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| Au cœur de l'Anaëh | Elandril | |
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L'Hirondelle
Elfe
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| Sujet: Au cœur de l'Anaëh | Elandril Ven 30 Déc 2011 - 15:51 | |
| Le chant de l'Hirondelle s'était tu. Trois années durant, l'oiseau avait déserté les tavernes et les routes humaines. De Diantra, où elle avait retrouvé la jeune Fjama, Moïra avait remonté jusqu'en Oësgard, avant de s'enfoncer dans la belle Anaëh, attirée par le chant voluptueux de la Mère. À sa manière, la danseuse avait toujours été sensible aux murmures des arbres. Si elle était une Fille du Vent, elle n'en demeurait pas moins une elfe qui n'avait jamais oublié d'où elle venait et qui prenait plaisir à y retourner. L'Hirondelle avait quitté les rires et les chansons de la civilisation, et six saisons durant, avait retrouvé son état sauvage.
De ses possessions, elle n'avait gardé que sa flûte. Son seul autre bagage était sa débrouillardise et elle vivait depuis au jour le jour. En digne de fille de Kÿria, elle était parfaitement adaptée à ce milieu à la fois majestueux et terrible.
Elle s'était tenue à l'écart de tous. Des fossés qui se creusaient entre les différentes communautés elfiques, elle était ignorante. Elle n'appartenait plus à leur monde, de toute façon, elle avait vécu trop de choses hors de la rassurante Anaëh. Et son retour aux sources était bien plus sincères que la plupart des revendications fanatiques qui pouvaient résonner sous le couvert des arbres. Ainsi était Moïra, entière dans tout ce qu'elle faisait.
Quand elle dansait, l'Hirondelle prenait bien garde à apparaître à son avantage. Elle était cette apparition féérique, irréelle, prompte à embraser l'imagination et à hanter les rêves. Mais depuis le début de son errance, elle présentait un visage bien plus rustique. Ses cheveux, quoiqu'ayant gardé leur roux flamboyant, étaient emmêlés, son visage abordait quelques marques de terres séchées, qu'elle ne laverait pas avant d'avoir trouvé un courant d'eau dans lequel se plonger. Et malgré la neige, elle n'était vêtue que d'une simple robe, par endroit abîmées.
Ce fut un grondement, qui attira son attention. Sa curiosité exacerbée par son état sauvage, la belle Moïra ne se posa pas de questions et en chercha l'origine. Après quelques minutes de recherches infructueuses, son attention fut attirée par un mouvement derrière elle.
Son regard croisa celui d'un être qui semblait être un elfe encore plus sauvage qu'elle. |
| | | Elandril
Elfe
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| Sujet: Re: Au cœur de l'Anaëh | Elandril Sam 7 Jan 2012 - 22:24 | |
| Les pas de l'elfe crissèrent dans la neige fraîche du matin. Cela faisait quelques jours que l'hiver avait étalé un doux manteau blanc sur Anaëh. Le froid mordait le corps trop légèrement vêtu d'Elandril. Le vent pénétrait le tissu glaçant son corps. Mais il n'en avait cure. Une Bête n'a jamais froid. Un feu bouillant réchauffait sa poitrine, et son coeur battait en son plein tandis qu'il sauta dans le vide pour reprendre prise sur la branche d'un chêne qui lui tendait les bras. Le bois craqua sous son poids mais ne céda pas. Il n'attendit pas de refroidir et continua son chemin. L'elfe aimait parcourir la forêt. Il l'a connaissait comme sa poche, bien qu'il n'en possédait pas. Chaque arbre, chaque rocher et chaque ruisseau était sa seule et unique demeure. Les plantes et les animaux étaient sa famille et ses amis. De son propre peuple, il ne connaissait que peu de choses, dont le langage. Et encore. Le monde d'Elandril était fait de verdure et de mousse, de feuilles et de vents. Pas de politique et de commerce. Anaëh le nourrissait et s'occupait de lui, tandis qu'il l'a défendait en retour. Comme un louveteau protègerait sa mère déjà bien âgée.
Une présence attira son attention au dessous de lui. La Bête gronda en lui, comme à chaque fois. Intrigué, il dévala le tronc, provoquant la chute retardée des dernières feuilles de l'érable sur lequel il était perché. Autrefois, il se serait alerté, sur ses gardes, et aurait été capable de déchirer cette présence, n'importe qu'elle fut. Mais Celle-Qui-Guide l'avait aidé, et il possédait le contrôle désormais. Sa silhouette se mouvait tel un serpent le long de l'écorce dure. Elandril n'avait plus l'apparence d'un elfe normal. Ses yeux étaient si perçants et son corps tellement sale qu'il semblait être le dernier survivant d'une race de félin au bord de l'extinction. Sa façon de se déplacer contre l'arbre évoquait d'étranges créatures sauvages et bestiales, capables de tout.
Ses pieds nus s'écrasèrent silencieusement dans le sol enneigé de quelques bons centimètres. À plusieurs pas de lui, une fine silhouette lui tournait le dos. Assis en tailleur sur le sol humide froid et gelé, il grogna pour attirer son attention. L'elfe se retourna. Elle était fine et élancée, son corps extraordinairement svelte. Elle sembla danser doucement dans l'air lorsqu'elle pivota pour lui faire face et planta sur lui ses yeux d'émeraude. Sa crinière rousse et sale tournoya avant de s'endormir paisiblement sur ses épaules. Son visage était, tout comme Elandril, maculé de boue. Le druide la dévisagea, imperturbable mais intrigué, comme s'il s'agissait d'une espèce d'animal encore jamais connue. Sa voix résonna dans les airs, sèche et les mots tranchèrent sans préalables.
« In tharin nel, klethoarn im Kÿria ? » Qui est-tu, jeune créature de Kÿria ?
Il fixa la jeune elfe de ses yeux mordorés. Ses paroles étaient dures et maladroites, preuves du manque de communication avec son propre peuple pendant toutes ces années. Ses derniers rires avec ses amis semblaient résonner et provenir d'une autre vie. Qu'étaient-ils devenus, aussi rares étaient-ils ? Il n'en savait rien. Un rayon de lumière matinal illumina la forêt, éclairant un peu plus le visage d'Elandril et parsemant le sol de minuscules diamants scintillants.
« Glorfin du niel ? » T'es-tu égarée ?
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| | | L'Hirondelle
Elfe
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| Sujet: Re: Au cœur de l'Anaëh | Elandril Lun 9 Jan 2012 - 22:31 | |
| Ils étaient tels deux animaux sauvages qui se dévisageaient, la lèvre légèrement retroussée, à guetter le moindre signe d'agressivité ; un éventuel curieux aurait sans doute cru les entendre grogner, tant leurs attitudes et apparences étaient trompeuses. Pourtant, rien, dans les yeux de Moïra, ne trahissait ni violence ni hostilité, seulement de la curiosité. Quatre ans qu'elle errait dans l'Anaëh, elle n'avait croisé que quelques individus ayant véritablement retrouvés la voie de Kÿria. Et lui, sans l'ombre d'un doute, s'y était enfoncé plus que tous les autres. Elle était cependant sur ses gardes, assurément, prête à s'enfuir si l'elfe-bête faisait le moindre geste brusque en sa direction. Il était armé, et pas seulement d'ongles taillés en griffes : à sa ceinture pendait une arme et son métal, la danseuse en était certaine, tranchait. Presque autant que les paroles qui suivirent, rocailleuse et abrupte. Moïra avait l'oreille sensible, et devinait beaucoup à partir de quelques mots échangés. Mais là, un enfant aurait compris que cet être là ne parlait pas souvent.
Cela tombait bien, elle non plus.
Esquissant un léger sourire, qu'elle voulait rassurant, elle porta une main à son dos et y délogea sa flûte. Portant l'objet révéré à ses lèvres, elle en tira quelques notes et attendit une réaction. Voyant que son incompréhension, visible, ne le poussait pas à la violence, elle entama la première mélodie qui lui vint à l'esprit. Moïra aimait improviser, parfois. C'était comme si le vent poussait et rabattait ses doigts. L'Hirondelle avait toujours aimé le vent. Mais cette fois là, ce n'était pas tant le souffle de Vie qui l'inspirait que le grondement étouffé de Mère. Le vent qui animait les branches paisibles de l'Anaëh lui rapportait des murmures que trop peu nombreux encore étaient ceux qui pouvaient l'entendre.
Et finalement, alors que la musique s'emballait soudainement, mue par sa volonté propre, le hurlement d'un loup vint remplacer le tintement clair de la flûte. Surprise, Moïra s'interrompit et tendit l'oreille. Ses yeux s'agrandirent légèrement alors que la note lupine suivait celle qu'elle aurait donné à sa musique, et le regard qu'elle lança à l'elfe-bête était assez éloquent quand le silence revint, exactement au moment où elle l'aurait rétabli. L'oubliant un instant, elle se tourna vers l'origine du prodige, faisant quelques pas vers ce qu'elle ne comprenait manifestement pas.
Ce mouvement fut bien vite rendu inutile par l'arrivée d'une gigantesque bête : un loup, de sept bons pieds de haut, voire plus, aux yeux flamboyant pratiquement littéralement. D'un roux tâcheté, sa fourrure était rêche et drue, maculée de boue et de ce qui semblait être son propre sang. Une impressionnante balafre barrait son jarret avant droit, ce qui rendait sa démarche claudiquante... mais à la fois incroyablement digne, car s'il était visible que le monstre souffrait, sa gueule n'en laissait rien paraître. Il s'attarda un instant sur Moïra, sur sa flûte plus précisément, avant de redresser la gueule, posant ses yeux dans ceux de l'elfe-bête.
La suite n'appartenait plus à la danseuse, qui jouait désormais le rôle d'invitée surprise et de spectatrice indiscrète. S'effaçant de quelques pas, elle laissa les deux êtres se faire face, consciente qu'elle assistait à quelques choses d'important. |
| | | Elandril
Elfe
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| Sujet: Re: Au cœur de l'Anaëh | Elandril Sam 14 Jan 2012 - 20:04 | |
| Les notes de musique lui charmèrent son ouïe, caressant doucement son visage, comme une amie il y a longtemps oubliée. À ses mots, elle lui avait répondu d'un sourire fin et rassurant, à la rudesse de son ton, une douce mélodie jouée à la flûte. Son incompréhension fit place à une sensation étrange. Le son harmonieux semblait résonner dans sa tête, animer les battements de son cœur. Du Eryn Rhavan, la Bête, ronronnait intérieurement. Elandril ferma les yeux. La sérénade fut remplacée par une voix. Les notes devinrent des mots. Elle chuchotait, l'apaisait. Des images revenaient à son esprit. Les souvenirs innocents de son enfance. Les visages qu'il avait connu, aimé. Alors, Elandril comprit. C'était la Symphonie des Arbres qui chantaient à travers de cette elfe mystérieuse. Le vent d'Anaëh qui soufflait dans la flûte de bois. Et, il n'aurait su dire pourquoi ni comment, mais avait l'impression que la mélodie contait son histoire à lui. Et elle vivait à présent en lui, jusqu'au coin le plus profond de son âme. Sa destinée même semblait danser au son envoûtant.
Alors il y eut le hurlement. Le cri sembla clore la musique comme un point final déterminé, venant à point dans la mélodie. La dernière note résonna agréablement aux oreilles du druide. Revenant à la réalité, les sens aux aguets, Elandril ouvrit les yeux. La jeune flutiste regardait autour d'elle, étonnée. Ce qui venait de se passer ne pouvait s'expliquer, mais quelque chose lui intimait que tout était lié. Leur rencontre, la mélodie, le hurlement. La jeune elfe se détourna de lui pour chercher curieusement l'origine du bruit.
Le cœur d'Elandril fit un bond dans sa poitrine quand l'immense loup au pelage roux perça le bois pour rejoindre doucement les deux elfes. La gueule haletante, il exhibait des crocs puissants, aussi longs que sa main. Sa carrure même était impressionnante, dépassant la taille de l'elfe d'une bonne vingtaine de centimètres, il jouait de ses muscles puissants tout en claudiquant. Un trou béant et ensanglanté lui couvrait le jarret, provoquant des élancements de sa patte droite. Un regard plein d'intelligence se posa sur la jeune elfe qui lui faisait face puis enfin, pénétra l'âme d'Elandril. Ses pattes, munies de griffes pointues, parcourent silencieusement l'espace qui les séparait, ses yeux ne lâchant pas le druide, comme s'il avait été ses seules chances de survie. Les deux bêtes restèrent un moment face à face. Elandril sentait le souffle chaud de l'animal contre sa poitrine nue. Il entendait le battement irrégulier de son cœur, écho de la mélodie à présent tue. Alors, il sentit qu'une présence tentait de rentrer en contact avec son esprit. À la manière dont il étendait sa perception à la Symphonie des Arbres, il subissait l'effet inverse. La sensation était étrange et le déstabilisa. Alors, il abaissa les barrières de son esprit.
La conscience du Loup-mage emplit son corps, son âme. Il sentit la chaleur de son corps, la douleur de sa blessure, son désespoir. Leurs yeux échangeaient un dialogue muet. Une larme coulant au creux de sa joue, Elandril se leva sur ses deux jambes pour avancer un bras. L'animal abaissa la tête en sa direction et ne tressaillît qu'à peine lorsque la main entra en contact de son museau couvert d'un duvet de poils rougis de sang. Il avait du tenter de se soigner et faire cicatriser la plaie en la léchant, mais la blessure étant trop importante, il s'était sali le museau en vain. Sa gueule s'entrouvrit, laissant dépasser ses crocs gigantesques, et ses yeux se fermèrent de plaisir. Elandril s'appuya sur la tête touffue et transmit son bien-être à la créature blessée. À travers le lien qu'ils venaient de créer, il échangea la douleur de du loup contre de la paix. Apaisa son coeur. Du Eryn Rhavan se joignit à lui pour lui transmettre sa compassion et son soutien.
L'animal émit un grognement doux. Puis son corps énorme s'étala sur le sol avec un grand bruit qui résonna dans la forêt. Le sang fusa de la blessure pour contaminer le sol, le rouge jurant affreusement avec le vert de l'herbe. Elandril courut contourna la masse géante du loup pour examiner sa blessure. Dans sa chute, il était tombé dans une position étrange et sûrement désagréable pour lui. La plaie était cachée sous son flanc.
« Närsin elagoth ! » Viens m'aider !
Ensemble, ils basculèrent le corps immobile de l'animal correctement, dans une position plus normale. Le trou de son jarret semblait être le résultat d'une lame d'acier. L'ulcère était fin et long mais extrêmement profond : ce ne pouvait être la blessure d'un autre animal. Il pressa la peau rougie pour arrêter l'hémorragie.
« Neth calben, flerinnel tö ephel cebir aglonn agarwaen ? » Jeune elfe, pourrais-tu me remplacer à stopper l'effusion de sang ?
Lorsqu'il fut remplacé, il revint à la tête du loup, mains ensanglantées. Les yeux ardents du loup-mage pivotèrent dans leur orbite pour se poser sur le druide. Son souffle était irrégulier et rauque. Sa figure altière et fière émanait, même à ses derniers instants, une impression de puissance. Les dernières forces l'abandonnaient. Les élancements de souffrance, Elandril les ressentait. Alors, il dégaina sa lame depuis longtemps laissée de la fourreau. Le métal sembla vibrer d'une mélodie lugubre. Le loup garda son regard fixé sur l'elfe, observant une nouvelle larme couler à nouveau sur sa joue. Son esprit lui disait comment procéder. Elandril, Du Eryn Rhavan et le loup ne firent qu'un. Une force le pressa. Alors son épée se ficha dans le buste solide de la bête, transperçant d'un coup le cœur qui émit son dernier battement. Et la mélodie de sa respiration cessa.
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| | | L'Hirondelle
Elfe
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| Sujet: Re: Au cœur de l'Anaëh | Elandril Sam 14 Jan 2012 - 21:35 | |
| Il se passait quelque chose. Tout son être le ressentait. C'était comme si la musique s'était emballée.
Moïra n'était pas un magicienne. Elle ne manipulait pas le Pouvoir, elle ne ployait pas sous son joug les puissances de la Nature. Bien au contraire, bien souvent, c'était elle qui ployait face à elles. Dans son sang coulait la sève de l'Anaëh. Elle était liée à la Prime Forêt, de par son histoire et son enfance volée. Abandonnée à la naissance, oubliée par sa mère-louve à l'instant où le lien ombilical avait été tranché, elle était la soeur des arbres séculaires de cette forêt enchantée. Moïra n'était pas magicienne, elle était la magie... ou tout du moins, en faisait parti.
Elle vivait ce qui était en train de se passer. Elle n'avait pas besoin de comprendre, juste d'écouter. Ecouter cette musique qui l'animait. Se laisser porter. Fermer les yeux et voir la scène telle qu'elle était vraiment. C'était là des sensations très étranges ; épurée de toutes perceptions rationnelles, la scène prenait un sens qui ne cessait de lui échapper. Qu'importait. Créature mystique dans ce Royaume mirifique, elle se contentait d'agir, de profiter de l'instant présent. C'était sans doute ce qui la différenciait le plus de son Peuple, cette capacité de savoir renoncer à contrôler. Sur ce point là, l'elfe-bête lui ressemblait beaucoup. Pour lui aussi, le temps semblait s'être arrêté.
Jusqu'alors intruse, il l'invita dans cette balade onirique. Elle s'exécuta sans sourciller, trop heureuse de s'inscrire dans cette danse séculaire. Car, elle le pressentait, ils dansaient sur une partition bien rodée, mainte fois éprouvée. Elle était juste heureuse d'avoir la chance se mêler à une mélodie plus ancienne qu'elle. Posant ses mains sur la plaie, comme il le lui avait demandé, elle accueillit le contact du sang sur sa peau avec respect et horreur. Respect devant la dignité de la bête, qui affrontait vaillamment la souffrance. Horreur de la voir ainsi meurtrie. Alors elle appuyait, aussi fort qu'elle le pouvait, cherchant à contenir le fluide vitale, à le maintenir dans ces veines qui, jamais, n'auraient dû être tranchées.
Une note plus lugubre que les précédentes lui fit relever la tête, et elle vit l'acier froid de l'elfe-bête danser devant les yeux sereins du grand loup. Alors elle sut ce qui allait se passer. Elle le ressentait, jusqu'au plus profond de son être, ainsi que l'écoeurante gratitude du supplicié devant la grâce enfin accordée. S'il y avait une chose qui pouvait effrayer l'Hirondelle, c'était bien la mort, et cette crainte primitive brisa un instant l'harmonie dans laquelle elle pouvait se trouver. Et pour la première fois de sa vie, elle voulut crier. Elle s'imagina remuant les lèvres, lui hurlant d'arrêter, mais il n'y eut que son silence pour accueillir l'attaque mortelle. Son silence, et la chair tendre qui se déchire comme si elle n'avait attendu que cela. Se redressant d'un mouvement saccadé, bien éloigné de son habituelle légèreté, Moïra tituba quelques mètres avant de s'arrêter.
Alors elle la vit.
La bête s'était redressée. Non plus sur quatre pattes, mais sur deux. Elle regardait le monde à travers des yeux nouveaux. Elle goûtait la fraîcheur d'un nouvel air. Elle testait la robustesse d'un nouveau corps. L'elfe-bête l'accueillait en soeur, de la même façon que les arbres l'accueillaient elle, comme une part de lui-même. Et il pleurait, sans qu'elle sut si c'était de tristesse ou de joie, de soulagement ou de regrets. Mais les larmes discrètes qui coulaient sur ses joues brillaient de sincérité.
Moïra était magie, et la magie reconnaissait les siens. Aussi inclina-t-elle doucement la tête, comme pour le saluer.
Il était d'Anaëh, au moins autant qu'elle. |
| | | Elandril
Elfe
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| Sujet: Re: Au cœur de l'Anaëh | Elandril Sam 21 Jan 2012 - 21:26 | |
| L'elfe se redressa.
Un frisson lui parcourut l'échine. Dans sa tête, il avait l'impression d'être propulsé dans un tourbillon de sensations et d'émotions qu'il ne pouvait pas contrôler. Comme si tous ses sens s'étaient mis à se rebeller, à lui échapper. Il ne contrôlait plus rien. Il s'efforça de rester debout malgré l'envie de se recroqueviller pour faire passer les vertiges plus rapidement. La douleur s'était fait beaucoup plus intense, lui broyait les entrailles, lui brulait le cerveau. Sa blessure l'élançait et il avait l'impression de mourir. Même les yeux fermés, il avait l'impression de voir mille et une ombres tourner autour de lui, lui tirer la peau, lui arracher les bras, lui écraser les jambes. Les couleurs se précipitaient dans son cerveau, se bousculaient. Puis tout à coup, sans prévenir, tout cessa. Ce fut comme l'interruption soudaine d'une mélodie entrainante. Et c'était, en quelque sorte, le cas. Les yeux toujours clos, il sentait un calme serein s'emparer de son corps. Sa conscience s'était nichée dans l'esprit de l'elfe, une présence qui avait accaparé la Bête, Du Eryn Rhavan, pour ne faire qu'une seule et même entité. L'esprit du loup-mage avait quitté son corps et, à travers le lien qu'il avait formé avec le jeune druide, s'était réfugié dans un autre corps. Perdu dans la masse du corps de l'elfe, complètement inconnu, il s'était agrippé à la seule chose qui lui ressemblait : la part bestiale d'Elandril.
Alors, il ouvrit les yeux. Des larmes coulaient à grands flots le long de ses joues sales, creusant des sillons brillants dans la terre séchée de sa peau. Le monde s'offrait à lui d'une nouvelle manière. Comme si tout lui était possible. Il tendit un bras devant lui et vit une peau légèrement rosée, tachée de vagabondages, mais dépourvue de poils. De longs doigts fins pouvaient s'articuler agilement et pourvues de fines griffes, mais pointues tout de même. Il joua de ces nouveaux doigts, libres de nouveaux mouvements. Son regard se porta sur ce corps neuf, étrangement formé. Ses pattes s'étaient muées en longs pieds à orteils longs et difformes, pour un loup. Pas de griffes en vue. Son buste aussi était étrange. Il était légèrement musclé, peut-être trop pour un elfe, et seul son sexe était protégé d'un pagne crasseux. Il commença à bouger un peu tous ses membres, comme un enfant découvrant un nouveau jouet. Un sourire triste étira légèrement ses lèvres. Son regard se porta sur son ancien corps, la fourrure empoissée de sang gluant. Une simple enveloppe charnelle. Puis un mouvement attira son attention. Ses yeux, la pupille légèrement allongée en fente étroite, se posèrent sur un être qui l'observait, moitié apeuré moitié fasciné. Elle possédait le même corps que lui, si ce n'est qu'il était plus fin, plus gracile. Ce devait être une femelle. Cette dernière se pencha légèrement, comme témoignant d'un quelconque respect muet. Intrigué, il la regarda faire sans bouger d'un pouce. Il avait arrêté de sourire, une expression de marbre figée sur son visage.
Un instant après, il se détourna d'elle. Il avait des choses à faire. Sa carcasse lui faisait face, ses yeux vides le fixaient, comme l'ombre d'un vieil ami. Une simple enveloppe charnelle. Elle ne valait plus rien à présent si ce n'était qu'une valeur sentimentale. Après tout, il avait vécu avec elle de nombreuses années. Mais à présent, une nouvelle vie s'offrait à lui. Aussi, il se devait de l'honorer et non de la laisser à la pourriture, aux vers et aux charognes. Ses nouveaux doigts, fébriles d'excitation parcoururent la blessure qui l'avait autrefois dévoré corps et âme mais qui semblait être désormais tirée d'un lointain cauchemar. De ses griffes, il agrippa la peau épaisse puis tira à la force de ses bras. La membrane poilue se décolla de la chair aussi aisément que s'il s'agissait d'un simple vêtement. Ainsi, et à l'aide de son couteau lorsqu'il en avait besoin, il dépeça le corps félin de toute sa fourrure rousse, dénudant la chair ensanglantée. Une fois la peau prélevée, il la bascula sur ses épaules, maculant son nouveau dos de sang frais, et la fixa à la manière d'une cape, la tête du loup et ses oreilles pouvant servir de capuche. Retournant au corps écarlate, il s'affaira à couper les grandes griffes une à unes des lourdes pattes. Elles devaient faire la taille d'un de ses nouveaux doigts. De sa tête, il arracha les longs crocs meurtriers dans un craquement sinistre de l'impressionnante mâchoire. Une fois sa besogne achevée, il conserva ses reliques dans un reste de peau duvée de poils qu'il improvisa en sacoche. Du corps de l'animal, il ne restait que chair, entrailles et os. Avec sa tête difforme, on ne pouvait même plus déterminer quelle bête il s'agissait.
Il s'était occupé du corps, sans consacrer la moindre attention à la femelle imberbe aux oreilles pointues qui l'avait salué. Il ne prit pas la peine de se retourner voir ce qu'il en était et préféra plonger son morceau d'acier dans le ventre dépecé. En étirant sur les chairs sanguinolentes, les entrailles ne tardèrent pas à se répandre sur le sol. Ses bras s'enfoncèrent dans le trou béant de l'estomac pour en sortir ses derniers locataires récalcitrants. Les viscères émirent un bruit visqueux et gélatineux en s'échappant du corps. Il prit le cœur, accompagné de tous ses anciens organes génitaux et creusa un trou profond dans la terre, aux pieds d'un immense châtaignier. L'enveloppe corporelle rejoint l'œuvre de Kÿria tandis que l'Esprit s'épanouit. Du reste, il en dévora les chairs, mordant dans les muscles au goût cuivré et âcre du sang. Il arracha chaque morceau de viande pour remplir son nouvel estomac et récupérer son ancienne force, qu'il avait laissée dans son ancien corps. À chaque bouchée, un nouveau frisson lui parcourait l'échine. Et à chaque frisson, son nouveau corps muait. Au début, des poils s'hérissèrent sur ses bras, comme de légères vagues silencieuses. À chaque soulèvement, on aurait dit qu'ils s'allongeaient, s'épaississaient. Une bouchée de plus et ce fut à ses griffes de s'allonger. Elles devinrent pointues et larges. Ses crocs percèrent peu à peu ses dents, pouvant arracher la chair plus fermement. L'air vibrait d'une magie antique. Il arracha un nouveau lambeau de chair à l'aide de ses pattes velues et l'avala d'un trait. Il dut se mettre à quatre pattes afin de maintenir son équilibre. Au fur et à mesure qu'il mangeait, il était pris d'une frénésie incontrôlable. Sa tâche dura un certain temps. Un loup-mage n'était pas une petite créature. Si bien qu'il eut fini de curer les derniers os que le soleil commençait déjà à s'endormir dans l'horizon infini. Et lorsqu'il eut fini, ce n'était pas un elfe mais un nouveau loup-mage, puissant et fier qui se releva de la carcasse décharnée. Il avait récupéré son allure originelle, sa fourrure rousse, sa puissance et sa force. Mais dans un nouveau corps.
Il était Du Eryn Rhavan.
Il s'essuya la gueule en se léchant délicieusement les babines et se frottant la bouche de sa patte. Le ventre bien rempli, il entreprit à présent de détacher des os précis du squelette qui lui faisait à présent face. Il arracha le crâne à la surface blanche mais tachée encore de sang. Et les os du fémur, radius, humérus, tibia et ulna rejoignirent crocs et griffes tandis qu'il enterra le reste à côté des viscères en lacérant le sol de ses griffes.
Son ancienne enveloppe charnelle avait rejoint la terre. Avait rejoint la forêt, Anaëh, l'Œuvre. En remerciement pour la Kÿria, tout le rituel avait été respecté du début à la fin. Il s'assit un moment sur son séant et ferma ses yeux. Au calme, il entreprit de se reposer intérieurement. En méditation, il ressentit son nouveau lien qui le liait à la Symphonie des Arbres, plus puissant qu'avant, renforcé. Il pouvait étendre sa conscience à la forêt, ressentir le cœur de chaque petit Être pulser régulièrement, la sève de chaque arbre s'écouler lentement au creux des arbres épais et millénaires. Il ressentait tout Anaëh. Il était Anaëh.
Alors, une fois sa soif de sérénité étanchée, il se releva et se retourna vers l'inconnue qui lui avait charmé l'oreille, et qui l'avait fait venir en ce lieu, à présent chargé de magie. D'une mélodie sourde et inaccessible.
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| | | L'Hirondelle
Elfe
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| Sujet: Re: Au cœur de l'Anaëh | Elandril Mer 8 Fév 2012 - 6:45 | |
| « Face à l'elfe-bête, rien que des arbres et pas le moindre signe de l'Hirondelle. Mais, murmurant son appel, le vent le guidait. Les notes légères semblaient pleine de promesses, et empreintes de mystères inavoués. Le regard acéré, le loup-mage sur deux pattes avait de toute façon largement de quoi se rassurer. Les traces encore fraîche de l'Hirondelle confirmaient ce que ses oreilles entendaient. La mélodie ne vibrait pas avec une magie comparable à celle qui l'avait attiré, elle ne louvoyait pas sur la Symphonie des Arbre, elle se laissait bercer par les ailes du vent, le même qui, jadis, gonflait sa fourrure, le même qui portait l'odeur de ses proies. Deux cents toises à peine séparaient le mâle de sa destination, si bien que très vite, ses pieds nus foulèrent bien vite la terre meuble et fraîche d'une d'une rive ; celle d'un petit ru, niché au creux de la terrible Anaëh, que les arbres gardiens avaient dissimulé à ses yeux mordorés alors qu'il s'occupait de son ancienne enveloppe.
Elle était là, de l'eau jusqu'à la taille, simplement vêtue du froid de l'hiver. Ses mains, débarrassées du sang qui les avaient souillées, se jouaient de la morsure du gel et pianotaient avec la même dextérité sur l'instrument séculaire. Les yeux fermés, elle semblait perdue, ailleurs, hors d'atteinte. Et pourtant, il suffisait à l'elfe-bête de quelques pas courageux pour la rejoindre. Ouvrant finalement les yeux, l'Hirondelle le défia du regard, sans esquisser le moindre sourire. La mélodie se poursuivit encore l'espace d'une dizaine de secondes, durant lesquelles, une fois de plus, le temps semblait ne plus exister. Puis, avec lenteur et dignité, elle avança, dévoilant ses jambes fines et son corps élancé. Droite et fière, elle posa avec douceur sa flûte sur sa robe délaissée, avant de s'approcher. Elle se saisit ensuite d'une main de l'elfe-bête et tenta de l'entraîner. Avec une douce fermeté.
Face au spectacle morbide qu'offrait l'elfe-bête, l'Hirondelle avait soudainement pris conscience de son propre état. L'étreinte écœurante du fluide vermeil l'avait poussée à se retirer et elle avait fui la vision d'horreur d'un loup-mage réincarné, avide de dévorer sa propre carcasse. Elle avait erré quelques secondes, avant de capter le clapotis discret d'un court d'eau. Il ne lui avait pas fallu longtemps pour se débarrasser de ses vêtements. Et si l'enlacement rageur d'un givre latent lui avait arraché des frissons incontrôlables, elle n'avait pas moins usé de toute son énergie pour rendre à son épiderme sa pureté originelle. Finalement, son esprit n'avait refait surface qu'au moment où son regard s'était arrêté sur son instrument abandonné. Prenant à peine le temps de se sécher les doigts - son bois était de ceux qui ne craignaient pas un peu d'eau, même si elle évitait en règle générale de l'y confronter - elle avait laissé la musique s'exprimer. Il était venu.
Et, alors que ses chevilles retrouvaient l'eau glacée, elle était persuadée d'une chose : leur rencontre n'était pas un hasard, pas plus que le reste. Ils étaient liés. Et peut-être Mère n'y était pas étrangère. » |
| | | Elandril
Elfe
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| Sujet: Re: Au cœur de l'Anaëh | Elandril Ven 10 Fév 2012 - 10:36 | |
| La forêt résonnait d'une mélopée douce.
La Bête se retourna de son nouveau corps pour fixer la présence qui, quelques instants plus tôt, avait assisté à l'étrange rituel qui venait de se dérouler. Mais rien. Rien que la mélodie, chantée par le bruissement des feuilles caressées par le vent. Murmurée par la percussion des branches s'entrechoquant. Ponctuée par de craquements sourds. Agrémentée de chants d'oiseaux. Même le grisage terne de l'hiver n'empêchait pas une telle beauté naturelle d'exister. À ce son captivant, se mêlait une autre voix, différente de celle que la Bête avait l'habitude d'entendre. C'était un ton fluet, doux et harmonieux qui semblait venir plus d'un endroit précis que de la forêt elle-même. Et pourtant, cette mélodie était emportée par le chant d'Anaëh pour s'y entremêler et former un chant unique et magnifique. La Bête reconnaissait ce chant mais sans vraiment le connaître. Comme une impression de déjà vu. Moitié envouté moitié charmé, ses pattes de loup se mirent en marche tout seuls. C'était comme si la forêt avait pris possession de son corps, s'infiltrant dans son esprit déjà partagé en deux personnalités antagonistes. Tout n'était que paix et la Bête ne comprenait qu'à moitié ce qu'il se passait. Cependant, la question n'était pas de comprendre, mais de faire.
Ses griffes écrasèrent l'herbe gelée et cristallisée de rosée matinale qui n'avait pas pu fondre sous le froid de la journée, projetant à chaque pas d'innombrables minuscules diamants de glace. Ses oreilles frétillaient à chaque pulsation de la musique. Ses poils s'hérissèrent quand il sentit les battements de son cœur se cadrer sur la charmante mélodie. Son épaisse fourrure dansait lorsqu'il jouait de ses muscles pour se déplacer. Puis à chaque mètre, un frisson lui parcourait l'échine. Se furent les poils qui raccourcirent en premier. La Bête écrasa une vieille branche qui émit un craquement ponctuant parfaitement la symphonie qui résonnait dans les bois. Ses griffes se raccourcirent. Ses muscles s'affinèrent pour se faire plus discrets, plus étirés, étroits. La Bête baissa la tête pour éviter une branche basse. Une chevelure rousse tomba en cascade sur ses épaules. Elle sentit ses os rétrécir subitement, lui arrachant une douleur qui le força à se recroqueviller. La douleur lui monta à la tête et elle s'effondra au sol, le froid lui glaçant sa peau nue. La Bête hurla de douleur. Un hurlement rauque et grave, qui se mua en cri plus aigu.
Lorsque la Bête se releva, un instant plus tard, c'était d'un corps d'elfe. L'elfe qui l'avait sauvé en lui partageant son corps. L'elfe qui était là, tapi dans son esprit mais qui ne pouvait rien faire, simple spectateur de son propre corps. Alors que la Bête elle, n'était que spectatrice également, mais manipulée par l'étrange mélodie. Elle arrive près d'une rive qui bordait une étendue d'eau. Lac ou rivière, la Bête était trop envouté pour s'en intéresser vraiment. Mais ce qu'elle cherchait était ici, elle le savait. Alors, elle l'aperçut.
L'elfe attendait dans l'eau claire, de la flûte posée sur sa bouche délicate en sortait la fameuse mélodie. Les yeux fermés, elle reposait dans l'eau, nue. Le clapotis du cours d'eau léchait régulièrement ses hanches fines. Le froid semblait n'avoir aucune emprise sur elle. Son corps immaculé scintillait d'une myriade de reflets doux, mettant en valeur ses courbes séduisantes. Il n'y avait plus de trace du sang écarlate qui tâchait ses mains. Celles-ci pianotaient doucement la flûte. L'air frais embellissait sa fine poitrine. Ses yeux clos d'ouvrirent lentement et la mélodie cessa tout aussi harmonieusement. Les prunelles d'un vert feuillage, aussi vertes que le cœur d'Anaëh, se posèrent sur l'elfe-bête. Elle l'avait fait venir.
Le loup mage réincarné n'avait pas bougé. Dans son corps d'elfe, il restait posté sur la rive, ses yeux fixés sur la magnifique scène qui lui faisait face. Il observa la jeune elfe s'avancer, animant l'eau d'une robe fine qui semblait onduler derrière elle. Son corps nu sortit gracieusement de l'eau. Le loup ne bougea pas. Les yeux des deux êtres ne se quittaient pas, comme si le simple fait de rompre ce lien allait détruire la forêt même. L'elfe posa sa flute et vint s'approcher de lui. Sa main se posa sur la sienne, forçant le loup à se tenir en position debout. Le contact avec sa peau fraîche lui arracha un frisson, la chair pâle de l'elfe jurant avec le sang tâché de la sienne. Ils se firent alors face, leurs regards s'unirent. Et doucement, l'elfe l'entraina avec elle dans le cours d'eau. Le loup se laissa emporter, complètement envouté. Elle l'avait appelé.
Le contact ne l'eau glacée ne le fit même pas broncher. Son cœur était protégé d'une fourrure bien plus épaisse que sa peau d'elfe. Son esprit bien trop égaré pour s'en rendre compte. Ensemble, ils rejoignirent les eaux et le courant les enveloppa comme la forêt auraient protégé deux êtres innocents. Le temps semblait suspendu depuis que la mélodie avait cessé. Seul son provenant à ses oreilles était le doux clapotis de l'eau. Les feuilles avaient cessé de danser. Les branches s'étaient immobilisées dans le ciel, tels de longs doigts protecteurs. Le temps semblait suspendu et on aurait pu croire que Kÿria même était témoin de ce qu'il était en train de se passer. L'elfe faisait face au loup. Tous deux enlacés par Anaëh. Lorsque les doigts fins et délicats se posèrent sur son corps, le loup ne bougea pas un cil. Ses yeux restant fixés sur elle. Il se laissa alors faire. Leur rencontre n'était pas un hasard. La mélodie n'était pas fortuite. Ils étaient liés.
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| | | L'Hirondelle
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| Sujet: Re: Au cœur de l'Anaëh | Elandril Mer 15 Fév 2012 - 21:01 | |
| « C'était un de ces moments dont l'Hirondelle se souviendrait toute sa vie, une de ses histoires qu'elle raconterait sur son lit de mort. Aussi gardait-elle les yeux grands ouverts, aussi écoutait-elle avec toute l'attention dont elle était capable, aussi s'enivrait-elle de toutes les sensations qui l'entouraient.
Impassible, elle continua d'attirer l'elfe-bête, de l'emprisonner un peu plus dans l'étreinte cruelle de l'eau glacée. La peau du loup-mage dérivait derrière lui, telle la traînée d'une mariée. S'il fallait fêter des épousailles, c'était bien celle du nouveau druide et de la forêt qu'il avait juré de protéger. Ils s'étaient longtemps tournés autour, l'Hirondelle n'en doutait pas ; elle qui avait l'habitude de voleter entre ses cimes savait reconnaître les amis d'Anaëh. Sans trembler, elle leva les mains et du bout des doigts, effleura la joue ensanglantée. Le vermeil se déposa sur sa peau, avant de glisser sur son doigt, de s'arrêter au niveau de son code le temps de prendre son élan, et de s'élancer en avant et de plonger dans l'onde irisée. Bien qu'il fît un bon pied - au moins - de plus qu'elle, elle appuya sur ses épaules pour le mettre à genoux. Il n'y bientôt que sa tête pour dépasser du ru muet. Alors elle joignit les mains, les emplit d'eau et les posa sur le visage de l'elfe-bête. Elle frotta ensuite doucement sur ses joues.
Elle l'accueillait. Elle n'était ni druide, ni fervente prêtresse de Mère. Elle avait vécu plus de la moitié de sa vie hors de la Prime Forêt et pourtant, elle l'accueillait comme s'il eût été un petit frère enfin devenu adulte. Parce que là était la raison de sa présence, en ces lieux et en cet instant. Bientôt, la morsure du gel eut arraché à la peau rosi de l'elfe ses dernières marques sanglantes. Elle sourit alors, puis se recula, comme pour mieux l'observer. Il était prêt, désormais. Prêt à affronter sa nouvelle vie. Levant les yeux au ciel, elle admira le ciel dépourvu du moindre nuage, visible comme en peu d'endroit en Anaëh. Il n'y avait que le soleil blanc pour troubler cette monotonie de bleu.
L'envie lui prit de danser. Elle voulait honorer ce qu'elle avait vu, sans rien omettre. La douleur de la blessure, l'horreur du dernier coup portée, l'insupportable vision d'un être dévorant la chair d'un autre ; mais aussi la terrible gravité du regard lupin et la beauté d'un regard nouveau. Ah ! Passant à côté du druide, elle rejoignit la berge et se saisit de sa flûte. Elle hésita un instant, regardant sa robe toujours au sol. Elle n'avait jamais dansé nue. Son art ne résidait pas uniquement dans d'habiles et improbables mouvements, ni dans la virtuosité d'un morceau parfaitement accompli. Son art naissait dans l'imagination des êtres qui la regardaient. Se présenter à eux sous son plus simple appareil, c'était leur voler ce pouvoir qu'ils avaient sur elle, celui de la voir comme ils le souhaitaient. Mais un regard autour d'elle suffit à la convaincre. Portant la flûte à ses lèvres, elle insuffla... la vie. Et la vie se mouvait avec douceur. L'elfe-bête pouvait reconnaître l'air qui avait attiré le loup, quoique la musique avait perdu sa dimension irréelle. Ce n'était guère plus que des notes, désormais, vides de tous échos sylvains, mais elles restaient néanmoins belles. Une pause, légère, rappela l'intrusion du monstre blessé, puis la musique se fit triste, timide, et l'Hirondelle commença sa danse. Légère, elle retraçait les derniers pas du mourant, sa vaillance et sa grâce dans l'épreuve, tandis que la flamme s'éteignait pour renaître ailleurs. La musique se fit stridente, pour rappeler l'horrible silence de la lame déchirant les chairs. Et puis, tout s'accéléra, alors qu'elle avouait sa fuite devant un spectacle qu'elle n'était pas capable de supporter.
Quand, finalement, elle cessa, elle n'avait plus du tout froid. Sa respiration haletante faisait se soulever et s'affaisser des épaules qui avaient eu tout le temps de sécher. Aussi, après un regard à son spectateur, elle s'approcha de ses vêtements, avec la ferme attention de s'en vêtir à nouveau. »
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| | | Elandril
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| Sujet: Re: Au cœur de l'Anaëh | Elandril Jeu 8 Mar 2012 - 17:45 | |
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Le loup-elfe ne s'aperçut qu'à moitié que des mains inconnues parcouraient son corps. Frottaient sa peau. Caressait son nouveau cuir dépourvu de poils. Se débarrassaient du sang coagulé, de bouts d'os, de chair et de tripes. L'eau claire et piquante de froid absorbait l'écarlate, rosissant légèrement jusqu'à recouvrer sa clarté originelle. La peau de loup mage, accrochée à son cou, laissait derrière elle une trainée rouge macabre. La terre se décrochait de sa peau pour se dissoudre dans l'eau. Ses cheveux devenaient toujours plus roux alors qu'ils étaient lavés, retrouvant leur éclat. Elandril, lui, gardait ses yeux fixés sur l'elfe qui lui faisait face. L'elfe dont il ne connaissait rien mais dont il avait l'impression de savoir tout. Sur son corps si irréel. Il ne la perdait pas des yeux, observait chacun de ses mouvements.
Lorsqu'il devint parfaitement propre, son corps était devenu méconnaissable par rapport à l'elfe qui avait dévoré les chairs du loup mage. Une grande et longue chevelure rousse encadrait un visage aux traits aquilins et à la peau lisse. Des joues légèrement rosées rappelaient le sang qui les souillaient quelques instants plutôt. Ses yeux mordorés luisaient du reflet éclatant de l'eau. Son physique rappelait l'elfe qu'il était lors de ses premiers jours, dans son enfance, bien avant qu'il ne soit élevé par sa seconde mère, la louve. Mais intérieurement, Elandril était devenu complètement quelqu'un d'autre. L'elfe muette, elle, s'éloigna lentement de lui, un léger visage se dessinant sur ses lèvres fines. Elle rejoignit la berge pour s'emparer de son instrument envoutant, puis son souffle enchanta à nouveau les oreilles du tout jeune druide. La mélodie, bien que complètement différente à celle qui avait emmené la Bête près des elfes, charmait son oreille, non pas comme un son, mais comme une véritable histoire. À travers le jeu musical et du doigté délicat sur la flute de bois, Elandril entendait, comprenait une ode à son vécu. À la Bête et à la forêt. Au nouveau lien qui les unissaient tous. La mélodie s'accélérait pour ralentir un instant après, détaillant chacun des derniers évènements. L'elfe, elle, se mit à danser nue, à animer son corps du même rythme. Ses pas de la même légèreté. Elle tournoya agilement sous les yeux de l'elfe loup qui ne la lachait pas du regard.
Il était devenu Druide. Protecteur juré de la forêt, comme il l'avait toujours fait. Il était un elfe nouveau, et plus sauvage si c'était possible. Il sentait son corps différent. Pouvait ressentir Du Eryn Rhavan, pour la première fois depuis longtemps, ronronner en lui. Ressentir le nouveau loup mage qui l'abritait et qui avait abrité en elle sa conscience bestiale qui le tourmentait depuis tant d'années. La souffrance avait cessé. La violence et la colère, évanouies avec elle. Il ne restait qu'Elandril. Un nouvel Elandril qui vivait une toute nouvelle expérience. Mais il était encore une chose que le jeune elfe n'avait encore jamais fait.
La mélodie cessa et encore, le silence pesa comme s'il était anormal, trop bruyant et désagréable. Trop tranchant avec la douceur que venaient d'entendre les bois. La jeune elfe avait ôté ses lèvres de son instrument, presque haletante. Lentement, le loup s'approcha de la jeune elfe qui avait rejoint ses vêtements. Il s'approcha si silencieusement qu'elle ne s'aperçut qu'à peine de son approche. Les yeux fixés sur elle, le druide posa ses mains sur les siennes, lorsqu'elle se pencha pour s'habiller. Ses doigts étaient encore frais de la morsure glaciale de l'eau. Encore plein de vie de la frénésie avec laquelle ils avaient tapoté la flûte. L'elfe se redressa alors pour plonger à nouveau ses yeux dans les siens. Ils restèrent un instant ainsi, hors de la portée du temps et de l'espace. Où seuls retentissaient leur respiration lente et régulière… La forêt tout entière retenait son souffle.
Elandril posa alors doucement ses lèvres fraîches sur celles de l'elfe, ces lèvres qui avaient cet étrange pouvoir d'animer la flute de bois, qui avaient l'incroyable capacité de s'emparer de l'esprit du druide...
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| | | L'Hirondelle
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| Sujet: Re: Au cœur de l'Anaëh | Elandril Mar 28 Aoû 2012 - 6:56 | |
| « Un temps, l'Hirondelle se laissa faire, offrant ses lèvres au druide. Elle répondit à son baiser, goûta la douceur de sa langue encore teintée du goût acre et métallique du sang. L'espace d'une seconde, elle s'offrit à cet inconnu avec qui elle avait vécu une expérience incomparable. Et puis la nature reprit ses droits et l'oiseau battit des ailes, recula légèrement la tête et, avec un sourire, posa un doigt sur la bouche avide. Pas tout de suite, semblait intimer ses yeux rieurs, plus tard peut-être. Doucement, presque tendrement, l'elfe s'arracha à l'étreinte naissante de leurs deux corps. Contrairement à ce que son compagnon semblait penser, tout n'était pas achevé. Il avait sacrifié l'animal mourant, elle l'avait lavé, restait à offrir un digne retour au martyr. Restait au druide à embrasser la forêt comme il ne l'avait jamais fait. Restait, enfin, à l'Hirondelle l'honneur d'admirer pareil spectacle, si rare qu'on en parlait comme d'une légende, d'un mythe à jamais hors de portée.
Abandonnant l'idée de se rhabiller, la flûtiste se saisit une nouvelle fois de son instrument. Son souffle inaltéré s'empara du bois, le visita tout entier et la mélodie, une nouvelle fois, naquit ; et c'était comme si c'était la première fois. Les notes douces dansaient sur les oreilles du druide et racontaient leur histoire. L'histoire d'un loup qui avait chassé toute sa vie, d'un loup qui ne demandait qu'à pouvoir recommencer.
L'entendait-elle, cette ode, le martyr ? Comprenait-il que chaque mesure était un hommage à ce qu'il avait été. Saisissait-il, surtout, qu'elle l'invitait ? Le druide était un être de magie et c'était bien de magie dont il était question. La plus rare de toutes ou presque. L'art de se fondre en un nouvel être, l'art de ployer l'échine et de marcher à quatre pattes, l'art de renoncer aux vêtements pour retrouver la fourrure originelle. L'aurait-elle pu, l'elfe aurait donné ses bras pour retrouver ses ailes, ses cheveux pour ses plumes. Mais ce don n'était pas le sien.
Le druide la sentait-il ? Sa conscience animale répondait-elle à l'appel ? Jusqu'à présent, la musique de la danseuse avait toujours su le toucher, elle espérait qu'une dernière fois, il se laisserait persuader. Elle voulait le voir. Ne pas se contenter d'un seul visage, hirsute et parfois hagard. Elle voulait voir l'animal.
Tel était le message de l'Hirondelle. Deviens-toi même. »
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| | | Elandril
Elfe
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| Sujet: Re: Au cœur de l'Anaëh | Elandril Sam 1 Sep 2012 - 14:38 | |
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Les lèvres des deux elfes s'effleurèrent un instant, puis Elandril cueillit la saveur de l’Hirondelle dans sa bouche, le goût doux et presque sucré qu’il n’avait connu jusqu’alors, reçut l’elfe dans ses bras, et se laissa emporter, comme inconscient, manipulé par l’aura de celle qui l’avait enchanté. Hors de portée, Elandril eut l’impression de perdre à nouveau contrôle de son corps, mais cette fois-ci, ce n’était pas Du Eryn Rhavan qui emplissait sa conscience mais la sourde mélodie qui retentissait encore dans sa tête. La Bête écoutait, patiente et tranquille. L’âme apaisée de la souffrance du corps. La mélodie, elle, s’était faite fugueuse et rapide, entrainante et son cœur, qui battait sourdement à ses oreilles, en rythmait la cadence. À chaque baiser, elle s’amplifiait dans la tête de l’Elfe. Puis lorsqu’elle devint trop prenante, tout cessa.
La flutiste s’était doucement éloignée du druide, rompant le contact de leurs lèvres, rompant la connexion qui s’était faite entre les deux êtres. Ivre, Elandril voulut recommencer, renouveler le chant muet mais elle l’arrêta en lui posant un doigt au visage, et souriant malicieusement. Il n’eut rien d’autre à faire qu’attendre, impuissant et frustré, puis regarder l’elfe encore nue s’emparer à nouveau de sa flute. Le vent semblait effleurer sa peau fraîche, caresser son corps comme se narguant de ce qui lui échappait. Le son, bien qu’il sortait du même instrument de bois, paraissait nouveau, un ton différent. Un rythme différent. Une histoire différente. Et tout ceci semblait ne pas s’adresser à la même personne. Un instant, le druide se demanda quelle mouche avait piqué cette elfe. Pour quelle raison elle l’avait interrompu pour prodiguer une mélodie qui ne lui était pas destinée, quelque chose de complètement étranger. Quelques minutes passèrent, où Elandril ne comprit pas, continuant à dévisager la musicienne. Mais là où l’ouïe de l’elfe faisait défaut, la Bête prit le dessus. Elle s’agita d’abord doucement, encore trop perdue par les derniers évènements, plus attentive à la mélodie que son hôte. Tel un éveillé qui s’amuserait de ses membres pour tester capacités, Du Eryn Rhavan se faisait de plus en plus sensible à la musique. Quand les mots manquaient, le flûte savait emplir le vide des paroles. Et ces mots, si harmonieux, n’atteignaient que la Bête.
Là où le calme s’était installé, l'équilibre, imposé, les spectres du passé d’Elandril resurgirent. La douleur revint tout à coup, fulgurante. Au début, l’elfe eut l’impression qu’un fauve se débattait, lacérait les parois de son crâne pour en extirper son corps, beaucoup trop démesuré par rapport à la petite tête dans laquelle il était enfermé. La souffrance le poussa d’abord à se recroqueviller sur lui-même, son corps convulsé dans sa cape de poils drus. Puis elle se fit de moins en moins intense, comme si, cette fois, il pouvait réussir à la contrôler, tel un barrage que l’on bâtirait pour empêcher le torrent de tout dévaster. Quand il eut canalisé la douleur la plus forte,le souffle court et le regard effrayé, il put sentir la douleur palpiter derrière sa barrière mentale, comme une rage naissante. À ce moment là seulement, Elandril comprit que la Bête tentait d’établir un contact avec lui. Des images lui parvinrent dans son esprit tourmenté, des flashs, des messages nerveux qui lui étaient envoyés. Dans ce chaos d’émotions, le jeune druide saisit que Du Eryn Rhavan tentait de s’emparer de son corps. Qu’il était inlassablement appelé par le chant fluet de la musicienne, que chaque son, chaque note et chaque rythme lui était dédié. Il essaya de se rappeler des mots de l’Esprit Blanc, de son enseignement. Rien ne l’avait préparé à cette épreuve, à aucun moment Elle ne lui lui avait dit qu’il serait confronté à sa Bête. Mais Ses conseils étaient clairs. Il ne devait étouffer l’entité, mais la contrôler. La prison n’était pas la solution.
Alors, Elandril eut un dernier regard effrayé vers l’elfe, qui n’avait pas ôté la flute de sa bouche, et abaissa ses barrières.
Ce fut comme si un torrent glacé dévalait son corps entier. La douleur fulgurante s’empara de tous ses membres, de chaque centimètre de sa peau, de chaque doigt, de chaque orteil. Il avait l’impression que des créatures invisibles lui arrachaient les cheveux par poignées, lui plantaient des couteaux dans le corps. C’était comme si la Bête déchirait le corps de l’Elfe. Le loup se mit à griffer, lacérer, tirer, hurler. Ses membres s’arquèrent de douleur, les muscles convulsés. Son bras prit tout à coup un angle inquiétant. Puis tout le corps de l’elfe se mit à se mouvoir, la surface de sa peau irisée par de minuscules poils roux naissants. Il eut un cri, qui n’était ni elfique, ni animal, mais affreusement les deux à la fois. Puis ce fut comme une explosion et le loup mage colossal prit place à l’Elfe, d’un dégagement de gueule.
Elandril, lui, avait l’impression de flotter quelque part, sans savoir où le torrent l'avait porté. Il voyait dans les yeux de la Bête, mais ne contrôlait rien. Le corps de l’animal, neuf et frais, ne lui appartenait plus. Sa souffrance était partie, laissant une incroyable impression de flotter dans la béatitude. Et là, dans cet état de conscience étrange et encore inconnu du druide, son esprit entra machinalement en contact avec la Symphonie des Arbres mais d’une façon qu’il n’avait jamais connue jusqu’alors. Bête et Elfe ne faisaient plus qu’un, de manière entrelacée et étroitement liée. S’ils étaient deux êtres distincts, leur forme animale leur permettait non pas de se réunir, mais de rejoindre l’essence même de la Prime Forêt, de mêler leur chant à celui de la Symphonie. Son don fut incroyablement affiné et amélioré, si bien qu’il avait l’impression de tout connaître d’Anaëh. Ils étaient au cœur même de l’Anaëh.
La flute continuait d’émettre sa chanson, imperturbable, cette étrange fréquence qui avait connecté l’esprit tout entier de l’Elfe à la forêt. Alors, le loup mage joignit son hurlement à l’harmonie naturelle. Et intérieurement, Elandril joignit sa voix au chœur des arbres, de la flûte et du loup.
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| | | L'Hirondelle
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| Sujet: Re: Au cœur de l'Anaëh | Elandril Sam 1 Sep 2012 - 18:08 | |
| « Ils y étaient, enfin. Sous les yeux ravis de l'Hirondelle, l'elfe se tordait de douleur, griffait le sol avec ses ongles alors qu'ils devenaient des griffes, agitait des jambes qui se muaient en pattes. Loin d'être troublée par le spectacle, son bourreau admirait presque cette souffrance macabre, véritable torture que la magie infligeait au corps pour le tordre, l'étirer, le transformer. Chaque note était un nouvel encouragement, une promesse qu'après la douleur viendrait autre chose. Finalement, il fut là, ce loup qu'ils avaient vu mourir quelques heures plus tôt, à nouveau vaillant et plein de vie. Pour saluer sa venue, l'Hirondelle s'envola, entamant une nouvelle danse autour de l'animal majestueux. Levant la gueule, il joint son chant au sien et l'elfe sentit son cœur s'emballait. Alors la danse se fit plus rapide, les gestes un peu moins précis peut-être, mais chargés de plus d'émotions. Les cheveux encore mouillés voletaient autour d'elle, formant une auréole.
Avec plus de vivacité encore, l'Hirondelle battit des ailes ; ses doigts agrippèrent la fourrure douce et légère du loup, ses pieds quittèrent le sol et la seconde suivante, les jambes de la belle serraient avec douceur les flancs de la bête. Elle était comme une plume se posant sur l'onde, la troublant à peine. Elle ne voulait pas l'apprivoiser, bien au contraire ; tout dans l'attitude de la cavalière témoignait de son humilité, de sa soumission presque. Elle venait son dos, non pas en conquérante, mais comme une mendiante. Et la caresse qu'elle prodigua à son encolure était pleine d'espérance.
Elle voulait voir son monde. Voler sur son dos. Maintenant qu'il était lui, elle voulait qu'il l'aide à devenir elle.
L'Hirondelle. »
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| | | Elandril
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| Sujet: Re: Au cœur de l'Anaëh | Elandril Jeu 13 Sep 2012 - 13:17 | |
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Quand le poignet de l’imprudente s'agrippa à son poil, le Loup frissonna. En temps normal, la Bête aurait volontiers enfoncé ses crocs dans le bras de l’elfe, déchiré la chair qui avait osé souiller sa dignité, lui emporter le bras comme avertissement. Lui faire comprendre que la Bête n’était pas domptée. Qu’on ne l’a chevauchait pas comme un vulgaire mulet. Dans la forêt, elle avait l’habitude de se faire respecter par les autres animaux. Mais tout était différent avec l’Hirondelle. Lorsqu’elle s’était mise à danser, à virevolter au gré de la musique, le loup avait reconnu en elle l’être qui avait assisté à sa renaissance. Mais surtout l’être qui l’avait permise. Son chant l’avait invité à rejoindre celui qui l’avait adopté en son sein. Et maintenant, il allait l’inviter à connaître une expérience comme jamais. Ensemble, ils allaient embrasser la forêt toute entière.
La cheville enfourcha la fourrure rousse du loup et le poids de l’elfe bascula sur le dos. La Bête ne lui laissa pas le temps d’assurer son équilibre, ses membres s’élancèrent comme des ressorts trop tendus et les deux êtres filèrent à une allure folle à travers les bois. Sa taille colossale et ses pattes élancées lui procuraient des pas gigantesques et une puissance étonnante, surtout pour l’elfe qui se cramponnait comme elle le pouvait sur son dos. Bien que ses muscles étaient fins, ils lui conféraient une silhouette agile qui semblait parfaitement fendre l’air. À chaque bond, ses griffes martelaient le sol avec un bruit sourd, ponctuant le chant d’Anaëh qui continuaient à résonner dans leurs têtes.
Le Loup et l’Hirondelle volèrent un moment, franchissant racines et troncs, l’un émerveillé de son nouveau corps, l’autre d’une nouvelle vision du monde. À des moments, la Bête sautait d’un bond sur les branches, enfonçait ses griffes dans l’écorce, gagnait en hauteur et continuait son chemin, comme si de rien était. Puis, lorsqu’ils eurent parcouru quelques bonnes lieues, le flair du loup se mit à humer l’air. Il inspirait profondément, comme s’il avait perçu une quelconque odeur. Ses babines se retroussèrent, de contentement ou d’énervement, on n’aurait pu le dire. Le loup se mit alors a marcher lentement, ses épaules suivant un mouvement ondulé, tandis que ses pattes progressaient silencieusement parmi l’herbe et la mousse. L’elfe dut comprendre ce qu’il se passait, car le silence s’était imposé maître des lieux. Le chant s’était tu, la forêt était calme, anormalement calme, tant que ç’en était presque assourdissant. Leurs oreilles n’étaient que trop habituées au son puissant de la flute. L’hirondelle descendit du dos du loup, en se retenant de tomber avec sa fourrure. Et d’un frisson, celle-ci sembla s’hérisser, s’épaissir, et sa couleur devint légèrement plus vive. Le roux passa au rouge. Et bientôt, les couleurs du poil ondulèrent, comme incontrôlables, sur le cuir du loup. C’était comme un vent ébouriffant un champ d’herbe, dont la couleur paraissait muer à chaque bourrasque.
Alors, le loup tressaillit, puis disparut.
Du moins, c’est ce qu’on aurait pu croire. Mais la fourrure du loup s’était teinte de vert, de brun et de gris, de toutes les nuances d’Anaëh pour ne faire qu’un avec le décor. Si l’on ne pouvait percevoir les infimes bruits de son déplacement et les irisations de lumière sur les poils, on aurait pu le croire invisible. Mais le loup continua de progresser, imperturbable, fixant un point invisible, dissimulé derrière troncs et branches. Il n’aurait pu savoir si l’elfe le suivait. À vrai dire, il s’en moquait pour l’instant. Il avait quelque chose à faire. Une histoire à régler.
Quelques foulées plus loin, la Bête pénétra dans une minuscule trouée de la forêt et se figea de stupeur. Les lieux étaient occupés par une meute de loups sauvages qui semblaient en déplacement. Composée de loups, de louves, suivies par les jeunes louveteaux de la troupe, ils étaient une douzaine au total. Lorsque des buissons crissèrent avec l’arrivée de la Bête, la meute sursauta comme d’un seul corps. Un à un, les loups s’écartèrent pour laisser passer un de leurs confrères. L’animal semblait être plus colossal encore que le reste de sa meute. Le poil dru et noir comme la nuit, il avait un regard d’un bleu profond. Sa peau était parcourue de blessures, griffures et les poils étaient coagulés de sang. Ses yeux perçants se posèrent sur l’endroit où attendait la Bête, mais se plissaient inutilement, sans parvenir à voir le moindre détail. Ses muscles épais étaient crispés, déjà contractés, prêts à agir. À côté d’un tel animal, le loup mage avait l’air bien frêle, bien qu’il faisait quelques bon centimètres de plus que lui. Lorsqu’il voulut user de son flair pour détecter la menace, le vent souffla dans la mauvaise direction, lui emmenant l’odeur de sa meute.
C’est lorsqu’il commença à se détourner de la futaie que la Bête en profita et sauta sur l’Alpha. L’animal couina sous le poids du loup qui s’écrasa contre ses reins, pris par surprise. L’affrontement fut très rapide, car le loup noir semblait désorienté, perdu. Lorsqu’il fut maitrisé, la Bête ne chercha pas à le tuer mais le maintint au sol, le dominant de toute sa hauteur. L’animal couina, complètement soumis. Alors, le loup mage se mit à foudroyer du regard la meute toute entière, la meute qui avait osé s’en prendre à lui, à mutiler son corps. Huit contre un, quelle dignité y avait-il dans ce combat ? Si l’elfe n’avait pas été là, il aurait été condamné à mourir dans la souffrance. Les yeux mordorés de la Bête semblaient faire comprendre le message. Alors, à sa grande surprise, les loups de la meute se mirent à glapir et reculer, doucement. Les crocs qui s’étaient fichés dans son ancien corps disparurent, et les pattes qu’il avait reçues dans le dos s’inclinèrent. La meute en entier lui rendit hommage, conquis devant la puissance de la Bête, dociles devant sa résurrection. Certains étaient effrayés, d’autres intrigués.
Au fond d’Elle, la Bête savait ce qui était en train de se passer, bien qu’elle ne l’acceptait pas. Si elle était revenue, c’était pour se faire respecter. Regagner son honneur et sa dignité. Pas pour remplacer le Noir. Et surtout pas pour devenir chef de meute.
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| | | L'Hirondelle
Elfe
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| Sujet: Re: Au cœur de l'Anaëh | Elandril Sam 15 Sep 2012 - 19:32 | |
| « Elle avait toujours voulu voler. On l'avait surnommée l'Hirondelle parce qu'elle avait une démarche aérienne, parce que parfois, quand elle dansait, on avait l'impression que ses pieds quittaient le sol. Mais entre donner l'impression de voler et voler vraiment, il y avait un monde qu'elle ne franchissait que maintenant, dans l'allégresse la plus totale. Eut-elle pu rire qu'elle l'aurait fait, à gorge déployée. Si elle avait eu les moins libres, elle aurait applaudi ; là, elle se contentait de sourire, d'un magnifique sourire. On aurait dit une enfant, il n'y avait dans son regard qu'innocence et émerveillement. À chaque fois que le corps du puissant loup quittait le sol, elle sentait son cœur s'envoler avec lui. Elle n'eut aucun regret, quand la course cessa, elle irradiait le contentement et la gratitude. Bien sûr, l'eut-elle pu, jamais les pattes de l'animal ne se serrait arrêtées ; mais puisqu'il appartenait au temps de faire commencer et de sonner le glas des choses, elle se contenta d'enserrer l'encolure de la bête et de nicher son visage dans ses poils. Elle comprit pourtant rapidement que quelque chose s'était produit. Qu'il n'avait pas arrêté leur course endiablée simplement pour se reposer — elle était certaine qu'elle aurait été la première épuisée, en réalité — et elle préféra donc poser pied à terre. Le contact doux de la fourrure sous sa peau lui manquait déjà, mais il n'était pas un animal qu'on montait aisément. Elle se savait déjà privilégiée. Elle avait été secouée, certes, et ne devait sa bonne assise sur son dos qu'à son équilibre à tout épreuve, mais elle avait ressenti des choses incomparables et, déjà, tout son être criait son désir de s'envoler à nouveau. Malheureusement, cela ne semblait pas être dans les intentions de son ami à quatre pattes, dont la fourrure ondula soudainement sans raison apparente. Un instant, il était là, calme, l'instant d'après ses contours semblaient se troubler aussi vite que le ballet qui animait sa robe et enfin, il disparaissait. Enfin, pas exactement, l'œil averti de l'Hirondelle pouvait toujours le voir, mais c'était parce qu'elle avait été spectatrice de son tour de passe-passe. Elle le laissa partir et sut qu'ils ne se reverraient pas, tout du moins pas avant de longues lunes. Alors elle décida de le suivre, se faisant soudainement aussi discrète que lui, quand bien même elle ne put conjurer quelques arcanes pour s'aider. Elle dansait, toujours libérée de tout tissu, presque littéralement entre les arbres de la belle Anaëh et c'était comme elle se fondait parmi eux. Ainsi dévêtue, ainsi sauvage, on aurait pu la croire nymphe, ou muse, ou toute créature qui n'était pas une elfe mais bien fille des arbres eux-même. Puis, quand elle comprit qu'il était arrivé à destination, elle grimpa à un arbre et regarda, les yeux grands ouverts, cette nouvelle épopée du roux druide qu'elle avait vu s'éveiller.
L'Hirondelle en compta cinq, mais elle douta de les avoir tous vus. Sans doute certains se cachaient-ils, comme elle. Qu'importait. Elle contempla le retour de la bête parmi les siens, elle vit sa vengeance, terrible et sans appel. Le loup rayonnait de vitalité là où son adversaire croulait sous les blessures et les douleurs. L'elfe pensait deviner l'histoire qui se cachait derrière, tout en sachant très bien qu'elle ne saurait jamais vraiment. C'était ce qui faisait la beauté de l'instant. Elle raconterait une histoire, son histoire, mais pas l'Histoire. Car l'Histoire n'appartenait pas aux mortels. Finalement, elle resta immobile longtemps, observant, écoutant, se réjouissant pour lui. Il semblait heureux, mais elle pouvait se tromper. Elle savait lire le visage de ses semblables à deux jambes, mais d'un loup, ça, elle n'était qu'une aveugle qui tentait de deviner où se trouvait le soleil. Finalement, elle les vit partir, l'un après l'autre, lui le premier. Il serait toujours le premier, comprit-elle. Alors elle se saisit de sa flûte, que sa nudité n'avait su lui enlever — c'était peut-être sa plus grande magie, de toujours la garder près d'elle — et elle lui dit au revoir. Bien entendu, ses notes ne parvinrent jamais à ses oreilles, il était déjà trop loin. Mais elle s'en moquait. Au moins le vent l'entendait et ce dernier avait toujours été son spectateur le plus assidu. »
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