Au chant du coq, le brouillard se dissipe | Kassandra

Un nouveau jour se levait sur la ville de Naelis, les rayons de soleil de l'aurore perçait doucement à travers les nuages et venaient paresseusement se poser sur les toits de la cité qui avait déjà vus tellement de spectacle de ce genre. Mais dans les ruelles du quartier de l'Aigle, la lumière peinait encore et seuls quelques rais filtrait à travers les dernières ombres de la nuit.
Une grande silhouette allaient à travers ces ruelles, marchant à grand pas, sans doute à la recherche de quelques choses. Ces longs cheveux flottaient derrière elle et l'observateur attentif aura noté qu'elle allait torse nu malgré la fraîcheur de la brise matinale qui soufflait depuis les docks. Parfois, elle croisait un ivrogne ou un passant de bon matin, et toujours le même regard de méfiance lui était accordé, parfois accompagné de quelques jurons ou crachats qui l'atteignaient le plus souvent sans qu'elle ne s'en préoccupe. Une fois elle dut cédé passage devant une patrouille des gardes de la cité qui la jaugèrent d'un regard interrogatif.

Bien sur la chevelure blanche et la silhouette musclé pouvait faire pensé à un drow, mais sa peau était pâle et ses yeux acier sans trace de leur héritage sombre. Ils savaient qu'il ne ressemblait pas à un elfe, leur lieutenant appartenait à ce peuple immortel après tout. Ils décidèrent finalement de le laisser tranquille bien que l'un d'eux le suivit du regard un long moment.

Ysmir n'aimait pas franchement cette ville. Non pas qu'elle soit plus pauvre que Thaar, ou moins portuaire que Meca, ce genre de détails ne le dérangeait pas. Mais les gens y étaient foncièrement désagréables. Ils n'auraient su dire combien de fois on l'avait dévisagé depuis la veille où il avait pour la première fois posé le pied de l'autre côté de ces portes.
Il avait l'habitude d'attirer l'inimité de la plupart de la population, mais ici ils se contentaient de regard comme à un lépreux ! Au moins, à Thaar certains drows essayaient -et parvenaient parfois- à lui refaire le portrait mais ça avait au moins l'avantage de mettre l'ambiance et ça montrait un véritable intérêt. Ici on se contentait de lui lancer des regards et parfois de lui cracher dessus. Au début il s'était amusé à relancer les glaviots à la figure de leur expéditeurs, puis il s'était lassé de ce petit jeu. Il avait donc finalement décidé d'appliquer le même jeu que ces gens : ils les ignoraient royalement.

Il était arrivé dans cette ville un peu par hasard, il n'y connaissait pas beaucoup de pirates qui y avait ses habitudes. Il faut dire que le nouveau dirigeant de la ville semblait mettre un point d'honneur à traquer les crapules de son territoire au vu des rumeurs. Attitude qui n'était pas du goût de la plupart des ruffians qui sillonnaient l'Olienne comme l'Eris. Les cités de Meca ou Thaar leur convenaient bien mieux.
Néanmoins, il avait déjà écumés les dites cités au cours des dernières années et ses pas l'avaient finalement menés à Naelis. Ses pas oui, car comme expliqué précédemment rares étaient les navires pirates qui se rendaient à Naelis. Aussi avait-il fait la route depuis Thaar à pied. Un voyage éprouvant qui lui faisait encore mal aux talons. Il ne se souvenait pas avoir autant usé la semelle de ses bottes depuis son départ de l'Anaëh.

Il arriva finalement devant le temple de Nééra, la principale déesse des Cinq révérée par les humains. De belles rues plus propres l'entouraient et l'endroit semblait bien plus dégagé que le reste du quartier. Le soleil commençait à poindre par-dessus les remparts. Un éclat roux à l'extrême de son champ de vision alors qu'il passait le chemin devant la façade du temple. Se tournant, il put apercevoir la forme d'une jeune femme, ou d'un très frêle jeune homme c'était difficile à clairement distinguer dans la pénombre et la posture fœtale de l'individu, avachi au pied du temple, dans un tableau des plus cocasse dont quelque dieux moqueurs se seraient gaussés.
Lui s'approcha plus près de ce qui ressemblait pas mal à un cadavre si l'on exceptait les lents mouvements de respiration que ses yeux aiguisés distinguaient. Finalement, il s'agissait bien d'une femme. Et il put la reconnaître sans problème alors qu'il se penchait à son côté. Visiblement elle avait encore forcé sur l'alcool à en juger par l'haleine chargé qui remontait jusqu'à ses narines à chaque expiration. Elle lui semblait moins excentriques que la dernière fois qu'il l'avait vus, mais il fallait dire que peu de personne pouvait se targuer d'une véritable excentricité, en train de cuver leur gueule de bois sur les marches du temple.

Il se releva et avisa les environs. L'un des puits de la ville se trouvait non loin de lui. Il le rejoignit en quelques pas et jeta un œil au fond. Il ne pouvait distinguer l'eau mais un caillou lâché dedans lui en confirma la présence. Il utilisa le seau à disposition et ne mit que quelques minutes à le remonter plein. Une fois posé sur le bord du puits, un geste de la main lui suffit à faire léviter l'eau et il revint vers le corps de la pirate endormie, une boule d'eau suivant ses doigts en mouvement. Une touche de magie en plus permit de la rendre bien fraîche.
Et il lâcha le tout au-dessus de la tignasse acajou qui reposait au sol.

-Alors, tu as bien dormis ? La railla-t-il de sa voix claire.

La jeune femme se redressa et se massa les tempes, visiblement pas remise pour autant de sa soirée de la veille. Ce genre de spectacle faisait toujours sourire Ysmir, même s'il appréciait beaucoup moins qu'on rigole de lui dans ces conditions. Kassandra ne se gêna pas pour déverser un torrent d'insulte sur son agresseur hydraulique d'ailleurs.

-Tant d'injures qui sortent d'aussi jolis lèvres, cela fait peine à entendre.

Il n'allait pas s'interdire quelques railleries sans méchancetés simplement parce qu'il l'avait réveillé aux petites heures de l'aube. Ceci ne relevait encore que de la petite plaisanterie gentille, il n'allait de toute façon pas la laisser dormir sur les marches d'un temple en journée. On avait des limites au paganisme, et les gardes ne lui donnait pas l'impression d'être très commode par ici.
Il se rembrunit un peu lorsque Kassandra le reconnut et le salua à sa manière.

-On m'a pas enseigné grand chose ''chez moi'' mais passons...

Le sujet était toujours un peu sensible avec Ysmir, et en règle général peu d'hybrides abordaient volontiers la chose.

-Je viens d'arriver, je ne suis pas de ceux qui prennent leur pied à regarder les femmes dormir... surtout quand elles donnent l'impression d'avoir passé la nuit dans un vieux grenier, ajouta-t-il un petit sourire aux lèvres.

Il décida de s'asseoir en tailleur face à Kassandra, il avait déjà l'habitude que les gens lèvent la tête pour lui parler c'était pas la peine d'en rajouter encore. Il l'avisa sortir un cigarillo d'un endroit que peu -ou peut-être pas d'ailleurs- de personne approchaient.

-Tu fumes toujours de ces horreurs ? Ça à le mérite d'expliquer cette odeur de tabac que tu traînes avec toi.

Oui, il n'était pas tendre, mais c'était sa manière d'être. Même Rhamyr avaient eu droit à son lot de remontrances, dont certaines en auraient vexés plus d'un... du temps de son vivant, évidemment. Repenser à son vieil ami plongea les yeux de l'hybride dans une torpeur mélancolique qui dura quelques instants, avant qu'il ne se reprenne, se secouant un peu la tête pour se remettre les idées en place.

-Oh et, c'est un peu le hasard qui m'a amené ici, l'envie de voir cette ville, je n'y avais encore jamais mis les pieds. Je m'en serais bien passé d'ailleurs finalement.
A vrai dire je ne pensais pas t'y trouver, j'en venais presque à croire que tu avais arrêté de naviguer ces dernières années. T'as été viré de ton équipage ou tu avais perdus le chemin du port ?

Ysmir eut une grimace de dégoût lorsque la fumée lui arriva dans la figure, mais il l'avait peut-être un peu cherché. La petite moue candide qui orna le visage de la pirate ne le prit pas au piège, il la connaissait assez pour savoir que ses excuses étaient toutes aussi fausses que les compliments de l'hybride. On ne se refaisait pas après tout.

Il écarquilla brièvement les yeux lorsqu'elle lui avoua être passé en taule. Il était censé veiller sur elle, et il n'était même pas foutus de le savoir lorsqu'elle pouvait avoir réellement besoin de lui. Il sentait le regard lourd de reproche d'un certain pirate par delà l'autre monde et aurait bien aimé se terrer aussi loin des océans que possible pour l'éviter.
Décidément, il ne pouvait la surveiller convenablement en se contentant de la croiser à l'occasion. Ça plaisait peut-être à son tempérament mais n'était finalement pas une bonne décision. En attendant d'autres questions lui venaient à l'esprit, comme pourquoi s'était-elle retrouver là-dedans et comment elle en étais sortis ? Il ne se leurrait pas, les prisonniers relâchés étaient bien rares. Et plus encore lorsqu'il s'agissait de pirates, l'engeance des mers. C'était du moins la vision de ces peignes-culs des comptoirs commerciaux de la Péninsule et d'ailleurs.

Il allait ouvrir la bouche lorsqu'elle le coupa dans son élan -Hein ? Mais pourquoi vous me parlez d'elfe roux?- avec une belle tête de... loque semblait un mot approprié mais nous nous contenterons de flegmatique, pour lui dire que ce n'était rien. Évidemment, ça tombait sous le sens, un passage en prison, c'était qu'une broutille. On y passait comme dans un moulin voyons. Tous les pirates discutaient de leur petit séjour en prison de l'année après tout, alors pourquoi on se serait inquiéter d'un ridicule putain de séjour en prison, je vous le demande !
Hum, l'hybride reprit un peu contenance de son monologue intérieur et nota dans un coin de sa tête qu'il se devrait de s'entretenir avec Kassandra un peu plus en détail, quand ils en auraient le temps et qu'elle serait plus disposée à en parler.

Et la question délicate revenait sur le tapis. Il est vrai qu'elle avait de quoi être intriguée, qu'est-ce qu'il pouvait bien faire à Naelis après tout ? A peu près persuadé, malgré sa finesse digne du rhinocéros mâle adulte, que lui dire « En vérité je te cherche partout depuis plusieurs mois car j'ai promis que je veillerai sur toi à ton père sur son lit de mort, d'ailleurs il a claqué peu après ton départ et tu ne le sais même pas, fille indigne va ! » ne serait pas une bonne idée. Même en enlevant la fin.

-En vérité, j'avais une vieille promesse à tenir auprès de quelqu'un qui comptait beaucoup pour moi...

Oui, dis comme ça l'esprit romantique allait certainement s'imaginer une belle jeune fille à la peau d'albâtre et aux cheveux de jais qui aurait ravis le cœur de l'hybride, sans doute en train de chanter une chanson d'amour sur la falaise face à la mer déchaîné. Et même si Rhamyr avait effectivement une tignasse foncée -pas tant naturellement que par un manque d'hygiène évident- et qu'il se tenait régulièrement face à la mer déchaîné, il appréciait moyen les chants d'amour et n'était pas vraiment dans les standards amoureux d'Ysmir. Même un jour de cuite particulièrement coriace.
Mais de ce qu'il en savait, le romantisme n'était pas le point fort de Kassandra, il ne jurait donc de rien quant à ce qu'elle pouvait penser.

-Bon, et maintenant que t'es sortis de cabane, qu'est-ce que tu deviens ? De retour dans la piraterie ou tu t'es trouvé autre chose à faire de tes journées ?

Lorsque Kassandra lui annonça le plus naturellement du monde qu'elle était soi-disant devenue une prostitué, le visage de l'hybride se décomposa et blêmit. Oui, oui, il blêmit, c'est possible même s'il fallait mettre la dose. A ses pieds une petite flaque se changea en glace avant d'exploser en panache de vapeur. Ce n'était plus un regard qu'il sentait, c'était un sabre entre les omoplates.
Puis il se ressaisit.

-Tu me fais marcher ?!

L'on ressentait quand même clairement la pointe d'anxiété dans sa voix. Dès fois il se demandait comment il en était venus à s'inquiéter pour une gamine qu'il avait dus voir une quinzaine de fois dans sa vie au maximum, et qui plus est qui ne l'appréciais apparemment pas. Mais il avait fait une promesse, à ce qui comptait autrefois parmi ses seuls amis.

A son déni de sa précédente affirmation, l'hybride s'autorisa un soupir de soulagement. Non mais elle voulait le claquer ? Il était plus tout jeune quand même... Oui bon il est immortel et il sera toujours aussi jeune alors que la troisième génération de descendants de Kassandra sera déjà au caveau. Si tant est bien sur qu'aucun accident n'abrège prématurément son existence. Les hasards de la vie.

Elle l'attaqua de nouveau sur sa présence à Naelis. C'était à parier, elle ne se contentait pas plus de ses révélations sibyllines que lui de ses demi-vérités sur son absence. Elle lui parlait d'espionnage, et ne se doutait peut-être pas à quel point elle avait raison. Encore qu'il préférait s'imaginer comme un bienveillant protecteurs, plutôt que comme un espion sur le dos en permanence. Oui, il avait une vision un peu idéaliste de lui-même.

-Très bien, je suis venus ici car je suis l'amant secret du nouveau dirigeant de la ville, on s'est connus dans une taverne de Langehack et nous nous sommes aimés au cours d'une nuit torride. Je me souviens encore de son torse poilus si agréable au toucher... Mais évidemment il ne peut se déclarer et doit prendre femme pour avoir une descendance. J'ai donc décidé de m'installer ici en tant que prêtre de Tari. Le temple de celle-ci devrait se dresser à la place de celui au pied duquel tu étais vautré et c'est pour visiter les lieux que je me trouvais dans cette ruelle.

Il maintint son visage le plus magnifiquement convaincant durant tout son discours, ses yeux luisant de paillettes lors de la mention de Langehack et sa voix maussade en parlant de la femme de son amant. Elle n'était pas la seule à pouvoir essayer de faire avaler n'importe quoi. Et si son histoire était complètement invraisemblable, il avait eu plus d'une fois réflexion déplacée sur ses appétences sexuelles, soit-disant à cause de sa tenue. Il ne comprenait pas, il la trouvait très bien sa tenue...

-Et je t'interdis de croire un seul mot de ce que je viens de dire. Si tu veux vraiment savoir pourquoi je suis là, un vieil ami m'a demandé de veiller sur quelqu'un, et je cherchais cette personne lorsque je suis arrivé à Naelis.

Bon, on allait y aller progressivement. Elle n'était pas idiote et elle s'envisagerait sans aucun doute comme celle qu'il surveillait. La question était même de savoir si elle envisagerait que cela puisse être quelqu'un d'autre, pas sûr du tout.
Mais il ne lui laissa pas le temps de réagir puisqu'il arbora son expression la plus curieuse avant de lui demander :

-Bon, et puisqu'on en est aux confidences mutuelles, qu'est-ce que t'as fait pour te retrouver en cabane à Diantra ? Comment t'as pus te retrouver aussi loin de ton terrain habituel ?

A la pique de sa compère, Ysmir leva son bras pour mimer une bien illusoire menace de soufflante. Illusoire pour plusieurs raisons, il n'était pas violent, il n'aurait jamais porter la main sur Kassandra et surtout il n'était pas entièrement convaincus qu'elle ne puisse pas lui coller une raclée mémorable même pour sa mémoire tricentenaire. Si bien sur ses pouvoirs d'aquamancien ne venaient pas se mêler à la fête.

Puis, après un instant de réflexion suite à ce qu'il lui avait dit, elle accepta de répondre dans le détail, ou du moins dans ce qui en tenait lieu pour la mystérieuse pirate, à la question de l'hybride. Elle s'était faite attraper sur une misérable excuse de gardes qui n'avait pas leur dose de prisonniers. Il ne put empêcher un sourire narquois de s'étaler sur son visage avant de lâcher un rire franc et un peu trop moqueur.

-Ça confirme ce que je pensais, les gardes sont vraiment des abrutis, ils arrêtent par hasard une véritable criminelle, et c'est sur un motif falsifié.

Puis il se ressaisit un peu, se rappela que le temps passé en prison n'avait sans aucun doute pas été de tout repos, voir franchement éprouvant et s'efforça d'effacer le sourire de ses lèvres pour le remplacer par un air un tant soit peu compatissant. Exercice ardus quand la majorité de votre existence avait été dicté par une solitude tenace, un cynisme mordant et un égoïsme puissant. Mais il estima se débrouiller pas trop mal.

-Hum, excuse moi, je suppose que ça n'a pas été rose tous les jours... Mais tu disais avoir constitué un équipage avec tes anciens compagnons de cellule, c'est... surprenant, je m'imaginais pas les prisons comme de haut lieux de solidarité.

Il ne les avait jamais connus. Il était sans aucun doute impossible de retenir captif très longtemps Ysmir. Outre le fait qu'il était aussi sinueux et insaisissable qu'un serpent de mer, il dépérirait sans doute rapidement enfermé entre quatre mur de pierre. Il n'avait jamais vécus qu'auprès de l'eau, qui l'avait élevé et forgé plus que n'importe qui d'autre. Perdre ce contact n'était pas envisageable pour l'hybride.

D'ailleurs, avec ses récents vagabondages, il n'avait pas plus d'équipage permanent, il allait de bateau en bateau, qu'il soit pirate ou marchand, vendant ses services d'aquamancien pour une coquette somme. On ne manquait jamais d'emploi dans la marine lorsque l'on possédait un don comme le sien, et il avait su le perfectionner au cours des ans pour l'adapter à ce qu'on lui demandait le plus souvent.
Mais il avait tendance à préférer la stabilité, il n'est pas évident de gagner le respect lorsqu'on est un hybride, et c'est mission impossible lorsque l'on bouge trop. La méfiance prime sur ces êtres aux origines étranges. Mais à force de patience, il était possible de se faire accepter...

-Au fait, vous cherchez pas un marin en plus sur votre bateau par hasard ? Non parce que je suis un peu en ballottage pour le moment, alors si ton capitaine est intéressé par un aquamancien... Tu sais de quoi je suis capable non ? Tu pourrais pas lui en toucher deux mots par hasard ?

Il doutait vraiment qu'elle accepte de suite de lui accorder cette faveur. Il savait ce qu'elle pensait de ces apparitions soudaines autour d'elle et de ses questions insidieuses, du moins pensait-il le savoir. Et ça ne jouait pas vraiment en sa faveur pour qu'elle l'aide. En fait, cette demande ne lui serait certainement pas venus à l'idée en temps normal -il n'avait qu'un goût modéré pour les entreprises désespérées, du genre « essayer de changer les idées qui se cachent sous cette crinière rousse »- mais leur petite conversation lui avait fait comprendre qu'il ne pourrait continuer à tenir sa promesse en se contentant de la croiser occasionnellement.

Ysmir pinça les lèvres en voyant Kassandra réfléchir à ce qu'il lui demandait. Il aurait préféré une réponse rapide, quitte à se prendre un refus. On pouvait toujours tenter de négocier après, et on gardait l'avantage. Là, il sentait qu'il n'allait pas avoir le choix et ça ne lui plaisait que moyennement, il devait le reconnaître. Ses intuitions se confirmèrent lorsqu'elle lui parla de conditions à son entrée dans l'équipage.
Même s'il doutait être obligé de passer par Kassandra pour monter sur ce bateau -il n'avait jusqu'à maintenant essuyer que peu de refus lorsqu'il demandait à rejoindre un équipage- il jugea préférable de ne pas s'opposer à la rouquine pour le moment, il n'avait pas envie de se la mettre à dos. Pas parce qu'il connaissait son père adoptif, mais plutôt parce qu'il la connaissait un peu et qu'il la pensait capable de se montrer insupportable. Presque autant que lui.

Il hocha donc la tête et attendit ce qu'elle lui voulait.

Il eut un sourire narquois aux deux premières conditions. Décidément, elle ne supportait vraiment plus sa présence. Ce qui pouvait se comprendre en un sens, mais il ne comptait pas la laisser s'en tirer comme ça. De toute façon, ce genre de promesse avec Kassandra tenait plus de la blague, les pirates en général n'étaient pas honnêtes de nature. Ceci dit, tant qu'il la voyait revenir chaque fois sur le bateau, il tenait sa promesse, il n'avait pas besoin de connaître le moindre de ses faits et gestes. En fait, sa vie en serait même beaucoup plus tranquille.

-Voyons, pourquoi voudrais-je te suivre ? Tous les hommes ne se mettent pas à tes pieds d'un simple regard...

Il détournait bien volontiers le sens de ses paroles, même s'il avait parfaitement compris ce qu'elle exigeait de lui.
La troisième condition, elle, lui souleva un sourcil d'intérêt. Lui servir de professeur en aquamancie. Non pas que l'idée le gênait, loin de là même, il aimait plutôt bien. Peut-être une manière de combler le vide d'enseignement de son enfance en apprenant aux autres. Ou une manière de se convaincre qu'il avait bien sa place en ce monde.
Non, ce qui l'intriguait, c'était qu'elle lui en fasse la demande. Ou plutôt qu'elle l'exigeât, ces conditions n'étaient pas discutables. Il ne lui connaissait aucune affinité magique, bien qu'il n'était pas rare que parmi les amoureux de l'océan ce genre de don se développe. Mais maintenant qu'elle en parlait, il remarqua que sa chevelure était étonnamment sèche. Il voulait bien admettre qu'elle possédait une joli mouvement de poignet -tout jeu de mot salace serait bien évidemment fortuit- mais il s'y connaissait assez en flotte pour savoir qu'on essorait pas aussi parfaitement des cheveux sans en arracher la moitié.

-Je ne pense pas avoir vraiment le choix alors... C'est d'accord.

Il lui tendit la main tout en lui adressant un sourire sincère pour une fois. Bien qu'il soit roublard de nature, il avait un certain respect pour ses propres promesses, à fortiori lorsqu'elle s'adressait à des gens comme Kassandra. Il s'étonnait lui-même de la confiance qu'il lui accordait, et se demanda s'il ne s'agissait pas d'une erreur.

-Par contre, n'espère pas t'en tirer sans m'expliquer depuis quand tu te connais un don pour la magie, et de toute façon si tu veux que je t'entraînes il va bien falloir que tu me dise ce que tu sais déjà faire. Alors, tu préfères te mettre à table tout de suite ou chercher une véritable table, parce que mine de rien je commence à avoir un grand vide du côté de ma panse moi.

Ainsi donc s'étaient-ils relevés et erraient-ils désormais dans des ruelles de plus e plus éveillées à la recherche d'un endroit où manger. Les boulangers étaient déjà au travail avec leur ponctualité habituelle, notable de tous les boulangers du multivers. Ainsi ils servaient d'horloge universelle à tous les voyageurs de dimensions, où que vous soyez vous pouvez être sur que le boulanger local saura parfaitement quelle heure il est. Voilà pourquoi il fallait avoir la tête bien sur les épaules, et qu'on ne vienne pas me faire croire que c'était pour ne pas oublier de pain dans le four. Nul n'ose imaginer ce qui se passera lorsqu'un boulanger se trompera dans l'heure, mais il y a fort à parier que notre réalité passera à l'essoreuse.
C'est fort de ces considérations métaphysiques que notre duo insolite progressa à travers les venelles encore ombreuses de la cité. Ils offraient un spectacle assez insolite pour attirer l’œil de la plupart. Au regard mauvais et méfiant que l'on lançait à Ysmir succédaient ceux appréciateur qui enrobaient Kassandra et ses vêtements mouillés, plus précisément son haut. Un menuisier , qui transportait sur son épaule ce qui ressemblait à un lourd volet, perdit un peu trop longtemps son attention sur les formes de la rousse et glissa sur ce qui était quelques instant avant une flaque d'eau et désormais aussi lisse qu'un miroir. Il n'eut pas le temps de s'interroger que le duo avait déjà tourné un angle.

Finalement, ils trouvèrent une auberge qui semblait convenable. Convenable pour deux pirates habitués aux estaminets de Meca, cela allait sans dire. La bonne odeur de vomi et de mauvaise bière résistait depuis la veille, même si celles de fritures et d'œufs commençaient à les recouvrir en même temps qu'une épaisse et huileuse fumée s'échappait d'une fenêtre arrière du bâtiment. Sans aucun doute une excellente auberge pour se revigorer d'une nuit difficile, tout au moins quand on a les moyens de deux pirates qui n'ont pas vus un butin depuis déjà trop longtemps.
Ils entrèrent sans attirer l'attention de personne, la population de clients étaient trop faible et pas assez réveillés pour quoi que ce soit. Seul le patron, un ancien marin à en juger par son apparence et qui avait su conserver quelques restes de sa musculature malgré la cinquantaine passée qui lui ceinturait les abdominaux, les jaugea du regard et attendit leur commande. Le menu e se composait de toute façon que de divers graisse cuites dans leur maigre viande et de quelques féculents aussi roboratifs que dénués de goûts. Il se demandait ce qui, là-dedans, avait pus lui rappeler l'odeur de vrais et honnêtes œufs. A moins que la pâte vaguement jaunâtre qu'on lui avait servis... non, ça devait être de la graisse un peu rance... ou peut-être un mélange, impossible de deviner ce qui entrait dans votre bouche et c'était là le charme de ces petites tavernes, véritables temples de la gastronomie porcine.

-Bon, maintenant qu'on va pouvoir se... restaurer, si tu commençais par me dire comment tu t'es découvert un quelconque talent ?

Il afficha une mine étrange tandis qu'il réfléchissait à sa phrase puis ajouta sur le ton de celui qui savait avoir gaffé mais qui n'y accordait pas grand cas.

-Je parle de talents magiques.

Il se tut et porta à sa bouche une tranche de pain recouverte d'une substance étrange qu'on lui vendait comme du beurre. Il reconnaissait que c'était nourrissant, pas franchement bon, mais nourrissant. On atteignait rapidement un point où l'on se savait incapable d'avaler plus avec ce genre de nourriture en fait. Idéal pour partir en mer, ça tenait au ventre. Et si vraiment il y avait besoin, ça donnait un vomi consistant et facile à recracher. Ce qui expliquait le fait que toutes les tavernes pirates sans exception servaient de ça. Et que l'on ne vienne pas me parler de problème de conservation, d'hygiène déplorable et de produits moins chers. Il y avait des choses dont on évitait de prendre conscience.

Visiblement la découverte de ses pouvoirs n'était guère associer à de joyeux souvenirs. Elle n'en parlait pas de gaieté de cœur, même s'il était vrai qu'elle ne parlait que rarement de gaieté de cœur avec lui. Mais à peine une pique, c'était bien trop peu pour qu'elle n'attache aucune importance aux souvenirs qu'il remuait bien malgré lui.
Par contre, elle semblait en avoir deviné un peu plus sur lui-même. Après tout ce n'était pas comme s'il cherchait tout à fait à lui cacher la vérité, il avait admis que surveiller une pirate aussi changeante que Kassandra relevait de la déité, et encore que même Eris aurait pus perdre la trace de sa protégée -il considérait à peu de chose près n'importe qui sur la mer comme le protégée d'Eris, jusqu'à ce qu'il se noie, soit dévorés par les bestioles de haute-mer ou fasse naufrage bien entendus-. Aussi estimait-il qu'elle ne pourrait pas lui rendre la tâche plus ardue même si elle le voulait, et il existait une infime chance qu'elle se montre un peu moins désagréable si elle savait pourquoi il apparaissait à tout bout de champ.
Oui bon, l'espoir fait vivre comme on dit.

-En gros, tu t'es fait enfiler par un type qui savait qui tu étais et qui s'en est servis pour t'obliger à faire je ne sais quoi et qui en échange t'as appris à utiliser ta magie latente ?

Il ne comprenait pas pourquoi il lui avait appris ça, ni même ce qu'il avait pus avoir à gagner dans l'affaire. Il doutait tout savoir mais se résigna à ne pas en demander plus tout en s'appuyant contre le dossier de sa chaise en reposant la cuillère de graisse qu'il approchait de sa bouche et dont le léger bourdonnement lui coupa toute envie.

-Bon, je suppose que t'as abordé les bases, manipulation de l'eau en premier lieu ?

Elle confirma et Ysmir alla chercher un cruchon d'eau auprès du patron, ainsi qu'un verre. L'eau était de couleur légèrement brune et semblait plus épaisse que la normale, avec de curieuses bulles qui éclataient à sa surface. Mais peu importait sa qualité, il ne comptait de toute manière pas la boire.
Il revint à table, posa le cruchon et le verre côte-à-côte.

-Exercice simple, mais c'est tout ce que je peux improviser ici. Tu mets l'eau du cruchon dans le verre, sans toucher à aucun des deux récipients évidemment.

Il joignit ses mains doucement et observa Kassandra, les yeux légèrement dans le vide tandis qu'il ouvrait tous ses sens magiques pour juger au mieux de la prestation qui lui ferait face.

Le début du petit tour de passe-passe se fit sans fausse note pour la rouquine. Elle maîtrisait le flux de magie et imposait sa volonté à l'eau sans écarts. Elle semblait en revanche totalement absorbé par son œuvre et n'avait à priori aucune attention pour le monde extérieur. Ce petit détail se corrigerait de lui-même au fil des expérimentations cela dit.
Puis la pirate se mit à trembler. Faiblement d'abord, mais le mouvement n'échappa certainement pas à Ysmir qui l'observait attentivement. Il empira, apportant à l'aquamancien la confirmation qu'il n'était certainement pas volontaire. La magie semblait pourtant toujours maîtrisée, il s'agissait donc probablement de fatigue. L'effort devait être trop intense pour l'état dans lequel elle se trouvait.

La cerise sur le gâteau survint en la personne d'une jeune serveuse un peu trop joyeuse pour ce début de mâtinée qui vint apporter la note en claquant son plateau sur la table, ce qui avait surpris même Ysmir trop occupé à l'évaluation de son ''élève''. Il n'en fallut pas plus pour faire perdre sa concentration à une Kassandra déjà en bout de course et l'eau se répandit sur la table, aspergeant les deux compères. Quelques gouttes atterris sur ses lèvres firent dire à Ysmir que non, décidément elle n'était pas potable. Sortant quelques malheureuse pièces de sa bourse qui lui semblait bien vide, il régla l'addition tandis que Kassandra se répandait en injure dont ses oreilles ne perdirent pas une miette, à son grand dam.
Sans plus de cérémonie, il se leva de sa chaise.

-Bien, c'était pas trop mal. Et je ne doute pas que ça se serait passé autrement ,dit-il sur un ton qui se voulait conciliant mais avait du mal à paraître totalement convaincant. On va aller faire un tour à l'air libre avant que tu ne m'intoxiques avec ta fumée. Et puis j'ai comme l'impression que tu n'as pas mangé à ta faim ?

Cela faisait presque deux mois qu'Ysmir ne s'était pas remis à la piraterie et n'avait pas pus palper de l'or tout frais, aussi avait-il appris à vivre sur ses réserves de pécule dans des auberges aussi ragoûtantes que celle-ci, mais sa collègue ne semblait pas goûter à ce niveau de luxe -qui aurait facilement atteint le moins quatre étoiles si un guide culinaire avait parus-.

-J'ai pas les moyens de payer mieux, mais si tu n'as rien contre le poisson je devrais réussir à te trouver quelque chose.

Ils gagnèrent le port de la ville, qui fourmillait d'activité en ces heures matinales qui voyaient le départ des bateaux de la veille et l'arrivée d'autre. Gagnant le bout d'une jetée un peu isolée des autres où l'agitation n'était pas trop dérangeante, l'hybride s'assit les jambes dans le vide et fixa la surface de l'eau légèrement trouble sous lui.
Ils attendirent ainsi plusieurs minutes et il sentait bien que ce n'était pas forcément du goût de la jeune femme, surtout qu'il n'avait toujours donné aucune espèce d'explication. Puis, soudainement il s'agita. Il fit tourner sa main gauche comme s'il caressait la surface d'une balle, ou plutôt d'un boulet de belle taille, tandis que la droite faisait de petits gestes vers le haut. Son regard ne s'était pas détaché de la surface de l'eau, laquelle creva bientôt pour libérer une sphère de liquide dans laquelle nageait en rond, affolé, un poisson de belle taille. La sphère lévita, suivant toujours les gestes d'Ysmir, puis creva au dessus du ponton sur lequel s'écrasa la prise.

-Tu t'occupes du feu ? Demanda-t-il entre deux longues respirations à Kassandra.

Tandis que Kassandra se chargeait de préparer un feu décent, Ysmir s'assit en tailleur sur l'une des caisses à proximité, poisson dans une main et cimeterre de l'autre. L'outil n'était pas le plus pratique, mais il ne disposait que de ça pour retirer les écailles. Tandis qu'il préparait le poisson, il observa avec un sourire Kassandra user de ses atouts pour obtenir ce qu'elle cherchait. Les pauvres marins n'avaient sans doute aucune idée de l'incroyable manipulatrice qu'ils venaient de satisfaire. Oui, il exagérait sans doute un petit peu, mais il s'en portait bien.

Lorsque la pétillante rousse revint, il était occupé à fabriquer tant bien que mal un portique avec quelques bouts de bois ramassés autour de lui. L'habileté avec laquelle tous deux réussirent à improviser un feu de camp en bonne et due forme, avec foyer et broche, mériterait de figurer parmi les plus grands exploits du légendaire héros Macques de Gyve mais devra se contenter pour toute postérité de ces quelques lignes. En attendant elle leur permit surtout de mettre le poisson, écaillé et vidé presque parfaitement -on fait ce qu'on peut avec ce qu'on a-, à cuir. Ne leur restait plus qu'à patienter tandis que les flammes léchaient la chair et qu'une délicieuse odeur s'échappait avec la fumée.

Ysmir restait relativement loin du feu. Il n'aimait ni sa morsure, ni sa chaleur, lui qui trouvait déjà le climat de Naelis bien assez étouffant comme ça, alors que le soleil grimpait toujours plus dans le ciel de midi. Et puis, il préférait le contact humide et frais de l'eau de mer à celui sec et chaud de la fumée. Kassandra relança la première la discussion, lorsqu'elle évoqua le retour à Thaar, vers le bateau qui les y attendait. A la mention de Meca, le seul endroit qui lui ai jamais vraiment parus hospitalier, Ysmir se sentit soudain nostalgique. Que n'aurait-il pas donner pour retrouver aussitôt les embruns salés des vagues et la folle ambiance de la cité pirate.

-On partira après le déjeuner, mieux vaut ne pas traîner.

Son regard se laissa dériver sur le port, lorsqu'il fut attiré par quelque chose. Se rapprochant de Kassandra, il tendit un doigt vers la jetée à l'extrémité opposée du port.

-Ce truc pourrait peut-être nous y aider d'ailleurs...

Il pointait du doigt une petite embarcation, guère plus qu'un canoë, qui semblait abandonnée de tous. Non pas qu'elle put servir au moindre véritable voyage d'ailleurs, mais l'Olienne était une mer calme et la côte entre Naelis et Thaar ne faisait pas exception à la règle, même un frêle esquif comme celui-ci pourrait supporter bonne partie du voyage sans risque, et leur ferait gagner beaucoup de temps. Et puis à tout prendre, elle pourrait même s'entraîner un peu pendant le voyage si les quelques courants leurs permettaient de se laisser porter.

-Bon, je sais que ça a pas l'air très frais, mais j'ai déjà navigué sur pire et dans des trucs plus ardus... bon j'ai coulé d'ailleurs mais je suis sûr que ça peut le faire.

Ajouta-t-il devant l'air un brin sceptique de la rouquine, et on la comprenait parfaitement. Voyant que le poisson avait cuit juste assez, il retira la broche et la tendit à la pirate. Lorsque celle-ci eut finis de se sustenter, il reprit.

-Bon alors qu'est-ce que tu en dis ?

La pirate engloutit le repas pendant qu'Ysmir patientait, allongé sur le sable, son regard perdue dans la contemplation du ciel dégagé. Lorsqu'elle eut finis la fine équipe se releva et gagna l'embarcation précédemment repérée. Kassandra eut alors une réflexion dont l'aquamancien se serait volontiers passer, qui concernait le père adoptif de la demoiselle, un vaillant capitaine qui était un tout petit peu décédé et devait se marrer depuis l'autre royaume en l'observant. Maudissant intérieurement le pirate sus-cité pour lui avoir fait faire la promesse qui le liait à la jeune rousse et à la délicate situation présente, Ysmir se fendit d'une réponse, sur un ton qui se voulait blagueur mais qui peinait à cacher ses véritables impressions.

-Oh oui... tel que je le connais, il doit être en pleine bière...

C'était pas le message le plus fin qu'il ai jamais dis, mais c'est tout ce qu'il avait trouvé sur l'instant. Il allait devoir discuter sérieusement avec la rouquine d'ici peu. Il profiterait sans doute de leur voyage. En tout cas, il devait le faire avant qu'ils n'arrivent à Meca. Et il était à peu près sûr qu'elle n'avait aucune envie de recevoir cette nouvelle en public, la plupart des pirates avaient une certaine fierté -régulièrement assez mal placée d'ailleurs- et ne tenaient pas vraiment à se retrouver en position de faiblesse devant tout le monde.
Ils arrivèrent finalement auprès de l'embarcation légèrement délabrée. Au moins ne prenait-elle pas l'eau, c'était déjà ça de gagné pour leur voyage. Écoper était sans doute l'un des loisirs les plus chiants que l'on puisse trouver, loin, très loin, devant le scrabble. Ils ne leur fallut pas longtemps pour mettre leur esquif à l'eau et grimper à son bord, munis de deux rames à moitié bouffées par les vers.

Les quelques pêcheurs de Naelis virent passer un singulier équipage alors qu'il quittait péniblement le port, se disputant continuellement sur quel côté il devait pagailler, sur l'un qui était en retard par rapport à l'autre ou l'autre qui s'était trop penché et avait envoyé l'un à l'eau. Un équipage de choc que formaient ces deux-là et l'on est en droit de sincèrement se demander comment ils ont réussis ne serait-ce qu'à quitter le port. Mais ce fut pourtant le cas. Ce n'est qu'alors qu'ils longeaient la côte, et avaient réussis à ramer à peu près en rythme, qu'Ysmir décida de remettre sur le tapis le délicat sujet de leur macchabée commun, même si l'une ignorait encore ce fait justement.

-Au fait Kassandra, en vérité je doute que tu retrouves Rhamyr en train de boire à notre retour...

Il était toujours aussi doué pour le contact humain et était en train d'essayer de trouver la meilleure façon possible de lui annoncer la nouvelle. Ce qui était particulièrement ardus, après tout dire à quelqu'un que le père adoptif qu'elle a quitté pour aller vivre sa vie de pirate est mort quelques jours après son départ n'est pas exactement dans le top cinq des bonnes nouvelles faciles à annoncer. Non là on atteignait plutôt les bas-fond de la mauvaise nouvelle, dégoulinante de pseudo-responsabilité et de surprise malsaine.

-Parce que, y a de ça quelque temps, il a eu quelques problèmes de santé... rien de grave normalement, ça aurait du s'arranger très vite... seulement...

A ce stade, normalement, elle avait déjà dus deviner ce qui allait suivre, même si elle ne l'acceptait pas encore. Il faut dire que le ton d'Ysmir, qu'on sentait aussi mal à l'aise qu'il était physiquement possible de le supporter, et son regard fuyant qui cherchait vainement quelque chose à observer qui soit situer très loin des yeux pourpres de la pirate étaient par eux-même suffisamment explicite sur la nature de ce qui allait arriver. Prenant soudain son courage à deux mains, il poussa un profond soupir, releva le regard vers Kassandra et se résolut à dire toute la vérité.

-Il est mort, y a déjà plusieurs années Kassandra. Et, juste avant son dernier soupir, il m'a demandé de veiller sur toi, qu'il ne t'arrive rien.

Ysmir resta silencieux, se concentrant sur sa rame, occasionnellement sur ses pouvoirs, pour maintenir la route du bateau alors que Kassandra s'était perdue dans ses pensées. Il était décidé à attendre aussi longtemps qu'elle le souhaiterait pour ouvrir de nouveau la bouche. La nouvelle n'avait pas été facile à annoncer et il savait d'expérience qu'elle n'en était que plus dur à encaisser. Aussi loin peut aller l'empathie, elle ne pourra jamais égaler la douleur du concernée. Jamais.

Elle reprit doucement la parole. La première phrase ne lui était pas adressé, simple constat de la triste réalité de l'existence. Enfin, réalité pour elle. Ysmir, lui, se savait immortelle. Et voir vieillir puis mourir ceux qui lui étaient proches n'étaient pas rendus plus doux par l'inéluctabilité de la chose. Au contraire même, il se savait condamner à rester dans la solitude, puisqu'aucun de ses deux peuples parents ne voulait bien de lui. Rejeté des immortels, il ne pouvait que vivre parmi les mortels et devait accepter la mort comme un état de fait, auquel il ne pouvait véritablement échapper, même si elle ne frapperait toujours qu'à côté de lui.

Puis vint la grande question de Kassandra. Pourquoi lui ? A vrai dire il n'avait pas la réponse, Rhamyr connaissait de meilleurs marins et de fieffés pirates qui auraient tout aussi bien pus veiller sur la jeune femme, la prendre sous leur aile. Au lieu de ça il s'était adressé à lui, aussi subtil qu'un cyclone estival et discret qu'une trombe. Néanmoins, il avait quelques explications à lui donner.

-Je connaissais ton père depuis longtemps. Avant de reprendre la mer, suite à ma promesse, j'étais ce qu'on pourrait appeler un prêtre au temple d'Eris. Je l'ai connus à cette époque là. On s’entendait bien, et j'ai l'honneur d'avoir pus l'appeler ''mon ami''.
C'est moi qu'il était venus trouver en premier, le jour où il t'as adopté. Je t'ai vus grandir de loin, je passai dès fois voir ce vieux briscard. Mais je n'étais pas aussi présent à l'époque, j'avais quelques autres activités que de te filer le train. Puis il est tombé malade, tu es partis et il est mort. Mais avant il m'avait fait promettre de veiller sur toi.
Je sais pas pourquoi il me l'a demandé à moi, ni même si je suis le seul à avoir eu cette singulière volonté, en tout cas je n'ai jamais vus personne de ses amis qui te cherchait.

Il se tut, laissa à Kassandra le temps d'assimiler cela et d'éventuellement lui poser d'autres questions. Certains auraient pus trouver la jeune pirate assez insensible, mais il aimait autant cela, il n'aurait certainement pas su gérer une Kassandra sanglotante qui aurait cherché le réconfort, ou une énervée qui aurait mué sa tristesse en colère à l'encontre du corbeau de mauvais augure. En plus, au vu de la précarité de leur embarcation, de tels éclats de sentiments auraient eu vite fait de les faire chavirer. Ce qui aurait pus rafraîchir l'atmosphère, bien trop lourde, cela dit.

Ysmir hocha tristement la tête aux paroles de la rouquine. Il ne pouvait que confirmer ce en quoi avait constitué l'entourage du capitaine, une bande de requins qui n'en voulait qu'à ses privilèges et les parts de sa richesse qu'il daignait leur abandonner inévitablement au cours d'affaires plus lucratives et dangereuses les unes que les autres.

-Que peut-on attendre d'autre de la majorité des pirates ?

Il ne s'agissait pas là d'une critique envers ce qui constituait depuis plus d'un demi-siècle ses seuls ''proches''. Ysmir n'accordait pas assez d'importance aux biens matériel ou à l'avis des autres pour n'avoir jamais été touché par l'avarice de ces gentilshommes des mers, qui vous dévoraient jusqu'à la carcasse sans vous épargner. Et puis, l'hybride était immortel, ce genre d'attitude lui glissait dessus, comme la majorité des coups durs. Il avait autrefois connus aussi bien la misère que l'opulence, les deux se côtoyant parfois si étroitement que le meilleur ami de la veille se retrouvait le créancier du lendemain.
Ce genre de problèmes ne s'était plus posés depuis longtemps, depuis qu'il avait renoncé à la piraterie ouverte. Il avait retrouvé la navigation en cherchant Kassandra, mais n'avait pas engrangé de véritable butin depuis des lustres. Il avait naviguer pour naviguer, ne se souciant que de ce qu'il cherchait. Ce qui, il fallait le reconnaître, n'était pas la méthode la plus approprié pour se tailler une part du butin parmi les sournois pirates -et encore moins parmi les honnêtes marchands-.

Au long de ses réflexions intérieurs, il n'avait eu de cesse d'écouter Kassandra. Ce qu'elle racontait lui rappelait quelques souvenirs, il avait retrouvé plus d'une fois un ivrogne endormis dans la fosse à cochon et avait du s'acquitter d'ardoises longues comme le bras en sus de copieux petits déjeuners. Il se retint de sourire en repensant à une certaine rouquine qu'il avait trouvé dans pareil état, ils étaient quand même en train de parler de deuil par Eris. Et si Ysmir pouvait sembler bien léger, c'est parce que l'hybride avait déjà eu plusieurs années pour le faire, tandis que Kassandra venait juste d'apprendre.
Il posa une main réconfortante, ou tout du moins qui se voulait comme telle, sur l'épaule de la jeune pirate, alors qu'elle levait sur lui un regard emplis de tristesse et d'un il-ne-savait-quoi d'assez perturbant sans qu'il ne parvienne vraiment à l'identifier.

-Écoutes, je vais pas te dire qu'il a eu une mort digne, ou qu'il est partis heureux, ça serait te mentir grossièrement. Je suis très mauvais à ça et j'ai trop de respect pour ton père pour me comporter ainsi. En revanche ce que je peux affirmer, c'est qu'il serait sans aucun doute fier de voir ce que tu es devenus. Et puis même si tes dernières années sont pas glorieuses, on a tous eu nos passages à vide, fusse-t-on le plus grand des pirates.

Le reste du voyage se déroula dans un calme relatif. Ils mirent près d'un jour à arriver en vue des ports de Thaar et quelques heures de plus à passer les portes de la ville, les pieds endoloris et les vêtement humides -une pierre invisible sous la surface de l'eau ayant en effet envoyé leur pauvre embarcation par le fond-.