Aux armes !

Seren se reposait au coin du feu dans sa chambre. Elle lisait un livre offert par un proche sur le départ. Elle n'avait pas eu l'occasion d'y toucher depuis, et ce malgré le nombre de semaines écoulées. Il fallait dire qu'il y avait fort à faire dans le domaine et elle n'avait pas eu beaucoup de temps pour elle. Par ailleurs, ce jour-là, la belle s'était sentie un peu mal. C'était sans doute la conséquence de cette effervescence et une journée de repos ne lui ferait pas de tord. Ses affaires seraient toujours d'actualité le lendemain, rien ne pressait.
Mais, alors qu'elle essayait de se concentrer, son esprit fut attirer par une importante vague d'agitation au dehors. Elle lutta à plusieurs reprises pour reprendre le romain dans lequel elle était comme happée mais toujours elle revenait à la réalité. Après la quatrième ou cinquième tentative, elle soupira, commençant à se demander ce qu'il pouvait bien se passer pour que l'on entendre ce brouhaha jusqu'ici. Après tout, l'emplacement de la chambre du couple avait été choisi avec soin afin d'être le plus éloignée possible du bruit.

Finalement, on frappa à la porte. Seren fit entrer la servante qui s'excusa pour la dérangement mais elle avait pour consigne de préparer les affaires de Monseigneur de Vareg. La jeune épouse afficha un air surpris. Un voyage ? Elle n'en avait pas entendu parler.

C'est que... toutes les troupes semblent se mettre en marche, Madame.

La belle porta une main à son cœur. Si les hommes d'armes se préparaient aussi, cela ne pouvait signifier qu'une chose. La stupéfaction passée, elle se leva, laissant son livre sur son siège, et quitta la pièce pour partir en quête d'informations. Il n'y avait que peu d'endroits où elle pouvait trouver son époux dans une telle situation... Elle prit donc la direction de la salle du trône, déambulant à travers les couloirs qui ne lui étaient pas encore totalement familiers. Sur son chemin, elle croisa une importante quantité de personnes parcourant le château dans tous les sens. Il en rencontra tant et si bien qu'elle n'aurait pas cru que leur demeure contienne tant de monde. Elle parcourut ainsi plus de la moitié du bâtiment, évitant au passage les chevaliers pressés, les écuyers passant les bras chargés de pièces d'armure et les serviteurs qui étaient sur le pied de guerre, comme s'ils allaient partir eux aussi. Sans trop de heurts, elle atteignit finalement la la pièce principale du château et entra sans s'annoncer (car c'était son privilège après tout). Se faisant, elle découvrit Alric, seul. Pour l'instant en tout cas.
Seren referma derrière elle avant de s'avancer vers lui.

Alric, que se passe-t-il ?

Évidemment, le fait qu'il s'apprête à partir au combat ne lui avait pas échapper et elle ne pouvait s'empêcher de se montrer inquiète. Elle aurait été une bien mauvaise épouse dans le cas contraire.

Seren se posta à quelques pas de l'estrade qui accueillait les deux trônes. Des premiers mots d'Alric, la belle ne retient que "attaque", "Soltariel" et "première ligne". Elle ne connaissait rien à la chose militaire mais cela n'était pas nécessaire pour comprendre qu'il y avait de quoi s'inquiéter. Puis le Seigneur se leva et chacun de ses gestes lui parut comme accablé par le poids du tourment. La peur quitta alors le cœur de la belle pour la saisir toute entière. Elle resta là, comme prostrée, tandis que son époux s'approchait lentement d'elle. Lorsqu'il lui prit les mains, elle porta à nouveau son regard sur lui. Elle avait écouté chacune de ses paroles mais c'était comme si elle avait été ailleurs durant tout ce laps de temps et qu'elle ne l'avait pas vu venir. Il se tenait à présent là, devant elle, lui donnant pour directive de fuir si jamais il ne parvenait pas à tenir les attaques ennemies.
Ce fut tel un électro-choc (si tant est que l'on puisse l'appeler ainsi) pour Seren qui sembla alors sortir de sa torpeur. Ses mains serrèrent celles d'Alric et elle s'efforça de lui adresser un sourire qui se voulait rassurant.

Je suis sûre que je n'aurais pas besoin de le faire. Tu réussiras.

Jusqu'alors, la belle n'était jamais parvenu à le tutoyer. Pas d'elle-même en tout cas. Tandis que lui s'y était mis depuis longtemps, Seren s'était toujours montrée réticente, bien malgré elle. Elle ignorait ce qui la retenait. Bien que cette formule ne soit réservée qu'au domaine du privé, elle trouvait cela mal venu ou inopportun, comme si son éducation le lui interdisait alors que rien ne le lui dictait. Cela la dérangeait en somme, sans qu'elle puisse expliquer pourquoi.
Cette fois, il lui semblait que c'était le bon moment pour que cette forme de familiarité vienne d'elle et non d'une requête qu'on lui aurait formulée. Si elle avait peur, elle sentait qu'Alric n'était guère plus rassuré et elle se devait de le prendre sur elle pour le réconforter. Il ne devait pas partir au combat l'esprit tourmenté plus que nécessaire.

Il y a bien des endroits où je pourrais me réfugier et être en sécurité. Ne t'inquiète pas pour moi, je saurais me débrouiller.
Garde ton esprit concentré sur la mission que tu as à accomplir.

L'une des mains de Seren quitta celle d'Alric pour venir se poser sur le cœur du Seigneur. Son sourire rassurant ne quittait plus ses lèvres. Elle voulait avoir confiance en lui et en ses capacités afin qu'il partage les mêmes sentiments.

Pour me revenir.

La Dame n'était pas encore capable de définir ses sentiments à l'égard de son époux mais elle ne pouvait nier qu'elle éprouvait une certaine affection. Il avait essayé tant bien que mal de lui faire la cour durant les semaines qui les séparaient de leur union, même s'il n'avait que peu de temps à lui accorder. Tout était à faire sur le domaine et le Grand Maître était des plus occupés. Seren avait malgré tout été touchée par ses tentatives et l'attention qu'il essayait de lui porter contre vents et marées.
Au moins ne pouvait-elle plus douter des sentiments d'Alric et elle s'estimait chanceuse d'avoir pu bénéficier de telles circonstances pour son mariage. Un époux aimant, elle n'aurait sans doute pas pu espérer mieux étant donné sa situation de noble déchue.

Alric fit preuve d'une grande tendresse tandis qu'il embrassait Seren tout en la prenant dans ses bras. La rouquine n'aurait su dire les émotions que cela provoquait en elle. Ils n'avaient eu que si peu de temps à passer ensemble... On ne pouvait pas vraiment dire qu'ils se connaissaient. Elle savait que lui avait des sentiments sincères et ne se refusait pas à ses démonstrations d'affection. D'autant que cela serait sans doute bien mal venu de la part d'une épouse. Non, elle avait la chance d'avoir épouser un homme aimant et elle tenait à entretenir ses sentiments à son égard. Ainsi, la vie de femme mariée lui paraîtrait plus douce. Et, qui sait, peut-être un jour succomberait-elle à sa douceur. C'était ce qu'il y avait de mieux à souhaiter.

L'étreinte dura ainsi plusieurs secondes avant que le Grand Maître ne se détache de son épouse pour se diriger vers une autre salle.
Seren prit comme tout à fait légitime la remarque de son mari. Les choses de la guerre lui étaient étrangère et elle n'avait pas sa place dans la réunion qui allait se tenir. Ayant rassuré le Seigneur, elle avait rempli son office d'épouse. Elle salua alors Alric d'un petit signe de tête accompagné de l'un de ses doux sourires puis commença à faire demi-tour. Et alors qu'elle atteignait la porte donnant sur le cloître et qu'elle s'apprêtait à l'ouvrir, elle s'arrêta et fit volte-face.

Alric ?
Penses-tu que nous pourrons passer un peu de temps ensemble avant ton départ ?

Loin d'elle l'idée d'accaparer son mari pour elle seule. Il aurait fort à faire dans les jours à venir... Mais elle espérait avoir au moins l'occasion de le garder au calme quelques petites heures, loin de l'agitation et de la préparation au combat. Elle avait dans l'idée de lui faire passer un moment agréable au château avant son départ afin de lui donner du baume au cœur pour la bataille et le désir de rentrer au plus tôt.
Mais Alric n'avait pas de réponse à lui donner... Il se contenta de soupirer avant de quitter la pièce. Seren en resta coi devant sa porte. Évidemment, il avait déjà eu bien peu de temps à lui accorder jusqu'à présent alors avec la préparation d'une guerre, vous pensez... Après quelques secondes passées à regarder le pan de bois derrière lequel avait disparu son époux, la jeune femme quitta la pièce à son tour. Bien qu'un peu souffrante le matin, elle n'avait pas l'intention de rester à ne rien faire tandis qu'Alric se démènerait tel un beau diable ! Elle se dirigea vers les cuisines et demanda qui avait pris en charge la préparation des vivres pour les troupes. Avec l'homme désigné, ils firent le tour des réserves, estimant le nombre de personnes qui partiraient et celle qui resteraient au château. Les denrées les plus périssables resteraient ici et on favoriserait des produits se conservant mieux pour les paquetages. On lança alors le tri, créant deux réserves : une pour les résidents et l'autre pour les soldats. On trouva également une charrette que l'on réserva pour transporter le tout jusqu'au front.
Enfin, on chercha le rapport d'inventaire du silo seigneurial afin de savoir ce qu'il contenait. Alric ayant obtenu le domaine en automne, il n'y avait pas grand chose... Quelques sacs de céréales et des fruits de saison. Il faudrait faire jouer les relations avec les Seigneurs voisins afin de tenir jusqu'à la prochaine récolte. Fort heureusement, le couple avait pu tisser quelques liens avec eux lors du mariage.
Ce serait à tenter...