Nom/Prénom : Cléophas de Corvall dit d’Angleroy
Âge : Trente sept ans
Sexe : Masculin
Race : Humain
Particularité : - Cléophas est un touche-à-tout. Il possède de grandes connaissances dans bien des domaines du fait de son éducation.
- Cléophas recouvre souvent ses habits de grandes tuniques tenues par deux fibules appartenant à Philémon d’Angleroy.
- Cléophas porte les armes des trois familles Angleroy, Cornvall et Merval et ainsi, trois chevalières.
- Cléophas est parfois pris de maux de dos qui l’obligent à se déplacer avec une canne. Nul ne connaît l’origine d’iceux.
Alignement : Neutre
Métier : Baron de Merval
Classe d'arme : Corps à corps
Équipement : Le Baron est un amateur de belles étoffes. Soies, brocarts, taffetas, il se vetit d’habits souvent très élaborés et colorés qu’il recouvre la plupart d’une grande tunique contrastant avec le tout. Des voyages de son père, il a gardé de nombreux bibelots exotiques qu’il se plait de temps en temps à exhiber : cannes, armures, épées qui contribuent à rendre son personnage légendaire. Par ailleurs, il porte les chevalières de ses trois familles respectives : la dynastie des Merval, la Maison de Corvall et la Maison d’Angleroy. La première est une chevalière d’or sertie d’un rubis ; la seconde est un anneau d’argent dont l’émeraude est frappée des armes de Corvall. Quant à la dernière, elle n’est rien moins qu’un anneau d’or serti d’un lapis-lazuli chatoyant. Enfin, il porte une rapière particulièrement élaborée, d’une légèreté étonnante et d’une facture remarquable. Son pommeau d’argent est recouvert de fils d’or tandis que sa garde y a été trempée. Sa canne favorite est faite d’ivoire tandis que son pommeau représente une femme s’élançant vers l’horizon. Néanmoins il en possède une pléthore.
Description physique : Charmant et charmeur : deux mots sachant résumer son apparence. S’il n’était pas particulièrement grand, il n’était nullement petit. Ce qui sans doute le distinguait était son port altier. D’aucuns purent dire qu’ils n’avaient en rien l’apparence d’un grand Duc, pour ce qu’il n’était pas des plus virils. Pourtant, son visage était marqué par la sagesse. Il avait les traits rudes de ceux qui ont vu passer de noirs hivers et l’œil aussi clair que celui de Néera. Ses cheveux avaient été façonnés dans l’or le plus pur mais comme tout joyau, ils ternirent au fil du temps. Son œil était aussi noir que les ténèbres, aussi ombreux que le cœur de la race mortelle. La saillie de ses pommettes était adoucie par ses cernes qui, si elles furent marquées n’en étaient pas moins désagréables à l’œil des courtisanes. En effet, son visage était marqué par son profil saillant : ses lèvres, dessinées par les peintres divins reflétaient ses suaves inclinations auprès des dames. Sa lèvre supérieure était plus pulpeuse en ce que le Baron avait pour habitude de se la mordre lorsqu’il était soucieux. Quant à ses membres, s’il avait les jambes robustes et les bras musclés, ses mains étaient d’une finesse inégalée. Il avait pour particularité de les laisser ballantes. L’on disait que la virtuosité avec laquelle il maniait sa rapière faisait qu’il préférait détendre ses mains lorsqu’elles n’étaient au fourreau. Peu connaissaient ce fait et prenaient ceci comme un signe, non de mépris, mais de cette douce arrogance dont font preuve les aristocrates. En somme, Cléophas oscillait entre charme et cruauté et il profitait grandement de cette image qu’il renvoyait naturellement.
Description mentale : C’est un homme que l’on puis qualifier d’une grande austérité. Héritage de son enseignement de jeunesse, il a appris les vertus des grands hommes. La retenue et la piété. Il accorde une grande importance au culte de Néera sans pour autant dénigrer les êtres dénués de foi. S’il est modeste et respectueux et fait figure de parangon de vertu, il n’en est pas moins cynique lorsqu’il le souhaite. Les conversations tenues avec lui peuvent être très agréable ou relever du supplice selon qu’il considère son interlocuteur digne ou infâme. Silencieux et pensif, il réfléchit longuement avant de parler. L’œil perçant, le ton inquisiteur et la mine impassible, il apparaît comme insondable à ceux qui souhaiteraient par la rhétorique le déstabiliser. Pour autant, il sait parfaitement ce qu’il faut pour conserver ce trône qui ne lui est pas naturel et sait avec brio sourire lorsqu’il le faut, faire preuve de bonté vis-à-vis de son peuple ou parfois de fermeté lorsque le demandent les circonstances. Il ne faut pourtant guère se fier à sa bonne âme : en bon politicien, il sait se faire très manipulateur.
Histoire : « Elle est morte »
C’en était fait. Eulalie avait succombé. Dans l’étude, le silence avait pris la place qu’avait abandonnée la Baronne. Nul ne disait mot. Tous se regardaient, habités des mêmes pensées sans pour autant oser les faire éclore. Un fond de morale philosophique les faisait sans doute dire que de telles pensées devaient être tues en de pareilles occasions. Pourtant, tous savaient. La grande disette avait frappé la Baronnie, le peuple criait famine et la Baronne n'avait su faire preuve d'assez de générosité pour lui offrir le privilège de la satiété. Eulalie avait perdu toute popularité auprès de ses gens. Son honneur, bafoué ; son nom, sali. Elle vivait recluse dans son château, n’osait pas même apparaître dans ses jardins. Elle qui incarnait une bouffée d’air frais après l’austérité de Morgause finit par laisser derrière elle une odeur rance. Le voile d’illusion qui la couvrait disparut soudainement. Désormais seule, dans son plus simple appareil : l’incapacité. Un lys qui bien vite fit apparaître ses flétrissures. Le portail du palais fut fermé, des hallebardiers en grand-habit postés devant. Une nuit, le peuple accrocha aux grilles une grande tenture rougeoyante, couleur des parias. Le message était clair, la Baronne n’était plus désirée. Elle passa ses derniers jours recluse dans ses appartements. Elle refusait que l’on lui apportât sa nourriture, que l’on pénétrât dans sa chambre, que l’on lui adressât la parole. Elle mourut seule, alitée. Une mort dont la gloire était à la hauteur de ses faits d’armes. Promptement, le silence comprit qu’il se devait de laisser sa place. Ce doux seigneur se résolut à fuir, la solennité n’était de mise. Un mot. Un seul mot, pas même une phrase, fut elle nominale. Seul un mot réussit à s’imposer. La mort de la Baronne ne savait-elle susciter autre chose qu’un mot ? Il faut dire que c’était grandement l’honorer. Ce mot, qui força le silence à prendre la fuite. Des soupirs aux murmures, des murmures aux paroles, des paroles aux cris, des cris aux mouvements ; et des mouvements stoppés par la froideur des lames qui brillaient aux fourreaux des gardes présents dans la salle. Les notables étaient ici assemblés. Face à eux, derrière les portes, était le lit de mort de la Baronne. Autour d’elle s’affairaient les prêtres, ses derniers compagnons qui tentaient de mener son âme vers la paix. Si elle n’avait su la trouver dans la vie, nul n’était certain qu’elle la trouverait dans la mort. Non contente de laisser son fief drapé de honte, elle le laissait sans héritier. Que la mort puisse susciter des émus, le monde le savait ; qu’elle puisse susciter des émeutes, les notables le savaient. Toutes leurs entreprises avaient pour dessein de se garder d’une telle éventualité. Mais lorsque la faim soulève un peuple, il suffit de la rassasier. Mais comment rassasier la mort quand l’on succombe sans descendance ? Ce mot. Ce même mot qui était dans toutes les bouches.
« Qui ? ».
Nul ne le savait. Ce qui était certain, c’était que la nouvelle de la mort d’Eulalie ne pouvait quitter les murs du Palais. La tradition, qui était de remplacer les bannières du château par des étoffes de sable, avait été laissée de coté. La bannière de Merval flottait et continuerait de flotter jusqu’à ce que soit trouvé un héritier. L’étude se faisait trop étroite et les débats qui s’y déroulaient la rendaient désagréable. Les notables s’installèrent dans la grande salle, désertée depuis plus d’une année, s’y attablèrent et demandèrent à ce qu’on fermât les portes. Le concile allait débuter. Tous les hommes qui avaient connu la Baronne avait été conviés, pour ce que les bâtards n’apparaissent point sur les tapisseries familiales. Etrangement, aucun notable ne proposa sa candidature. Des marchands, des navigateurs, des politiques ; pas un ne souhaitait reprendre le trône qu’avait laissé Eulalie, un trône dont personne ne voulait. Bien des opportunistes résident dans le royaume mais il semblerait que Merval ne soit pas partie intégrante de ce royaume. La tache semblait rude et le temps manquait grandement. Quant aux tapisseries, elles n’apportaient rien que ne soit déjà su : la Baronne Eulalie était bien dernière de sa lignée. La dernière d’une lignée unique, portée par le même patronyme depuis Fredegard. Le dilemme impliquait de grandes conséquences : laisser un inconnu monter sur le trone et risquer des émeutes sinon une gouvernance trop étrange ; ou laisser le trône vacant et risquer de voir la Baronnie s’enfoncer jusqu’à devenir un marécage au Sud Ouest du pays langecien. Les visages des notables étaient aussi tendus que la situation. L’on allait d’espoir en soupir, d’illuminations en désillusions. L’on jette des noms ça et là, l’on les refuse avec vigueur. L’on tente de proposer des bâtards, puis de les écarter. Le ton monte, les calices rayent le bois. Certains ne supportent de rester assis et ne font que marcher, d’autres tentent de faire taire leur anxiété en la noyant sous des litres de vin, le tout en vain. Dans la fureur, toute chose devient profane, tout symbole ordinaire. De fait, lorsque le Chef de la Corporation Marchande déchire une des tapisseries, nul n’en semble touché. Et pourtant, comme ils le devraient…
« Une tache »
Gâcher une telle œuvre d’art, déchirée certes, mais tachée. Non du peu de prestige dont jouissaient les Merval mais bien d’une sorte d’encre noirâtre. Si tant est que c’en soit. Mais peu s’y intéressaient sinon un : le Chef de la Corporation Tisserande. Cet amoureux des étoffes s’était empressé de rejoindre le cadavre, gisant abandonné au sol. Ses cris étaient partagés entre la colère et la douleur et la cruauté de ses jurons se mêlait à l’amertume de ses larmes. Soudain, il fit cesser tout cri. La stupéfaction. Ce que l’on pensait être une tache était un « fantôme de soie » soit un mince voile tissé par-dessus une tapisserie pour en occulter quelques dessins. De la pointe d’une aiguille, il l’agrippa pour finalement l’occire et dévoiler sous ses draps une lignée nouvelle, oubliée. Cette lignée était née avec Jorgien de Merval qui fit naitre deux fils : le bien connu Balduranathariogor et son cadet Pancrace. Tandis que le premier suivit son père dans son suicide, le second préféra fuir avec son épouse pour un fief moins agité. Sous le couvert de la Lune, ils chevauchèrent trois journées pour enfin atteindre le pays langecien, où ils décidèrent de s’établir. Après maintes péripéties, ils eurent le droit de posséder une terre sans prétentions. Un château, quelques hectares de champs et de bois, pas même cinq hameaux et quelques domestiques pour entretenir l’illustre bâtisse. Là, ils demeurèrent et par un sort étrange ils rejoignaient chaque décennie en pays de Merval afin de venir broder les noms des nouveaux héritiers ; et de les recouvrir d’un linceul. Etrange mal que celui qui rongeait cette grande maison des Merval. L’on put penser que la solution était là : l’héritier tant recherché était bien en vie. Mais qui était-on pour mettre sur le trône un homme dont Merval ne savait rien ?
« Seul le Soleil oserait se montrer »
C’était vrai. C’était un argument de choix. Après un tel chaos et une régente si piètre l’on ne pouvait qu’avoir un meilleur Baron. Sa famille avait fait un choix rationnel jadis, ils avaient connu Langehack, ses merveilles, son art et tout ce qui lui est propre. Certains affirment qu’ils n’avaient vraiment quitté la Baronnie pour ce qu’ils y avaient développé un réseau de commerçants prospères et fondé une guilde d’explorateurs. Cette famille était bien plus connue que l’on ne le pensait. Ils arpentaient les rues de Merval, de Gardeflot, de Yanon sous des noms bien divers et leurs succès étaient grands. Aucun des gens du peuple n’aurait su les lier au jeune Pancrace qui avait vécu des siècles auparavant. Et c’était sans doute là leur but. Vivre dans l’ombre pour mieux y régner. L’on se rendit vite compte que cette famille avait eu plus d’enfants que les Merval et que chacun de ces enfants avait eu une réputation plus grande que celle des Barons. Le plus renommé d’entre-eux était Philémon d’Angleroy. Marchand ambitieux, il avait réussi à s’implanter sur toute la cote. Ingénieur dans l’âme, il avait contribué au désenclavement du « pays d’en haut » en y perçant de grandes routes. Philanthrope né, il n’hésitait pas à reverser ses excédents aux peuples qui erraient sous les murailles. Son nom était devenu le synonyme de bonté et à ses apparitions étaient liées d’immenses foules. En ces temps, le Baron était trop intéressé par ses intérêts pour remarquer que Philémon devenait populaire, non pour lui déplaire. Le peuple l’avait même affectueusement surnommé Baronnet Philémon : le petit Baron. Néanmoins, tout Homme est mortel et Philémon, malgré ses qualités n’échappa pas au destin de sa race. Il fut rattrapé par l’âge et décéda, comme tous ses aïeux avant lui et tous ses descendants à sa suite. Au pays de Merval, les hommes vertueux étaient dits « d’Angleroy ». Les délibérations furent longues et lorsque le Soleil se décida à réapparaitre, l’on savait qui allait succéder à la dame Eulalie.
« La subtilité de nos pères nous échappe »
Les grandes portes furent rouvertes. Les membres du Concile étaient exténués et pourtant si souriants. Devant eux, une assemblée de soldats et de marchands de moindre rang qui n’attendaient que de savoir qui reprendrait les rênes de la Baronnie. Rien n’était encore certain, pour ce que les membres de la lignée de Corvall ne revenaient en Merval qu’une fois par décennie. Néanmoins, tous les espoirs étaient tournés vers eux et l’on dépêcha un émissaire vers leur demeure de Langehack. Il fut calculé qu’il faudrait six jours à l’émissaire pour rejoindre Langehack et revenir avec le futur Baron. Si l’on ajoutait à cela la journée de pourparlers et de débats, cela représentait une semaine : le temps d’un deuil. Fut aussitôt votée la décision de reconnaître la mort de la Baronne, dont le corps gisait sur son lit depuis deux jours et deux nuits. L’on hissa les étoffes noires, l’on ferma le portail du château, les hallebardiers durent porter leur petit-habit et planter leurs armes en terre. Les proches de la Baronne revêtir un manteau de deuil noir comme la nuit et ceux des notables qui furent ses conseillers revêtirent une pelisse mauve. En cette Baronnie, les traditions étaient nombreuses et profondément ancrées dans l’histoire du fief. Trop sans doute pour ne les pouvoir changer sans qu’elles ne fussent la cause de troubles. Quelle ne fut pas la surprise des dignitaires de la Baronnie de voir le peuple s’amasser aux grilles du palais, la mine blafarde et l’œil vitreux, exprimer leur douleur, si infime douleur vis-à-vis de la mort de leur ancienne suzeraine. Elle leur avait offert l’espoir…et c’était déjà grand. Loin de ces scènes dolentes, l’émissaire retrouva l’héritier des Merval : Cléophas de Corval. Ce dernier, s’il fut au courant de sa filiation ne se doutait guère du fait qu’il put devenir Baron. L’on lui avait appris que ce trône n’était point le sien et qu’il aurait été vain de le convoiter. Pourtant, il fut toujours intéressé par les affaires politiques. Trop méprisé pour prétendre éduquer un Duc qui ne le voulait guère, trop méconnu pour prétendre à un titre qui lui revenait de droit. Il n’avait jamais pensé être Baron.
« Le gris des éminences »
Sa naissance ne fut pas bien différente de celle d’autres nobles. Sa douce mère, dans sa demeure accoucha et dans le sang il connut la vie. Entouré de prêtres, d’apothicaires et de médecins en tous genres, il vit le monde dans ce qu’il avait de plus sceptique et de plus spirituel. Il naquit dans le paradoxe, celui qui le poursuivrait sa vie durant. Son père, Pancrace IV était châtelain en Langehack. Outre l’or qu’il percevait des taxes que payaient ses ouailles, il avait eu pour souhait de devenir explorateur. Un soir, il décida d’emporter ses longues-vues et une partie de son trésor pour rejoindre le port de Merval. Là, il embarqua à bord d’une caravelle et prit le large, en direction de l’Orient. Il vogua sur les mers pendant plus de quinze années, pendant lesquelles il ne cessait de décrire les merveilles qu’il voyait chaque jour. Cet homme avait toujours vécu dans la frustration d’être un Prince et de ne pouvoir en profiter. C’est ainsi qu’il quitta le Royaume pour rejoindre une terre « où les titres sont ceux des divins ». Nul ne sait réellement comment il put voyager autant sans perdre la vie. Mais la question n’importe guère. Cléophas, son fils avait très tôt été confié à un précepteur, Maitre de Santhor, un prêtre dont la réputation était celle d’un homme d’un profonde piété et d’une remarquable austérité. Il assura l’éducation du jeune Cléophas en tous sujets : des lettres aux armes en passant par les arts et la religion. De Santhor avait pour habitude de répéter que « celui qui saura officier comme un prêtre, parler comme un ambassadeur, se tenir comme un Roy, chanter comme un barde, écrire comme un scribe, et gérer comme un banquier sera un Prince idéal ». Ceci semblait à merveille résumer son enseignement. Chercher l’excellence en tout, par la rigueur. Le Maitre de Santhor se chargea de l’éducation du jeune Cléophas pendant près de cinq lustres. Durant ces vingt-cinq années, il ne trouva de réconfort qu’une fois le soir tombé, retrouvant Wilhelmine, sa mère. Pourtant, De Santhor, malgré son austérité apparente, avait tout d’un père et ses idées imprégnèrent l’esprit de l’ambitieux. Il savait qu’il ne pourrait guère atteindre la gloire et ses désespérances nourrirent de longs débats avec son tuteur qui n’eut de cesse de lui répéter que derrière les plus illustres seigneurs s’en cachent d’autres plus grands encore.
« S’ancrer dans le réel »
Malgré le retour de son père, Cléophas n’éprouvait de grands sentiments. Il l’avait certes conçu et pourtant, ses fantasques velléités ne convenaient guère aux desseins de son fils. La vie n’est pas celle qui se déroule au loin mais bien celle des chroniques. Cléophas avait compris ce que son père, de lassitude avait cessé d’accepter. Nul besoin d’admettre qu’il fut difficile pour le jeune Baron de se dire qu’il ne serait rien qu’une ombre. Influente, mais ombreuse. Mais il n’avait désormais d’autre choix que de vivre une vie semblable. Le retour de son géniteur marqua son départ, du moins son déracinement. Fort des enseignements qu’il reçut de son précepteur, il quitta le domaine et rejoint la cité de Langehack. Là, il décida de s’établir dans une taverne. Calmement, il passa ses années à arpenter les cours sous des habits de soie, à y observer les usages et les mœurs. Ayant ses habitudes à La Chope d’Ivoire, il gagna la réputation d’un pieux érudit. Loquace et pourtant mystérieux, cynique et pourtant sympathique, il avait su s’attirer l’amitié de bien des classes et rester suffisamment distant pour ne pas souffrir de leurs défauts. Il appréciait le franc-parler des gueux, la parole profitable des marchands et la juste arrogance des nobles. Cette période d’un lustre fut étrangement hors du temps. Et durant cette parenthèse il avait le dessein de graver son nom dans les annales. Le travail, l’observation, l’analyse. Trois outils qui lui permirent d’écrire son nom en lettres d’or : « Discours sur les Roys, les Princes et sur tous les autres fonctions de dignités que recèlent les cours des mortels et des immortels ». Un ouvrage qui marquait sa naissance. Bientôt, l’on reconnut son génie, sans pour autant lui laisser de hautes fonctions. Il avait étrangement ce qu’il souhaitait : une ombre glorieuse. Il était là. Juste derrière certes, mais il était là.
« La scélérate »
On ne l’imagine jamais. Elle arrive, elle vous frappe. Soudaine. Cléophas, passées ses trente cinq années avait atteint son objectif. Langehack n’était plus sa patrie. Il retrouva son domaine, qu’il considérait hors de tout. Là, il trouva sa mère, Wilhelmine, qui bien qu’âgée se portait à merveille. Son fauteuil de velours vert était tourné vers une grande fenêtre. Au loin, la forêt, dont les racines étaient caressées par les blés. Pancrace IV son père avait appris à réapprécier la vie péninsulaire. Moins radieux qu’à son arrivée, moins triste qu’avant son départ, il avait atteint l’équilibre des châtelains : la morosité. Cléophas, malgré le désespoir qui le prit refusait de quitter cette famille plongée dans un mutisme morbide. Sans compter qu’il appréciait cette terre qui lui avait été nourricière. Il prit en charge la châtellenie et la fit prospérer, à son échelle. Toutefois, les serfs, s’ils apportaient au domaine des écus qui lui étaient nécessaires à sa naissance n’avaient plus grande utilité. Les rendre vilains ? Impensable. Alléger leurs taxes ? Cela semblait possible. Après tout, nul dans le château n’y voyait d’opposition et nul ne savait que faire des montagnes d’écus qui s’étaient amassées dans les dépendances, les combles et les caves. La vie de Cléophas n’était rendue vive que par les correspondances qu’il entretenait avec les châtelains de Langehack, avec qui il avait lié de solides liens. S’il avait connu la frele Ashénie, il n’avait su obtenir d’elle quelque position, quant à la perfide Esidenir, il ne pensait pouvoir la manipuler. Le duché pour lui n’avait guère d’intérêt, il se contentait de châtelains et de vassaux. Mais il vivait dans cette mélancolie de n’avoir pu être Baron et d’avoir été rejeté du pays langecien par Sire de Sephren. Sans doute la tristesse de ses aieux venait l’infecter et la libération se fit inattendue. Wilhelmine décéda, face à la peinture qu’elle avait admirée pendant des années. Pancrace IV, son père la suivit prestement, de son propre gré en laissant sur une lettre ces quelques mots « Ta mère était ma vie. Ma vie me fuit. Je meurs ». Tout semblait le quitter. Rien ne le retenant plus, Cléophas avait décidé de rejoindre Diantra et d’y devenir Conseiller à la Cour. Sans doute le Roi avait-il eu mot du succès de son Discours. Il l’espérait du moins. De nombreuses malles à remplir, d’habits, d’encres, de plumes, d’ouvrages et d’autres breloques dont l’intérêt était encore à deviner. Seul, il comptait vider son château. Cela lui prendrait quelques temps. Un temps qui fut utile en ce que le jour de son départ se présenta au château l’émissaire de Merval.
« Donnons-nous quelques chances »
Couvert d’une pelisse noire, le Baron rejoignit le château de Merval à la suite de l’émissaire. Son entrée fut modeste, par une des poternes extérieures. Il fut présenté aux notables, son visage leur était familier. Après un vote rapide à main levée, l’on confirma son intronisation. Cléophas les remercia humblement puis demanda comment le peuple de Merval viendrait à connaître son nouveau Baron. La tradition de Merval voulait qu’une fois le deuil passé, l’on relevât les bannières personnelles du successeur et ce sous les bannières de la Baronnie puis que l’on le présentât au peuple dans les jardins du palais. Mais Cléophas savait que le peuple refuserait de prendre comme successeur un grand inconnu. Qui était donc ce Cléophas de Corvall ? L’on avait donné sa chance à une jeune Eulalie qui avait rendu la Baronnie honteuse. Le peuple aurait pu se contenter de ses propres gens. Non…Cléophas le savait. Il lui fallait avoir assez de malice pour se faire accepter. Rien n’était en vérité plus simple. Il ne serait pas Cléophas de Corvall, mais Cléophas d’Angleroy, héritier légitime du Petit Baron. Qui refuserait après tout le fils messiaque d’un héros légendaire ? Personne. Et cela, le Baron en était conscient.