La fin du voyage ?

Il l'avait fait. Après un long périple de plusieurs mois à traverser les terres sauvages, puis à parcourir les royaumes humains, après de nombreuses rencontres toujours plus étonnantes et enrichissantes, et après une foule de péripéties plus ou moins volontaires, le voyageur avait enfin atteint sa destination finale. Devant lui, majestueuse et resplendissante, se dressait Diantra : capitale du monde des hommes, et but final de son voyage.

Pendant qu'il franchissait la dernière lieue le séparant de la cité, Kiran commença à prendre conscience des proportions gigantesques de celle-ci. Protégée par son énorme muraille circulaire, la ville s'étendait à travers la plaine comme une gigantesque fourmilière humaine, témoignage de la puissance et de la prospérité de la nation qu'elle abritait.

Une fois arrivé au niveau de l'entrée nord, le nain se retrouva mêlé au flot de badauds, de commerçants et de voyageurs qui se pressaient pour franchir les massives portes de la cité. La fouille méticuleuse par les gardes en faction de chaque personne désireuse d'entrer ne facilitait pas vraiment ce transit, et Kiran dut attendre un bon quart-d'heure avant de pouvoir à son tour pénétrer dans la ville.
Une fois les contrôles de routine terminée (lors desquels les gardes parurent légèrement surpris de voir un nain débarquer devant eux, mais n'ajoutèrent cependant rien de plus) le voyageur se retrouva seul au milieu des rues bondées de monde de Diantra. Le soleil était au zénith, et Kiran sentit que son estomac se faisait vide et ses jambes fatiguées. Un détour par une auberge pour se reposer et se restaurer semblait tout indiqué. Cependant, la pensée que le but de sa quête était maintenant tout proche l'emplit d'une détermination nouvelle qui balaya sa fatigue et sa faim. Maintenant qu'il touchait au but, il n'allait sûrement pas s'arrêter pour de pareilles futilités. Et puis, il n'avait pas de temps à perdre pour de choses aussi peu importantes au regard de sa mission.
Kiran repartit donc en essayant de se frayer un chemin à travers la foule de passants qui remplissait les larges avenues de la capitale, et se promit qu'il prendrait un peu de temps pour lui-même une fois sa mission achevée.

Le voyageur se retrouvait perdu au milieu de cette ville gigantesque dans laquelle il n'avait jamais mis les pieds. Pourtant, Kiran savait très bien où il devait aller. Le château de Diantra, situé sur une colline, et dominant les environs de toute sa masse, était parfaitement visible de n'importe quel point de la ville. C'est vers ce bâtiment qu'il se dirigea, se doutant déjà qu'à un moment ou à un autre, on ne le laisserait pas continuer.
Il marcha ainsi un moment à travers la ville, jusqu'à ce qu'il eut atteint la muraille extérieure du château. De près, l'immense construction était encore plus imposante, et écrasait le voyageur de toute sa hauteur.
L'épaisse double porte de bois massif qui constituait l'entrée était surveillée par un groupe de soldats, pour la plupart regroupés autour d'une bâtisse en pierre qui semblait être le poste de garde.

Malgré ses récentes aventures parmi les humains, Kiran savait encore bien peu de choses à leur sujet. Cependant, s'il y en avait une qu'il avait retenue, c'est que leurs dirigeants étaient des gens très occupés, et qu'il était extrêmement difficile de les approcher pour leur parler.
Kiran sentit le découragement l'envahir. Comment donc comptait il parvenir à obtenir une audience avec le roi des hommes, le personnage le plus puissant de la péninsule, lui, un simple étranger, d'une autre race qui plus est.
Non ! Il ne devait pas se laisser abattre. Ce qu'il avait à faire était trop important pour songer à renoncer maintenant. Kiran repensa à tout ce qu'il avait traversé pour parvenir jusqu'ici, tous les dangers et les pièges mortels auxquels il avait échappé. Ce n'était pas une stupide différence de hiérarchie qui allait l'empêcher de finir sa mission.

Le nain inspira un grand coup, puis se dirigea vers les gardes en faction devant la porte.
Une fois à leur niveau, il s'adressa dans son commun imprégné de l'accent khazalid à celui qui semblait être le chef :
« Je vous salue, hommes de Diantra. Mon nom est Kiran Godrikson, envoyé de Thanor, et j'apporte un message important pour votre roi de la part de mon peuple. »

Kiran observa le vieil humain qui venait d'intervenir de manière aussi fracassante.
Une longue barbe blanche, des cheveux de la même couleur, de grandes robes mauves, un bâton à la main et un chapeau pointu sur la tête. Le personnage ressemblait en tout point à l'image que n'importe qui aurait pu se faire d'un magicien. D'ailleurs, ne venait-il pas de dire qu'il était conseiller en magie du roi ? Si un personnage aussi important venait intervenir en sa faveur, alors il avait peut-être encore une chance d'accomplir ce qu'il était venu faire ici.
La colère qui imprégnait ses traits était retombée, et le vieil le regardait à présent en souriant, si bien que Kiran fut déstabilisé quelques durant quelques secondes, tant il avait perdu l'habitude d'être considéré aussi amicalement. C'est à peine s'il entendit la question que Nakor venait de lui poser.
Voyant que celui-ci s'était tut, et semblait attendre une réponse de sa part, il se reprit rapidement et s'adressa au magicien en s'inclinant :
« Je vous remercie pour votre accueil monseigneur. Mon nom est Kiran, fils de Godrik. J'ai été envoyé par la cité naine de Thanor pour transmettre une missive importante à votre roi. »
Tout en parlant, le nain sortit de son sac de voyage un petit tube en fer, dont l'ouverture était scellée par un cachet de cire. Voyant que son interlocuteur regardait avec grand intérêt l'objet en question, il hésita un instant, puis précisa :
« Mes ordres sont de transmettre ce message au roi en personne. C'est pourquoi vous devez comprendre que je ne peux le confier à personne d'autre, aussi haut placé soit-il dans votre hiérarchie. »
Le vieux conseiller sembla comprendre. Il lui demanda néanmoins des nouvelles du peuple des montagnes, et quelle était la raison pour laquelle on voyait si peu des représentants de leur race ces derniers temps. À ces mots, le visage du nain s'assombrit.

« Hélas, j'apporte de bien sombres nouvelles au sujet de mon peuple.
Le Voile a prélevé un tribut terriblement lourd sur notre royaume : la colère de Mogar s'est abattue sur nous, et elle fut sans pitié. Nul ne sait pour quelle raison notre père s'est retourné contre ses enfants, mais toujours est-il que nombre des nôtres ont été touchés par son influence. Leur insufflant toute sa colère et sa haine, le dieu de la guerre nous a retourné les uns contre les autres, et nos frères se sont mis à s'entre-déchirer dans une folie meurtrière.
Pour empirer les choses, les tribus de gobelins du nord ont elles aussi été touchées par sa rage guerrière. Profitant de notre faiblesse, ils ont envahi et saccagé la cité d'Almia, et ils infestent encore aujourd'hui une partie de nos terres. »

La nouvelle du sort des nains n'était apparemment pas parvenue jusqu'ici, à en juger par l'expression choquée qui était progressivement apparue sur les traits du magicien.
Cependant, Kiran n'avait pas terminé.

« Pourtant, le plus terrible est venu du cœur même de notre royaume.
Kirgan... a été détruite. »
Cette fois, la surprise fit place à l'incrédulité la plus totale sur le visage du vieux conseiller.
« La terre s'est réveillée, et de ses entrailles est sorti le feu de la colère. J'ai vu... de mes propres yeux... la cité succomber à la fureur des éléments. »
Le visage du nain était plus grave que jamais.

Kiran ferma les yeux un instant, submergé par les souvenirs de cette terrible journée. Des images qu'il pensait avoir oubliées revirent brusquement à la surface, le plongeant à nouveau dans l'expérience traumatisante de la destruction de Kirgan.

La voix du magicien arracha Kiran à ses souvenirs, le ramenant dans la réalité du moment. Nakor semblait sincèrement compatir avec son peuple. Se pouvait-il que le sort des nains ait encore une quelconque importance aux yeux des humains ? Regardant le vieil homme dans les yeux, il y vit une tristesse qui faisait écho à la sienne, et il sut alors que sa douleur était partagée.
Soulagé et en partie réconforté, le voyageur reprit d'une voix reconnaissante :
« Je vous remercie, conseiller. J'espère comme vous le dites, que le roi voudra bien recevoir mon message, et j'espère aussi qu'il saura prendre la bonne décision concernant son contenu. »

Lorsque Nakor annonça qu'il souhaitait se rendre dans le nord pour reprendre contact avec les nains, Kiran fut soudain rempli d'espoir, comme jamais il ne l'avait été depuis le Voile. Ainsi, les hommes avaient encore la volonté de renouer avec leurs anciens alliés !
Voir qu'en ces temps difficiles, certains se souciaient encore de leurs voisins au lieu de se replier sur eux-mêmes avait de quoi réchauffer le cœur de n'importe qui, et en particulier celui du nain.
Kiran frappa du poing sa poitrine, et s'inclina une nouvelle fois devant le magicien :
« Ce serait un honneur pour moi de pouvoir vous servir de guide, Nakor, ami des nains. Une fois ma tâche accomplie, je vous accompagnerais jusque sur les terres de mes ancêtres. La cité de Thanor se fera un plaisir de vous accueillir entre ses murs, vous pouvez en être certain. »

Sur ce, un garde arriva pour apporter une réponse à la demande d'audience. Kiran allait enfin savoir si le roi acceptait de le recevoir.

Voyant l'air complètement abasourdi de l'intendant face aux révélations brutales de Nakor, Kiran ajouta :
« C'est malheureusement vrai, messire. Il s'est passé beaucoup de choses depuis notre dernier contact officiel avec le monde des hommes, et notre peuple a grandement souffert durant le Voile. »
Sortant de son sac le fameux tube de fer cacheté, il reprit :
« J'avais ordre de ne remettre ceci qu'au Roi, mais vu l'importance de ceci, je pense qu'il vaut mieux ne pas attendre d'avantage. Je vous fait confiance pour lui transmettre dès son retour, ou mieux, lui faire parvenir directement là où il se trouve. »
Puis il tendit la missive en direction de l'intendant. Le petit homme prit celle-ci des mains du nain et, brisant le sceau qui bouchait l'ouverture, en sortit un rouleau de parchemin sur lequel était écrit:



Thanor, le 27ème jour du mois de Verimios, 1ère année du 11ème cycle


A l'attention des dirigeants et chefs des hommes du royaume de Diantra,

Comme vous avez certainement pu vous en rendre compte, en ce début d'année, l’éclipse marquant le passage vers un nouveau cycle s'est étendue sur un mois entier, au lieu des neuf jours annoncés par les écrits.
Ce phénomène, qui a par la suite été nommé plus communément « le Voile », semble avoir eu des répercussions importantes sur tout Miradelphia. On raconte que les dieux seraient revenus sur la Terre et nous sommes de plus en plus nombreux à croire que c'est réellement ce qui s'est passé.
Nous ne savons pas quels ont été les conséquences pour les humains, ni pour aucun des autres peuples du continent. Cependant, ici dans le nord, elles furent désastreuses. Des cataclysmes sans précédant se sont abattus sur nous, allant de la canicule aux inondations, en passant par des tremblements de terre destructeurs.
Pour notre plus grand malheur, Kirgan, la cité royale, a été entièrement ravagée par le réveil soudain du volcan sur laquelle elle était construite. Le roi Garmin ainsi que la majorité des membres du conseil royal sont morts ou portés disparu.
Nous avons également perdu tout contact avec la cité d'Almia. Aux dernières nouvelles, elle luttait pour résister à une invasion massive de tribus de gobelins venues des marches septentrionales. Nous craignons qu'elle n'ait fini par tomber.
Pire encore, notre peuple semble avoir été frappé d'une folie meurtrière qui a conduit à de nombreux massacres entre nos frères. Aussi inexplicable que ce soit, il semblerait bien que notre père Mogar ait choisi de retourner son courroux contre ses enfants.

Notre royaume est en ruines. De très nombreux nains sont morts, et nous n'avons toujours pas fini de dénombrer nos pertes. Les survivant du cataclysme se sont réfugiés ici, à Thanor, ou dans la cité de Lante, avec laquelle nous avons très peu de contacts.

Si vous pouvez nous faire parvenir de l'aide, sous quelque forme que ce soit, nous l'accepterions avec joie et vous en serions plus que reconnaissants.

Des temps difficiles nous attendent à présent. Cependant, il en faudra plus pour réduire définitivement au silence le peuple des montagnes. Nous sommes toujours là, et nous nous ne cesserons jamais de lutter tant que le dernier d'entre nous sera en vie. Notre peuple a beau avoir subi un revers important, nous allons nous relever, reconquérir nos terres, et continuer à faire face au destin avec fierté, comme nous l'avons toujours fait depuis le commencement.

Par cette présente missive, et au regard des anciennes alliances entre nos deux peuples, nous exprimons notre volonté de renouer les liens qui existaient jadis entre hommes et nains. Si nous avons tiré une leçon de cette épreuve, c'est que nul n'est jamais trop préparé pour affronter les périls à venir. Nous sommes convaincus que cette alliance saurai être profitable pour nos deux peuples, et que chacun en sortirait fortifié pour faire face à l'avenir.


Dans l'attente de votre réponse, nous vous souhaitons longue vie, force, et prospérité.


Les membres du conseil de Thanor

Le lendemain matin...


Kiran se tenait prêt. Son paquetage était déjà fait depuis une heure, et il lui tardait de reprendre la route.
En ce frais matin d'hiver, le nain se sentait rempli d'une vigueur nouvelle, que même la pensée du long voyage qui l'attendait ne pouvait diminuer. Depuis l'autre bout de la grande cour du château, ill vit Nakor venir vers lui d'un pas ferme. Le magicien était équipé de pied en cap pour la route, et semblait aussi impatient de partir que son compagnon. Il avait insisté pour effectuer se voyage avec Kiran comme seul guide. Nul doute que le savoir arcanique de Nakor rendait toute escorte superflue, et qu'un équipage d'hommes en armes n'aurait fait que les ralentir.
Lorsque le conseiller arriva à la hauteur du nain, il s'arrêta et lui lança sur un air enthousiaste :
"Eh bien maître Kiran, êtes vous prêt à me guider jusqu'aux lointaines contrées du nord ?"

Un instant, le regard de Kiran s'attarda sur les hautes tours de la cité de Diantra. Cela ne faisait pas si longtemps qu'il était parmi les humains, mais il en avait déjà appris beaucoup à leur sujet. Et pourtant, il y avait tellement de choses qu'il ignorait encore. Un jour, pensa-t-il, il reviendrait en ces terres pour finir de satisfaire sa curiosité. En attendant, il lui fallait songer tout d'abord à sa propre patrie, et finir d'accomplir la mission qui lui avait été confiée. Il pouvait remercier les cinq d'être déjà arrivé jusque là. Maintenant que les hommes avaient été mis au courant de leur destin et qu'ils avaient accepté de les aider, le poids qui reposait sur ses épaules depuis des semaines semblait s'être soudainement envolé.
Se tournant vers Nakor, Kiran sourit en voyant le visage brillant de détermination du vieux magicien.
"Prêt plus que jamais monseigneur. Le voyage risque d'être difficile mais, si nous avançons bien, nous devrions atteindre Thanor dans moins de quatre semaines."
Le conseiller lui rendit son sourire.
"Oh! Et bien, je pense qu'il vaudrais mieux ne pas traîner dans ce cas."

Et sur ce, les voyageurs se mirent en route.