Le vent cingla le visage de la nouvelle Pèlerine comme elle se tenait au sommet du dernier col qui marquait la fin des Dents-de-Veltres. Elle inspira l'air frais du matin et resserra son manteau noir au col de fourrure autour d'elle. Il avait gelé cette nuit-là. Preuve que l'hiver approchait indéniablement. Elle raffermit sa prise sur son bâton de marche et jeta un regard en arrière pour voir où en étaient ses compagnons. Les chariots contenant leurs maigres biens et le peu de vivre qu'il leur restaient peinaient à monter les derniers mètres.
Au début du voyage, elle serait descendue d'emblée pour aider les pèlerins et les bêtes à tracter et pousser le convoi. Mais aujourd'hui, elle savait que ça ne valait pas la peine. Elle ne ferait que gaspiller l'énergie des hommes qui la sermonneraient et s'opposeraient à ce qu'elle leur apporte de l'aide. Elle était la gardienne du Livre, elle avait déjà suffisamment de poids sur les épaule comme ça, disaient-ils.
Pour la majorité, il faisait partie des cultes, enfin avant qu'ils ne suivent Katalina, principalement ceux de Tari et de Néera. Ils avaient abandonné leur situation, renoncé à leur crédit pour embrasser la foi d'une religion sous un nouveau jour. Et cela Ithe comptait bien le leur rendre. C'était pour ça qu'elle faisait route vers Rochenoire, la Capitale de Velteroc. Il fallait qu'ils quittent la péninsule avant l'hiver.
Ils avaient le culte sur le dos, c'était une chose. Ils pouvaient vivre avec, comme ils l'avaient toujours fait dans leur pèlerinage. Voyageant de villes en villages, avalant des kilomètres de manière presque miraculeuse, priant chaque jour et à chaque arrêt dans une agglomération, ils recommençaient leurs prédications inlassables. Souvent, ils étaient contraints de fuir au petit jour ou à la nuit tombée pour échapper au Culte qui souhaitait "mettre de l'ordre dans tout cela". Mais jamais leur foi ne faillit.
Pourtant, Ithe ne prendrait pas le risque de mettre ses amis entre le marteau des religieux et l'enclume de la guerre. Et encore moins si ils étaient pris dans l'étaux de l'hiver. Le Régent, le Prince et la Princesse étaient morts. Et c'était la pire chose qui soit. Désormais, ils leur fallaient partir, quitter la Péninsule avant que le monde ne devienne plus fou encore. Et pour cela, leur dernière espoir était Velteroc.
Ithe ne pouvait mener ses gens jusqu'à Soltariel. La marche était trop longue et ils passaient trop près de Diantra et de son tumulte. Bien sûr, là bas, le billet vers la Nanie était assuré. Même si elle n'aurait pas parié que le bateau arriverait à coup sûr jusque Thanor. Elle ne pouvait pas non plus risquer une traversée des Wandres. Il fallait être fou ou extrêmement puissant pour oser passer par là, et leur groupe n'était ni l'un ni l'autre.
Aussi, il leur restait Velteroc. On murmurait que le Seigneur des lieux avait de grands projets de conquêtes. Les rumeurs disaient qu'il partirait dans les terres sauvages du Nord. Et surtout, il se murmurait qu'il entretenait des négoces avec les Nains. Aussi, l'ancienne nonne comptait bien essayer d'obtenir une dernière chance de quitter les hommes avant qu'ils ne se déchirent et ne les déchirent tous avec eux.
Ils amorcèrent finalement la descente, heureux de pouvoir enfin passer dans les collines de Velteroc et d'entamer leur dernière étape avant le voyage tant espéré pour le Nord. La nuit était tombé qu'ils erraient toujours dans les chemins rocailleux des contreforts. Ithe consentit à les éclairer d'un faible rayon de lumière, faisant appel à la déesse pour cela. Elle respectait toujours le dogme qui imposait de ne se servir de la force qu'offrait Néera qu'en cas de nécessité. La Pèlerine estima que le risque de se briser le coup dans les rochers était une justification suffisante.
Les jours suivants s'écoulèrent comme de coutume. De la marche, de la prière, des prédications quand il leur arrivait d'entrer dans une agglomération et des repas frugaux et certainement trop peu nombreux. Mais la foi les nourrissait et jamais leurs ventres ne se plaignirent, ni leur bouche d'ailleurs. Ils étaient rompus désormais à ce rythme de privation et d'effort pour les cinq et pour la vérité. En marchant, Ithe tournait toujours son chapelet et parfois, il leur arrivait de faire leurs prières tout haut et tous en choeur. Mêlant à la fois Néera, Othar, Tari, Kiria et Arcam.
Finallement, ils arrivèrent en vue de Rochenoire. Elle se dressait fière et forte au flanc de sa montagne, exhibant des murs répétés impénétrable à la vue du monde. Ithe ne croyait pas à ces rumeurs d'invulnérabilité. Elle avait pu étudier le sac de citadelle inexpugnables mise à sac par les Drows ou bien parfois, mais plus rarement cependant, par les Elfes. Un mur ne faisait pas beaucoup de différence face à une armée d'immortels, ou même parfois seulement face à la ruse d'un bon stratège ou d'un tacticien audacieux.
Le soir semblait déjà tombé lorsqu'ils pénétrèrent dans l'enceinte de la ville. Mais ce n'était là que l'illusion donnée par les montagnes environnantes. La nuit mettrait encore longtemps à devenir noire. Ils avancèrent lentement au milieu de la foule. Ithe ignora les regards curieux et intrigués. Étrangement, on ne lançait aucun regard hargneux ni malédiction sur leur passage dans cette cité. Il semblait que les gens leur étaient plus accueillant. Au détour d'une ruelle, elle observa un instant le chantier d'un nouveau temple semblait-il, Velteroc semblait une ville pieuse, c'était une bonne nouvelle.
Elle finit par se présenter au château et demanda audiance au Seigneur Nimmio de Velteroc. Si elle n'avait su faire valoir le nom de "Pèlerine", elle n'aurait sans doute jamais rien obtenu de la part des gardes, à part peut-être un regard libidineux à la dérobée. Mais finalement, on lui dit de revenir le lendemain à la fin de la séance de doléance, le Seigneur pourrait certainement la voir.
Ce soir là, ils purent loger dans une auberge qui leur offrit le gîte et le couvert jusqu'au matin en échange d'une bénédiction et de l'histoire de leur périple. Ithe se réjouit naturellement de cet accueil et tous se plurent à conter leur pèlerinage à l'assemblée. Non sans glisser, bien évidemment, de nombreuses allusion à la foi qu'il professait. Cela lui parut étrange de se sentir bien vue et bienvenue dans la cité. Elle avait tellement pris l'habitude des regards méfiants et des fuites sous la menace du culte, qu'elle ne se souvenait plus de ce que cela signifiait "être comme chez soi".
Le lendemain matin, Ithe fit sa prière aux mâtines avant que l'aube ne se lève sur aucune cité. Puis, elle descendit parler un peu avec les gens au marcher, leur raconter son message. Elle fut étonné, une fois encore, de l'accueil qu'on lui fit. La vie était dure semblait-il à Velteroc et une profession disant qu'on pouvait être plus proche des dieux et les vénérer même dans le travail avait pour le moins un gros succès. La nouvelle Pèlerine se demanda combien de temps cela durerait avant de déranger.
Elle finit par se rendre seule au château, laissant à ses amis le soin de poursuivre la tâche de répandre la bonne parole. Elle attendit patiemment dans le hall que toutes les doléances furent écoutées avant de s'avancer à son tour. Elle déglutit imperceptible comme elle approchait du comte. C'était là la dernière chance de paix pour les siens. Elle s'inclina révérencieusement devant Nimmio de Velteroc.
"Seigneur Comte de Velteroc. Que la lumière de la Dame-Dieu et la bénédiction des Cinq guident et accompagnent vos pas."