Pour quelques traits de plus - Leana

Depuis quelques jours déjà, elle errait en Aduram. La nuit dernière, elle était revenue en Anaëh. Elle devait se trouver non loin de Linaëh, dans son protectorat tout du moins. L'elfe n'avait pas souvenir d'être déjà venu par ici. En vérité, elle n'avait pas quitté l'est d'Anaëh, sinon pour l'Estrévent ou Aduram. Elle n'avait fait que traversé l'ouest, une fois, pour joindre la Nanie. Autant dire qu'elle ne connaissait que la moitié de sa contrée. Parce qu'elle n'avait jamais eu l'occasion, ou l'obligation d'y faire un tour.

Elle avançait à bon train lorsqu'elle sentit une présence autour d'elle. Des elfes. Plusieurs. Certainement des elfes des bois. Elle ne les voyait pas encore, les entendait seulement. Elle mit rapidement pied à terre et attrapa les rênes de son étalon. Elle n'avait pas le moins du monde envie que ces elfes croient qu'elle venait vers eux avec agressivité. Chose qui, bien entendue, n'était pas le cas. Elle entendait qu'elle approchait de plus en plus lorsqu'un cri déchirant se fit entendre. Les arbres hurlaient la douleur d'un de leurs frères. Une grimace tordit sa bouche tandis qu'elle se précipitait vers l'endroit qu'elle supposait mutilé.

Elle ne faisait plus attention alors à ceux envers qui elle ne voulait pas se montrer hostile un instant auparavant.Ne comptait plus à présent que cet incessant déchirement que criait Anaëh. Cette plainte sourde qui lui remuait les entrailles et qui la faisait frissonner de douleur. Elle se prit alors à penser qu'elle abattrait sans aucune pitié celui qui était responsable. Mais brusquement, le silence se fit. L'elfe arrêta aussitôt sa course et se figea dans une position d'écoute parfaite. Ce qui la déstabilisa fut l'absence de chant. Le brusque arrêt de la mélodie. Enfin, du hurlement plus précisément. Et même si cette absence fut passagère, cela suffit grandement à la déstabiliser.

Ce qui l'aida à reprendre pied dans la réalité fut le second cri, humanoïde cette fois-ci, qui vint chatouiller ses oreilles. Elle ne devait pas être loin de lui car elle entendit nettement le sifflement d'une flèche. Elle l'estima à dix pas et s'approcha prudemment. En grimpant à un arbre, elle put apercevoir un corps étendu à terre. Puis un autre. Et encore un autre. Tous touché par une flèche, dont la hampe dépasse de l'épaule, de la cuisse, ou du dos, pour les plus malchanceux. Elle comprenait mieux. Des bûcherons. Humains qui plus est.

Elle n'entendait pas réellement ce qu'ils faisaient si avant en Anaëh, bien que le frontière ne soit pas loin, mais elle entendait parfaitement le sort qui leur était réservé. Elle se prit à sourire en entendant le bruit mat d'un nouveau trait se planter dans le torse d'un autre homme. Mais elle se ressaisit rapidement pour tourner la tête vers la source de ces tirs. Elle repéra un archer et en devina quelques autres. Mais ce qu'elle vit surtout, ce fut cette semie qui détonnait tant avec la discrétion des elfes, qui avait une posture si... étrange.

Elle descendit de son perchoir pour aller à sa rencontre. La curiosité l'emportant sur la prudence, elle ne fit pas attention à une possible escorte. Sa pensée était fixée sur celle qui avait attiré son regard plus que de raison. Quand celle-ci l'aperçut, elle hocha la tête et avança encore, jusqu'à être à un niveau satisfaisant pour échanger quelques mots. Elle porta deux doigts à ses lèvres avant de lui adresser ses salutations.

 - Êl síla erin lû e-govaned vîn, nín arwen. Je dois vous avouer que vous m'intriguez. Que faites vous là, à massacrer ces hommes, alors que ce sang même coule dans vos veines ?

Elle ne savait ce qui l'avait poussé à l'appeler ainsi, une posture, une attitude. Un petit quelque chose qui lui disait qu'elle n'avait pas à faire à n'importe qui, qu'elle ne se trouvait pas en face d'une semie ayant fuit sa contrée. Qu'elle devait tout de même faire un minimum attention à ce qu'elle disait.

Spoiler:

Ne pas tuer ceux qui assassinaient la forêt, voilà le message qu'elle voulait faire parvenir et rentrer dans les moeurs de ces tribus les plus sauvages. Eviter un bain de sang et un carnage inutile qui ferait plus souffrir la forêt qu'autre chose et qui serait bien pire que les hâches humaines... C'était à cause du sang que l'Aduram avait été "perdue" et que son chant avait été corrompu pour ceux qui pouvaient l'entendre. Heureusement elle ne pouvait l'entendre, mais elle pouvait le voir dans les plantes et les effets de celle-ci : elles se faisaient plus efficace dans l'Anaeh.
Encore des bucherons, ces hommes étaient venus en petit nombre, certainement les plus courageux ou simplement des inconscients payés pour ramener le plus bel arbre qu'ils trouveraient pour une quelconque construction, ayant traversé l'Olya sur barque tirée par une corde qui reliait les deux rives qu'il faudrait rompre. Celle-ci devait être surveillée par celui qui gardait le cheval de trait qui servirait à tracter le tronc d'arbre jusqu'à la rive ou il serait débité. Pourquoi venir aussi loin pour simplement nourrir leurs familles ? Certes le bois de l'Anaeh faisait des meilleures poutres, bien plus grosses et libre pendant des années de tout parasites. Mais celà ne valait pas le prix d'une vie...

Celà faisait plusieurs heures qu'ils les suivaient, depuis qu'ils avaient pénétré le sous bois à la recherche de leur proie, avec une discrétion qui fut telle que seuls les bruissements des tenues des elfes aurait pu être entendue. La forêt ne fit même pas silence alors que le sang allait couler, comme si elle même ignorait que cela allait se produire. Leana était restée en retrait du groupe de chasse, encore beaucoup trop expérimentée pour prendre le risque que le groupe ne se fasse repérer, et bien qu'à oreilles d'hommes elle aurait été très discrètes, pour les elfes qui l'accompagnait, elle aurait joué du cor de chasse en se déplaçant le résultat aurait été le même. Elle ne les rejoint donc qu'au moment fatidique des premiers coups de hache qui couvriraient son approche, au moment ou les premiers traits seraient tirés...
Elle avait préparé à l'avance l'antidote nécessaire, à l'aide d'un des jeunes druides de la tribu. il s'agissait d'un onguent odorant à placer sous les narines et sur la langue de l'individu, afin qu'il le respire et que l'effet lui protège les poumons et passe par le sang par ce biais là pour protéger le cœur ainsi qu'autour de la blessure pour atténuer l'effet à l'endroit ou le poison était le plus concentré. Et il faudrait de toute manière plusieurs jours pour que l'homme ne se relève de ce traitement.

Les premières flèches furent encochées, et les traits furent tirés comme d'un seul homme pour seulement blesser les agresseurs, les immobiliser afin qu'ils soient inoffensifs. Enduits d'une toxine paralysante à effet rapide qui les ferait sombrer dans l'inconscience en quelques minutes, puis qui apporterait la mort par un arrêt du coeur et des fonctions respiratoires si l'antidote n'était pas administré rapidement.
Un des traits cependant n'avait pas obéit à la consigne, un des elfes, visiblement plus affecté que les autres et plus jeune venait de blesser mortellement un des hommes, par un trait dans le thorax... Celui-là ne pourrait certainement pas être sauvé malgré tous les efforts de la guérisseuse... Elle jeta un regard réprobateur à celui qui semblait être le meneur de cette chasse qui derrière rabroua le tireur, mais sans grande conviction, juste par respect et pour le geste. Tout n'était que jeu d'effort les uns pour les autres, si l'un voulait un geste alors il devait donner avant. Ils connaissaient les poisons, il n'y avait pas eut besoin de leur apprendre à s'en servir, cependant ils avaient été aveuglés par l'appel des bois et réagissaient avec rage...

Le temps pressait maintenant, et il fallait agir le plus rapidement possible pour épargner les trois vies qui arriveraient à leur fin s'ils ne faisaient rien... Le jeune druide s'était déjà précipité sur les blessés qui avaient perdu connaissance, mais la haine était encore palpable par le geste d'un des archers qui puni l'un des bucherons d'un coup de pied dans les côtes "pour être sûr".

Elle allait agir quand une elfe sortie de nulle part, et qui n'appartenait visiblement pas à la dite tribu, l'interpella. Visiblement curieuse, trop curieuse de savoir ce que faisait ici une sang-mêlée à participer au "massacre" d'un de ses "congénères"... Certains s'arrêtaient toujours aux apparences, surtout avec cette tenue mettant en avant son sang humain qui dans ses tenues citadines était moins visible.

"Je leur sauve simplement la vie" répondit-elle doucement, bien que visiblement contrariée, après lui avoir rendu son salut d'un signe de la tête. "Si vous désirez aider vous êtes la bienvenue."

Comme pour accompagner ses mots, elle s'approcha du corps d'un des hommes inconscients ou le jeune druide avait déjà appliqué l'onguent, vérifiant le travail de celui-ci mais aussi la blessure. La flèche n'avait pas traversé le membre du blessé et la plaie ne serait que superficielle si elle retirait le projectile avec soin avant de placer une substance sur la plaie. Puis, elle plaça sa main sur celle-ci, fermant les yeux comme pour se concentrer. Ceux qui pouvaient le ressentir comprirent que de la magie était à l’œuvre, et que la protectrice refermait la plaie. Elle s'arrêta lorsque la première goutte de sueur perla sur sa temps, poussant un soupir de soulagement. Elle essaya la dite goutte, sans prêter attention à ses mains ensanglantées et au sang qu'elle allait étaler sur cette zone qui lui donnerait un air un peu plus sauvage même si elle n'avait rien de la manière d'être des elfes qui l'accompagnaient. La blessure était refermée, mais un hématome était encore présent, signifiant que les soins avaient été superficiels, et qu'il faudrait des jours à l'homme pour remarcher, mais au moins la trace de la flèche avait disparue.

Le jeune elfe qui l'accompagnait l'aida à se relever, elle lui sourit tendrement lui signalant par ce biais que ce n'était pas encore la peine. Il agissait comme en prévision de ce qui risquait de se passer comme il l'avait vue faire à plusieurs reprises à s'épuiser et à tirer sur la corde pour sauver le plus de vies possible. Les autres les regardaient d'un air neutre, voire même réprobateur pour les plus violents ne voyant dans les hommes que des bêtes stupides et ignorantes qui reviendraient de toute manière.

Si elle désirait aider ? Soigner ceux qui avaient fait hurler Anaëh ? Ceux qui lui avaient provoqué cette douleur sourde dans ses entrailles. Sauver des assassins ? Oh que non. Elle n'était pas de ceux qui pouvaient éprouver une changement radical de forts sentiments. Passer de la haine, de l'envie fugace et imaginaire de tuer, à l'amour de son prochain et à la nécessité de le sauver. Non. Elle n'était pas ainsi. Loin s'en fallait. La haine l'habitait toujours. Et si elle éprouvait d'ordinaire un amour plus prononcé pour ce peuple mortel, elle n'avait, aujourd'hui, aucune pitié en les regardant souffrir.

- Vous n'entendez pas. Non, vous n'avez pas entendu. Vous ne vous précipiteriez pas ainsi sur eux si cela était le cas. Vous entendez la souffrance de ces hommes. Mais est-ce celle dont vous devez vous préoccupez ? La souffrance d'Anaëh ne serait-elle pas plus importante ? Je ne connais vos motivations, mais, ce que je peux vous dire, c'est que la douleur est encore trop vive pour que je tente d'apaiser ceux qui m'ont ainsi tourmenté.

La semie guérissait, encore, et toujours, s'escrimant à sauver des vies qui ne seraient qu'éphémères, des vies qui ne seraient vouées qu'à la destruction de la prime forêt. Parce que, ceux qui seraient sauvés maintenant reviendront plus tard. Face à l'appât du gain, face à la nécessité. Peut-être qu'elle aurait, une dizaine d'années au paravent, accouru pour tenter elle aussi de sauver ces vies. Mais elle n'était plus si encline à soigner ceux qui laissaient un goût désagréable dans sa bouche, ceux qui faisaient descendre sur elle une oppressante chape de plomb.

Elle attendit, silencieuse, que la guérisseuse cesse de faire agir ses mains pour parler de nouveau. Pendant ce temps, elle observa plus en détails les ce qui l'entourait. Lorsqu'elle était venu à la rencontre de celle qui l'avait intriguée, elle n'avait pas fait attention à ceux qui étaient avec elle. Et si elle avait cru un temps que les archers l'accompagnaient, elle savait désormais que c'était l'inverse. Un jeune elfe était à ses côtés, promenant lui aussi ses mains au dessus des blessures. Mais bien qu'il soit jeune, elle pensait qu'elle l'était encore plus.

- J'ai peur de ne pas entendre qui vous êtes. J'ai beau essayer de comprendre... Ces elfes vous obéissent, mais vous ne les contrôlez pas pour autant complètement. Alors, éclairez-moi, dites moi.

Elle avait du mal avec cette prestance qu'elle dégager et ses actes, la façon de s'habiller, qui était si en contradiction. L'impression qu'elle avait d'elle ne collait pas avec ce qu'elle sentait, et cela la mettait assez mal à l'aise. D'abord, la curiosité l'avait poussée vers elle, et maintenant que la gêne prenait la pas, elle regrettait d'avoir été si stupide, et si irréfléchie dans son approche. Elle s'était piégée et elle n'appréciait pas du tout. Mais comme elle était là, sans réel possibilité de s'échapper, elle devait faire avec, prendre sur elle. Elle espérait qu'une fois qu'elle saurait, elle ne serait plus tant dérangée, qu'elle saurait comment se comporter, qu'elle comprendrait.

Les arbres chantaient de nouveau. Ils avaient oublié la douleur. Effacé la souffrance. Comme oublié. Mais les arbres n'oublient pas non. Ils surmontent. Et se souviennent de chaque entailles. De chaque branche perdue. Ils se souviennent. Encore et toujours. Le temps passe, mais les images restent. La souffrance ne s'évapore pas. Profondément enfouie, elle est présente. Une fois qu'elle vient, elle ne repart plus. Ne s'efface plus.

Si elle ne voulait pas aider, alors qu'elle ne reste pas dans ses pattes à l'empêcher de se concentrer et à lui faire gaspiller de l'énergie dans un sort mal maitrisé à cause de ça. Elle s'interrompit quelques instants après avoir secouru le second humain, pour reprendre son souffle et surtout répondre à cette elfe qui ne manquait pas vraiment de vraiment de culot.

"Si vous ne voulez pas aider, alors au moins n'empêchez pas les autres de travailler."

Le ton était sans appel, un ordre n'aurait pas claqué différemment et jurait définitivement avec les gestes précédents emplis de douceur de la guérisseuse. Comme pour accompagner ses mots un des elfes accompagnant la guérisseuse posa sa main sur l'épaule d'Eliwa, comme pour lui faire signe de se calmer et d'attendre que les choses se fassent. Si elle insistait lui lui dirait en mot propres, mais pour le moment c'était inutile d'élever la voix plus que de raison.

Elle finit par arriver au dernier homme, le plus sévèrement blessé qui à cet instant n'avait plus aucune chance de s'en sortir, la flèche avait fait trop de dommages à son corps et il avait perdu bien trop de sang... Elle avait pu sauver les autres qui seraient certainement traumatisés à vie par la décoction hallucinogène qu'elle leur avait fait prendre à l'aide du jeune elfe. Elle accompagna simplement les derniers instants de l'homme en lui tenant simplement la main, jusqu'au moment de son dernier souffle. Il ne saurait jamais qui lui avait tenu la main et qui était responsable de sa mort, mais au moins il n'avait pas été seul dans ses derniers instants.
En regardant les autres de plus près, on les aurait cru pris de convulsions, leurs yeux s'agitant sous leurs paupières. Ils commençaient à gémir... Quoi qu'elle leur ait fait ils n'avaient pas l'air de beaucoup apprécier le cauchemars qu'ils vivaient, certainement une scène traumatisante de leur vie, ou les flèches qui leurs avaient fondu dessus additionné à l'effet d'une décoction.

C'est épuisée qu'elle se redressa, la fatigue étant bien visible sur son visage et trahissant l'utilisation intensive de la magie.

"Ils devraient reprendre conscience dans une demi-heure. Le corps de leur camarade ne fera qu'augmenter leur peur si les bêtes font leur œuvre..." dit-elle en s'adressant à celui qui était visiblement le chef de ce petit groupe de chasse. "Ils regagneront leur embarcation encore plus vite qu'ils ne sont arrivés ici." Le ton était calme, ce n'était pas un ordre comme elle l'avait fait avec l'inconnue. Plus une demande qui pouvait laisser la possibilité à l'elfe à qui s'était adressé de refuser.

"Bien protectrice." répondit-il simplement, il n'aimait visiblement pas non plus ce plan mais semblait le comprendre.

Deux loups se manifestèrent une fois que le chef du groupe de chasse eut fait signe à l'un de ses elfes. Les deux bêtes se jetèrent sur le corps pour commencer à le mettre en pièce sans pour autant le mâcher. Leana détourna le regard... Elle avait donné cet ordre mais, cette scène sauvage restait horrifique pour elle alors qu'elle calmait les ardeurs meurtrières des elfes présents.

Elle finit par accorder son attention à l'elfe qui s'était manifestée et préoccupée d'affaires qui n'étaient pas les siennes sans pour autant s'être présentée.

"La coutume veut que l'on se présente avant de se mêler des affaires des autres. A qui avons-nous l'honneur ?"

L'animosité avait complètement disparue. Elle venait de s'adresser à Eliwa (dont elle ignorait encore le nom) avec le respect que l'on doit à quelqu'un qui peut avoir un rang important dans un des clans. Elle avait préféré prendre des gants, dans le cas ou... En fond sonore les bêtes continuaient leur bruyante et sanglante tâche de mutiler le cadavre. Certains elfes, qui devaient avoir le sens du spectacle, ou simplement avoir une plus grande envie de "vengeance" avaient disputé aux loups des morceaux de boyaux pour les disposer sur les survivants, offrant ainsi un spectacle inhumain et qui serait du plus bel effet pour leurs invités. Ils furent gratifiés par un regard noir de la protectrice. Elle n'aimait déjà pas sa première demande... Mais là... Le chef de chasse lui fit comprendre de ne pas intervenir par un signe de la tête, elle se ravisa donc.

Elle sentait nettement cette animosité qui s'était dégagée de la semie lorsqu'elle lui avait adressé la parole en plein soin. Certes, elle comprenait, mais qu'importait les soins, ils mourraient. Un jour ou l'autre, et bien avant eux. De plus, elle ne paraissait pas les connaître. Encore, elle aurait aisément conçu une telle application, un tel désespoir transmit dans cette magie, dans cette application à soigner, à épargner une vie, si elle avait été proche d'eux. Mais non. Même pas. Elle ne comprenait pas, n'entendait pas.

 - La coutume veut que l'on se présente avant de se mêler des affaires des autres. A qui avons-nous l'honneur ?

Se mêler des affaires des autres, oui, c'est exactement ce qu'elle avait fait. Sans s'en rendre réellement compte non, mais ce devait être une des origine de sa gêne.

 - On me nomme Eliwa. Je ne suis en aucun cas une personne que vous pourriez connaître. Une simple vagabonde. Cependant, je ne sais toujours pas qui vous êtes, et je sens que vous n'êtes pas une simple vagabonde. Je vous en prie, ne me faites pas plus languir.

Elle se maudissait alors de ces lacunes, qui avaient pour source une éducation partielle et volontairement amputée de certains savoirs. Elle était presque sûre qu'elle avait à faire à une personne de haut rang, et le simple fait de ne pas l'avoir sut, et de ne pas connaître maintenant son identité la troublait. Elle qui n'aimait pas s'afficher ainsi en public, elle qui avait honte de son éducation et qui faisait de son mieux pour ne pas paraître trop jeune, était désormais au centre des regards, entourée de paires d'yeux qui étaient comme suspendus à ses lèvres, quêtant sa réponse et le comportement qui découlerait de celle de la semie. Pour ceux qui n'étaient pas en extase devant le spectacle sanglant qui se déroulait derrière celle qui avait attisée sa curiosité.

Non pas qu'il la dérangea, au contraire, c'était une distraction qui empêchaient les yeux restant de se fixer, eux aussi, sur elle. Ce qu'elle craignait plus en revanche, c'est que sa louve débarque, attiré par d'autres de sa nature. Certes, elle en avait déjà rencontré, mais pas au milieux d'archers. Bien qu'ils n'aient visiblement pas l'intention de mettre fin au spectacle, elle ne préférait pas courir le risque. Même un mauvais coup d'un autre loups, ou une viande avariée pouvait lui être fatale. Alors, comme elle ne savait pas ce que leur avait fait la semie, ni ce que contenait les flèches, elle pouvait paraître assez anxieuse.

Et lorsqu'elle vit sa louve sortir des fourrées, regardant avec curiosité le cadavres et les corps étendus au sol, elle la siffla doucement. Ce son étouffé, doux, la sortit de sa torpeur et tout un chacun sut alors qu'elle n'était pas un loup affamé, mais qu'elle accompagnait plutôt cette elfe sans gêne. Une fois que l'animal se fut complètement désintéressée de ce festin à l'air libre, Eliwa se rassénéra considérablement. Ses muscles n'étaient plus si tendus, et ses yeux ne fuyaient plus sans cesse le regard de la sang-mêlé pour épier la venue de son animal. La seule gêne qui pouvait encore se lire dans ses yeux était celle de ne pas savoir qui était son interlocutrice.

Elle avait envie de revenir sur sa conduite, oui, de revoir son approche. Mais bien évidemment, il était trop tard. La prochaine fois, elle réfléchirait plutôt que de se laisser guider par ses sentiments. La curiosité était chose bien, elle n'en doutait pas, mais la précipitation en était une autre, et pas forcément des mieux. Surtout lorsqu'elle s'alliait à la fougue irréfléchie de la jeunesse. Dans son attente, elle caressait sa louve, comme elle en avait l'habitude, au creux des oreilles. Assise à ses pieds, cette dernière épiait toujours les autres loups. Au cas où, certainement.

Les bêtes avaient fait rapidement leur œuvre et ceux à qui ils étaient liés commençaient déjà à s'occuper d'elle, leur offrant grande eau pour se rincer la gueule. C'était beaucoup pour au final "si peu", mais deux précautions valaient mieux qu’une, les poisons avaient été dosés pour des humains, et on ne savait au final pas quelle quantité présente dans le sang de la victime se transmettrait aux animaux. Bien que ce rythme soit minime, les elfes n'avaient pas voulu prendre ce risque pour leurs compagnons de chasse. Il était temps d'y aller et d'effacer leurs traces.

Un des elfes lui glissa quelques mots à l'oreille, elle acquiesça d'un signe de la tête comme pour lui donner son accord silencieux. Ils la traitaient tous avec une certaine déférence, qui n'était certainement pas induite par la peur, ni encore par l'age de la semi ; c'était autre chose puisqu'elle semblait réciproque, un peu comme un éternel jeu du chat et de la souris pour savoir lequel attraperait l'autre à son propre jeu.  

Leana sourit à la "simple vagabonde" lorsqu'elle se présenta. Ne pas la faire languir ? C'en était presque amusant de voir une elfe réagir de cette manière, habituellement ils étaient très patients et laissaient venir les choses sans rien précipiter. Preuve qu'elle devait être jeune, ou alors laissée à elle même très tôt, trop tôt pour une elfe, elle pouvait aussi bien être plus agée qu'elle sans que celà ne change quoi que ce soit, après tout le cycle d'une sang-mêlée comme elle n'était pas comparable à ceux des elfes.

Leana commença à se relever seule, le jeune elfe qui l'avait comme accompagnée tout le long se précipita pour l'aider mais elle refusa poliment, s'adressant à cette elfe si curieuse nommée Eliwa.

"Si votre aversion pour les hommes ne concerne pas les sang-mêlés pouvez-vous m'aider à me relever ? Nous discuterons en chemin vers leur campement. Ne vous inquiétez pas pour votre monture, elle vous y retrouvera."

Elle lui forçait quelque peu la main, mais après tout avait-elle réellement le choix ? Si elle souhaitait donner une petite leçon à cette elfe trop curieuse et impatiente, elle ne s'y prendrait pas mieux. Mais comment prêter de mauvaises intentions à ce regard dépourvu de malice et bienveillant qu'elle posait sur elle ? Et puis elle était au milieu de "son peuple", même auprès d'une sang mêlée elle ne risquait pas grand chose, surtout après l'avoir vu faire tant d'efforts pour sauver des vies.

Elle la tenait pas le bras, sa main délicatement posée sur celle d'Eliwa. Il était maintenant clair que cette femme qui se présenta sous le nom de Leana et comme une guérisseuse - comme elle avait pu le constater quelques instants plus tôt - quand elle l'aida à se relever n'était pas issue des tribus sauvages et qu'elle était certainement plus habituée aux "hautes sphères" que la vie dans les bois bien qu'elle ne semblait pas totalement étrangère à ce dernier.

"Dites moi, en quoi une vie serait tellement inutile qu'elle ne mériterait pas d'être sauvée ?" La question n'était certainement pas innocente. "Et si vous aviez la possibilité de l'influencer, quelle valeur lui donneriez-vous ?"

Des questions pièges, ça, c'était sûr que s'en était. Mais ou voulait-elle en venir ? Que tentait-elle de lui faire toucher du doigt ? Qui plus est, elle ne s'était pas présentée entièrement.

Il était temps de bouger. Ils étaient tous sur le départ, certains ayant déjà commencé à joindre le village.

 - Vous vous méprenez. Je ne nourris aucune aversion envers les hommes.

Tout en disant cela, elle avait tendu la main à la protectrice. Un mot qu'elle n'avait pas entendu. Mais qui lui était revenu rapidement. Aussi médisait-elle intérieurement cette insistance dérangeante qu'elle avait mis dans le besoin de connaître l'identité de la semie. Mais qu'importait. C'était fait, elle ne pouvait revenir dessus. C'est pourquoi elle ne s'attarda pas plus longtemps dessus, et passa à la réponse qu'elle allait lui donner. Et surtout, sur ce qui l'avait poussé à poser cette question. Certainement le fait qu'elle n'ait pas voulu l'aider, fait sur lequel elle s'était basée pour la juger.

 - Et bien, je ne sais sur quoi vous vous basez exactement pour me poser cette question, mais je ne juge aucune vie inutile. Si par là, vous voulez me blâmer de ne pas vous avoir aider à sauver ces vies, et si vous pensez que mon désire était de les voir s'éteindre, simples suppositions, je crains que vous vous trompiez sur mes intentions.

Elle marqua une pause. La protectrice avait voulu la rassurer en lui disant que sa monture allait suivre. Chose qui avait fait naître un sourire sur ses lèvres. Amarthluin était capable de se débrouiller seul en forêt, et elle savait que si elle avait dut le laisser en arrière, sa louve l'aurait veillé. Mais si sa monture suivait, alors pas de souci de ce côté.

 - A-t-on réellement besoin de pouvoir influencer une vie pour lui donner une valeur ? Et dans ce cas, celles que nous ne pourrions influencer n'en auraient aucune ? Pas à nos yeux tout du moins ? La vie n'a pas de prix. Une valeur indéfinissable.

Elle sentait la question venir. Pourquoi ne pas avoir sauvé ces vies alors ? Pourquoi être resté inactive ? Chose qu'elle avait déjà expliqué. Mais qui n'avait certes pas été compris. Elle tenait désormais le bras de la guérisseuse et la soutenait dans sa marche lente et chaotique. Sa louve s'était retirée, et seuls restaient comme escorte les elfes qui avaient bandés leurs arcs plutôt au paravent. Pas de moindre qualité. Et bien qu'elle sache que cette surveillance ne lui était pas destinée, elle se sentait tout de même quelque peu oppressée. Sentiment qui disparu rapidement lorsqu'elle se mit à réfléchir.

Tout d'abord, la protectrice l'avait enjointe à se présenter puis n'avait donné aucune réponse à sa question sur son identité. Voilà que maintenant, elle se permettait de la juger, sur un acte, ou plutôt, une absence d'acte. Non pas qu'elle en soit surprise. Plutôt qu'elle n'appréciait que moyennement cette rapidité à créer des liens entre différentes pensées. Rapidité qui menait souvent à un jugement erroné. Mais beaucoup étaient ainsi. Décrypter son prochain, voilà tout ce qui était nécessaire pour se sentir, ou non, en sécurité. L'absence de savoir était lié à un stress, ou une curiosité qu'on voulait absolument voir éteint.

 - Dites-moi donc désormais ce que vous pensez quand à la valeur de la vie. Puisque je pense que vous lui en accordez une.

Pas une question piège, non. Seulement une question pour entendre. Parce que la manière dont elle avait entamé le dialogue sur ce sujet était des plus étrange. Comme si elle donnait déjà son avis. Comme si, avant d'avoir entendu celui d'Eliwa, elle le lui reprochait. Une habitude de langage certainement. Qui l'agaçait. Ou plutôt, l'embêtait. Parce qu'elle était, avant d'avoir put exprimer son point de vue, son idée, mise en porte-à-faux. Et dans une discussion d'égale à égale, cela n'existait pas. Ou en tout cas, cela ne devrait pas exister. Mais s'en plaindre à voix haute, ou tout du moins le faire remarquer la porterait dans une situation similaire.

Elle resta interdite quelques instants face à la réaction de l'elfe, pourquoi allait-elle dans de tels extrêmes et partait-elle dans un tel débat ? Ses questions n'avaient pas pour but de l'emmener sur un tel terrain mais de comprendre pourquoi elle avait insisté lors de son intervention sur le fait de leur sauver la vie et de perturber ce sauvetage jusqu'à ce que l'un des chasseurs présents ne lui fasse comprendre de se taire et de rester à distance.
Elle la laissa parler, comme on laisse faire une enfant. Oui elle devait vraiment être jeune pour extrapoler ainsi, maintenant il n'y avait plus vraiment de doute que ce soit pour la protectrice ou ceux qui marchaient avec eux. Leana ne lui adressant qu'un sourire bienveillant en réponse à ses affirmations. Inconsciemment, elle se mit à la tutoyer, comme pour tenter de la rassurer par cette familiarité.

"Si je n'accordais pas de valeur à la vie, je ne serai pas une guérisseuse. Toute vie mérite d'être vécue, peu importe la façon. Mais certains ont besoin de lui donner une valeur pour justifier qu'on la sauve." Un éclair de tristesse passa dans son regard. "Et si pour toi la vie est d'une valeur indéfinissable, pourquoi avoir demandé la raison de ce sauvetage et être intervenue alors que ça pouvait mettre en péril la réussite ?"

Un cri, de terreur résonna provenant des hommes qui commençaient à reprendre connaissance. Avec le cocktail qu'il leur avait été préparé, additionné au cadavre de leur camarade, l'effet était assuré. Les effets de la Datura en tant qu'hallucinogène avec quelques extraits de champignons avaient des effets assez étonnants et pouvaient vous faire vivre vos pires cauchemars tout en étant réveillé et en vous faisant croire que c'était vrai avec juste un léger mal de tête après. C'était vrai, n'importe quel herboriste ou guérisseur pouvait remarquer que la personne avait été droguée, mais pour de simples roturiers, il n'y aurait pas ce genre de choses... Ils étaient certainement trop pauvres et trop désespérés pour ne pas avoir d'autres choix que de venir en Anaeh et ramener ainsi assez d'argent pour nourrir leur famille pour une bonne partie de la saison froide.

"Tu n'as pas besoin de répondre à ma dernière question." conclut-elle doucement, puis en commentaire aux cris "Et ceux-ci ne reviendront certainement plus risquer leur vie ici."

Elle sentait un certain stress chez cette elfe qui l'accompagnait, certainement lié à cette situation. Du stress et peut-être une pointe d'agacement dans le ton de sa voix ? Elle n'était pas tempérée comme les autres, oui elle agissait par... Impulsion, sans réfléchir aux conséquences et elle avait parlé de la même manière emmenant dans un des éternels débats stériles sur la vie, sa valeur et tout le reste ou à chaque fois tous disaient la même chose sans qu'aucun ne tombe d'accord.

"Si je peux éviter que la forêt du protectorat ne soit souillée par trop de sang comme l'aduram il faut faire des choix qui ne plairont pas forcément à tous. Mais au moins je garderai un endroit sain qui pourra servir de refuges à ceux qui le demandent et le respecteront."

Elle voulait porter l'espoir, c'était visible. En cette période de guerres et de peines qui s'approchaient, malgré tous les mauvais présages il fallait nourrir l'espoir, et le conserver au moins quelque part pour qu'il puisse profiter à d'autres. Certains avaient ouvert la fameuse boite de pandore et elle semblait être celle qui voulait la fermer.

Elle n'entendait pas réellement ce qu'elle faisait là, où elle allait, ou encore, si elle était bien au bon endroit. Elle n'avait pas prévu cette rencontre, comme elle n'avait pas prévu les précédentes. Cependant, elle savait être rendue trop au nord, par rapport à ce qu'elle avait en tête. Et elle avait dévié vers Anaëh. Il valait mieux ça que l'Oësgard ceci dit, parce qu'elle aurait passé un sale quart d'heure. Elle se força à respirer profondément. Évacuer cette tension, qui la desservait plus qu'autre chose. Elle n'avait pas à être sur les nerfs, au sein de son propre peuple, aux côtés d'une Protectrice. Bien qu'elle eut du mal à la suivre dans son raisonnement. Mais qu'importait.

Elle soutenait toujours la semie dans sa marche, mais elle la sentait un peu plus vive et tonique à chaque pas. Peut-être n'était-ce qu'une impression. Ou peut-être pas. Dans l'immédiat, ce n'était pas tant de savoir ce qui était vrai qui la préoccupait, mais plutôt, les impressions qu'elle pouvait avoir. Désormais, elle se sentait mieux. Elle se surpris à écouter un instant la Symphonie, avant de revenir à ce que lui disait celle qu'elle aidait. Eliwa sourit quand elle lui dit qu'elle n'était pas obligé de répondre à la question qu'elle venait de poser.

 - Ainsi, vous aspirez à la paix... Vous savez, un refuge est tant porteur d'espoir que de désespoir. Mais je pense que vous le savez, je ne vous apprends rien.

Elle réfléchit un instant avant de continuer. Elle n'avait plus cette impulsion de départ, cette envie irrépressible de connaître, ou tout du moins, était-elle calmée. Désormais, elle avait seulement envie d'échanger.

 - Si vous voulez faire de cet endroit un refuge, un endroit où la retraite est possible, et aussi paisible qu'il puisse l'être, pourquoi ne pas essayer de préserver cet endroit dans son intégrité ? Je veux dire, vous devez être consciente que sauver la vie de ces hommes n'est pas la meilleur façon de les pousser à ne pas revenir. Ou tout du moins, à ne pas faire venir les autres. Vous savez, quand quelqu'un s'en prend à un arbres, ou à plusieurs, la forêt hurle sa douleur. Et ce cri que j'ai entendu tout à l'heure, m'a fait douter d'avoir passé la frontière entre Aduram et Anaëh.

Là encore, elle marqua une pause. Leur marche était rythmée par leurs souffles et l'elfe entendait les sabots de son étalon claquer sur le sol quelques pas derrière elle. Les elfes les escortaient toujours, mais elle n'avait plus cette sensation oppressante de surveillance accrue et constante, qui l'angoissait un moment au paravent.

 - Je ne veux pas dire par là qu'il aurait été préférable de les laisser mourir, non. Je ne sais ce qui aurait été préférable d'ailleurs. Seulement... seulement, je pense qu'un havre de paix, un endroit parfaitement paisible, n'existe pas. Ce n'est qu'utopie. Mais je ne peux juger. Dites moi, si jamais je vous ennuie. J'arrêterais peut-être de parler.

Elle avait conscience de dire un peu tout et n'importe quoi. Elle avait conscience qu'elle ne parlait pas forcément de ce dont la Protectrice voulait parler. Cependant, elle commençait à aimer cette conversation. Et elle n'avait pas forcément envie de la voir subitement interrompue. Aussi, comme elle se sentait d'humeur assez joyeuse, la gêne passé, elle sourit à la semie, qui s'appuyait sur son bras.  

 - Cependant, je dois avouer que vous ne réussissez pas trop mal dans l'avancement de votre projet.

Il était vrai qu'elle se sentait bien, ici. Sans n'y avoir jamais mis les pieds, elle sentait qu'elle n'était pas sans cesse en danger. Elle sentait que la paix, enfin, une paix relative, régnait sous ces frondaisons. Et elle aimait cela.

Une jeune elfe curieuse et avide d'apprendre, voilà sur quoi elle avait eut l'impression de tomber. Elle récupérait rapidement au fur et à mesure de leur marche, rendant le déplacement de moins en moins difficile, ses jambes acceptant de reprendre de nouveau consistance après l'utilisation plutôt intensives de sa magie pour ces blessés.

Elle avait compris les limites de ce que Leana voulait atteindre, c'était un objectif et la réalité était tout autre. Oh, elle avait déjà eut ces avertissements et des conseils de la part de son conseil et de l'intendant Elras. Certains même avaient essayé de la décourager dans cette aventure qui se voulait pacifique en répliquant toujours par la force, mais elle avait su contredire ces arguments et puis, ils avaient "le temps" de voir le résultat, donc autant lui laisser sa chance !

"Retournerais-tu volontiers dans un endroit qui t'as terrifié au plus haut point ? Ou tu as vu des monstres immondes et difformes qui ont faillit te tuer et ont dévoré un de tes camarades ?" dit-elle sur un ton qui ne laissait pas paraitre le doute. "Et surtout, n'avertirais-tu pas tes camarades pour qu'ils n'y aillent pas ?"

Des questions certainement rhétoriques, car c'était ce qu'il s'était passé aux yeux de ceux qui étaient partis. Mais ça elle ne le savait pas... faire passer l'Anaeh pour une forêt habitée par des monstres aux yeux des hommes frontaliers qui voulaient s'y attaquer pour ne pas qu'ils y mettent les pieds avec de mauvaises intensions. Car n'avait à craindre que celui qui venait nuire à l'Anaeh et à ses habitants.

"Et puis, ne dit-on pas que depuis que la Déesse est revenue dans l'Anaeh lors du voile, l'Aduram ne s'est pas un peu apaisée ? Les arbres y ont gardé de gout du sang versé il y a des millénaires mais ils auraient commencé à ne plus se torturer, la frontière entre les deux bois est devenue plus diffuse et bientôt il n'y aura plus de différences."

Tout du moins à ce que certains lui avaient dit pour avoir essayé d'y aller. Leana quant à elle ne pouvait l'entendre et avait parcouru l'Aduram en toute tranquillité, bien que ces bois étaient plus inquiétants que ceux de l'Anaeh qui offraient protection, abris et nourriture.

Elle réfléchit un temps aux paroles de la semie. Le silence se fit dans la forêt. Ou tout du moins, le langage des hommes se tu un moment. Un silence emplit de bruit, mais un silence apaisant. L'absence de mots, de voix, de paroles, laissait libre les pensées de chacun. Ce qu'elle venait d'entendre l'avait touché. Parce qu'elle était retourné là où elle avait souffert. Elle avait fait face au passé. Enfin, en partie. Mais elle savait qu'elle ne parlait pas nécessairement de ce qui marquait sa jeunesse. Plutôt de ce qui frappait ensuite.

- J'avoue ne pas savoir ce que je ferais alors. On dit qu'il faut affronter nos peurs, nos souffrance, pour espérer un jour les surmonter. Quant à la véracité de cette affirmation, je n'ai pas réellement d'avis. Je ne peux pas en avoir plutôt, ou il serait largement faussé. Vous, ne retourniez-vous pas là où vous avez souffert ?

Elle soutenait toujours celle qui marchait à côté d'elle. Le village ne devait plus être loin, et elle sentait qu'elle n'aurait bientôt plus besoin de l'aider. Elle se souvenait de cette maison, cette petite chaumière dans laquelle elle avait vécu pendant une cinquantaine d'années, tout au plus. Elle savait pouvoir se rappeler son âge exact lorsqu'elle avait quitté sa mère, mais elle n'avait que très peu envie de se remémorer cette aube. Maison qui avait été réduite en cendre. Quand elle avait voulu y retourner, quand elle avait enfin voulu affronter sa plus grande souffrance, elle n'avait trouvé que pire encore.

- Vous dites que bientôt il n'y aura plus de différence ? Bientôt n'est pas le terme que j'aurais employé. Un jour, certainement, il n'y aura plus aucune différence. Cela ne fait aucun doute. Mais aujourd'hui encore, le chant est long, triste et douloureux. Il n'est pas... il ne m'est pas concevable de penser qu'avant d'avoir passé mon premier millénaire, je ne différencierais plus Aduram et Anaëh. Je suis cependant d'accord avec vous sur le fait que la frontière est devenue plus diffuse.

Cela expliquait qu'elle n'avait pas fait attention à son détour, qu'elle n'en avait pas été plus alarmée que cela. Dans la mesure où elle n'était pas censée revenir en Anaëh, si le changement avait été si radical, elle aurait rebroussé chemin presque aussitôt. Mais elle disait vrai, la frontière s'était estompée. Mais de là à prévoir sa disparition, il y avait un immense pas. Qu'elle ne pensait pas possible de franchir en peu de temps. Elle ne savait quel âge avait la protectrice, et connaissait encore moins sa constitution, seulement, elle pensait grandement qu'elle ne verrait pas cette évolution. Et qu'elle même la vivrait que lorsqu'elle aurait tant évolué qu'elle ne voyagera peut-être plus tant.

Mais les spéculations sur le futur n'étaient pas d'actualité pour le moment. Son futur à elle tout du moins. Cette terre où elle s'était trouvée par accident, cette terre qui était pour ainsi dire chez elle, mais qu'elle ne connaissait absolument pas, cette terre qui était si proche des hommes, devait être une terre de paix. Pourquoi vouloir la paix ? Si quelqu'un veut la paix, c'est qu'il y a la guerre. Alors, pourquoi ne pas plutôt souhaiter la fin de la guerre ?

- Je ne sais si cela va apporter quelque chose, ou si cela vous intéresser seulement, mais je pense aller faire un saut au front. A cet instant, et à tout ceux qui vont ensuite suivre, je pourrais répondre à vos questions. Oui. Je pense qu'alors, je saurais si j'ai envie de revenir ici.

Elle lui sourit, et secoua la tête. La semie n'en avait certainement rien à faire, qu'importe qu'elle aille au front, qu'importe qu'elle connaisse les réponses ! Elle les connaissait. Et elles ne se connaissaient pas. Mais elle ne se sentait pas mal, ou embarrassée, non. Elle était d'humeur assez joyeuse à vrai dire.

Elle ignorait tout des hommes non instruits, ils guérissaient de leurs blessures plus rapidement que les elfes du fait d'une vie plus courte mais la superstition faisait partie intégrante de la culture, et même si certains courageux reviendraient ou en envoie d'autres le faire à leur place ils auraient droit au même traitement, tout du moins s'ils avaient la chance d'en repartir vivant...

"N'oublie pas que je partage une partie de leur héritage, je sais comment ils peuvent réagir et ce que la superstition pourra leur faire faire."

Elle avait mis en avant son côté "humain", ce qui pouvait trancher avec la tenue et ce qu'elle montrait. Une union de deux sangs qui pouvait presque tromper les deux et qui s'instompaient mutuellement. Ce qui pouvait presque être gênant pour qui y réfléchissait trop.

"Bientôt dans le sens du peuple éternel. Pour le loisir un humain regarde un chenille devenir papillon, un elfe quant à lui regarde une graine devenir un de ces arbres gigantesques de plusieurs siècles. Et puis la présence de la déesse s'est fait forces ces dernières décénies, qui sait ce qu'il pourra se passer."

Voilà de quoi répondre à la question sur le temps de la jeune elfe. La protectrice n'avait pas précisé si elle le verrait un jour ou non, et ce n'était peut-être pas sa préoccupation principale, d'autres prendraient la relève et prendraient les bonnes décisions à sa suite. Et ce n'était d'ailleurs pas la préoccupation principale actuelle des elfes... La guerre occupait les esprits et l'occuperait encore longtemps. Dans tous les cas le temps ferait et faisait son œuvre et déjà Leana allait un peu mieux.

"Et le sang qui coulera à ce front, viendra corrompre l'Anaeh comme il l'a fait avec l'Aduram il y a longtemps. Et j'espère juste que la folie des sombres ne se transmettra pas aux elfes par la haine qui semble nous unir à eux." Elle lui posa la main sur l'épaule, alors qu'ils arrivaient au campement de la tribu, ou le cheval d'Eliwa attendait patiemment. "Va, et ne sombre pas à ton tour dans la folie et porte un message de paix que tous aimeraient connaitre dans cette folie. Et n'oublie pas, le sage sait fuir un combat quand il sait qu'il ne gagnera pas, ca ne veut pas dire qu'il ne remportera pas la guerre."

Le sang corrompra l'Anaëh. Mais l'absence de sang serait pire alors. Aucune défense, une simple autorisation d'entrée sur le territoire. Non. Il fallait sacrifier une partie de la Prime Forêt, s'il était nécessaire, pour sauvegarder le reste. Il fallait que le sang coule, il fallait créer un espace vide, un creux, créer un trou pour repousser, pour anéantir tout espoir de réussite chez les sombres. Il était nécessaire d'organiser une défense. D'organiser un obstacle. Parce que même si les drows pénétraient Anaëh, les elfes auraient fait leur possible pour défendre ce qui leur étaient cher.

Quand ils arrivèrent au campement, elle aperçu Amarthluin. Il était temps de repartir, son étalon était impatient de courir de nouveau à travers bois, il était impatient de voir de nouvelles couleurs, de sentir de nouvelles odeurs, et surtout, d'être nouveau seul avec elle. Elle ne savait pas encore exactement où elle allait, ce qui l'avait mener là n'étant pas de l'ordre du raisonnable et de la volonté. Elle avait seulement remonté une piste avec Aralaurë, et désormais, elle ne savait que faire. Elle avait dit vouloir aller au front. Mais était-ce réellement ce qu'elle voulait ? Et quand Leana ouvrit de nouveau la bouche, elle posa sa main sur son bras.

- Je ne peux vous promettre de ne pas sombrer dans la folie. J'essaierais, mais rien n'est plus incertain que cela. Et si cela peut apaiser bien des cœur et nourrir des espoirs, je dispenserais ce message, n'ayez crainte. Il se peut même qu'un jour, je revienne ici. Un jour où je chercherais la paix et la sécurité.

Sur ces mots, elle lui sourit une dernière fois et la quitta pour rejoindre sa monture qui l'attendait impatiemment. Elle sauta en selle et sentit avec joie son étalon frémir sous elle. Elle allait se rendre au front. Elle allait de nouveau rencontrer ces capitaines, lieutenants, qu'elle avait déjà vu. En rencontrer des nouveaux. Et partager le désespoir des soldats. Elle allait connaître la mort, la violence et la couleur du sang. Du sang en grande quantité. C'était étrange, mais elle avait comme l'impression qu'elle devait y aller, ne serait-ce que pour comprendre, que pour entendre ce qui était, en elle, un énorme trou, une incompréhension totale.

L'après midi était bien entamé lorsqu'elle se lança à travers les arbres, rebroussant presque chemin. A ceci près qu'elle n'allait pas en Aduram. Qu'elle allait non loin de chez elle. Lorsqu'elle verrait, lorsqu'elle saurait, regretterait-elle ?