Une grande nouvelle ? [Kathleen, Ewen]

C'était un beau matin d'hiver. La neige n'était pas encore là mais le froid envahissait les terres. Cela n'empêchait nullement la Dame de Missède et sa Dame de Compagnie de faire un tour dans les jardins, chaudement enveloppées dans des manteaux de fourrure. L'air frais leur faisait du bien mais les promenades ne duraient jamais longtemps sans quoi on serait probablement venu chercher la Baronne pour lui dire de faire attention étant donné son état. Seren imaginait bien que cela irriterait Kathleen et prétextait avoir toujours froid pour l'inviter à rentrer.

Les lettres entre Alric et elle n'avaient pas cessé. La jeune fille prenait toujours autant de plaisir à lui écrire. Il lui semblait bien différent que lors leur rencontre à Sybrondil, un mois et demi plus tôt. Elle ne se faisait aucune illusion sur ses intentions et le prenait pour un ami attentif et protecteur. Il semblait se soucier du sort de Léandre et demandait parfois de ses nouvelles, ce qui la touchait.

Ce matin-là, la promenade des Dames fut perturbée par un lettre que l'on apporta à Seren. La saisissant, elle reconnut immédiatement le sceau et le décacheta. Voyant la signature, elle fut surprise et heureuse.

C'est mon père !

Le Seigneur de Milahn ne lui écrivait jamais. Toutes les correspondances passaient par sa mère. Elle savait toutefois que son père suivait ses récits de loin et ne remettait nullement son amour paternel en question.
Après avoir demandé la permission à la Baronne, elle parcourut les quelques lignes avec empressement. A mesure qu'elle lisait, son sourire s'effaça lentement. Seren comprenait lentement où son père souhaitait en venir et elle sentait ses jambes faiblir. Un banc positionné derrière elle la réceptionna tandis que ses yeux ne quittaient pas le parchemin.
Les pensées avaient abandonné l'esprit de la jeune fille tandis qu'elle apprenait la nouvelle inattendue. On la mariait... A qui ? La lettre ne le mentionnait pas. Son père avait dû être si soulagé qu'il n'avait même pas pensé à noter son nom.
Alors qu'elle achevait sa lecture, son esprit se remit en marche, apportant foule de questions. Comment ? Quand ? Qui avait accepté sa main ? A quel prix ? Comment son père avait-il obtenu la garantie que son fils ne risquait rien ?

Finalement, le regard de Seren revint sur la Baronne. Lui avait-elle parlé ? Impossible à dire. L'espace d'un instant, elle s'était retrouvé dans un monde parallèle. Et, comme si elle avait su quelles interrogations la Dame de Missède pouvait se poser, elle lui annonça : Mon père m'a trouvé un époux... Je dois partir dès que possible... le retrouver.

Seren esquissa un sourire en direction de la Baronne. Une bonne nouvelle ? Pour celui qui allait bénéficier de sa dot, sans doute. Pour elle, elle n'en saurait rien avant de l'avoir rencontré. Et cette lettre ne l'informait de rien. Pas de nom, pas de lieu, pas même de direction. On la mariait. Point. De la même façon, aucune information concernant son fils. Il savait simplement qu'elle pouvait l'amener sans crainte mais pourrait-elle le garder ou serait-il envoyé ailleurs ?
Tant de questions qui n'avait pas de réponse... Kathleen fit une comparaison avec sa propre histoire mais elle considérait que la Dame avait eu beaucoup de chance de trouver un homme qui l'aime. Seren n'en avait pas eu autant. La preuve en était : elle avait été dépouillée de ses titres à cause de cela.

Croyez bien que j'aurais aimé resté davantage. Je suis bien auprès de vous Madame.

La suite fut marqué d'un silence. Lui laisserait-on l'occasion de conserver son amitié avec la Baronne ? Quelle question stupide... Une épouse avec une telle relation, cela ne pouvait être refusé. Pour Alric en revanche, cela était moins sûr. Il faudrait qu'elle prenne le temps de lui écrire avant son départ. Elle n'en aurait peut-être plus le droit ensuite.
Un soupir échappa à la jeune femme tandis que de plus en plus de questions assaillaient son esprit.

Je ne sais même pas combien de temps durera le voyage et quelles affaires je dois prendre.

Un triste sourire en direction de la Baronne. Ses parents n'avaient même pas eu le temps de tout lui faire parvenir d'Ysari. Elle n'avait que peu de biens qui lui soient propres à Missède.

Seren ne put que sourire à la proposition de la Baronne. Se voir offrir les services de sa couturière personnelle pour son mariage était plus qu'un honneur. Elle connaissait ses talents et elle serait probablement la plus jolie mariée de son rang que l'on ait vu depuis longtemps. Quand bien même elle se marierait dans un petit hameau perdu en pleine campagne du Nord, cette union marquerait les mémoires.

Je la renverrais auprès de vous dès que possible.
Merci.

Kathleen vint s'asseoir finalement à ses côtés et lui prit la main avant de la questionner. A l'expression de son visage, la Dame de Missède pouvait aisément comprendre qu'elle avait vu juste. Il y avait autre chose qui tourmentait la jeune enfant. Seren était d'un tempérament discret et parlait effectivement rarement d'elle. Les autres semblaient passer avant elle.
Elle redoutait bien quelque chose, mais comment l'expliquer ?...

Oui, j'ai peur.
Par delà le fait d'ignorer son nom, je me demande qui il est : ce qui l'a poussé à vouloir de moi, une noble déchue et devenue impure, ce qu'il a demandé en échange de ma main et aussi ce qu'il adviendra de mon fils après ce mariage. Il peut avoir passé tous les accords possibles avec mon père, qu'est-ce qui l'empêcherait de lui faire du mal une fois l'union faite ?

Je me demande aussi quel genre d'homme il est et quel comportement il aura envers moi. Il peut montrer une attitude devant mes parents et avant le mariage, il peut tout aussi bien changer une fois tout le monde parti.
Vous dites que je fais des ravages à la Cour mais ici les gens peuvent me voir. Cet homme n'a de moi qu'un portrait peint il y a quelques années et une description faite par mon père. Pour l'heure, au mieux me trouve-t-il jolie. Qu'en sera-t-il lorsqu'il m'aura rencontrée ?

Seren marqua une courte pause avant de reprendre.

J'ai peur, Madame. J'ai fait un rêve une fois, et voyez comment cela s'est terminé.
Je n'y crois plus désormais.

La pauvre enfant était pleine de désillusion. Peut-être avait-elle osé croire au mariage par amour depuis son arrivée à Missède, mais peut-être avait-elle également conscience qu'il ne s'agissait que d'un rêve. La découverte de la perfidie de premier amour semblait avoir détruit cette part de rêve qu'elle portait en elle et elle portait désormais son passé tel un poids écrasant son présent.