Pendant ce temps, dans les méandres du temple | Annulé

AZZA

« Tu t’égares, Tsabrak. Tu n’es plus un enfant, tu devrais savoir qu’il ne sert à rien de prendre tes rêves pour des réalités. » Les bras croisés, Ssasha jaugeait le Grand Prêtre de Teiweon avec une suffisance à peine contenue, ses doigts pianotant avec impatience sur ses coudes. « Il n’y a aucune chance pour qu’Azza puisse…

— Si tu cessais de dénigrer systématiquement la petite, tu pourrais voir ce qui est évident, » la coupa-t-il avec un agacement au moins égal à celui de son interlocutrice. « Le culte n’a jamais été aussi puissant, la guerre a rarement été aussi féroce. Kiel les torture à jamais, nous avons pris une cité aux Taledhels ! » Voyant que Ssasha ne se laissait pas convaincre par ses arguments, il ajouta : « Par quelle magie Azza, l’héritière de nos deux lignées entre toutes, deviendrait-elle aveugle du jour au lendemain, sans raison apparente ? Et tu l'as senti comme moi, il n'y a pas que ces yeux. Quelque chose a changé en elle.

— Quand bien même ! Ce n’est jamais arrivé et il n’y a aucune raison pour que ça arrive maintenant. » La prêtresse fit ensuite remarquer non sans perfidie : « Il y a quelque temps tout le monde disait que la Baenrahel devait avoir été touchée par Isten elle-même. Aujourd’hui, as-tu remarqué qu’on ne trouve plus que des bardes-prêtres de l’idole Arcam ? »

À l’évocation de la grande prêtresse de la luxure, Tsabrak serra les dents. Les deux Daedhels n’avaient eu de cesse de s’opposer, ces dernières années. La catin s’évertuait à pervertir tout ce qu’elle touchait, sans se soucier du parfum de cyprine qu’elle laissait sur son chemin. « May’Inil est une idiote qui se croit tout permis. Azza, elle, sait où est sa place et fera ce qu’on attend d’elle. Ne le vois-tu pas ? C’est notre occasion de rentrer au Puy et de retrouver notre rang.

— Parce que tu veux encore y retourner ?

— Pas toi ? rétorqua férocement Tsabrak. N’essaie même pas de le nier, ça crève les yeux. » Il ignora la flamme dangereuse qui venait de s’allumer dans le regard de la prêtresse et continua, décidé à appuyer là où il savait pouvoir faire mal. « Tu n’as jamais cessé de rêver de la Cuass’ili. On aurait pu croire que deux cents ans après sa mort, tu aurais pu rassembler le courage qu’il te manquait pour y retourner, mais tu es toujours là. La grande Ssasha, héritière de la vénérable maison Myrrervs, terrée dans un temple de province comme un lièvre dans son terrier ! »

La sanction ne tarda pas à tomber : Tsabrak sentit une vive douleur à la joue et recula de quelques pas, les yeux légèrement écarquillés. Quand Ssasha punissait un impudent, elle n’y allait pas par quatre chemins et c’était avec son poing qu’elle avait décidé de le faire taire.

« Je pourrai te faire tuer, pour ça.

— Mais tu ne le feras pas, souffla-t-elle patiemment. Cessons donc ces enfantillages, veux-tu ? »

Desserrant lentement ses poings, il finit par opiner du chef et força ses épaules à se détendre. « Peu importe la raison qui a poussé les Dieux à se pencher sur Azza comme ils l’ont fait. Teiweon peut bien s’être lassée de ses frasques, comme tu le soutiens avec une hargne qui en dit long sur l’amour que tu peux porter à ta propre chair. Moi, je crois que la Déesse nous a fait un magnifique présent, mais je te laisse libre de me voir comme un sénile incrédule. L’important, c’est ce que nous allons faire de son nouvel état. Si nous la disons élue, si nous la montrons au monde comme la Main de Teiweon, l’Incarnation de sa Volonté, alors le monde nous croira. Il l’a toujours fait. » Ssasha ne lui accorda qu’une moue agacée. « Le moment venu, quand elle nous désignera, ils ne pourront que nous accueillir avec les honneurs qui devraient être les nôtres depuis plusieurs siècles déjà.

— Et s’ils ne mordent pas, tu auras ruiné la vie de la fille de ton fils et nous aura probablement entraînés dans sa chute.

— Ça n’arrivera pas, » lâcha Tsabrak avec gravité. Il n’était pas difficile de deviner à quel propos de son interlocutrice il répondait.