Promesse non tenue [PV Duncan]

Au soir du second jour de la neuvième ennéade de Favriüs, An 8.

Il avait été bien des choses, et désormais, c’est la casquette du mercenaire qu’il enfilait pour le compte de la jeune sœur de la baronne d’Alonna, une petite mission parfaitement dans ses cordes mais qui l’avait contraint à se rendre en Oësgard, qu’il s’était pourtant juré d’éviter tant qu’elle demeurait en guerre, mais on ne peut vivre convenablement la bourse vide, ni garantir la pérennité de l’hospitalité d’un seigneur en refusant ses demandes.
Une mission servant de prétexte, une double tâche à réaliser si il voulait bien faire les choses, et dès lors qu’il l’avait reçu, il avait eu sa petite idée de la façon de l’accomplir. Il troqua ses effets et son équipement pour quelque chose de plus… commun et simple, plus pauvre, et le chevalier à l’armure laissa la place à l’aventurier ne portant qu’un gilet de cuir usé, une épée banale, ainsi qu’une monture et quelques petites choses du même acabit. Après avoir recueillit quelques informations, il traversa la frontière d’Alonna par le nord, pour se rendre en Oësgard.

Là, d’après ce qu’il avait pu apprendre, il se rendit où il savait pouvoir trouver des soldats de l’Ethernien, et, au cours d’une soirée, s’invita dans un groupe de soldats de ce dernier, en permission, dans une petite taverne d’Haurse-Porc. Là, il fut délesté de quelques pièces, mais apprit quelques petites choses, comme le départ en mission du second - ou du moins, ce qui s’en approchait le plus, semblait-il - pour le nord, bien qu’il parti vers l’Ouest… La guerre qui se déclarait pouvait s’achever avec le Serraminois par son intermédiaire, comprit-il. Et au lendemain, il était en route, soucieux de parvenir à croiser la route de ce Duncan de Lys et de son escorte, qu’il voyait comme le meilleur moyen d’obtenir ce qu’il était venu chercher dans ces terres.
Ce qui devait justement arrivé ce second jour de l’ennéade, quelque part au nord-ouest d’Adelagny, fort heureusement loin des conflits déclarés.

Il en avait vu la bannière, mais s’était tenu à distance, se gardant d’être vu, jusqu’à ce que la nuit tombe, qu’ils cessent pour ce jour et n’allument un feu autour duquel ils s’installèrent. Ça n’est qu’à partir de là qu’il décida d’entrer en scène, apparaissant dans l’obscurité, marchant au côté du cheval après avoir averti de son approche, par les bruits de sabots de sa monture, qu’il n’avait pas voulu discrète. Quand il constata la réaction prudente, mais toutefois plus modéré qu’il n’aurait cru, de l’escorte, il décida de parler.

“Doucement m’ssires, j’vous veux pas d’mal, j’vous l’jure sur la Damedieu ! C’est vot’ feu qu’à attirer mon attention, voila tout !”

A ces mots, il joint le geste d’une main portée vers l’avant, l’autre tenant la bride, en signe d’apaisement. Il ne lui restait plus qu’à espérer qu’ils prennent pitié pour son cas et ne l’invitent à se joindre à eux autour de ce feu, et la partie qu’il considérait parmi les plus délicates serait une réussite.

On ne l'auroit crût, mais Duncan se prit à considérer le panorama avec une attention toute particulière. Non pas que cette toile de fond l'attirât plus que cela, nenni ! Il aimoit à constater de son propre chef l'étendue de moult rixes sanglantes, s'éprenant de lui même en se songeant d'être un glorieux maréchal. Il n'y avoit ni oiseau malheur, d'augure ou même de minerve à bien des lieux. La faune vivifiante et la flore luxuriante sembloient avoir délaissées ces landes où ne flottoient ni l'ombre de pavillons moribonds. A bien des lieux ne se trouvoit la moindre chaumière, la hutte la plus mignonne. Uniquement la compagnie de vingt quatre sabots martelant ferme l'arc en terre de l'aurore. Ni fi de cela, le prime Astre ne cessa point sa majestueuse course dans les cieux, et sous l'inquisition des Cinq, Duncan ne sauroit manquer à son devoir.

Il n'y eu dans le suivant jour plus de péripéties que dans le précédent. Longeant ledit fleuve qui lui fut indiqué, une brève halte fut octroyée aux cavaliers afin que leurs montures s'abreuvent et se reposent. Le temps qui s'en suivit fut occupé par des discussions calmes, n'ayant attraits de près ou de loin à la guerre ou à la quête d'importance princière dont Duncan étoit chargé. Puis, une fois leurs montures abreuvées, ils reprirent leur chevauchée au grand galop. Lorsque vint l’heure de se délasser, la troupe fit halte à l’orée d’Uberwald, forêt sinistre s’il en fût ! Tandis que quelques braves hommes préparaient la guitoune pour leur seigneur ainsi que divers couchages, d’autres s’affairaient à faire mijoter le dîner. Un feu brûla rapidement les quelques monceaux de bois trouvés là, et sous la protection de deux vigies bien placées, le dîner commença.

Mais voilà qu’au cours du souper, vint un inconnu qui, surgissant au beau milieu des prémices de la nuit, surprit quelque peu Hugues, l’une des sentinelles. Il garda toutefois son sang-froid, n’esquissant qu’un simple geste de son bras, laissant le maniement de sa lance à sa guise. Le voyageur fut tenu en respect, mais assura ne point désirer de maux. Duncan laissa ses mirettes juge : après avoir murmuré à ses gens de demeurer prudent, il se leva, et prit lui-même la parole :

« Cavalier ! Si vous souhaitez passer la nuit, notre feu vous réchauffera, et notre dîner vous partagerez. Sanglez votre monture afin qu'au petit matin elle demeure, et venez prendre place à nos côtés. Notre souper est frugal, mais nous le partagerons. »

A ces palabres, Hugues le beau reître s'en fut d'un pas de côté, mais, prudent par nature, ne sauroit se laisser surprendre. Le Lys attendit donc que le manant s'approche, et qu'il prenne place auprès du mignon et des quatre hommes qui siégeaient avec lui. Lorsque la compagnie fut en place, on tendit à l'inconnu un bolet de bois dans lequel fut servi le bien maigre bouillon de viande dont ils se délestaient avant son arrivée. Prestement, Duncan prit la parole :

« Dites-moi, messire, il n'existe pareil lieu moins sûr pour un cavalier solitaire. Une terre périlleuse et en guerre, s'il en est ! Je ne connais point votre nom, et que les Cinq me pardonnent, je ne saurois tarir ma curiosité quand à ce qui vous mena à chevaucher si tard dans la nuit, et si loin du faubourg d'Adelagny. »

Il eu de la chance, et malgré la prudence naturelle, c’était un accueil plutôt chaleureux, et un peu “précipité” auquel il eut le droit, à peine assit, une fois sa monture attachée, on lui avait mis un bol en bois dans les mains. C’était rapide… Très rapide. Il apprécia la chaleur dans ses mains, l’odeur avant d’en goûter le contenu, attentif aux mots que tenaient le noble, car il supposa avoir là à faire à ce Duncan du Lys, si ses informations étaient bonnes.

“Oh, mais il n’y a là que quelques bandes en vadrouille, croyez ma parole, j’ai exploré des lieux bien moins sûr, dans l’Est, même flanquer d’une armée entière ! Et je miserais volontiers une pièce qu’avec votre oriflamme, vous représentiez une promesse plus appétissante que le vulgaire que je parais, même avec vos hommes, sans vouloir mésestimer leurs talents.”

Sa présence seule, d’autant plus si tardive, trouverait là sa crédibilité, relativement… Que savaient réellement ces nobles et soldats de l’Estrévent, voir même au delà, des Terres Stériles ? Suffisamment pour en considérer le danger autant que le mystère… Un désert et ses créatures inconnus, les drows… Que voila des dangers qu’on pouvait imaginer et qui rendait la perspective d’une vulgaire bande finalement relativement inoffensive. Il trouva curieux que le noble ne demande le pardon des dieux pour ne pas connaître le nom de celui qu’il rencontre par hasard… Avait-il l’habitude de ne côtoyer que des grands de ce monde, ou d’un monde plus réduit ? Ou bien ses rencontres étaient toutes si préparées qu’il savait avec certitude qui il trouverait sur son chemin, écartant de fait l’idée qu’il puisse croiser ce qu’il n’attend pas ?

“Et inutile de réclamer le pardon des Cinq, il n’est pas un tord d’ignorer le nom d’un inconnu, d’autant plus si ce dernier n’a pas comme vous un tissu pour montrer à tous qui il est, non ? Vous pouvez m’appeler Arthur. Quant à ce qui m’a mené à chevaucher si tardivement… L’espoir de trouver la lueur d’une chaumière dont j’aurais pu obtenir l’hospitalité, mais c’est votre feu éclairant vos couleurs que j’ai finalement trouvé, et c’est ma chance d’y trouver pareil accueil.”

Aussi longtemps qu’il ne semblait désirer creuser davantage, il n’offrirait que le stricte nécessaire, mais il n’avait pas l’intention de cacher de nouveau son identité, même dans un climat de guerre, ceux qui sauraient ce qui s’associent au nom de Melasinir se retrouverait face à l’impasse d’un homme qui s’est volontairement exilé, et qui, dans ce conflit, paraîtrait sans bannière. Mais il n’avait plus Monarth… Si le dräke était assez remarquable et rare pour le rendre reconnaissable, son absence le fondait dans la masse des inconnus.
En attendant, il avait besoin de confirmer certaines des choses qu’il avait apprise par petit morceau, même si les couleurs de Clairsac présente, il avait là tout ce qu’il lui fallait pour remplir une partie de sa mission.

“Et vous, messire, dont je dois admettre ne pas connaître le nom moi aussi… Je vois là les couleurs de l’Ethernien, qu’est-ce qui vous amène si loin d’Haurse-Porc ?”

Cette curiosité pouvait lui attirer la suspiscion, c’était une possibilité, mais alors, il n’aurait qu’à en dire un peu plus sur sa personne pour dissiper un peu les doutes.

Le sieur sembla se satisfaire de la mélasse qui lui fut donné. On n'auroit pu souhaiter mieux - quoiqu'il en fût, c'étoit tout ce dont les cavaliers disposoient. Il n'y eut nul silence maldisposant : derechef s'engagea la discussion. Sans doute mal-accommodés d'être ainsi dérangés par un méconnu, les Lysiens ne pipèrent point mots : engloutir leur pitance étoit la seule préoccupation, autant qu'icelle de conserver une mirette attentive sur le sieur Arthur. Du Lys eût tôt foit de finir son bolet, et s'octroya un bien vilain plaisir qu'une cibiche pourroit offrir. L'un des reîtres exigea de ses guibolles qu'icelles le soulèvent, puis transita le fardeau de lourdes bûches dans l'âtre. Débridant, le sieur safran se tourna vers leur convive :

« Messire Arthur, je ne saurois souffrir de ne point vous avoir convié à notre frugal banquet. Peu nous avons, mais notre éthique nous exhorte à le mettre à disposition de celui qui est dans le besoin. Graciez mon impolitesse, messire : je me nomme Duncan du Lys, seigneur et chevalier du Lys, chancelier du baron Jérôme de Clairssac de l'Ethernien - dont vous avez noté la présence de la bannière. »

A la dernière question du sieur, Duncan ne pût s'empêcher de poser un iris sur ses soudards, qui le lui rendirent bien. Leur mission - et quelle mission ! - pouvoit-elle être dévoilée ? Si l'on considérait ladite chose, bientôt tout le plat-pays sauroit que le Lys chevauchoit en direction du Nord pour quérir la cessation des hostilités de Monsieur le Marquis. Nul risque à cela. Que les termes de l'arrêt des combats demeurent scellés sous l'immaculée confidentialité que Duncan devoit à son sire, cela étoit entendu. Le Lys reprit donc la parole, tâchant d'ordonner quelque peu sa galure.

« Avisé messire, vous avez vu celle de l'Ethernien, mais pas celle de la paix ? Une colombe au rameau, voilà ce qu'elle est ! Une effigie de la paix. Je chevauche vers le Nord des landes de l'Oësgardie, avec l'inflexible intention de faire cesser les escarmouches auprès de Monsieur le Marquis de Brochant. Un petit comité ne sauroit attirer l'attention, et une armée ne pourroit véhiculer un message de paix. Mais, messire Arthur, dont je ne vois nulle bannière, pour qui se manie cette épée à votre flanc ? Vous disposez d'une monture et d'une belle lame, dont les frais ne sauroient être à la portée du premier maraud. Vous paraissez vulgaire, messire, comme vous le prétendez, mais vulgaire vous n'êtes point. Vos palabres ne trompent point, et un rustique ne sauroit deviser comme vous le faîtes. Votre apparat, messire, ne sauroit berner mes yeux : c'est un bon cuir, manufacturé avec soin, et coûteux. Las d'être porté, j'en conclus que vous n'en êtes pas à votre première chevauchée. Un sieur comme vous, une lame à vendre, est prestement acquis en temps de guerre : le gîte et le viatique sont ainsi obtenus contre la besogne. Alors dites moi, messire : de qui êtes-vous l'officier ? »

“Oh, vous savez, messire, la paix, il y a plus de dix ans qu’elle s’est sauvé, désertant le pays sgardien, ne faisant que de furtifs passages avant de détaller comme un lapin à l’heure où se bousculent les bannières nouvelles gorgées d’un sang neuf et d’ambition… Non, mon bon seigneur, il m’apparaît que la paix, en Oësgard, est une illusion prompt à tromper les hommes, et que cette colombe ne fasse partie de l’odieux mirage qu’elle distille sur ces terres dans sa fuite.”

Il n’y avait pas de tristesse, ni dans sa voix, ni dans ses traits. Il énonçait cela avec la froideur et le détachement d’un homme disant une banalité, une vérité depuis longtemps acquise, admise et connu. Depuis la chute de Baudoin d’Oësgard à l’Hiver 998, la situation n’avait pas changé… Les noms, les bannières et les prétentions variaient, mais c’était tout. L’Oësgard était un bourbier duquel le sang avait remplacé l’eau croupissante.

“Les Cinq m’en soient témoins, messire, jamais je n’ai prétendu être du vulgaire, seulement dit paraître, la nuance est essentielle, vous ne croyez pas ? Un examen plus attentif dévoile la tromperie, j’en conviens, mais le furtif, le peu avisé lui est berné, et c’est là l’essentiel car il est le plus fréquent d’entre tous. Quant à ma manière de deviser, vous ne devriez pas ainsi sous-estimer le langage des simples… J’ai rencontré des baladins à la langue plus affûté et plus habile et plus riche qu’une foule de courtisans, offrant une discussion plus intéressante qu’ils ne le pourraient dès lors qu’on y prête l’oreille, la chose n’est pas un privilège de le noblesse.”

Il jouait, dévoilant quelques petites choses… Il ne mentait pas, disait peu et beaucoup à la fois… Il appartenait dès lors à son interlocuteur d’en démêler le contenu, et d’essayer d’en tirer l’utile, et il avait à coeur de continuer sur cette voie, c’était important.

“Mais pour vous répondre en toute sincérité, je ne suis l’épée d’aucune bannière. A celui qui s’est offert aux services d’hommes pour le devoir et l’honneur, il est difficile de devoir accepter l’idée de vendre ses talents comme le ferait une catin, vous ne croyez pas ?”

Qu’il réfléchisse, qu’il s’interroge et se concentre pour comprendre ce qu’il était censé comprendre… Il n’y avait là qu’une part de mensonge, enrobé dans une vérité finalement commune, et si il avait accepté depuis d’offrir ses talents contre rémunération, l’homme qu’il avait devant lui n’avait pas besoin de le savoir.

“Mais il est une cause qui m’amène ici, et je dois remercier la Damedieu de me permettre de trouver le moyen de la servir aussi rapidement… J’ai rencontré une vieille dame, si elle paraîtrait commune à la plupart des hommes, celui qui a eu la chance de bénéficier de son hospitalité apprendra qu’elle servi la noble maison des Broissieux, en Alonna, il y a plusieurs années de cela, et durant des décennies, si bien qu’elle possédait des histoires et anecdotes aussi futiles qu’elles pouvaient être croustillantes à l’oreille de qui se plaît à les écouter. Malheureusement, la vieille dame n’était pas bien, comme je devais l’apprendre peu après, il semble que votre seigneur, après être passé par Alonna ait emporté l’un des fils de cette maison, Fulcran, qu’elle avait vu naître et grandir, à l’instar de ses soeurs, et même de son père, si je devais la croire. J’arpente ces terres pour trouver quelqu’un capable de me donner de rassurantes nouvelles à rapporter à cette vieille dame, et je crains que sa naissance ne lui offre pas de bannière que je pourrais laisser flotter au bout d’une lance.”

Il laissa s'écouler un petit instant avant d'en venir à l'essentiel.

“Aussi, et cela va vous surprendre, je vous propose un marché… Vous êtes un proche conseiller du baron, vous devez donc savoir comment se porte le jeune Fulcran. En échange, puisque je crois me souvenir que tout à un prix, je vous offrirais mon nom, ainsi qu’une information de votre choix que vous estimez de valeur équivalente… Cela vous convient-il ?”

C’était gros, peut-être un peu trop, tant qu’on ne connaissait pas son nom… Mais ce qu’il demandait ne l’était pas tant… Des nouvelles, savoir comment se portait un jeune homme, rien de plus. Oh, bien sûr, ça ne correspondait pas à l’image du mercenaire que le Seigneur du Lys lui donnait, mais son nom pouvait quelque peu changer la donne, et la faible importance finalement, de l’information demandée enterrerait certainement les derniers soupçons… A quoi bon se prendre la tête sur une énigme sans grand intérêt, alors même qu’il doit penser à la paix ? Il oublierait, voila tout.

Que voilà des paroles hypnagogiques. Ainsi donc le roublard n'étoit point un vagabond, mais bien un soudard de Madame de Broissieux. On ne pouvoit reprocher au Lys de ne point en avoir douté - comment l'auroit-il pu ? Les grivetons du Lys interrompirent leur bombance, et l'on crut discerner dans l'ombre une lame posée sur une garde. Le mignon Duncan expira du nez, doucement, mais ce n'étoit point de l'agacement. De la lassitude, dira-t-on, ou une once de mélancolie. Un pâle sourire se dessina sur son faciès, et il s'adressa à son homme :

« Cesse cela, Mirand. Nulle lame ne sera découverte ce soir. Messire Arthur ? »

Sa binette se tourna vers le convive du soir.

« J'éprouve du respect pour vos convictions, sieur, tout comme vous en avez pour les miennes. Je n'aurois pu m'attendre à des palabres différentes, sur le sujet de la paix, des lèvres d'un combattant. Mais homme de guerre que vous êtes, vous ne fûtes pas que cela. Qu'étiez vous, pour ainsi avoir connaissance des langages d'une « foule de courtisans » - qu'ils fussent les vôtres ou pas, d'ailleurs, ne sauroit changer la donne. Le service au nom du sacro-saint honneur ne sauroit me tenir plus en admiration, messire. Ce qui en foit son charme demeure son interprétation, n'est-il pas ? Je suis curieux d'entendre les noms d'icelles vous avez servis. »

S'ensuivit une rapide analyse de la situation. Pourquoi faire tant de lieues dans l'espoir de quérir des nouvelles d'un garçonnet ? Duncan ne pouvoit point cerner quelle importance il auroit pu avoir. Un bâtard ? De haut rang ? Bien qu'il n'en montra signe, l'émission du nom de Broissieux et d'Alonna ne surent rassurer le Lys. Alors le mignon safran se passa la main sur la joue, comme pour en ôter un nuisible. Mais comment ! Diable, comment l'oublier ! Les yeux du Lys se levèrent, menue réaction pour une telle révélation. Fulcran était ce brave, frère de Madame la Baronne. Sans que son visage ne témoigne d'une quelconque réaction, le visage du mignon safran se reporta sur le sieur Arthur.

« Mon bon messire, notre entente semble conclue. Aussi je tiendrois parole, mais avant, prouvez-moi votre bon-dire. Qui d'autre que Madame la Baronne pourroit mander un homme pour s'enquérir des nouvelles de Monsieur son frère ? Je dirais même un homme de confiance, messire, on ne mande pas un inconnu pour cela. Vous, messire, qui venez d'Alonna et qui, en toute vraisemblance, semblez bien côtoyer des personnes de haut-rang...dites-moi : Madame de Broissieux prévoit-elle de se rendre auprès de Monsieur le Marquis de Brochant, pour une raison ou une autre ? Ne mentez point, messire, je le saurais sinon. Mais menteur et imprudent, nenni vous ne l'êtes point, n'est-il pas ? »

“Ne pas mentir… Mais accepterez-vous la vérité, messire Duncan, même si elle s’oppose à vos convictions, à la vision que vous avez du monde et de la noblesse ? Réfléchissez-y bien, il semble que vous partiez si vite dans des conclusions hâtives qu’il vous viendrait l’idée de déclencher les hostilités sur la seule affirmation qu’un homme ait tenu un discours auquel vous ne pouviez adhérer, mais soit, je vais vous dire les choses, sans mentir”

Il savait ce qu’il avait à faire, tout ce qu’il espérait, c’est avoir un homme de parole face à lui, et ne pas faire tout cela, ne pas dire tout ce qu’il avait à dire pour un résultat nul.

“Je suis Arthur de Melasinir, Chevalier d’Erac, autrefois au service du Duc Charles d’Erac, et conseiller de sa Majesté Trystan Fiiram de Diantra, autrefois le Baron d’Ancenis et Seigneur de Vielmot, jusqu’à sa mort, après laquelle j’ai choisi l’exil volontaire plutôt que d’engager une guerre perdue d’avance et voir mon domaine et mes gens se déchirer. Même en ayant été tout cela, soulager l’inquiétude d’une vieille dame qui a consacré sa vie au service d’une famille, comme l’a fait ma propre lignée pendant des siècles, c’est une cause assez noble pour que je prenne le risque de venir sur ces terres, d’autant qu’elle s’est montrée charmante et accueillante lorsque j’étais sous son toit, et ça n’est pas grand chose, j’ai pris des risques bien plus grand, a presque en perdre la raison, pour des causes tout aussi désintéressées que celle-ci.”

Bon, ça n’était pas tout à fait la vérité… Mais ça n’était pas si loin, tout de même ! Il avait suffisamment agi avec abnégation pour sembler sincère dans ces mots, il avait fait bien plus, pour ne rien en tirer, pas même la gloire, pas même une histoire ou une chanson. Dans tout les cas, en prononçant ses mots, et surtout, en énonçant ses titres, il lui tardait de voir la réaction du jeune noble qui se tenait face à lui. Avant cela, il voulait balayer tout le reste.

“Maintenant, il vous appartient de croire que je suis au service d’une famille dont je n’ai réellement apprit le nom qu’il y a peu de temps, dans une auberge, que j’en suis même un homme de confiance. Et même, vous, l’homme qui prétend à construire la paix, vous pouvez en déduire qu’il faudra une nouvelle fois diriger les armes contre Alonna puisque susceptible de trahir votre seigneur en faveur du Serraminois, ou faites mieux encore, de mes origines, déduisez qu’Alonna, Erac et Serramire vont s’associer contre l’Ethernien. Je vous laisse libre de me considérer comme bon vous semble, et de me prêter les mots que vous voulez, de leur donner le poids qui vous arrange, mais si vous deviez le faire, et deviez prendre les mauvaises décisions, soyez assuré que vous partagerez les conséquences de ce choix avec ceux qui en souffriront.”

SI il avait prononcé la quasi-totalité des choses avec un certain amusement, poussant vers la moquerie, la menace qui tombait finalement était des plus sérieuses, du moins, dans la voix et l’expression d’Arthur… Si cet homme était assez idiot, ce dont il doutait tout de même, pour déclencher des hostilités contre Alonna en se basant sur sa seule impression après cette rencontre, il le tuerait. Il pouvait mal réagir, ou bien considérer l’avertissement comme insignifiant puisque ne considérant pas le scénario dans lequel il s’inscrivait viable.

“Mais peut-être devrais-je aller faire sa connaissance, en lui témoignant tout les bons sentiments que vous avez à son propos, non ?”

Duncan se souviendroit de cette nuit comme il se le devoit. Les prunelles dans le vide et les esgourdes bien ouvertes, il ouïssoit la moindre parcelle des dires de l'antique baron. Melasinir ! Un nom riche en péripéties. Comme ce fut dit, ami de feu le roy Trystan. Le Lys safran ne souhaitoit guère s'attarder sur un passif qui auroit, sans grand doute subsistant, son lot de chagrin nostalgique auprès dudit baron. Le Lys ne désiroit non plus s'attarder sur une verbale joute qui, non pas dénuée d'intérêts, ne feroit que retarder l'heure du sommeil. Duncan se hissa sur ses gambettes, offrant un court répit au siège qu'il occupait, puis ordonna à l'un de ses reîtres de le suivre, après lui avoir intimé de prendre de quoi écrire. A l'écart du sieur de Melasinir, non seulement de vue mais d'ouïe, il dicta une missive à son soudard, puis il la fit sceller sans son cachet. Le cavalier s'inclina, puis après avoir repris son attirail, défit la bride de sa monture, et s'en alla vers l'Est. Duncan reprit le siège qui était sien, et rassura le doux Melasinir.

« Messire, homme de parole que vous êtes, soyez béni. Tout comme votre franchise vous honore, laissez moi attester de la mienne. L'homme qui vient de partir engagera un messager, et portera à Madame de Broissieux les nouvelles nécessaires afin de l'informer de la situation de Monsieur son frère. Je ne ressens nulle honte de mon acte, messire. J'entends rassure Madame la Baronne. Soyez assurés qu'elle en sera informée prestement, ainsi que de votre inestimable concours. »

Il n'y avoit que peu à dire de plus. Curieusement, le mignon safran demeuroit bouche quiète face au Melasinir. Oh, certes, il le connaissoit de nom, de réputation, et de ces diverses notions qu'on lui attribuât. Néanmoins, les circonstances de cette prime entrevue laissant à désirer, Duncan vit son appétit d’intrigantes palabres coupée. A défaut de pouvoir piper mot, le Lys se contenta de proposer à son nouveau compagnon du noiraud, soigneusement préparé.

« J'admire votre honnêteté, messire, permettez-moi de vous le redire. Je fais ici serment que Madame de Broissieux recevra cette lettre, et qu'à mon tour, j'honorerais ma promesse de la tenir informée. Prenez, messire, ce noiraud, ainsi que cette outre de vinasse, et partageons la, en l'honneur de nos vertus. »

Le Chevalier d'Or lui tendit alors une outre de vin, de piètre qualité, qu'il en convienne ! On ne trouvoit point de grand cru ou de millésime dans une terre dévastée. Bien que quelque peu délestée de son contenu, il en restoit assez pour partager avec l'invité. Après tout, n'avait-il pas été convié à partager un repas ? Le sieur devoit avoir grand soif, et il eut été malaccommodant de ne point lui proposé d'étancher son altération.

« Ayez foi en moi, messire, j'ai conscience de ce mal rongeur qui doit dévorer Madame de Broissieux en son sein, d'ainsi tout ignorer de la condition de Monsieur son frère aimant et aimé en retour. Dites-moi, bon messire, était-elle tant affectée pour que vous ressentiez au bas-fond de votre âme le besoin de mener cette quête à bien ? Voilà un signe qui exige le respect, et j'admire cela, messire. »

Etait-il sourd ? Il avait réagit silencieusement et s’était isolé avec l’un de ses hommes quand il avait apprit l’identité de son vis à vis, même si l’ensemble sonnait finalement assez faux… Tout ces titres n’étaient que l’ombre d’un passé plus ou moins glorieux, et si il était toujours le même homme, à l’instar des évènements qui suivirent la guerre en 998, il ne pouvait que se sentir différent, radicalement… Il ne vivrait plus comme il vivait en ces temps… Que cela soit celui de Diantra ou d’Ancenis.
Mais face à lui, si il ne doutait pas de l’intelligence, il soupçonnait la considération véritable que son interlocuteur lui portait, à lui et à ses mots… Encore cette Madame de Broissieux, cette mention de la Baronne alors même qu’il avait dit ne pas en être le serviteur… Mais apparemment, il ne voulait rien entendre, ou estimait-il que sa franchise s’arrêtait là, et qu’on ne pouvait pas concevoir un chevalier servir autre chose qu’un puissant seigneur ? C’était triste, ou ironique, d’une certaine façon… L’homme rejetait l’ensemble en bloc, et même la seule petite vérité dans ses mots étaient passés à la trappe.
Mais c’était mauvais, aussi reposa t-il l’outre sans consommer. Il fallait mettre un terme à la bêtise de cet homme avant qu’il ne cause plus de dégâts.

“ Vous avez beau admiré mon honnêteté, vous persévérez à ne pas tout entendre, et à ne porter crédit qu’à ce que vous croyez, non à ce qui est dit... Cela ternit le compliment, à supposer qu’il soit sincère. Je ne suis pas ici, représentant la Dame de Broissieux ou Alonna, je n’ai pas eu le loisir de rencontrer la baronne, encore en voyage dans le sud alors que je bénéficiais de l’hospitalité de son château, curieux d’ailleurs qu’un conseiller l’ignore, et ne veut pas que par votre faute et celle de votre entêtement, cette première rencontre ne soit marquée par ma supposée prétention à représenter ses intérêts alors que je n’en ai pas la moindre légitimité.
Rappelez votre homme si vous avez été à ce point sourd pour le laisser entendre… Celle qui m’envoie n’est pas Alanya de Broissieux, mais sa jeune soeur, Angélique, et ce ne sont pas les intérêts d’Alonna que je sers, mais les siens propres, de jeune fille inquiète pour son frère que la guerre éloigne d’elle. Simplement cela… Si vous deviez avoir raconté plus, et suggérer bien davantage… Croyez-m’en autant que vous admirez mon honnêteté, je vous ferais regretter d’avoir ainsi gâché mon retour et ma relation avec la baronne.”

Quant à tout le chapitre sur la manière dont la jeune fille aurait du être affecté, il n’en avait cure… Il voyait en l’entêtement et en la surdité de l’homme qu’il avait en face de lui une franche menace pour ses intérêts et pour la manière dont se ferait son retour… Mais la promesse ou menace était aussi sérieuse que la précédente. Il était las de cet homme, d’une certaine façon… Oh, il parle, et complimente, mais écoute peu et prétend pourtant savoir plus. Et pourtant, voila un conseiller qui ignorait l’absence ces derniers temps, de la baronne d’Alonna… Pourtant, la frontière n’était pas si éloignée…

“Alors gardez vos serments, gardez même vos compliments, je n’en ai pas l’utilité. Epargnez-moi simplement d’être la victime de vos certitudes personnelles, de votre conviction profonde que je sers la baronne elle-même, et des conséquences que cela pourrait avoir à l’avenir… Vous aurez alors ma plus sincère gratitude messire… Oh et… Laissez donc se reposer votre homme, cela ne presse pas au point d’empêcher l’homme et sa monture d’avoir le repos mérité après une journée de voyage.”

Sujet: Re: Promesse non tenue [PV Duncan] Ven 12 Sep 2014 - 9:08

Le mignon ne répondit nullement aux premières piques du sieur de Melasinir. Il s'en amusoit presque. S'il savoit ! Duncan s'éleva seul au plaisir de rire de ses machinations, qui, toujours dévouées envers son seigneur, entraînoient dans leur sillage de nombreux pions dont beaucoup ignoraient jusqu'à leur rôle. Pour cette raison, le Lys ne se contenta que de moues de lèvres, parfois les gratifiant d'un minuscule coup de langue, tantôt passant son ongle. Dès que la tirade du chevalier fut finie, il répondit posément - car tel étoit le ton de la conversation :

« Doux sire, je ne saurois envisager que vous puissiez m'en vouloir après ce que je fais pour vous. Voilà mes dires réfutés et ma promesse dénuée de valeur dans votre cœur, entendez le mien qui crie à l'agonie. Néanmoins sachez qu'aucun de vos efforts ne sera vain, et que dans un jour prochain, vous recevrez la juste récompense éthique pour avoir œuvré en bien. Je ne puis malheureusement vous confier plus en avant des dires qui pourroient compromettre mon seigneur ou son parti ; aussi, sentant votre esprit fatigué du voyage s'enlacer avec la torpeur de l'heure avancée, profitez de notre feu et installez votre couchage si le cœur vous en dit. Mon voyage fût long, et s'annonce bien tourmenté, aussi - loin de moi l'idée que votre compagnie me déplaise, je vais laisser les songes s'emparer de mon esprit, et vais me retirer. »

Le mignon se leva, imité en tous points par les siens qui, après avoir installé le nécessaire, laissèrent leur seigneur s'allonger sur sa paillasse, armé de sa cibiche. La Garde du Lys eût tôt fait de se répartir les tours de gardes, et on vit bientôt deux soldats garder les yeux vifs, à l'affût du moindre signe hostile de la part de quiconque. Les trois autres - puisqu'un était déjà parti voilà quelques minutes - s'allongèrent et laissèrent le sommeil les gagner dans l'attente de leur tour de garde. Aux aurores, alors que le soleil peinait à partager ses premiers rayons timides, un garde vint réveiller le mignon du Lys. Il se leva quelque peu difficilement, se rinça le visage à l'aide de sa gourde, et eût tôt fait de demander assistance à l'un des siens pour remettre son armure. Puis, armé d'un bol d'une boisson chaude matinale, il vint au chevet du Melasinir, le réveilla à l'aide de quelques remous de son épaule, puis sourit en lui tendant le bolet.

« Pardonnez ce réveil fort peu conventionnel, messire chevalier, mais en cette triste matinée maudissant notre séparation, permettez-moi de vous offrir le déjeuner. Je ne saurois dire si vous trouverez cela à votre goût, mais comme vous vous en doutez, nous disposons de fort peu. »

Puis, se redressant, il s'étira doucement, appréciant la gelée matinale et les pâles rayons froids du soleil d'Oësgard. On pouvoit presque déceler la fine couche immaculée de ces perles, disséminées sur toutes les landes, aux premières lueurs d'un jour nouveau.

Sujet: Re: Promesse non tenue [PV Duncan] Ven 17 Oct 2014 - 12:07

Ce Duncan rappelait à Arthur le rôle qu’il devrait endosser de nouveau en revenant dans ce Royaume. Il n’était pas parti si longtemps, et pourtant, son voyage lui avait semblé durer bien plus longtemps… Mais plus encore, c’était la valse des trônes, emportant, balayant ce qu’il connaissait de la Péninsule pour le remplacer par des seconds rôles, des figurants locaux auxquels il n’avait jamais prêté d’attention, ou si peu qu’il l’avait oublié ce qu’il aurait dû savoir.
Lui qui se voulait retrouver une place, sans véritablement savoir laquelle, il lui semblait être une relique d’un autre âge, et pourtant… Si peu de temps…

Cette pensée, plus que tout autre chose lui sapa son énergie, et si Duncan voulait y voir la fatigue du voyage, il ne s’y opposa pas, n’y offrit aucune réponse. Mais avant tout, il récupéra son carnet et la pointe en graphite associée, et y nota quelques éléments, ce qu’il venait d’apprendre, tant du personnage qu’il avait face à lui, que quelques éléments à son sujet dans un langage qu’il était seul à connaître. Il saurait s’en souvenir, mais qui sait.

« La bonne nuit, Messire Duncan. » se contenta-t-il finalement de répondre, tout à ses pensées.

Et comme chaque nuit depuis peu de temps, et même avec ces hommes autour, c’est avec le sentiment d’extrême solitude qu’il s’assoupit, et avec lui qu’il se réveilla, et plutôt que de se préoccuper du chevalier qui l’avait remué pour le sortir de sa torpeur, c’est vers un espace vide qu’il tendit son esprit et son attention.

« C’est plus que suffisant, j’ai voyagé en de bien pire condition, et avec moins que cela il n’y a pas si longtemps. Je vous remercie. »

Il chassa de nombreuses pensées, celle d’hier, celle de Monarth et de son absence, il n’avait pas besoin de cela, et surtout, il avait besoin d’aller de l’avant, d’envisager la reconstruction et tout ce qu’il avait à faire plus que ce qu’il avait du cédé en cours de route.
Après avoir apprécié le maigre déjeuner partagé avec ses compagnons de nuitée, il s’apprêta lui aussi pour le voyage de retour et le chemin qui le conduirait vers un dénouement heureux pour lui, espérait-il, dénué du moindre tour de cet homme du Lys.

« Je vous souhaite bon courage dans votre entreprise de paix, Messire, bien que je pense que vous n’y croyez pas réellement vous-même. »

Un pressentiment autant que la certitude qu’un homme censé, face à la constatation de ce que fut Oësgard depuis la mort de Baudoin, ne saurait trouvé la paix autrement que par la mise à mort définitive de l’adversaire… Et ce même si ceux qui s’opposaient réellement étaient étrangers, amis même il n’y a pas si longtemps.

Et c’est sur un signe de la main qu’il repartit vers le sud, laissant derrière lui cette rencontre.

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