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 Et si vous nous bafouez, ne nous vengerons-nous pas ?

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Aymeric de Brochant
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MessageSujet: Et si vous nous bafouez, ne nous vengerons-nous pas ?   Et si vous nous bafouez, ne nous vengerons-nous pas ? I_icon_minitimeVen 30 Mai 2014 - 20:41

5ème énéade de Favriüs, 8ème année du 11ème cycle.

Une curieuse scène se déroulait dans le grand hall du marquis, au cœur du castel séraphin. Assis autour d'une grande table, les vassaux du pays s'égosillaient devant un siège vide. Le capitaine de la garde, Otto Vanhardt, acculé sous cette tempête de revendications, semblait accuser le coup. Tout bon soldat qu'il était, l'homme menait un exercice auquel il n'était guère habitué, celui de la politique. Tenir face à une horde de brigands, ça oui, mais retenir une bande de féodaux remontés, avec pour seul ordre de "gagner un peu de temps", c'était une autre affaire.

Ce manège avait commencé il y a une semaine de cela, quand les premières troupes du ban de Serramire arrivèrent dans la cité. L'ost de Brochant était mené par Evrad, le frère du marquis, qui s'était hâté vers la capitale, espérant trouver son ainé enfin guéri, faute de quoi il lui avait été adressé une porte close. Il avait vu plusieurs jours passer devant lui le valet Jaljen, un roturier, vers la chambre d'Aymeric, quand on lui refusait, lui, le frère du marquis, une simple visite.

"Qu'attend il ? Qu'attends Aymeric, par le con denté de Tari ? s'égosilla Roland de Versmilia, le beau-frère du marquis
- C'est insensé, comment peut il envisager la conquête des Wandres, s'il ne peut sortir de son lit ? ajouta le fils de ce dernier
- Otto, laissez nous voir mon frère, par les Cinq !
- Quoi, devra-t-on, charger sus aux sauvageons avec pour meneur ce traitre d'Arvelaig ?" demanda Geoffrey de Clairséant

Et les vavasseurs de la Verse, de Brochant et de Lourmel d'ajouter leurs voix à ce concerto de récriminations. Mais le capitaine Otto tenait bon. "Le marquis est alité, il vous recevra quand il le pourra" lâcha-t-il laconiquement. Les lazzis reprirent de plus belle. L'assemblée ne manquât de se soulever, menée en tête par Evrard de Brochant, quand déboucha d'un corridor à toute allure le lieutenant Heinrich. "Sires, sires ! Le, le marquis !", s'époumona-t-il.

Et Aymeric de Brochant, plus majestueux que jamais, pénétra dans le grand hall.

Sa démarche assurée ne laissait aucun doute sur sa guérison, et il portait crânement l'épée au côté, à défaut de venir tout en armure. Seules la pâleur sur son visage et les rides qui le parcouraient témoignaient du long calvaire que l'homme avait subi pendant plusieurs mois. Mais le marquis était sauvé, arraché aux mains de la Camarde une fois de plus ! Il s'installa lentement dans son siège, les muscles encore ankylosés par le long alitement, tandis que son fils Arnaud récupérait l'épée de son père.

"Bons seigneurs, amis et frères serramirois, vous avez répondu à l'appel d'un mourant, mais je vous le dis, c'est un miraculé que vous suivrez à la bataille !" tonna le marquis.

L'assemblée, restée bouche bée jusque là, exulta de joie. Tous y allèrent de leur félicitation, louèrent les cieux et les Cinq, persuadés de la nature divine d'une guérison si soudaine. La vérité était bien différente : cela faisait tout simplement deux semaines qu'Aymeric avait cessé d'absorber son poison quotidien. Les effets avaient été fulgurants ! Il regagna la vue presque aussitôt, puis le goût, put marcher, et, à force de toniques, des vrais cette fois-ci, avait endossé l'armure la nuit passée, dans le plus grand secret. Car cette guérison avait été cachée à tous, sinon les familiers du marquis, de même que la cause du mal qui l'avait frappé.

"Une guérison divine, oui, c'est bien de cela qu'il s'agit. Mais les dieux n'offrent leur bénédiction à la légère, car ils m'ont aussi confié une mission : chasser l'Ogre de l'Atral, le félon Jérôme, le spoliateur de Clairssac, et restaurer l'ordre ancien dans les marches du Nord !"

L'annonce fit sensation. Les seigneurs avaient été rassemblés ici en prévision d'une chevauchée dans le septentrion wandrais, et leur suzerain annonçait une guerre dans les baronnies. Le silence flotta un instant au dessus du hall, avant qu'il ne soit brisé par Nestor, le fils héritier du seigneur de Versmilia.

"Sire mon oncle, êtes vous sûr de ce que vous avancez ? Jérôme vous est loyal, et voici deux énéades qu'il combat dans la marche orientale pour châtier les rebelles, et vous restituer vos fiefs.
- Je sais que vous comptez Clairssac parmi vos amis, mon bon neveux, mais je dois vous apprendre que dans le secret du palais royal, la Régente nous a trahi, et offert à Jérôme le droit de réclamer mes terres en son nom propre, en échange de quoi, il s'est engagé à ne lui offrir d'hommage qu'à elle exclusivement ! L'assemblée essuya un hoquet d'effroi Jérôme s'est joué de nous, et s'est bien mal acquitté de l'amitié dont je l'avais honoré ! Je l'avais épargné après qu'il se soit lâchement attaqué à nos foyers, et voyez comment il me retourne la faveur !
- Mon oncle, êtes vous bien sûr ? Jérôme était un preux, jamais il ne...
- Un preux et un ambitieux, oui, c'est exact ! Ambitieux à en secouer les fondations du Nord même. Savez vous seulement que l'homme de l'Atral est appuyé dans sa tâche par des compagnies royales, des reîtres arétans et des condotierres ydrilotes ? Les plus fervents partisans de la Régente ! Savez vous qu'il a installé à Alonna, le fief de feu notre bonne parente Pearla, une parvenue dont il a exigé l'hommage, et qu'il se fait déjà donner du "comte d'Oesgard" à l'heure qu'il est ? Sa trahison ne fait plus aucun doute, Nestor, et j'en suis profondément navré, car moi aussi je l'estimais.
- Cela veut il dire que mon ép...
- Non, mon bon neveux, Madame votre épouse ne payera pas pour les agissements de son félon de cousin. Au contraire, tenez la écartée de lui ! Le plus sage serait qu'elle quitte la Verse, pour gagner Serramire. Que ma bonne sœur Catherine l'accompagne ; entourée d'elle et de ma douce dame Mahaut, votre épouse ne saurait songer au malheur qui vient de frapper la famille d'Hiviène. Elle fait désormais partie de la nôtre, ne l'oubliez pas. La décision rassura Nestor, qui ne regagna son silence que pour mieux laisser la parole au frère du marquis, Evrard de Brochant.
- Mon frère, puisque la trahison de Jérôme est évidente, je propose que nous n'attendions pas plus longtemps. L'armée est rassemblée : en lieu et place de donner la chasse aux sauvageons des Wandres, donnons la chasse aux sauvageons d'Etherna ! Qu'en dites vous, doux sires ? Marchons droit, punissons le félon !"
L'assemblée applaudit cette perspective ; tous bouillaient de châtier cet étranger qui avait cru pouvoir se jouer du tout Serramire.
"Tranquillisez vous, Evrard. Nous porterons la guerre devant Jérôme, cela ne fait plus aucun doute. Je sollicite aujourd'hui votre conseil, mes bons vassaux, pour que vous m'aidiez dans cette tâche. L'Ogre de l'Atral s'est acquitté de moult forfaits, trop de forfaits. Aujourd'hui il usurpe les baronnies, notre fer de lance, et demain, il portera à nouveau le siège devant Serramire, comme il l'a déjà fait ! Et si l'on nous bafoue, ne nous vengerons nous pas ?"

Un tonnerre de hourra accompagna la déclaration du marquis. Lorsque ce dernier, quelques années plus tôt, s'était résolu d'accepter Jérôme à sa cour pour mieux s'emparer de Serramire, il avait pris le soin de le placer dans une position des plus délicates. L'entourant des seigneurs du cru les plus belliqueux, les fameux Trente, Aymeric avait fait en sorte que les ambitions du baron d'Etherna soient modérées par son voisinage. Après qu'une tentative d'alliance, aujourd'hui avortée après la mort des dames de Lourmel, ait été nouée, Jérôme se trouvait profondément esseulé, en étranger de l'Atral qu'il était, au milieu de ce vivier serramirois. Sa bravoure au combat n'avait pesé guère face à sa trahison, aux yeux des grands féodaux du pays, qui se démenaient désormais pour proposer les plus retorses stratégies en vue de le détruire.

"Attaquons le sus, droit dans son arrière garde ! S'il est aux prise avec les Oesgardiens, il sera battu comme le fer entre le marteau et l'enclume ! lança Evrard de Brochant
- Boutons le feu à ses terres d'Etherna, sire, de manière à ce qu'il soit coupé de toute base arrière. Privé de soutient, il se cassera les dents sur Oesgard, et nous balayerons les lambeaux de son armée ! En passant par mes fiefs de la Verse, nous pouvons atteindre Romeno en une journée seulement, répondit le seigneur Roland
- Marchons sur Alonna, nous lui couperons ainsi toute retraite, et reprendrons par la même le fief qui vous revient, mon oncle ! Il nous suffira de les affamer, ces vendus, pour qu'ils ne rendent leurs châteaux !" conclut Nestor

Aymeric, toutefois, avais déjà conçu son plan. Ses proches, enhardis à l'idée de punir le félon, en oubliaient le but sous-jacent. Il ne ne s'agissait pas seulement de chasser Jérôme, mais de restaurer l'ordre dans la marche orientale, soit reprendre les baronnies d'Oesgard, d'Alonna, et le comté d'Odelian, dont Gaucelm le Gras avait dépossédé les ducs des années tantôt. Jérôme, empêtré dans ses conflits avec les séditieux, n'était que le rouage d'un schéma plus grand.

"Vos suggestions, mes bons seigneurs, ne manquent pas d'audace, mais je crains qu'elles ne manquent de clairvoyance. Chargeons Clairssac prestement, comme le conseille mon frère, et nous serons pris entre les rebelles d'Oesgardie et d'Alonna juste après notre victoire. Portons la guerre sur ses fiefs d'Etherna, ma foi, ce serait justice, puisqu'il pille les nôtres. Mais qui ne nous dit que dans son retour, d'Oesgard, Jérôme ne fera un détour par Serramire ? En marchant sur Alonna, notre position serait écrasante, voila qui est sûr. Mais ces forteresses n'ouvrent leurs portes qu'à ceux qui savent les forcer, et l'entreprise prend du temps, suffisant pour que Jérôme, s'il devine nos desseins, ne vienne nous surprendre alors que nous assiégeons la ville, et ne nous mette en pièces.

Nous porterons la guerre par le Nord, mes amis ! Et balayerons sans coup férir tous nos ennemis d'un seul mouvement, de Hasseroi jusqu'à Etherna, s'il le faut. Tapis en haut des monts d'or, nous guetterons le moment propice pour mener l'offensive, et mettre au pas les rebelles d'Oesgardie, le parjure d'Etherna, et les vendus d'Alonna, jusqu'aux voleurs d'Odelian !

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