A chaque être sa quête, à chaque route ses croisements. (PV Elrendil)

HRP :

Le lieutenant se trouvait sur sa monture qui avançait au trot sur le petit chemin forestier. Les rayons du soleil parvenaient à infiltrer les feuillages printaniers pour finir leurs courses comme des milliers de petits points lumineux sur la terre et bougeaient lorsque le vent secouait les branches. Le regard  du lieutenant s’était alors perdu dans cette danse de lumière et rien ne pouvait l’en détacher. Affublé de vêtements et de chausses usés par le temps, Elrendil voyageait léger et rien mise à part sa lame n’aurait pu le différencier d’un autre elfe. Cela faisait quelques jours qu’il était parti du front, laissant le commandement à Ellion, son officier en second. Rien ne pouvait plus l’arrêter depuis le combat qu’il avait mené dans cette forêt en feu. Sa quête ne faisait que commencer et pourtant, le lieutenant affichait un état presque déplorable. Il était vidé et épuisé physiquement, ses blessures l’assaillaient avec toujours autant de virulence malgré les remèdes de sa sœur qu’il avait perdu de vu. Mais cela n’était rien par rapport aux lésions psychiques qu’il avait subi.

Ses rêves étaient noirs lorsqu’il parvenait à trouver le sommeil. Les hurlements des drows l’envahissaient et les cris d’agonies de ses épéistes le tétanisaient. Encore une fois, il avait fait se répéter l’histoire et s’était retrouvé dans une situation presque désespérée. Sa hiérarchie avait trouvé bon de le mettre quelques temps au repos et ainsi, avait-il eu l’idée de partir quérir une vielle connaissance. Un nain du nom de Gand qu’il avait fait jurer de le renseigner sur les agissements de celui qui hantait toutes ses nuits et qui lui donnait par conséquent cette apparence cadavérique. Il lui fallait par conséquent rejoindre la cité humaine de Naelis en Ithri’vaan et retrouver ce jeune nain.

Le lieutenant avait décidé de mener sa quête seul et en son nom sans en rendre compte à son commandement. Seule sa sœur avait été avertie par une lettre qu’il avait écrite, du moins, fallait-il encore que le messager la retrouve. Elrendil arriva alors à un petit village ou les activités matinales reprenaient leur cours. Voyant au loin une petite fontaine, il décida d’y amener sa monture pour l’abreuvait quelque peu. Lui-même étant sale, l’idée d’un petit rafraîchissement ne lui déplaisait pas. Elrendil prit alors soin de cacher le fourreau de sa lame resté attaché à sa monture et mit pied à terre en adressant un bref salue à un jeune elfe qui venait se mettre à son niveau.

« Ou puis-je trouver un endroit pour manger, petit ? », demanda le lieutenant.

Sans répondre, le jeune garçon âgé de quelques décennies seulement, lui montra un bâtiment du doigt avant de caresser le museau de sa monture.

« Reste avec lui si tu le souhaites, il est aussi assoiffé que moi, tu n’auras pas de mal à l’abreuver».
 
L’enfant lui rappela avec peine son apprenti laissé au front. Mais il se ressaisit et entreprit sa marche vers l’auberge, préférant ainsi se focaliser vers l’avenir et non plus vers ses démons du passé. Les yeux des villageois se braquaient vers lui. De la peur ou de la pitié ? Elrendil n’aurait pu savoir quel était le sentiment de ces gens, et à vrai dire, cela ne lui importait peu. Soudain, au détour d’une petite ruelle, Elrendil vit une elfe qui capta son attention. Blonde et élancée, elle présentait un petit ventre rond de femme enceinte et semblait tout comme lui, une voyageuse de passage dans le village. Il n’aurait su dire pourquoi, mais sa curiosité ne perdit aucune ardeur et il se sentit presque obligé de se porter au niveau de la jeune femme pour la scruter plus distinctement. Quelque chose en elle attirait son regard et il voulait savoir s’il avait déjà pu croiser cette jeune femme auparavant.

Sans paraître intéressé, le lieutenant s’avança en toute discrétion vers elle et parvint à mieux la percevoir. Ses mains indiquaient qu’elle avait tenu des armes pendant longtemps, une guerrière donc ? Mais l’aura qu’elle dégageait suscita chez lui une toute autre réaction. Cette elfe lui paraissait plus humaine que n’importe quel autre elfe. Elrendil avait appris à reconnaître ceux qui vivaient au contact des Hommes et pour cette jeune femme, cela ne faisait plus aucun doute.

« Si proche du front… vous ne devriez pas risquer votre vie et celle d’un futur fils de Kÿria dans ces parages. Les vermines du sud prendraient un malin plaisir à vous faire du mal et je ne saurais le supporter… », son ton se voulait doux et bien veillant, « je me nomme Elren », dit-il avec un petit sourire au coin des lèvres.

« Qu’est-ce qui vous amène à braver tant de dangers ? "

Le lieutenant remarqua alors l’état déplorable de ses habits et il eut  l’impression que cela ne jouerait pas en sa faveur pour en apprendre plus sur la jeune femme. Aussi, eu-t-il le sentiment de n’être qu’un piètre comédien et se soupçonna d’avoir mal interprété le voyageur bien veillant.

La jeune elfe enceinte avait pris ses paroles plus ou moins bien avait-il pu remarquer. Au moins ne l’avait-elle pas envoyé paître. Ce qui aurait probablement fait échouer complétement sa tentative d’en apprendre plus sur elle. La jeune femme lui parut donc polie et cela lui permit d’apprendre qu’elle voyageait en plus de savoir qu’il était plus à plaindre qu’une femme enceinte.  Mais son état de fatigue passait au second plan. Il avait appris à puiser dans ses réserves, même si celle-ci s’affaiblissaient de jours en jours. Au moins n’avait-il pas à affronter les atroces visions qui le hantaient.

Par ailleurs, il avait remarqué que le ton de la jeune elfe avait été relativement familier et qu’elle semblait pas user des formules de langage qu’un elfe de haut rang aurait pu utiliser. Non, cette jeune femme ne paraissait nullement appartenir à son monde. Ce qui ne fit que renforcer sa curiosité. De plus, de ce qu’il avait pu comprendre, elle avait vu pire. Mais où ? Quand ? Pourquoi une elfe d’apparence si jeune avait-elle due être confrontée à bien pire. Elrendil profita de ses interrogations soudaines pour le demander directement à son interlocutrice.

« Vous voyagez dites-vous ? Me permettez-vous de savoir dans quelle direction si cela ne vous paraît pas trop indiscret. Je voyage moi-même vers l’ouest, peut-être pourrions-nous faire la route ensemble. Je serais ravis de pouvoir vous tenir compagnie si mon apparence ne vous procure pas trop de dégoût ».

Le lieutenant adressa alors un léger sourire à la jeune elfe avant qu’elle ne lui réponde et poursuivit son discours.

« Je ne me suis que trop reposé depuis un certain temps, croyez-en ma parole », dit-il catégorique, « Mon cheval m’attend prêt de la fontaine à quelques pas d’ici. Ou se trouve le vôtre ? »

Rien dans son ton ne paraissait contraindre la jeune femme à accepter sa proposition. Et pourtant, qu’elle le veuille ou non, il ne la laisserait pas partir si aisément puisqu’il comprit pourquoi sa curiosité envers elle était si intense. Il lui fallait néanmoins en avoir le cœur net et il attendit alors que la jeune elfe lui donne une confirmation sur l’itinéraire qu’elle empruntait.

Elrendil se sentit un peu vaciller au moment où elle lui avait fait la demande d’aller prendre soin de lui avant le départ. Faisait-il si peur à voir ? Malheureusement, aucun miroir n’aurait eu le pouvoir de le montrer tel qu’il était. Il n’y avait pas de magie assez forte pour dire ce qu’il éprouvait depuis quelques ennéades à vrai dire. Mais finalement, il prit la demande d’Aina comme des conseils bienveillants. Son profond désarroi ne pouvait pas l’empêchait de se soigner, ou du moins, il n’en était pas encore arrivé à penser cela.

Tandis que la jeune elfe reprenait sa route dans les ruelles, Elrendil entreprit par conséquent de faire un tour dans la belle auberge d’où était sorti Aina. A l’intérieur, tout était somptueux et à l’image de sa race. Des ouvertures au loin laissaient rentrer les rayons du soleil et la chaleur. Il se sentit alors comme apaisé et dépossédé de toute la tension qu’il avait accumulée. Le maître de l’auberge, un elfe svelte et élancé aux cheveux d’argent lui proposa alors de récupérer ses habits boueux pour lui en vendre des neufs et beaucoup plus confortables. Ce qu’il accepta finalement après quelques secondes d’hésitation. Entre temps, il prit un rapide bain pour enlever toute sa crasse et laissa derrière une eau presque marron.

Il était enfin prêt et entreprit de rejoindre la jeune elfe à l’heure et à l’endroit convenu une demi-heure avant. Mais encore fallait-il qu’elle y soit vraiment. Elle lui avait dit qu’elle était en partance pour Naelis, une des cités d’ithri’vaan qu’il ne connaissait que de réputation et de nom. Sa destination à lui était Thaar, mais il ferait tout de même le voyage avec elle pour faire plus ample connaissance et pour assouvir sa curiosité et les questions qui commençaient à surgir ici et là alors qu’il arrivait à la fameuse entrée du village

Elle était là comme elle l’avait dit. Cela était déjà un bon point qui jouait en sa faveur, mais il restait encore du chemin à parcourir pour rejoindre Naelis. Elrendil lui adressa un bref sourire, chose qu’il n’était pas habitué à faire et regarda furtivement ses nouveaux habits, toujours aussi sombres que les précédents comme pour informer Aina qu’il n’était plus question pour lui de s’arrêter.

« Me voilà comme vous me l’avez suggéré », avant de tourner les yeux vers la forêt, « Puisse Kyria nous accompagner durant notre voyage ».

Sa lame, toujours cachée sur le flanc de sa monture. Il vint se mettre au niveau d’Aina pour la saluer de nouveau par un hochement de tête. Il ne pouvait se voir, mais s’il avait pu, aucun doute qu’il devait ressembler à tous ces elfes pédants et pitoyable. L’idée le fit sourire, et son sourire le surprit à son tour. Cela faisait tellement de temps qu’il ne l’avait pas fait. Avant de prendre la route, Elrendil de poser une question.

« Naelis donc ? », demanda-t-il d’une voix aussi douce qu’il lui était permis malgré sa voix relativement glaciale à la normale, « Si je puis me permettre sans vous paraître indiscret, l’enfant ne devrait-il pas être auprès de son père lorsqu’il naîtra ».

Bien sûr, il imaginait bien évidemment que le père devait être de sa race. Malgré cela, le doute subsistait et il voulait savoir pourquoi cette jeune elfe enceinte à ce niveau-là, quittait son royaume pour les terres des hommes.

Il avait pu voir apparaître une petite expression de désarroi sur le visage de la jeune femme lorsqu’il lui avait demandé pour le père. Néanmoins, elle lui avait répondu et c’était là le principal, il avait ce qu’il voulait et ne chercherait pas à approfondir son interrogatoire, du moins, pas tout de suite. Ils avaient encore de la route devant eux. Une longue chevauchée pour traverser l’Aduram qu’il ne connaissait que trop peu.  

-Et si nous y allions ? Les journées sont encore assez courtes et franchir l'Aduram au plus vite ne serait certainement pas ce qu'il y a de plus mal."

Elrendil fit un petit sourire et lui indiqua de la main qu’il la suivrait.

-Après-vous Aina, je ferme la marche, n’ayez crainte.

Dans le silence et la quiétude de la forêt d’Anaëh, ils chevauchèrent dans le silence le plus complet. Voyant que la jeune femme semblé perdue dans ses pensées, il préféra faire de même et se perdre à son tour. Il tenta alors de se rappeler des mots d’Aina. Le père de son enfant qu’elle portait était donc un elfe travaillant dans une cité humaine. Qu’elle idée s’imagina-t-il. Qu’elle idée de laisser l’Anaëh qui avait tant besoin de ses fils pour aller dans une cité humaine et faire un travail surement pas digne de la race. Le lieutenant en mission n’eut pas pour autant l’envie de s’immiscer un peu plus dans les détails et préféra s’arrêter de penser.

Ils quittaient l’Anaëh, les arbres se faisaient moins beaux, moins majestueux, la symphonie disparaissait. Cela ne faisait pas de doute qu’ils arriveraient dans l’Aduram avant la nuit tombée. Bien qu’ils aient déjà parcourus une bonne distance, la cavalière accéléra la cadence comme pour quitter au plus vite leur royaume. Elrendil vit en elle un certain mal être qu’il ne parvenait à comprendre. La nuit tomba alors brusquement et il sentit la fatiguer s’aplatir sur lui. Cela faisait plusieurs jours déjà qu’il chevauchait dans tout l’Anaëh pour le bien de sa mission, et il comprit qu’il ne pourrait pas lutter plus contre sa fatigue physique. La jeune femme s’arrêta alors pour lui dire qu’ils s’arrêteraient dormir dans un petit coin protégé des alentours.

Il n’avait pas l’habitude qu’on lui donne des ordres, mise à part quand ses officiers supérieurs lui en donnaient. Mais ici, il n’était plus qu’un simple voyageur accompagnant une jeune elfe partie rejoindre son époux. D’un hochement de tête il acquiesça et descendit de sa monture.

-Je prendrais la première garde si vous le souhaitez. Le sommeil peut attendre pour moi, il sorti alors de la nourriture de sa besace, mais avant, mangeons si vous le voulez bien.

Comme il l’avait dit, son sommeil pouvait attendre. Il lutterait jusqu’à la dernière seconde pour ne pas succomber dans ses rêves douloureux qui revenaient le persécuter dès qu’il fermait ses yeux. Non, il tiendrait bon. Il partit alors quelques minutes dans les bois afin de trouver des branches et brindilles pour pouvoir alimenter le feu et revint au petit campement. Tandis qu’il s’afféra à allumer le feu, Elrendil eut l’envie de parler à son compagnon de route.

-Nos frères et sœurs sont derrière nous à présent… se dit-il à lui-même, puisse Kyria me permettre un jour de revenir auprès des miens.

Les brindilles prirent alors feu et il put se rasseoir entre deux racines servant provisoirement de petit fauteuil. Son regard se porta de nouveau vers Aina et il tenta de l’observer une nouvelle fois tout en restant le plus discret possible. Elle était bien plus jeune que lui, ça ne faisait pas de doute et elle arborait plusieurs sentiments qui le laissait perplexe. Une certaine fragilité se dégageait d’elle, mais elle se faisait vite remplacer par une force insoupçonnée qu’il pouvait retrouver dans ses yeux et expressions. Elrendil eut alors l’envie de la tester.

-Connaissez-vous les Hommes ? On dit qu’ils sont cruels, cupides et vaniteux. On dit qu’ils ne pensent qu’à se battre et qu’une fois la bataille terminée, c’est le pouvoir qui les intéresse. J’ai du mal à comprendre leur fonctionnement si peu évolué.

Bien sûr, il connaissait la réponse. Il les avait déjà fréquenté et même tués quelques-uns au détour de ruelles. Aucune pitié ne s’était fait lire dans son visage lorsqu’il l’avait fait. Mais il ne les haïssait pas, ni les jalousait. Ces êtres lui étaient tout simplement indifférents. Sa mission voulait qu’il les intègre pour connaître certaines choses. Il se devait par conséquent de savoir à quel point la jeune était influencée par cette race.

Aina lui avait répondu comme il l’avait espéré. Ainsi, il put découvrir la vision de la jeune femme concernant les humains. La comparaison qu’elle lui fit en parlant des préjugés sur les elfes le fit doucement sourire. La vision d’Aina était pour lui un tant soit peu idéalisé et manquait peut être un peu de réalisme. Mais bon, si elle les fréquentait depuis longtemps, cela ferait toujours plus que pour lui. Ainsi, il préféra faire mine de la croire en hochant la tête simplement comme pour acquiescer. Il voulut néanmoins continuer le débat lorsqu’elle lui posa la question sur la fausse comparaison des elfes.

-Bien évidemment, nous ne sommes pas tous comme ça - En réalité il l’avait été encore il y a peu de temps – A force de vivre dans notre royaume de manière totalement aseptisée, nous en sommes venus à nous méfier de nos voisins humains. Mais je vous crois très volontiers lorsque vous dites qu’ils ne sont pas tous comme je vous les ai décrits. J’espère pouvoir en croiser durant mon chemin.

A vrai dire, il ne venait pas pour ça et gardez de toute façon, une totale indifférence concernant les humains. Mais jouer l’innocent et le naïf ignorant lui avait quand même permis de savoir où placer la jeune Aina. Cela ne faisait aucun doute qu’il en découvrirait encore plus durant le reste du trajet. Après avoir répondu, Elrendil fixa longuement les flammes qui fit ressurgir des visions d’horreurs qu’il avait accumulé. Il y avait quelques ennéades déjà, il avait vu une partie de la forêt frontalière partir en cendre lors d’un raid drow, il ne supportait plus le feu, ni même le chaleur qu’il appréciait tant dans sa jeunesse. Non, les humains n’étaient pas les pires. Le véritable fléau, c’était bien les drows.

Elle lui posa alors une question qui tomba à pique lorsqu’elle lui demanda qui il était. Bien sûr, il ne divulguerait pas véritablement son identité et modifierait quelque passage, mais essaierait néanmoins de faire comprendre à la jeune femme son positionnement vis-à-vis des autres races. Pour commencer, l’histoire de sa femme lui parut être une bonne amorce. Alors que les braises crépitaient et qu’un calme relatif s’était instauré, Elrendil en profita pour commencer. Il n’était pas question de renoncer à le faire.

-Je peux vous raconter mon histoire avec plaisir, dit-il en lui adressant un léger sourire, mais je vous préviens, cette histoire n’est pas gaie. J’espère néanmoins qu’elle vous permettra de ne plus voir en moi qu’un simple voyageur usé par le temps, grincheux et rempli de préjugés. Au moins, cela permettra de passer le temps.

Il lâcha un petit rire afin d’indiquer à la jeune femme qu’il plaisantait. Etant donné qu’il n’était pas vraiment un très bon blagueur, il espéra ne pas paraître dépressif aux yeux d’Aina.

-Je n’ai pas toujours été voyageur, d’ailleurs mon manque d’ouverture d’esprit en est surement la preuve. J’ai toujours vécu plus ou moins dans l’Anaëh et lors d’un de mes voyages, j’y ai rencontré celle qui allait devenir ma femme, elle se nommait Vodià, son ton s’était fait amer, comme bon nombre de frontalier, j’ai perdu un être cher et ma femme l’a été. Prise trop tôt par Tyra, comme tous nos frères. Elle partit alors, me laissant seul avec ma tristesse et ma soif de vengeance. Je n’ai jamais pu aimer une autre qu’elle et je n’ai jamais pu haïr autant la vermine que sont ces drows.

Il prit une gorgée d’eau grâce à l’outre qu’il avait apporté avec lui, et reprit la parole tout en remettant du bois sec sur le feu.

-Le jour ou elle mourut, je venais d’apprendre que je serais père. Comprenez alors pourquoi je vous ai posé des questions toute à l’heure. En vous accompagnant, c’est en quelque sorte une opportunité pour moi de pouvoir réparer mes erreurs. Mais ne voyez en cela aucun signe malveillant ou malsain. Il croqua dans un des morceaux de viande séchés qu’il avait apporté et continua son récit. J’ai alors parcouru le royaume pour parvenir à me rendre utile et l’armée fut pour moi mon refuge et l’opportunité d’exprimer toute ma haine. Il fixa la jeune Aina. Mais j’ai vu trop de peine, de souffrance et de sang. Il est temps pour moi de retrouver de vieux amis.

Au final, lorsqu’il finit son histoire, il eut presque l’impression d’avoir dit toute la vérité. En réalité, il aurait aimé que ce soit cette version qui soit vraie. Même si la vraie version était assez différente. Il profita du fait qu’il venait de se présenter pour demander à Aina de faire de même.

-Mes yeux voient en vous une jeune elfe, Aina. Dites m’en plus sur vous, je vous prie.

Il n’y avait pas vraiment d’autorité dans sa façon de parler. Cela le changeait et été nouveau pour lui, mais il crut néanmoins voir en elle une personne qui lui était assez similaire. Peut-être le confirmerait-elle par la suite.

Le crépitement des flammes faisaient ressurgir des souvenirs douloureux dans la mémoire d’Elrendil. Lorsqu’il y avait des moments de silence dans leur conversation, il pouvait ainsi se remémorer les événements qu’il avait vécu. Mais cette fois-ci, une chose l’apaisait et l’empêchait de sombrer dans ses pensées les plus noires. La voix d’Aina résonnait dans sa tête et il buvait chaque mot, chaque phrase comme une véritable délivrance. Elle apparaissait devant lui, et lui donnait l’effet d’une femme toujours aussi jeune et qui pourtant, semblait enfouir en elle des secrets inavouables. Il le remarquait puisqu’il savait voir les choses et les analyser. Lorsqu’il était dans l’armée, c’était lui qu’on appelait pour faire sortir la vérité des bouches de Sombres. Sa réputation l’avait précédé jusque dans les oreilles de ses ennemis et il espérait ainsi qu’on le craignait là-bas, mais aussi chez les siens. Alors que ses yeux étaient absorbés par les flammes, Aina parvint alors à l’en faire sortir lorsqu’elle lui avoua qu’elle n’avait jamais su haïr contrairement à lui. Evidemment, il n’avait pas pesé ses mots en racontant son histoire et il se rendait compte de l’image qu’il donnait à présent, celle d’un être froid et haineux.

Mais la suite l’intéressa beaucoup plus lorsqu’il apprit qu’elle avait croisés la route de drows à plusieurs reprises. Qu’entendait-elle par-là ? Il commençait à toucher un point sensible et se dit qu’il devrait patienter avant de rentrer plus en profondeur dans la curiosité. Il préféra alors continuer de l’écouter en essayant de paraître toujours aussi courtois même si plusieurs de ses cicatrices commençaient à lui faire grincer des dents. Il remarqua aussitôt que la jeune Aina l’avait remarqué et il entreprit donc de se justifier.

-Comme vous pouvez le voir, à moi aussi ils m’ont laissés des traces, dit-il sans avoir l’intention de la couper dans son histoire.

Elle évoqua alors quelques épisodes de sa prime jeunesse qui ne manquèrent aucunement de l’informer un peu plus sur son compte. Elle lui faisait maintenant l’effet d’une jeune elfe qui s’était ouverte aux autres races et aux autres cultures et cela ne fit que l’intéresser encore plus. Lui, était toujours resté enfermé dans l’Anaëh, privilégiant toute sa vie la sauvegarde des siens et la protection de son royaume. Elle, avait fait le choix de quitter les siens pour découvrir un autre monde. Elrendil n’aurait su dire s’il approuvait vraiment ces choix. Les événements récents qu’il avait vécu l’empêchait de le faire, mais une part de lui encore tolérante et bienveillante ne pouvait que féliciter cette envie d’ouverture et cette volonté de curiosité.

Elrendil adressa donc un bref sourire qui voulait en dire long sur les efforts qu’il faisait en cet instant pour accepter les dires de la jeune femme sans la sermonner. Il y eut néanmoins une chose qui ne manqua de le faire frémir, ce fut lorsqu’elle lui annonça qu’elle avait bel et bien rencontré celui qu’elle aimait là-bas. Elrendil ne se fit aucun espoir sur la race de l’individu et ne put que recevoir l’information avec peine.

-J’aime votre façon d’avoir eu cette envie de découverte et d’ouverture au monde. Gardez à l’esprit néanmoins qu’une place vous attendra toujours chez vos frères si vous décidez de rejoindre le combat.

Par cette pirouette plutôt bien apportée, il tenta de faire glisser un léger sentiment de culpabilité pour qu’elle comprenne si cela n’était pas déjà fait que son peuple, que son sang, était presque voué à l’extinction si tous leurs frères délaissaient la défense de la forêt pour partir s’amouracher d’exotisme. Sa vision était très conservatrice voire presque xénophobe, mais il avait le pressentiment d’être le dernier guerrier d’Anaëh à s’opposer à leurs fin tragique qui s’annonçait. La question d’Aina tomba alors plutôt bien lorsqu’elle lui demanda ce qu’il aimait dans le combat. Dès ce moment-là, il pourrait dire certaines choses qui lui tenaient à cœur. Il la regarda au travers des flammes et bu une petite gorgée d’eau avant de commencer.

-Je ne parlerais pas ici d’amour, mais d’aisance même de mon être. Car je n’éprouve aucun amour lorsque je combats, non, cela il n’y en pas. Les Sombres ne m’inspirant que dégoût et mépris, c’est une colère qui anime mon désir de combattre. Autant vous dire que mes débuts dans l’armée ont été difficiles puisqu’aucun soldat ne peut être animé par la colère. Cela n’apporte rien de bon et ne fait que le faire ressembler un peu plus à ceux qu’il s’est juré de combattre. Dit-il en souriant doucement. Non, toute ma colère, je l’ai apprivoisé et canalisé pour la reverser dans mon art, celui de prendre les vies et les offrir à Tyra. Mais je me rends compte aujourd’hui que tous les combats ne se passent plus au bout d’une lame et que les yeux ou les oreilles peuvent être utilisés à de bonnes fins également.

Voyant que ces mots auraient pu être suspectés ou mal  interprétés, il évoqua la raison de sa présence sur la route pour l’Ithri’Vaan.

-Il y a plusieurs personnes qui peuvent me renseigner à l’endroit où je vais, du moins, je l’espère. Peut-être que vous pourrez également m’aider à me guider le moment venu, votre aide serait acceptée avec grand plaisir. Mais avant cela, si vous le voulez bien, une longue route nous attend demain et je vais commencer ma garde. Reposez-vous Aina, je vous réveillerais quand ce sera votre tour.

Elrendil resta donc le seul éveillé, veillant ainsi à ce qu’ils ne risquent aucun danger. Il était seul devant les flammes et regardait le visage de la jeune elfe qui l'accompagnait. Sa posture était droite comme s’il s’était mis à méditer. La méditation n’était plus que le seul moyen qu’il avait de ne pas sombrer dans la folie, la haine ou le désespoir, elle le maintenait en vie. Tandis qu’il se concentrait, il revit alors l’image de sa sœur découverte, celle de son apprenti disparu et celle de son cousin retrouvé. Les trois visages flottaient dans son esprit, mais des flammes prirent aussitôt le dessus comme si une explosion se produisait dans son esprit. Ses yeux se rouvrirent subitement et Elrendil comprit ce qui l’attendait s’il fermait ses yeux pour trouver le sommeil. Plus jamais on ne lui laisserait de répit, il était voué à vivre cette torture. Mais il réveilla doucement tant bien que mal Aina, sachant bien qu’elle n’aurait pas supporté qu’il monte la garde une nuit entière.

-Je vais me reposer un bref moment, je vous laisse poursuivre la garde.

Une fois qu'Aina fut réveillée, Elrendil se laissa donc sombrer doucement dans le chaos qui l'attendait. Tous ses rêves se répétaient, mais à chaque, il échouait un peu plus à les affronter. Il ne put alors que dès ce moment là, subir une fois encore les épreuves qu'on lui imposait, et sans pouvoir recevoir d'aide extérieure. Non, il était seul et perdu dans ses craintes. Au bout de quelques heures, une fois qu'il ait été complétement endormi, son visage commença à s'animer. Ses dents se mirent à grincer et la sueur commenca à couler sur son front et sur son corps. Il n'y avait pas vraiment de questions à se poser, Elrendil revivait le chaos qu'il venait d'affronter une ennéade auparavant.

Tout dans son rêve n’avait été que chaos, désolation et mort. Dès qu’il fermait les yeux pour tenter de trouver le repos, les mêmes images lui apparaissaient et alors qu’il pensait être quelqu’un de coriace dans sa vie, ses rêves lui rappelaient avec toujours autant de force ses faiblesses qui au fil du temps avaient pris une ampleur qu’il n’avait encore pu imaginer. Toujours cette même scène avec ces mêmes visages devant lui… Ses mains qui brûlaient, puis son corps tout entier qui s’embrasait face aux étendues de forêts qui partaient eux-mêmes en fumée. Il pouvait ressentir les brûlures jusque dans sa chaire malgré le fait qu’il ne vivait qu’un simple cauchemar. Comme pour le punir de n’avoir pu protéger son royaume, Kyria le malmenait chaque nuit et il ne savait comment s’en sortir.

Mais alors qu’il brûlait toujours, une voix vint le sortir de là et le réveiller subitement et lorsqu’il ouvrit de nouveau les yeux et mordit la main de la jeune elfe sans s’en rendre compte tellement l’impression d’effroi était traumatisante. Aina cria de douleur au même moment et Elrendil n’aurait su dire si son inconscient lui jouait encore des tours.

Fort heureusement, il n’y avait plus de peur que de mal et tandis qu’il reprenait ses esprits avec peine, Aina vint à lui demander ce qu’il avait et ce qu’il avait vu dans ses rêves. Elle s’était faite autoritaire dans ses propos et Elrendil ne manqua pas d’être gêné par la scène qui s’était produite. Il se rassit alors pour tenter de retrouver son calme et observa la forêt tout autour de lui. Le visage de son compagnon de route était toujours aussi crispé et il savait qu’il n’avait pas d’autres choix que d’expliquer pour la première fois ce qu’il voyait chaque nuit.

-Il y a peu, je commandais des mectaris et nous avons été pris de plein fouet à la frontière par des incursions drows. Il tenta de gérer son souffle pour que les mots sortent doucement. J’étais seul avec ces quelques fils de Kyria et nous nous sommes retrouvés dans un brasier inarrêtable…mes soldats sont morts en brûlant pour la plupart et chaque nuit je revis ce même cauchemar ou un être dépossédé de son humanité me brûle et me torture. Son visage est flou dans mon esprit et lorsque je crois l’apercevoir, je disparais…

Gêné par l’aveux de faiblesse qu’il faisait à une quasi inconnue, Elrendil ne put s’empêcher d’éprouver de la honte. Lui qui avait connu tant de batailles et tant de guerres, qui avait survécu à chaque fois, voilà que son esprit le tuait sans cesse.

-Pardonnez-moi de vous avoir fait du mal, je ne le voulais pas… je n’étais pas maître de mon corps… oublions ce qu’il vient de se produire et poursuivons notre route, je n’ai plus le cœur au repos.

Ses souvenirs de l’incendie étaient intacts et gravé dans sa mémoire, en revanche, il n’oubliait pas la mission qu’il avait faite pour délivrer son cousin, capitaine des aigles. Non, comment aurait-il pu l’oublier. A plusieurs reprises, il avait été frappé par la magie qu’il détestait tant. Et si cette magie était la cause de tous ces troubles ? Il savait la magie capable de faire des choses immondes et cela ne l’aurait absolument pas surpris d’être une victime d’un mauvais sortilège. Mais cela restait encore à prouver. Peut-être qu’au lieu de trouver un fantôme, il ferait mieux de trouver un ensorceleur capable de l’aider. Cela n’était que des idées, mais il lui faudrait absolument trouver un moyen de s’en sortir. Sinon, son seul échappatoire serait de rejoindre Tyra une bonne fois pour toute.

La question d'Aina suscita aussitôt en lui de nouvelles interrogations. Il n'avait pas oublié l'objet de sa venue dans les terres des hommes et s'il était là, c'était bien pour en savoir un peu plus sur un certain drow et les descriptions de l'elfe lui mis l'eau à la bouche malgré le fait qu'il peinait encore à retrouver ses esprits. Cependant, les descriptions qu'elle lui donnait étaient bien trop vagues. Dans ses cauchemars, c'était bien un être semblable qu'il voyait, mais il n'aurait su dire s'il l'avait bien vu dans la forêt ce jour-là. Mais la plus grosse question qui demeurait restait tout de même de savoir comment Aina pouvait-elle être autant au courant et renseigné sur un tel individu ? Cela voulait dire qu'elle avait rencontré un drow pareil et son air inquiet ne fit que lui faire un comprendre que sa rencontre n'avait pas était des plus enrichissantes.
Il la regarda alors avec un air songeur et tenta de lui apporter une réponse concise.

-Je ne saurais le dire... je pense que si je l'avais vu ce jour-là, soit je l'aurais tué ou soit je serais mort... Mais votre description se rapproche beaucoup des terreurs nocturnes que j'ai. Dit-il en reprenant son souffle. Tout ce que je peux vous dire, c'est que je mène une enquête depuis longtemps pour trouver un drow en particulier et le tuer et son nom est Bol d'Jiv'elgg...

Sur ce dernier mot, Elrendil se souvint du drow qu'il avait tué à la Dross et qui lui avait donné ce nom. A l'époque, il enquêtait sur un trafic d'humains à la frontière, ce qui l'avait amené dans cet endroit putride ou régnaient les Hommes. Son chemin avait alors croisé celle d'un nain qui partait pour Sol'Dorn et après l'avoir fait prisonnier, l'avait libérer en lui demandant de lui donner des informations sur des éventuels agissements de ce drow. Voilà pourquoi il faisait route vers l'ouest et qu'il quittait ainsi le royaume de son peuple.

-Maintenant que nous sommes tous deux réveillés, autant reprendre la route, je me reposerais sur ma monture pour ne pas trop vous ralentir par la suite...

Le Lieutenant se leva d'un bond malgré la fatigue qui se lisait sur son visage et entreprit de remettre toutes ses affaires sur son destrier. Une fois dessus, il attendit qu'Aina monte sur la sienne et ils se mirent tous deux en route. Grâce aux mouvements perpétuels du cheval, il put ne pas sombrer de nouveau dans ses rêves noirs, mais il put au moins récupérer un peu de toute la fatigue qui s'était emmagasinée depuis lors. Comme si une certaine crainte à son égard s'était fait ressentir, le voyage se passa dans un silence tout à fait relatif et ils purent ainsi se rapprocher un peu plus de leur destination – Naelis – qui pourtant, n'était pas vraiment la sienne. Il lui restait néanmoins un certain nombre de mystère à éclaircir vis-à-vis de cette jeune femme. Peut-être en aurait-il l'occasion une fois arrivée.

Elle lui conseillait de ne plus partir à la recherche du drow qu’il s’était mis en tête de chasser depuis tant de jours déjà. Comment l’écouter ? Comment accepter ? Alors qu’il s’en était fait une cause presque personnelle. Il était trop tard pour reculer et de toute façon, le nain l’attendrait comme prévu à Naelis pour lui révéler les précieuses informations. Néanmoins, la détresse qu’il semblait percevoir dans le regard et les expressions de la jeune elfe le laissa quelque peu sceptique. Si elle avait raison ? Si tout ce qu’il comptait faire ne le menait qu’à sa perte ? Comment savoir. Lui n’était qu’un soldat et ne passait pas son temps à se demander si ses actes le tueraient ou non. A vrai dire, s’il le faisait, alors il ne pourrait être un officier efficace. Kyria l’avait maintenu plusieurs fois en vie après toutes ces actions. Comment ne pas se dire que cela avait été dans l’unique objectif de l’amener devant le haut prêtre de Kiel pour le tuer définitivement ?

Lors de la pause du midi, lorsqu’Aina eut terminé de lui transmettre ses inquiétudes. Elrendil prit à son tour la parole pour tenter de nuancer les craintes de la jeune femme.

-Voulez-vous dire que je risque de mourir ? lui demanda-t-il poliment. Toute ma vie, j’ai combattu, traqué et tué ces abominations de la nature. Je ne céderais pas aujourd’hui, et cela même si la mort devait en être le point final. En rejoignant l’armée royale, j’ai embrassé la mort et je lui ai permis à plusieurs reprises de me récupérer. Ce qu’elle n’a jamais fait. Il lui tendit un morceau de pain. Voyez-vous, si cela doit être ma dernière quête alors ainsi soit-il. Mais au moins, j’aurais essayé de mettre un terme à tout ça et je n’aurais plus à me battre contre mes démons.

Après ces mots, le repas se déroula dans un grand silence. Ils remballèrent assez vite et se remirent à cheval sans s’adresser la parole. Naelis ne devait alors plus être très loin se dit-il en voyant la végétation changer au fil des lieux. Plus que quelques heures encore et il pourrait tenter de retrouver le corbeau. Mais avant, les mots d’Aina hantaient encore ses esprits et une fois de plus, une question l’assaillait en permanence. Et si elle avait raison ?

-Nos chemins se sépareront peut-être Aina. Vous avez fait le choix de rejoindre une nouvelle cause, et personne ne peut vous le reprocher. Mais je continuerais notre lutte contre les drows quoiqu'il en soit. Néanmoins, je sais que tôt ou tard, nos routes se recroiseront, dans cette vie ou dans une autre. Mais je ne crois pas que notre rencontre n'ait été qu'une coïncidence après ce que nous avons vécu chacun de notre côté.

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