle n'avait guère le choix. Y'Shahinn était l'une des deux dernières têtes du Royaume des Sombres, dirigeante de la Magie, et nombreux seraient ceux qui verraient en elle une ennemie, ne souhaitant pas l'émergence d'une nouvelle Prime Sorcière à la tête du Royaume alors que le souvenir d'Aetherya pouvait être encore frais dans les esprits.

Même si elle avait des convoitises sur le trône, trône qu'elle avait longuement côtoyé durant son existence, elle ne pouvait ne pas voir qu'il lui fallait amasser certaines cartes pour tirer son épingle du jeu. Il fallait trouver de nouvelles opportunités, de nouveaux projets car il était certain que lorsque le Gardien d'Uriz reviendra il faudra donner être sur ses gardes.

La Haute-Prêtresse cessa ses chants, ses fidèles continuèrent pour elle. Son regard rubis défiait chacun dans la salle, balayant cette dernière avec une froideur digne de l'Hiver lui-même. Encore fallait-il entrevoir ses yeux. Son minois restera éternellement dans l'ombre. Dès à présent, l'autel brûlait et l'ancien Souverain avec. Une génération venait de s'achever. Il fallait désormais écrire une nouvelle page de l'histoire. Quel homme ou quelle femme prendrait le pouvoir du Peuple drow ? Il y avait des têtes qui se distinguaient. Certains desseins pouvaient être deviner aisément.

Tournant les talons, la Haute-Prêtresse s'engagea vers la statue de la Mère. Elle s'y figea. Elle devrait assister à ses longues heures ou l'ancien roi brûlerait. On alluma, dés lors, quelques bâtonnets d’encens afin d'éviter la puanteur de la chair brûlée. Des cantiques se détachaient les cris des esclaves qui étaient eux aussi consumés par les flammes, de la douleur à l'état pur, vive. Ces pauvres filles hurlaient à s'en fendre les cordes vocales malgré les quelques drogues qu'on leur avait donné. Leurs corps dévorés par le feu sursautaient, tentaient de s'échapper mais rien n'y faisait. Leur peau fondait sous le plaisir de Teiweon Danath'Korr. Cela dura quelques instants. C'était aussi un rappel. Personne n'échapperait à la Mort.

Les personnes présentes étaient désormais invitées à sortir hors de la salle. Le dernier acte se déroulerait lorsque tout sera consumé. Les cendres de l'ancien Roi seront récupérés et placés dans une urne funéraire qui sera scellée et enfoncée dans le mur des Morts, là où tous les êtres importants du peuple drow résident désormais. Quelques hauts dignitaires pourront y assister si ils le désirent.

Brylyan Naerth est mort et désormais enterré. Le pouvoir royal vaquant, tous se battraient pour savoir qui sera le prochain Roi.

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