[Mathaora] Entraînement sous soleil ardent - PV Caley Aldaron

Les deux cimeterres vinrent se fracasser l'une contre l'autre dans un crissement d'acier suivi du bruit des deux corps venant se percuter. Un grognement s'échappa des lèvres d'un des combattants tandis que son adversaire le repoussait avec son petit bouclier rond. Il tituba et se remit en garde en voyant le sabreur adverse courir vers lui en hurlant dans le dialecte local. Les deux soldats hurlèrent et leurs mouvements se firent plus souples, plus rapides les entailles se firent plus profondes. Le sang vint se mêler à la sueur et tâcha le sable. Le torse nu des soldats était teinté d'un rouge pâle et délavé tandis qu'ils faiblissaient et clignaient des yeux, le soleil brûlant leurs rétines en même temps que la sueur. L'un des deux combattants s'avança et d'un geste souple vint placer une profonde entaille dans le mollet de son adversaire qui s'écroula en criant. Emporté par le souffle du combat le vainqueur s'avança, prêt à planter son arme dans la gorge de son ennemi et porté ainsi le coup de grâce. La pointe fusa, prêt à transpercer les chairs, et fut interceptée au dernier moment par la lame d'une épée longue. Abasourdi et épuisé par le combat le sabreur ne comprit pas et leva des yeux ébahis vers l'homme qui se tenait face à lui, protégeant de son corps le blessé. Il ne vit pas venir la gifle qui crevassa sa joue et fit exploser ses lèvres.

"ASSEZ ESPECE D'IDIOT ! Tu es à l'entraînement ici pas au combat ! Tu n'avais pas à le blesser !", hurla Marik tout en rengainant son épée d'un geste souple. Il se tourna vers le blessé et inspecta rapidement sa blessure. La coupure était profonde mais la lame avait par chance éviter le muscle. D'ici quelques jours le jeune homme serait en pleine possession de ses moyens et pourrait peut être se venger durant l'entraînement. Mais le vieux soldat veillerait à ce que cela ne dégénère pas. Il fit signe à deux des soldats d'emporter le blessé sous le dais qui avait été dressé contre le mur de la caserne et où était placé une chaise longue et une petite table où, en plus d'un pichet de vin, Marik avait disposé ses herbes. Il attrapa une petite fiole dans laquelle se trouvait de l'huile épaisse et inodore et la versa dans un petit pilon. L'herboriste jeta une poignée d'eucalyptus pour combattre l'infection, ajouta quelques gouttes d'huile essentielle de bergamote, ainsi que de la graisse mélangée à des fleurs de géranium délicatement pillée dans le but de favoriser la cicatrisation. Marik écrasa ensuite des grains de poivre et appliqua délicatement la fine poudre sur la blessure, arrachant une grimace au blessé qui serra les poings et les dents, puis son cataplasme qu'il enroula dans du lin propre. Il changerait le pansement une fois par jour et l'homme serait en pleine forme. Une fois fini Marik le fit quitter la cour d'entraînement et s'assit à son tour sur la chaise en se servant un verre de blanc, bien frais.

Savourant le goût fruité du vin il regarda les soldats qu'il entraînait chaque jours depuis quelques mois. La petite caserne se trouvait accolée au mur de la citadelle de Mathaora et comportait une cinquantaine de soldats à peine pour ce qui formerait un jour les Vipères, corps de garde personnel de l'Emir et de ses proches. Mais pour le moment l'entraînement débutait à peine et ce qui deviendrait l'élite des soldats de Mathaora ne valaient pour la plupart à peine mieux que des soldats. Cependant ils avaient l'avantage d'être éduqués. Marik se gratta par la barde naissante et s'avisa soudain d'un soldat qui ne portait aucune armure, sans être pour autant torse nu, et qui regardait les soldats dans l'ombre. Le guerrier sentit monter en lui de la colère et s'avança une main sur son épée. Le jeune homme allait connaître la colère de Poing d'Acier. Marik se campa sur ses pieds devant sa victime et se pencha légèrement, les mains sur les hanches.

"Alors Vipère on croit pouvoir tirer au flanc ? Tu es plus faible qu'un nouveau né, même un mendiant du port pourrait te faire un sabre de tes mains de femme ! Alors avant que je ne te vire remets toi au boulot ou sinon je le ferai à coups de..."

Marik s'interrompit. Ce n'était pas un de ses soldats et encore moins un homme de l'Ithri'Vaan. Ses traits étaient typiquement occidentaux et malgré la poussière sur son visage le guerrier pouvait reconnaître une jeune femme quand il en voyait une. Les occidentales étaient très rares à Marathora et encore plus aussi débraillées. La plupart étaient soit des marchandes soit des épouses qui accompagnaient leur mari dans un voyage. Les mendiantes étaient généralement des femmes du cru et les étrangères ne survivaient guère longtemps dans les rues. Marik s'arrêta de parler quelques secondes et se détendit. Puis il changea de langage, passant du dialecte local à la langue commune.

"Ma dame que faites vous donc ici seule et débraillée à ce point là ? Quelle surprise de voir une jeune dame comme vous dans cet état et en ce lieu ! Venez donc je vais vous amener au palais de Son Excellence l'Emir et m'occuper un minimum de vous."

La réaction aurait pu paraître surprenante mais lorsqu'on avait pas rencontré de compatriotes depuis près de six ans - mis à part les survivants qui l'avaient accompagné - on ne réfléchissait pas à ses actes.

Il y a des endroits dans ce monde où il n’est pas bon de se retrouver lorsque l’on est une femme et une caserne remplie de soldats transpirant de testostérone par tous les pores de la peau en est un très bon exemple. Malgré que ce soit encore le printemps, c’était une journée étonnamment chaude et le soleil brillait ardemment dans un ciel sans nuage. La présence de Caley à Mathaora était principalement le fruit du hasard. Le fil de ses pérégrinations l’avait amené là-bas. C’était une ville importante comme on en retrouvait beaucoup dans l’Ithri’Vaan. C’est dans les marchés de ces villes que la jeune femme allait écouler les marchandises qu’elle accumulait durant ses voyages. Elle n’y faisait que très peu d’argent, mais c’était suffisant pour survivre. Généralement, elle ne gardait même pas l’argent pour elle, ses gains servant surtout à l’entretien de son cheval. D’ailleurs, la bête prenait un repos bien mérité dans l’écurie d’une auberge. Caley profitait donc de l’occasion pour explorer la ville et s’enquérir des dernières nouvelles.

Il était de notoriété publique que Caley était une rodeuse. Ses connaissances du territoire ainsi que de la faune et de la flore qu’on y trouvait étaient largement sollicitées. Malgré tout, ce genre de personnage n’était généralement pas très bien vu par la population et dans les faits, très peu de personnes faisaient la différence entre rodeur et simplement mendiant. Caley n’était pas une mendiante. Déjà, depuis quand un mendiant se promène avec une épée à la ceinture? C’est surtout l’ambigüité de l’image qu’elle présentait qui posait problème. Personne ne pouvait dire avec certitude quel camp elle servait. En réalité, Caley n’était du côté de personne. On la savait formée au combat, mais personne ne savait à quel moment ni à quel endroit elle avait reçu sa formation. En fait, on ne savait que très peu de choses sur elle. Lorsqu’elle acceptait d’escorter des voyageurs d’une ville à l’autre, elle parlait généralement peu. Si elle s’exprimait, ce n’était jamais pour parler d’elle, mais plutôt pour aboyer des ordres ou donner des indications. Le seul détail qui était véritablement connu, c’est qu’elle venait de la Péninsule et qu’elle y avait passé la majorité de sa vie. Les raisons l’ayant poussé à partir restent cependant un mystère le plus complet.

En arrivant en ville, elle avait aperçu la petite caserne. Aussitôt, un flot de souvenirs avait envahi son esprit. Caley pensa à son père, ainsi qu’à son oncle. Ça faisait si longtemps déjà, ils étaient peut-être morts. Elle était convaincue que son père avait été emporté par le chagrin et ça lui fendait le cœur, car elle s’en savait responsable. Elle pensa non sans une certaine affection à Ethan. Elle était aussi responsable que lui de sa situation actuelle. Il était donc vain de lui tenir rancœur. Caley espérait qu’il se soit trouvé une gentille épouse et qu’il ait de gentils gamins l’accueillant à la maison après ses longues journées de travail. Bref, elle lui souhaitait tout ce qu’elle n’avait pas.

Toute la journée durant, alors qu’elle écoulait sa marchandise et recueillait les dernières nouvelles sur la région, elle pensa à la caserne. Il était près de midi quand Caley se surprit à rôder à ses abords. La curiosité est un vilain défaut et elle sait très bien que ce genre d’endroit n’est pas fait pour une femme. Évidemment, elle s’insurgeait contre ça, mais la situation n’était pas la même que durant son enfance. Elle était la nièce du capitaine et la majorité des hommes qu’elle côtoyait la traitait comme si Caley était leur propre fille. Personne ne lui aurait fait du mal. Là, elle n’était qu’une rodeuse un peu trop curieuse qui cherchait à assouvir de vieux souvenirs qui la tourmentaient. Cachée dans l’ombre, elle observait les hommes se battre brutalement. Le sang coulait. C’était censé n’être qu’un entrainement, mais ces guerriers n’avaient pas peur de verser leur sang. Ils portaient les cicatrices de leur combat comme des hauts faits de guerre. Chacune avait son histoire, chacune démontrait la vaillance de celui qui les portait. Caley était impressionnée et elle savait maintenant plus que jamais qu’elle devait partir d’ici avant d’être repérée. Malheureusement, il était trop tard.

Une silhouette se planta devant elle, grande, menaçante et clairement pas de bonne humeur. Au début, Caley ne comprit rien de ce qu’il disait. Apparemment, il pensait avoir à faire avec un jeune homme. Toutefois, son regard changea rapidement lorsqu’il comprit que Caley était une femme. Elle était sur ses gardes, prête à bondir. Encore un autre qui la prenait pour ce qu’elle n’était pas. Il lui offrait son aide. Très gentil de ça part, mais Caley ne lui faisait pas confiance. En cas de doute, son oncle lui avait dit : un bon coup de pied dans l’estomac et cour le plus vite que tu peux; la confrontation n’est pas toujours une option. Elle ne réfléchit pas plus longtemps et décrocha un solide coup de pied dans l’estomac de l’inconnu avant de déguerpir le plus rapidement possible dans la direction opposée. Sa meilleure chance était de rejoindre le marché et se fondre dans la foule. Fâcheusement, le milieu urbain n’était pas sa plus grande force. Rapidement, elle se retrouva dans un cul-de-sac avec des hommes probablement à ses trousses. Il y a des journées comme ça…

Il y'eut un terrible moment de flottement pendant lequel Marik regarda la jeune fille dans les yeux. Elle ne semblait pas être gênée d'avoir été trouvée ici, ni même choquée de sa proposition. Tout du moins c'était l'impression qu'il avait mais avec la crasse qui recouvrait les traits de la femme il était difficile de deviner. Il fronça les sourcils et s'apprêta à réitérer sa demande lorsqu'il vit le corps de la femme se tendre et ses cuisses se contractaient violemment. Le coup de pied vint sans prévenir mais le guerrier eut le temps de se placer en sorte qu'il ne touche pas son foie. Elle fila entre ses doigts et disparut derrière l'arche qui ouvrait sur la cour d'entraînement. Marik grinça des dents et remit en place sa ceinture. Il n'était pas d'humeur à courir après une jeune femme.

Mais il n'appréciait guère savoir une occidentale seule à Mathaora. La ville en elle même n'était pas dangereuse mais les rôdeurs étaient très mal vus et plus d'une exécution avait lieu chaque jour. Entre les corps roulés dans des tapis suivis du passage de la cavalerie, les mains coupées ou d'autres parties plus intimes du corps ou même les "soupes carcérales" qui consistaient à faire manger les bras découpés et bouillis aux prisonniers - qui mourraient alors d'une intoxication - il ne manquait guère de moyens d'exécution. Et si Marik pouvait éviter ça à la jeune fille ça serait avec plaisir. Alors qu'il la suivait la guerrier repéra trois gros bras des rues qui la montraient du doigt et qui la suivaient également. Il dégaina sa dague, qu'il pouvait utiliser le plus facilement malgré ses doigts manquants et ralentit sa course. La jeune femme s'engouffra dans une ruelle que l'homme savait être une ruelle. Marik fronça les sourcils et secoua la tête dépitée. Elle ne connaissait même pas les lieux... Les trois brutes s'engagèrent dans la rue avant lui.

"Eh toi là ! On dirait qu'on s'est perdue ma jolie ? Parce que les nuits sont froides par ici alors si tu veux un endroit où loger...
- Oh ouais les gars et on pourra la réchauffer.
- Regardez moi cette saleté ! Un coup dans le fleuve et tu seras propre ma salope..."

Marik comprit alors ce que la jeune femme avait du ressentir devant sa proposition. Elle avait sûrement cru qu'il voulait la vendre à un quelconque bordel. Le chevalier secoua la tête puis se concentra en voyant les hommes s'approchaient de la jeune fille. Il sauta dans le cou de l'un d'entre eux et lui planta violemment la dague dans la gorge, faisant jaillir un flot de sang dans un gargouillis écoeurant. Laissant le cadavre tombé à ses pieds il vint frapper d'un grand coup de poignard les mollets du second homme qui tomba à genoux. Marik se releva, appuya sa lame contre sa gorge et lui ouvrit un deuxième sourire. Il se tourna ensuite vers le dernier homme. Mais ce dernier gisait mort, une plaie sanglante à l'abdomen et ironiquement une tâche marron s'étendant sur son pantalon de toile. Le guerrier se tourna vers la jeune femme et la voyant armé se jeta sur elle, la souleva par sa tunique et la planqua contre le mur tout en maintenant son bras armé.

"Ecoutes jeune fille je viens très certainement de te sauver la vie. Tu va lâcher la jolie petite épingle à cheveux que tu appelles arme et tu vas m'accompagner jusqu'au palais. Je ne te veux aucun mal au contraire. Est ce bien clair ?"

Caley n’avait certainement pas réfléchi en donnant un coup de pied au soldat, mais il lui avait semblé sur le moment que la fuite était la meilleure option. Après tout, ses paroles étaient peut-être mielleuses, mais ses intentions pouvaient être bien plus sombres. Elle n’avait pas du tout l’intention de se retrouver dans l’un des bordels de la ville à la merci de tenanciers violents et sans scrupules. Elle préférait mourir plutôt que d’en arriver là. De toute façon, il suffisait de la connaître un peu pour savoir qu’elle ne ferait pas une victime très coopérative.

Un haut mur mit brusquement fin à sa tentative de fuite. En se retournant, des soldats étaient déjà sur elle, la gratifiant de commentaires disgracieux. Caley n’hésita pas un instant. Elle allait leur montrer qu’elle savait se défendre, même si c’était la dernière chose qu’elle devait faire. Les évènements s’enchaînèrent rapidement et les trois hommes s’effondrèrent sur le sol, morts. L’un d’eux avait été tué par Caley. Elle pouvait voir la tache sombre de son sang s’épanouir telle une fleur empoisonnée sur son ventre. La jeune femme n’éprouva aucune sympathie pour lui. Les deux autres étaient tombés sous la main de leur propre mentor. Le même homme qui leur avait aboyé des ordres un peu plus tôt venait de les tuer. Elle n’éprouva pas plus de sympathie pour eux, mais la crainte se lisait dans son regard. Cet homme n’avait pas hésité à tuer ses propres hommes. Rien ne motivait son geste. Caley était une étrangère. Elle pouvait être une espionne travaillant pour le compte d’un homme puissant, ennemie de la cité.

— Quel genre d’homme tue les soldats qui sont sous sa responsabilité? Souffla Caley en penchant légèrement la tête de côté. Sa main serrait si fort la garde de son épée qu’elle avait l’impression que le métal allait se tordre.

— Cette épingle à cheveux vient d’ouvrir le ventre de cet homme. Ce n’est pas la taille qui compte, mais bien la façon de s’en servir. Vous devriez le savoir, n’est-ce pas?

Après un moment de silence, Caley finit par obtempérer. Elle ne lâcha pas son arme, mais la replaça dans le fourreau dissimulé sous sa cape. Elle pourra toujours s’enfuir plus tard si la situation s’envenimait. Dans l’immédiat, elle n’avait pas à faire avec n’importe qui et Caley savait qu’elle ne ferait probablement pas le poids contre lui. La jeune femme manquait de sommeil, de nourriture et le soleil tapait cruellement sur sa tête. Elle portait beaucoup plus de vêtements que ne le voulait le bon sens et si on ne lui donnait pas de l’eau rapidement, elle fera probablement une insolation.

— C’est bon… amenez-moi au palais si ça vous amuse. Je ne suis pas une criminelle. C’est juste… Mon oncle était capitaine dans l’armée. Pas ici, mais voir la caserne m’a rappelé des souvenirs… Hum, doit-on rester planté là toute la journée!? Je vous avertis cependant, tentez quoique ce soit sur moi et je vous ouvre la gorge. J’en suis parfaitement capable et vous le savez!

Sur ce, Caley le suivit en silence, tentant d’ignorer les étourdissements qui venaient de la saisir. Ils n’avaient pas fait dix pas à l’extérieur de la caserne que Caley s’effondrait sur le sol. C’était décidément une très mauvaise journée.

Marik regarda droit dans les yeux la jeune femme et la desserra peu à peu son emprise avant de la lâcher sans prendre de gants. La laissant trébucher il recula et se pencha sur un des corps. Comme il avait deviné ce n'étaient que des recruteurs chargés d'enlever les jeunes gens pour les envoyer dans les différents bordels de la ville. Il tilta à la remarque de la jeune femme et la fusilla du regard tout en essuyant sa dague sur une des tuniques des morts. Après l'avoir soigneusement rengainée il prit la jeune femme par le bras et l'entraîna dans les rues, laissant les cadavres qui seraient récupérés plus tard par le guet qui n'aurait rien à faire de corps de bandits pareils. Les deux occidentaux avancèrent une dizaine de pas avant que la jeune femme ne s'écroulât. Avec ses vêtements et ses manières cela n'étonnait guère Marik qui fronça les sourcils et poussa un soupir. Elle n'avait sûrement rien bu de la journée et un coup de chaud l'avait atteint. Le vieux soldat se pencha, passa un bras sous les épaules de la jeune femme et la souleva avant de la traîne jusqu'au palais...

Arrivé sur place il la mena jusqu'à ses appartements, non sans soulever de nombreux sourcils interrogateurs de la part des gardes et des serviteurs du palais. Il ouvrit les lourdes portes en grand et traîna la jeune femme à travers le vestibule pour atteindre son jardin intérieur ainsi que le belvédère en son centre, près d'une petite mare artificielle. Là il l'allongea sur un divan et servit un verre de khoumys tout en se servant lui même un verre de vin épicé. Après avoir posé les deux coupes sur une petit table en fer forgée il prit un morceau de tissu et le mouilla délicatement. Marik tamponna doucement le front et les joues de la jeune femme et ouvrit très légèrement sa tunique pour la laisser respirer et humidifier son coup et sa gorge. Lorsqu'elle reprit conscience il arrêta son geste et s'assit à côté d'elle en lui tendant le lait de chèvre, nourrissant et hydratant.

"Il ne fait pas bon de ne pas s'hydrater sous un soleil aussi torride gente dame. Ni de porter des vêtements aussi lourds. Nous sommes loin des rudes hivers de la Péninsule..."

Marik regarda la jeune femme. Elle n'était guère laide sans ses multiples couches de graisse et autres poussières. Un joli minois encadré par des cheveux courts. Elle avait vraisemblablement était d'une riche famille particulièrement si son oncle avait été capitaine dans l'armée. Peu d'hommes l'étaient par talent la plupart ayant acheté leurs titres.

"Ces hommes dans la ville... Ils n'étaient pas des miens. Ce n'était que des brutes, des ivrognes venus des quais pour repérer les jeunes soldats, encore non aguerris, et les fiancées de ses hommes pour les battre et les traîner en esclavage dans une des maisons closes des quais. Je vous ai sauvé la vie et ces hommes méritaient ce sort... Bien jeune femme et si vous m'expliquiez ce qu'une noble ou la fille d'un riche homme vient faire à Matharoa ?"

Caley n’a pas peur des mots et même que dans certaines situations, ils sont la meilleure arme qu’elle ait à sa disposition. Elle eut quand même de la chance, car le soldat aurait très bien pu la laisser dans la rue où des rabatteurs auraient terminé leur travail en l’amenant dans un bordel de la ville. Ils auraient vite compris que Caley n’était pas la victime idéale pour ce genre de commerce. C’est qu’elle a du chien, la jeune femme et un bon crochet du droit quand il le faut. C’est sans parler de sa langue de vipère et de sa tendance à mordre quand la situation devenait à ce point désespérée.

Caley fut donc transportée, inconsciente, à l’intérieur du palais. Avant même d’ouvrir les yeux, elle put sentir la fraicheur des ombres sur sa peau. Puis quelque chose de plus frais et d’humide passa sur son visage et sur sa gorge. Désorientée, elle ouvrit les yeux. En voyant le soldat, elle se redressa vivement, la main plaquée sur sa poitrine comme pour la cacher. Son mouvement trop violent provoqua un vertige et elle dut lutter pendant un moment contre une soudaine nausée qui finit par passé, la laissant affaiblie.

— J’ai sous-estimé la chaleur du soleil. Je porte toujours plusieurs couches de vêtements. Ils camouflent mes formes et me font passer plus facilement pour un jeune homme aux yeux de ceux qui ne me portent pas trop d’attention. De plus, je préfère porter sur moi toutes mes choses plutôt que de les laisser derrière, surtout quand je suis en ville et que je ne connais pas les lieux.

Le soldat lui expliqua alors que les hommes qui avaient été abattus n’étaient pas des soldats sous sa responsabilité, mais des hommes sans le moindre scrupule travaillant pour les bordels de la ville. Ils ratissent la ville à l’affut des jeunes filles et des femmes seules pour les amener dans les différents établissements où elles seront vendues à tous ceux qui voudront d’elle. Caley l’avait échappé belle. Vu son état, elle n’aurait probablement pas pu avoir le dessus sur eux.

— J’imagine que je dois vous remercier dans ce cas. Déjà pour m’avoir sauvé de ces hommes et ensuite pour ne pas m’avoir laissée inconsciente dans la rue.

Elle inclina légèrement la tête et but une première gorgée de la boisson offerte par le soldat. Elle avait un goût étrange, mais pas désagréable. Elle but prudemment par petites gorgées. Caley aurait quand même préféré de l’eau bien fraiche.

— Je ne suis pas la fille d’un noble, ni même d’un homme particulièrement riche. Mon père était prospère, mais pas le plus fortuné. Les raisons qui m’ont amené ici ne regardent que moi, sachez simplement que je voyage de ville en ville. Certains diront que je suis une vagabonde, mais à ça je réponds que les vagabonds ne savent pas manier l’épée comme je le fais. Je suis une rôdeuse. Je vis sur les routes de l’Ithri’Vaan, chassant le gibier de ses forêts, escortant des voyageurs en échange d’argent ou d’un autre service et rapportant les nouvelles d’une ville à l’autre. Lorsque je suis en ville, c’est surtout pour vendre le produit de mes chasses, chercher des contrats et prendre aussi un peu de repos. Je suis peut-être une solitaire, je ne peux pas vivre loin de toute civilisation.

Elle finit le contenu de son verre avant de se lever sur ses jambes encore chancelantes. Caley n’avait aucunement l’intention de rester dans ce palais plus longtemps.

— Si vous voulez bien m’excuser, je ne vous retarderai pas plus longtemps.

La jeune femme intéressait Marik. Non d’un point de vue purement anatomique même il devait se l’avouer elle était mignonne. Cependant il lui manquait quelque chose pour être qualifiée de belle ou d’envoûtante. Etait ce la beauté exotique des femmes de Mathaora qui avait modifiée ses goûts ? Ou bien lui manquai elle la lueur taquine et charmante de feu sa femme ? Marik n’en avait cure et ne se posait même pas la question. Ce qui l’intéressait c’était outre mesure la relative indépendance de la jeune femme. L’Emirat était une puissance parmi d’autres dans l’Ithri’Vaan. A tout moment la fragile paix qui régnait en cette région pouvait s’écrouler. Peu de généraux et encore moins les despotes locaux connaissaient l’importance de la bonne connaissance du terrain.

Une guerre pouvait se gagner simplement parce que les hauteurs avaient pu abriter un contingent d’archer qui avait massacré les ennemis environnants. Ou alors telle plaine avait permis la charge de la cavalerie lourde qui avait écrasé telle armée aussi puissante fusse t’elle. Bien évidemment le terrain ne faisait pas tout mais il importait de le connaître. Un autre élément important était la disposition des unités. Une phalange pouvait écraser une unité d’archer de la même manière que les skiltrons permettaient de ravager toute charge montée ennemie. Mais ces détails n’étaient pas de l’apanage de la jeune femme. Par contre espionner les villes et autres états alentour ainsi que leur puissance c’était bénéfique pour elle.

« Attends une seconde jeune fille. Tu devrais te reposer encore quelques minutes tu tiens à peine sur tes jambes… et j’ai besoin de toi. »

Marik se leva tout en grimaçant en sentant sa jambe protestait. Le combat aussi court qu’intense lui avait rappelé son âge… Les douleurs de la vieillesse commençaient à le ronger malgré le temps sec de l’Emirat. Cela lui arrivait par chance rarement et il mettait ça pour le moment sur le compte de la fatigue. Il attrapa deux bourses posées sur une étagère et en tendit une à la jeune femme lui expliquant elle devait les tremper dans son lait de chèvre - ou koumys. Ne faisant pas attention si la rôdeuse prenait l’herbe, mélange de lavande et de basilic, qui la revigorerait il fit de même et avala d’une traite sa boisson avant de s’asseoir à nouveau.

« Rôdeuse n’est ce pas ? Habile de son épée, vive d’esprit et rapide comme l’éclair… Tu accepterais un contrat avec moi - et moi seul si cela peut te rassurer. Ne t’en fais pas tu garderas toute ton indépendance. Je souhaiterais que tu me fasses expédier chaque mois un rapport sur les villes que tu as visité, les habitudes des gardes, leur nombre mais également les habitants et leur état d’esprit. Chaque rapport vaudra huit draquins d’or qui te seront servis par un de mes gardes à l’endroit et à la date de ton choix. Qu’en dis tu jeune Caley ? »

[Honte à moi pour le retard mais une vie IRL très chargée]

Même si cela ne plaisait guère à Caley, cet homme avait raison. Elle n’était pas encore totalement remise de son malaise et l’impression de mollesse qu’elle ressentait dans ses jambes indiquait qu’elles risquaient de se dérober sous elle à tout moment. Il était donc préférable pour elle de reprendre des forces avant de quitter les lieux. Elle savait maintenant que cette ville regorgeait de nombreux dangers pour un étranger non méfiant et son statut de femme n’arrangeait point les choses. À contrecœur, elle resta assise et accepta la boisson locale que lui présenta le vieux soldat. Elle avait fréquenté suffisamment de soldats dans sa vie pour savoir quand l’un d’eux l’étudiait. Il ne s’agissait pas ici d’un attrait physique quelconque, mais plutôt d’un intérêt stratégique. Cet homme savait que Caley pouvait lui être utile à condition de savoir l’utiliser. Une rôdeuse voyage beaucoup et voit de nombreuses choses durant ses périples. Ce sont des informations précieuses pour un homme contraint de rester dans sa caserne.

Caley renifla le sachet d’infusion avec une certaine méfiance. Elle reconnut immédiatement une partie des herbes qu’il contenait et les bienfaits qu’elles apportaient. Elle avait senti la même odeur sur Marik lorsque ce dernier l’avait transporté à l’intérieur du château. Outre le parfum âpre de sa sueur, elle avait reconnu celui d’un herboriste accompli. Cet homme était bien plus instruit qu’elle ne le pensait.

— Besoin de moi, vraiment? Tout dépend de ce que vous attendez de moi.

Elle trempa les herbes dans la boisson, écoutant avec attention la proposition de Marik. Elle sourit, un éclat de joie rare dans un visage normalement très sérieux. Même si le mot n’avait pas été prononcé, Marik voulait faire de Caley une sorte d’espionne. Voilà un jeu dangereux qui n’intéressait nullement la jeune femme qui connaissait trop bien les risques que cela pouvait amener.

— Les flatteries ne vous donneront rien. Ni même si la mise se trouvait doublée. Je ne suis pas une espionne. Je fréquente rarement les villes sauf pour écouler ma marchandise, prendre un peu de repos ou faire réparer mon équipement. Je transmets parfois les nouvelles de place en place, mais ce sont des évènements dont je suis témoin ou des histoires que j’entends dans les tavernes. Je ne veux pas me retrouver impliquer dans vos histoires. Vous l’avez dit, je suis une rôdeuse. Déjà, je n’ai pas un grand capital de sympathie dans la population locale qui me voit comme une voleuse ou une mendiante. Si on me surprend à mettre le nez où il ne faut pas, ils ne se poseront pas de questions et il est probable que je finisse pendue au bout d’une corde sans aucune forme de procès. Aussi généreuse que puisse être votre offre et malgré toute la latitude que vous me laisser, ce n’est pas suffisant pour que j’accepte de mettre ma vie en danger pour quelques bribes d’information sur les habitudes militaires de vos voisins.

Caley avait parlé avec beaucoup d’assurance, comme si c’était des mots qu’elle avait prononcés plus d’une fois avant. Évidemment, Marik n’était pas le premier à lui faire ce genre d’offre, mais elle connaissait bien les dangers d’une telle entreprise. Une cueillette de renseignement peut sembler sans conséquence, mais ce ne l’était pas. Les informations données pouvaient faire toute la différence durant un conflit armé et elle se refusait de concéder un tel avantage.

— Mon oncle était capitaine dans l’armée. Je sais quel avantage peut donner le genre d’information que vous demandez. Ne comptez pas sur moi pour faire votre sale boulot. De toute façon, je l’ai bien vue, vous avez des hommes sous votre commandement. Pourquoi ne pas en prendre un parmi eux pour cette tâche? Ça me semble un choix beaucoup plus logique que de confier la tâche à une rôdeuse qui pourrait vous faire faux bond ou vous trahir à tout instant.

[hrp : Pas de problèmes!]

La jeune femme avait refusé. Marik était déçu mais guère surpris. Il s’attendait à une réponse négative même si il s’attendait à d’autres raisons que celles énoncées. Un danger ? Être une rôdeuse mêlait les dangers qu’elle évoquait et même d’autres encore. La possibilité d’être attaquée par un groupe de bandits, violée puis laissée pour morte - ce qui dans certaines contrées arides de l’Ithri’Vaan comportait de fortes chances de réveiller aux portes du palais chtonien. Le vieux guerrier s’était au contraire attendu à ce que la jeune femme développe un long discours sur son indépendance, sa valeur en tant que femme solitaire et n’ayant besoin de personne. Mais le pragmatisme de la jeune femme était à tout épreuves et Marik ne savait que trop bien qu’il ne pourrait faire la faire changer d’avis. Durant les longs mois d’errance dans l’Estrévent il avait plus d’un des siens derrière lui malgré son désir de les garder en vie.

« D’accord jeune femme je comprends parfaitement ton choix. »

Le pire dans tout cela c’est qu’elle était aux faits des avantages que son espionnage pouvait amener de bénéfique aux forces armées de l’Emirat. En ce qui concernait ses propres hommes Marik n’osait les envoyer. La plupart étaient reconnaissables de part leur langue ainsi que leur ethnie, typique à cette région de l’Ithri’Vaan. Voir des hommes de l’Emirat aux abords des bâtiments militaires était louche mais leur démarche et leur corpulence martiales trahissaient toute tentative d’espionnage. Marik en fit part à la jeune femme, pour qu’elle comprenne l’intérêt d’espion n’éveillant pas les soupçons puis soupira. Il ne pouvait laisser la jeune femme s’en aller. Voir des Péninsulaires étaient si rare en ces lieux… L’instructeur militaire attrapa une petite bourse en cuir et y versa quelques plantes qui permettraient à la jeune femme de se soigner si besoin ou de les vendre à un bon prix si elle en avait vraiment.

« Bien… Nos routes se séparent ici je présume. Acceptes ce présent d’un ami à une pauvre demoiselle, seule sur les routes. Saches que les portes du palais te seront toujours ouverte à Mathaora. Mais passes d’abord par la caserne pour que je t’y mène. A bientôt. »

C’était aussi simple que ça? Pour être sincère, Caley ne s’attendait pas à ça. Elle était habituée à traiter avec des soldats bornés, convaincus d’avoir raison, surtout lorsqu’il était question de la sécurité de leur patrie. Si ce vieux soldat voulait user de Caley comme d’une espionne, c’est qu’il devait avoir de bonnes raisons de vouloir le faire. Toutefois, face au refus grandement justifié de la jeune femme, il préféra ne pas insister. La jeune femme haussa les sourcils, surprise, mais n’ajouta rien de plus au discours qu’elle venait de prononcer. Apparemment, leurs routes se séparaient ici, mais Caley ressentait tout de même une pointe de nostalgie à la vue de cet homme venu des mêmes contrées qu’elle. Ici, les gens sont si différents physiquement. Si ce soldat avait la peau tannée par le soleil ardent, il restait définitivement un enfant de la péninsule. Il y a définitivement quelque chose de réconfortant lorsque l’on rencontre un confrère au beau milieu d’une terre lointaine. Une sorte d’amitié spontanée nourrie par des racines communes se développe alors qu’il est probable qu’ils n’aient en fait que très peu en commun. Voilà, Caley voyait chez cet homme son oncle qui aurait aujourd’hui probablement le même âge que Marik.

— Je comprends vos inquiétudes, mais cette position d’espionne pourrait me mettre en grand danger. Je me demande si cela en vaut vraiment la peine.

Elle accepta la bourse qui dégageait une agréable odeur d’herbe. Elle la porta à son nez pour en humer les odeurs. Un sourire se dessina sur ses lèvres. Caley se leva, prête à partir. Elle se sentait mieux grâce aux soins de Marik.

— Je suis à la taverne qui borde la ville pour quelques jours. Si vous voulez discuter… j’y serais après le coucher du soleil. Ce n’est pas tous les jours que je croise des gens qui viennent de la péninsule, comme moi. C’est encore plus rare de croiser un soldat ayant une connaissance des herbes aussi développé que vous. Je ne suis pas aussi sauvage que les gens le prétendent même si je suis parfaitement capable de vous ouvrir la gorge au moindre geste déplacé. Ça, en tant que soldat, vous pouvez le prévoir, non? À bientôt…

Caley inclina brièvement la tête puis s’éloigna d’un pas rapide et silencieux comme seul un rodeur peut le faire.

[si tu veux continuer le rp, tu n'as qu'à répondre à la suite ^^ Caley pourrait avoir changé d'avis...]

La nuit était tombée sur Mathaora et tandis que les derniers soupçons de chaleur s’évanouissaient en même temps que le soleil le rythme de la cité changeait. Les rues, d’ordinaires animées et emplies de milliers de bruits quotidiens, se vidaient ne laissent derrière elle que des ombres frôlant furtivement les murs. Seuls résonnaient encore les bruits des lattes de bois claquant contre les ouvertures pratiquées dans les habitations et les cris des femmes appelant leur époux à souper. Dans ce calme relatif il subsistait quelques îlots d’agitant, signe non trompeur de la présence de l’homme. Outre les quais, envahis de marins en permission et où les dockers déchargeaient les derniers arrivés, une demie douzaine de tavernes permettaient aux hommes de se divertir, aussi bien au sujet de la boisson que des jeux.

Accompagné de deux ombres une silhouette s’avança dans le carré de lumière qui jaillissait de l’entrée du Sabre Royal, grande ouverte. Sans faire attention aux hommes éméchés qui se bousculaient il entra dans le bâtiment et ses yeux détaillèrent la grande salle. Simple et rectangulaire elle était fonctionnelle, avec un long bar en bois lambris le long d’un des murs et un foyer dans lequel brûlait un grand feu à l’autre bout. L’homme joua des épaules à travers la foule, qu’il perça facilement de part son attirail martial et les deux autres qui le suivaient, et s’approcha du jeune adolescent qui faisait tourner machinalement la broche. Appréciant le fumet et la vue de l’agneau ainsi cuit il montra deux morceaux puis la marmite juste à côté. Le commis trancha habilement la viande demandée et la plaça dans une écuelle qu’il remplit de légumes cuits dans un délicieux bouillon et autres jus de viande. Tendant sa main le soldat déposa quelques piécettes de cuivre dans celle de l’adolescent et attrapa son assiette.

Satisfait il se tourna vers le bar et fit signe à ses deux gardes de le laisser. Mal à l’aise ces derniers se séparèrent et s’adossèrent chacun à un pilier de la salle, jetant un regard noir à quiconque osait les approcher. Après s’être laissé servir une bière et déposé l’argent demandé il se dirigea vers une table où une silhouette solitaire passait la soirée. Sans demander son reste il s’assit en face et poussa l’assiette vers son hôte avant de boire une longue gorgée d’alcool.

« J’ai longuement hésité à venir jeune fille… Comment vas tu ?

Après avoir quitté Marik, Caley avait vaqué à ses occupations habituelles lorsqu’elle se rendait en ville. Elles consistaient principalement en la vente des produits de la chasse qu’elle avait accumulés depuis son dernier passage dans une ville et la mise à l’ordre de ses équipements avec l’argent qu’elle avait gagné : aiguisage de ses lames, réparation de son matériel d’équitation, achat d’avoine pour Una, etc. Évidemment, ça dépendait de l’argent qu’elle avait réussi à accumuler. Il arrivait parfois que la chasse ait été particulièrement mauvaise, dépendant de la région dans laquelle elle se trouvait. Quand ça arrivait, Caley n’avait pas d’autres choix que de se débrouiller comme elle le pouvait. Heureusement, elle ne manquait pas de débrouillardise et elle avait appris à se contenter de bien peu.

Cette fois, les affaires avaient été bonnes. Caley avait même réussi à faire un léger surplus qui lui serait bien utile si la chance venait qu’à tourner. Satisfaite, elle avait regagné son auberge dans l’optique d’y passer le restant de sa soirée. Aux yeux de tous, elle ne faisait que boire dans son coin, ignorant tous ceux qui essayaient de l’approcher. En réalité, Caley était à l’affut des dernières nouvelles de la région. Elle avait réussi à glaner quelques éléments durant la journée, mais elle espérait maintenant que l’alcool délie les langues. Évidemment, il y avait de nombreux racontars d’ivrognes n’ayant pas la moindre utilité pour elle, mais au-delà de tout cela, il y aura certainement quelque chose d’intéressant.

En réalité, Caley ne s’attendait pas à revoir Marik. Elle lui avait dit où il pourrait la trouver en soirée, mais elle ne l’attendait pas particulièrement. Elle avait effectivement repensé à la petite discussion qu’ils avaient eue ensemble dans le palais. Malgré ses craintes, elle était forcée d’admettre qu’il était possible de faire une quantité non négligeable d’argent en glanant ici et là quelques informations. Même si elle avait réussi à faire plus d’argent que prévu aujourd’hui, Caley savait que c’était une situation plutôt exceptionnelle et que sa vie restait précaire. La jeune femme porta le pichet de bière à ses lèvres. En levant les yeux, elle aperçut Marik qui se faufilait dans la foule, une assiette à la main. Sans demander la permission, il se posa devant elle et poussa l’assiette en sa direction en lui disant qu’il avait failli ne pas se présenter. La rôdeuse haussa un sourcil interrogateur avant de simplement lui dire.

— Eh bien, je ne crois pas vous avoir forcé à venir ici. Aussi, mettons une chose au clair, j’ai 24 ans. Je pense avoir passé l’âge d’être appelée jeune fille.

Elle but une longue gorgée de bière.

— Merci, mais j’ai déjà mangé.

D’un mouvement de la tête, elle désigna l’assiette vide qu’elle avait repoussée. Il ne restait qu’un bout de pain imbibé de sauce.

— Gardez-la pour vous. C’est particulièrement bon ce soir. Au moins on sait que la viande est fraiche. Sinon, je vais bien. La journée a été… intéressante. Merci à vous, je ne suis pas dans un des bordels de la ville et je vous en suis redevable.

Caley savait que les gens agissaient rarement par pure bonté et elle détestait l’idée d’avoir une dette envers quelqu’un. Marik lui avait sauvé la vie. Peu après, il lui avait fait une offre qu’elle avait refusée pour plusieurs bonnes raisons. Toutefois, la journée avait passé et même si elle avait été profitable, elle savait aussi que ce n’était pas quelque chose d’habituel. Caley devait donc s’assurer un revenu en cas de période creuse. Ce que proposait le vieux soldat était dangereux, mais suffisamment payant pour qu’elle y pense sérieusement.

— Vous savez, par rapport à ce que vous avez proposé plus tôt aujourd’hui… Êtes-vous capable de m’offrir une garantie quelconque? J’y ai bien pensé et mon mode de vie n’est pas le plus stable qui soit. Pour une bonne journée, il peut se passer des semaines durant lesquelles je n’ai presque rien à manger. Les contrats pour escorter les voyageurs se font rares. La situation politique n’est pas stable, les gens ont peur et c’est sans parler que la chasse peut simplement être mauvaise. Pour ça, je m’ennuis parfois des forêts giboyeuses de la Péninsule, pas vous?

Marik eut un léger sourire lorsque Caley annonça son âge. Certes, vingt quatre ans était un âge non négligeable mais lorsqu'on avait dépasser la cinquantaine comme le conseiller de l'Emir on voyait la majeure partie des hommes et femmes comme des enfants. En effet il était rare à cette époque de vivre au delà de la cinquantaine et dès quarante ans on était bien souvent considérer comme un vieillard. Mais Marik était un de ces vieux chiens dont le temps blanchissait juste les tempes et lui laissait de lourdes cicatrices mais en lui laissant tout sa vigueur d'antan. C'était sans compter son genou douloureux lorsque l'humidité était trop puissante ou encore la douleur fantôme quand il baissait les yeux sur ses doigts manquants, un pincement au coeur de cette lourde cicatrice souvenir de sa jeunesse...

Lorsqu'elle lui montra son assiette il n'eut qu'un simple haussement d'épaule et attrapa un morceau de viande qu'il goba sans attendre, non sans lâcher du regard la jeune femme. A cette époque encore, le souper, le dîner et le déjeuner se faisait essentiellement avec les doigts, même si dans ces contrées éloignées de la Péninsule apparaissait quelques couverts tels que des cuillères et de petites fourches à viande. Mais on les trouvait qu'au coeur des palais ou des plus riches bourgeois et autres aristocrates. Dans une simple auberge telle que celle là il devrait se contenter des outils fondamentaux de l'homme. Après s'être restaurer et avaler les derniers morceaux de pain il tira un morceau de tissus de sa poche et s'essuya négligemment la bouche - même si c'était un geste de courtoisie en cette époque. Il était réellement intrigué par la femme qui se trouvait face à lui et qui différait largement des Péninsulaires qu'il s'était habitué à côtoyer. Quand ce n'était pas des survivants du massacre de Fibis - ou leurs premiers descendants- c'étaient de riches marchands ou nobliaux venus explorer les lointaines terres de Matharoa.

"En effet cette viande est de qualité. Peut être devrais je la conseiller aux Vipères... Mais parlons affaires. Saches que tu ne me dois rien. Je n'ai fais que mon devoir de gentilhomme en t'aidant et tu le mérites amplement de part ton caractère...

Ainsi elle voulait des garanties pour ce qu'il lui avait proposé dans l'après midi alors qu'elle se remettait de ses déboires. Marik était satisfait qu'elle soit revenue sur sa décision première et hocha la tête avec un visage de marbre.

"Un réseau d'espion est en train de se bâtir dans l'Estrévent. Ainsi tu pourras faire passer tes messages, et récolter ton or, facilement en toute grande ville. Je ne désire pas que tu espionnes mais simplement que tu regarde, observe et essaye de deviner ce que pourrait tramer nos voisins les plus proches. Et pour cela tu devras parfois changer de tenue et vêtir des atours plus riches. Que tu payeras avec l'or céans."

La bourse pleine tinta sur la table lorsque le chevalier la sortit de sa ceinture et la fit rouler jusqu'à Caley qui put apercevoir l'éclat du bel et bon or.

"Des sommes pareilles te seront distribuées tous les trois mois à Mathaora si tu le désires. Ce sera à mes hommes de choisir le montant lorsque tu iras les rencontrer. Chaque information ne vaut point la même valeur comme tu le sais... Cependant, saches que s'ils essayent de te tromper je me ferais garant et ferait en sorte de les voir occis. Acceptes tu ?"

Quel âge pouvait avoir cet homme? Il paraissait vieux, sans aucun doute, mais il n’était pas un vieillard. C’était encore un solide gaillard capable de donner une leçon aux impudents. Il jouissait de son expérience sans que les années l’aient trop usé. Il était un privilégié parmi les hommes qui trouvaient généralement la mort avant la cinquantaine. Caley était impressionnée et, bien malgré elle, elle voulait chez Marik son père et son oncle. Quand l’on atteignait cet âge, il était naturel que l’on ait cette attitude paternelle envers les jeunes recrues. Mieux vaut ça que de les voir comme des bons à rien.

Marik insista sur le fait que Caley ne lui devait rien pour l’incident de l’après-midi. Qu’elle devait bien ça, en particulier à cause de son caractère! La jeune femme haussa un sourcil et l’ombre d’un sourire se dessina sur ses lèvres. On lui avait fait plusieurs fois la remarque sur son mauvais caractère au cours des dernières années.

— Si je n’avais pas mauvais caractère, je n’aurais pas survécu près de 10 ans seule sur les routes. Souvent, les voyageurs que j’escorte dans les régions sauvages m’en font le reproche, mais je n’ai pas le choix. Généralement, ça les dissuade lorsqu’ils ont des idées derrière la tête. Sinon, une lame sous la gorge vient à bout des plus entreprenants. C’est une question de survie, mais j’ai grandi parmi des hommes, j’imagine que ça m’a aussi influencé.

L’homme lui expliqua ce qu’il attendait d’elle. Il ne voulait pas en faire une espionne à proprement parler, mais il voulait qu’elle observe pendant ses voyages et qu’elle collecte autant d’information qu’elle le pouvait sans se mettre inutilement en danger. Pour Caley, la nuance était subtile. En fait, c’était juste une autre façon de dire les choses.

— De ce que j’en comprends, la limite entre l’observation et l’espionnage est très mince. Vous voulez que j’espionne. Dites-le franchement et arrêtez de jouer avec les mots.

Elle ponctua sa phrase d’un sourire. Caley n’aimait pas qu’on tourne autour du pot, surtout que Marik lui dit très clairement qu’elle devra changer ses vêtements à l’occasion pour passer inaperçue.

— Ça doit bien faire 10 ans que je n’ai pas porté de robe même si j’en ai une dans mes bagages. Ce n’est pas très pratique en voyage. Que vais-je faire de ces vêtements après? Je me demande si je ne suis pas en train de faire une bêtise…

Elle soupira, mais ne revint pas sur sa décision. Caley avait besoin de cet argent. Elle n’avait pas l’intention de devenir une espionne professionnelle, mais si les quelques renseignements qu’elle pouvait recueillir permettaient de remplir sa bourse et son estomac, ça valait la peine d’essayer.

— Oh, ils vont essayer. Je le sais par expérience. Je suis une cible facile… Une femme qui voyage seule et qui porte des vêtements d’homme, mais qui ne berne personne. Je suis une rôdeuse. Pour plusieurs, je ne suis que de la vermine. Pourtant, je connais le terrain mieux que personne et ils sont très heureux quand je les tire d’embarras lorsqu’ils se perdent en forêt. Donc… Je ne promets rien, mais je vais essayer. Le problème c’est que je ne sais pas toujours où je vais être à l’avance. Je planifie un peu les choses, mais ça dépend toujours du temps, de la situation politique et aussi des contrats que je vais avoir. Si je veux me rendre à un endroit, mais que ça implique de traverser une terre ou deux nobles se tapent mutuellement dessus, je vais éviter. Je ne peux pas non plus refuser un contrat. J’ai une certaine réputation chez les voyageurs. Des clients font appel régulièrement à moi. Je ne peux pas me permettre de dire non… Mais je vais essayer. Je sais, je ne parais pas très fiable, mais vous parlez à une rôdeuse qui ne sait jamais où elle sera le lendemain…

Dix années... Dix longues années d'errance dans les terres de l'Estrévent. Cette jeune femme inspirait tant de peine et de respect à Marik qu'il eut un sourire ému et des yeux presque larmoyants en la regardant. Lui même ne s'était pas laissé à mourrir pour deux raisons : par fierté et par devoir envers les rares survivants de Fibis. Mais lorsqu'il s'était laissé aller à errer en Ithri'Vaan il était accompagné d'une vingtaine des siens, toujours là pour lui rappeler qu'ils comptaient sur lui pour les guider. Puis Mathaora avait été là. Ce petit état à la vie longue mais qui ne demandait qu'à s'agrandir, s'ouvrir et se construire de nouveau. Il avait toujours cru en quelque chose. En le bien fondé d'une cause. Mais cette pauvre enfant... Marik ne savait que faire pour l'aider. Il craignait en même qu'elle refuse toute offre. Ce qui était compréhensible. Devenait il sensible ? Lui ? L'ancien capitaine de la garde de Fibis ? Qui avait éviscéré trois semaines durant elfes noirs et autres mercenaires et brigands ? Qui avait encaissé la mort de sa femme, de son fils, son ami d'enfance et seigneur ? La destruction de tout ce qu'il avait connu ? Tant de questions...

"Je comprends tout à fait ton caractère. Dix ans seule en tant qu'une rôdeuse et une femme. Tu aurais, sans vouloir te... menacer mourrir depuis bien longtemps. Rien que pour ça je puis te faire confiance."

Marik eut un sourire lorsqu'elle lui demanda d'être explicite immédiatement au lieu de tourner autour du pot et rit à sa remarque.

"Oui clairement c'est de l'espionnage. Mais comme tu le dis toi même tu es une rôdeuse. Le regard des gens glissent sur toi ou ne te considèrent pas comme dangereuse. Mes hommes sont tous de confiance et ne m'ont jamais trahi. Non pas par la crainte mais par le respect qu'ils me témoignent et que je leur rends. Je me porte garant d'eux tout comme je le fais pour toi auprès d'eux. Je ne puis par exemple te forcer à aller à tel ou tel endroit. Soit un grain de poussière libre de suivre le vent là où celui va... Mais n'oublies pas d'observer, noter et surtout rendre compte. Cela te suffit il Caley ?"

[Trois mois de retard et un post minable j'en suis tellement navré :'(]

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