Irruption impromptue [Morgane]

Ak’esha porta la main à son front dans un mouvement d’intense réflexion. Elle n’avait pas réussi à se faire comprendre… Mince, comment expliquer ce qu’elle voulait… Mais, est-ce qu’elle avait vraiment besoin d’être comprise ? Non, elle avait la réponse à sa question mal formulée, le reste n’avait pas d’importance. La mercenaire se contenta donc de sourire malicieusement à la dernière remarque de Morgane. Son idée lui apparaissait de plus en plus amusante et elle n’avait rien de franchement éloigné d’un entrainement. Elle avait tout simplement trouvé un moyen pour rendre la chose un peu plus vraie, et essayer de motiver la mage, quitte à donner de sa personne. Mais pour le moment ce qui la préoccupait le plus c’était les réponses de la sang-mêlé. Il fallait au moins se montrer un minimum civil, même quand on était folle, non ? L’albinos se tapota la lèvre inférieure du doigt en se rapprochant de l’autre yssoise, un vague sourire aux lèvres.

-Ne t’inquiète pas, ce que j’ai en tête n’a rien de vraiment farfelue, commença la mercenaire en détaillant Morgane avec un sourire. Et je crois que tu as répondu à mes interrogations, ajouta-t-elle en secouant négligemment la main. Pour ce qui est de réfléchir pendant un combat, je suis tout à fait d’accord avec toi, mais ce que je dis c’est que quand tu frappes, tu frappes sans te poser de question. Si tu as décidé de frapper c’est qu’il n’est plus temps de réfléchir. Et puis, là, en l’occurrence, ce n’est pas un combat, ajouta-t-elle en gloussant. Non, plus sérieusement, ce que je veux dire c’est que tes mouvements, tu les as appris. Ta tête les connais et s’en souviens, mais ton corps aussi. Fais lui confiance. Le corps est faignant, il saura mieux que ta tête comment les reproduire. C’est ça ne pas réfléchir. C’est laisser ton corps agir. C’est ne pas douter. C’est, une fois que tu as réfléchit à ce que tu vas faire et que tu t’es décidée, tu laisses ton corps le faire, sans douter, sans remettre en cause ta décision, la mercenaire fit un pause tout en fixant la mage du regard. Pour ce qui est de la concentration… t’as pas besoin de réfléchir pour être concentrée, fit-elle avec un petit rire. Disons que, quand tu t’entraines, ou que tu dois frapper, tu ne peux pas penser à ce que tu vas manger le soir ou… te demander ce que je vais bien pouvoir inventer comme bizarrerie, termina-t-elle avec un sourire sarcastique entendu.

Jusque-là, Ak’esha s’était montrée presque frivole et d’une certaine exubérance. Le ton de sa voix avait été plutôt léger et elle avait semblé plutôt absorbée par ses explications. Une attitude ayant des apparences bien inoffensives et son comportement était très éloigné des rumeurs les plus scabreuses qui pouvaient courir sur elle. Mais, tout en parlant, elle avait formé un dessein et espérait que Morgane saurait faire preuve de retenu, malgré ce qu’elle même allait faire dans les prochaines minutes. Elle avait très peu envie de finir en barbecue sur un malentendu. Toutefois, elle avait vraiment envie de secouer les puces de la demie.
La muse du Chaos ferma les yeux en inspirant profondément, se forçant à atteindre cet état de grâce étrange où toutes choses lui apparaissaient plus clairement. Où tout avait l’aire étrangement immobile. Où elle pouvait s’abstraire de toutes choses et qui, avec les dons de l’Oublié, faisait qu’elle se considérait comme la meilleur combattante qu’il se pouvait trouver. La fille du Chaos rouvrit brusquement les yeux, plantant ses regards de pourpre, maintenant enflammés d’une fièvre furieuse, dans ceux ambrés de la sombre. Ceux-ci étaient porteurs d’une intensité douloureuse à la limite du supportable, presque impossible à soutenir tant ce regard était étranger et si peu… humain. Ce regard semblait vous transpercer l’âme, la mettant à nue, cherchant, grattant, fouaillant le moindre recoin de celle-ci comme à vouloir la décortiquer pour la consumer tout entière.
Alors même qu’elle allait mettre en branle son projet, la muse s’ébroua brusquement et fit un pas en arrière, détournant un instant le regard avant de le reporter sur la magicienne. De nouveau le regard de la chaotique avait brutalement changé. Là où brulait une rage furieuse totalement alien, brillait maintenant un amusement enfantin plein de malice, à l’air tout à fait inoffensif. Un sourire franc s’étalait sur les trait de l’humaine, sans plus de trace de l’étrange et dangereux regard qu’elle arborait un instant plus tôt. Elle se mit à murmurer des négations pour elle-même en secouant doucement la tête. Elle avait changé d’avis. Son idée n’était pas à propos pour le moment, beaucoup trop dangereuse. La fille du Chaos se secoua encore pour chasser son idée malheureuse et les miasmes de sa folie qui continuaient à s’accrocher à son l’esprit.

-Non, ne t’inquiètes pas mon idée n’a aucun rapport avec ta magie et pas plus qu’avec les questions que je t’ai posé. Mais, tu as raisons ce n’était pas à propos de toute façon, fit-elle tout sourire. Et tout ça m’intéresse parce que ta magie m’intéresse. Je trouve ça beaucoup plus amusant que le peu que j’ai pu en glaner ici ou là. Et puis c’est un peu ce que je veux apprendre, même si je ne sais pas si cela m’est possible. D’ailleurs comment tu as appris la magie ? J’aimerai bien savoir comment tu passes de ça, à une boule de feu, ça me dépasse, termina-t-elle en effectuant dans le vide un coup de poing qui ressemblait à ce qu’elle avait pu voir la sorcière effectuer lors de ses duels.

Ak’esha se laissa de nouveau entrainer par le bras vers un endroit qui correspondrait aux goûts de confort qu’avait Morgane. Il semblait que ce soit la première condition pour que la magicienne daigne répondre à la question de l’albinos. La demie trouva finalement un boudoir à sa convenance où elle s’arrogea un sofa aux coussins moelleux dans lesquels elle s’enfonça avec aise. La mercenaire s’assit avec précaution de l’autre côté. Malgré sa prudence, elle du retenir un réflexe de surprise quand elle s’enfonça plus que ce qu’elle avait prévu. Le seul mouvement qui transparut de son désarroi fut une crispation du bas de sa mâchoire. La surprise passée, elle fit comme sa compagne et profita de l’aubaine se calant plus confortablement dans les coussins. Elle reporta ensuite son attention sur la sombre qui commençait ses explications.

-Déjà, faut comprendre ce que c'est la Magie. Et ça c'est dur si tu réussis pas à la ressentir de naissance. Y en a qui y arrivent ceci dit. Enfin bref... la Magie. C'est partout, tout le temps. Une fois que tu as réussis à la ressentir, elle est aussi naturelle que l'air que tu respires. Comme un genre de bourdonnement qui émane de tout ce qu'il y a autour de toi. Enfin moi ça me fait ça mais je crois que chacun perçoit la Magie différemment…

Percevoir la magie ?… Il était assez clair pour l’albinos qu’elle ne disposait pas de ce talent de manière innée. Mais si chacun percevait la magie d’une manière qu’il lui était propre, n’était-il pas possible qu’elle n’ait tout simplement pas fait attention ? Que cela se manifestait de manière qu’elle n’y faisait pas attention ? Non. Non, elle se montait un bateau toute seule là. La percevoir demande de la chercher dans un premier temps, ce qu’elle n’avait jamais fait jusque-là.
Seulement la première étape ?... Mais, les Dons de l’Oublié, ils sont apparenté à la magie. C’est ce que disait… Elverion. Alors pourquoi ? Elle n’avait aucune perception de la magie c’était certain et pourtant… La seule explication était la puissance même du Père du Chaos. Ou alors tout simplement, et justement, la possibilité qu’elle manie les dons de l’Oublié venait de la différence qu’il existait entre les sorciers et autres magificateurs qui existe dans ce monde. Et d’ailleurs comment était-il possible d’enseigner quoi que ce soit à qui que ce soit, si chacun avait ses propres sensibilités et sa propre manière d’utiliser la magie ? Ca n’avait pas de sens. Aucune possibilité d’imiter ou d’expliquer ! Une légère sensation de découragement pointa le bout de son nez, mais Fureur la chassa avec humeur.
Malgré les pensées qui pouvaient se bousculer dans la tête de la muse du Chaos, elle écoutait avec attention les explications de la mage sombre. Il fallait donc être concentré sur une seule idée. Idée qui donnait ensuite forme à l’expression de la magie que l’on voulait obtenir. C’est d’ailleurs là qu’intervenait les mouvements qu’effectuaient la demie, il servait de catalyseur à la concentration de celle-ci, fixant ses idées pour qu’elles prennent la forme souhaitée.

-Après l'autre truc important c'est de ne pas essayer d'utiliser plus de magie que tu ne peux réussir à en contrôler. Parce que quand la Magie t'échappe, ça ne manque jamais d'animation. J'en ai vu quelques-uns en Ithri'Vaan qui ont dépassé leurs limites et ils s'en sont tous sévèrement mordu les doigts. Quand ils en avaient encore.

La fin des explications de Morgane passa un peu au-dessus de l’albinos qui s’était perdue dans ses conjectures et autres pensées qui avait été éveillées par le discours de son mentor. Le regard perdu dans le vide, absorbée qu’elle était dans son monde intérieur, celle-ci ne réalisa pas qu’elle invoquait la puissance de l’Oublié alors qu’elle essayait de donner sens aux paroles de la sombre.
Heureusement, ce ne fut pas une explosion de tentacules fuligineux, mais un grouillement furtif sous la peau de l’albinos. Une déformation fugace au niveau du cou de l’humaine, une forme mouvante sous les habits de celle-ci au niveau de ses côtes et sur ses bras. Les mouvements avaient été si vifs faisant l’effet d’une illusion disparaissant à peine entraperçu. L’effet était d’autant augmenter que l’albinos ne s’en rendait pas compte et qu’elle reporta avec naturel son attention sur la magicienne mettant fin au débordement de pouvoir.

-Donc si je comprends bien, commença la mercenaire en se passant la main sur le visage l’air un peu assommée. La magie, tout le monde pourrai la percevoir, mais chacun y est différemment sensible, ce qui peut rendre sa perception difficile. En plus, pour l’utiliser chacun à sa façon de faire qui lui est propre… l’humaine s’arrêta là un instant avant de reprendre dans un soupir. Je comprends pas comment qui que ce soit peut enseigner ou apprendre la magie. Ca ne me parait pas possible et pourtant tous les mages que j’ai pu rencontrer sont la preuve que c’est faisable… Je commence à me cogner un mal de crâne moi... termina-t-elle en laissant trainer la fin de sa phrase alors qu’elle se replongeait dans ses réflexions. Donc toi tu pouvais percevoir la magie dès ta naissance. Pas être facile, marmonna-t-elle pour elle-même. Sinon, la magie euh… divine y a une différence avec la magie euh… profane, demanda incertaine Ak’esha sautant sur une autre idée qui lui trottait dans la tête.

Ak’esha sourit à la maladresse de Morgane, mais l’état du mobilier ou celui de la livrée de la magicienne ne la préoccupait pas vraiment. Non, ce qui l’intéressait le plus c’était ce que lui expliquait la demie. La magie semblait plus une question d’obsession que de réelle talent personnel ou d’étude poussé de vieux grimoires poussiéreux. Toutefois, son apprentissage, même s’il recouvrait un aspect plus attrayant aux yeux de l’albinos, n’en était pas moins problématique. Il fallait faire preuve de créativité, d’intuition et d’intelligence, ce dernier point n’étant pas forcément l’un des atouts les plus développé de la mercenaire.
La réponse de Morgane à sa dernière question tira un sourire franc à la muse. Imaginer ces coincés en train de s’agiter dans tous les sens et lancer des éclairs dans leur robes d’apparat avait matière à susciter une bonne marrade. Par contre la question de la sorcière n’avait pas le même potentiel hilarant. La muse se tapota la lèvre d’un doigt, elle était persuadée d’avoir répondu à cette question. Peut-être que cela ne concernait pas seulement son envie d’apprendre la magie à son âge, surtout pour une humaine, mais peut-être que cela avait plus rapport à sa dernière question qui sortait un peu de nulle part.

-Globalement… par curiosité et même si c’est peut-être un peu tard pour m’y mettre, ta magie m’intéresse. C’est toujours utile d’avoir plusieurs corde à son arc, on ne sait jamais quand elles pourront se montrer utile. Et même si je n’arrive à produire qu’une flammèche ou même juste une goutte d’eau, ça peut toujours se montrer utile, il suffit de se montrer inventif. Et pour ma dernière question, je voulais vérifier un truc, ajouta-t-elle en haussant les épaules. J’avais déjà posé la question à un prêtre de… euh de… je sais plus quel dieu… Enfin bref, sa réponse ne m’avait pas franchement convaincu, en même temps, il était un peu trop prosélyte et il n’était pas franchement très objectif. En même temps au vue de la situation cela ne m’a pas spécialement étonnée, pouffa sinistrement l’humaine. Les gens ont tendance à se montrer mesquin dans ces moment-là, un bref ricanement mauvais échappa à l’humaine.

Son expression ne faisait pas vraiment mystère de ce qui était arrivé à l’homme de foi et cela n’avait certainement rien de réellement agréable.

-Enfin, je n…

L’humaine s’interrompit brusquement, son regard se perdant juste au-dessus de l’épaule de la magicienne. Sa physionomie se modifia brutalement, elle devint encore plus livide qu’elle ne l’était déjà. Un visage fin à la peau laiteuse encadré d’épaisse boucle rousse lui faisait face un sourire moqueur aux lèvres. La mercenaire mit un instant pour réaliser que ce n’était pas sa sœur morte qui lui faisait face, mais une illusion née de son esprit malade, personnifiant ainsi Fureur.

« Tu crois qu’elle serais d’accord pour baiser avec nous ? »

La chaotique fut surprise par la remarque de son alter ego, inutilement cru. Elle ne faisait pas ce genre de remarque déplacée. Non, d’habitude, elle l’invitait plus tôt à se laisser aller à des pulsions meurtrières, pas à des pulsions sexuelles. Cela cachait quelque chose, et même sans cela, le fait même qu’elle ait des hallucinations n’avait rien de rassurant. Elle n’avait plus vu de manifestation de Fureur depuis bien longtemps. Le temps qu’elle digère cette étrange pique de la part de l’autre, il s’était passé bien trop de temps pour qu’elle puisse faire passer son silence pour une simple hésitation. Portant lentement sa main à son visage, elle soupira.

-Je pense pas être encore en état de continuer cette conversation, déclara la jeune femme son visage toujours à moitié caché derrière sa main. J’ai dormi à peine deux heures hier et je crois que la fatigue commence à se faire sentir, termina-t-elle avec un sourire las alors qu’elle se levait.
« Alors tu fuis ? Ma proposition ne t’intéresse pas… On peut envisager d’autres activités avec elle. »

Ak’esha s’efforça d’ignorer les commentaires de son alter ego, mais une tension s’était installée dans ses épaules et sa démarche était un peu raide. La mercenaire se répétait en boucle que ce qu’elle voyait n’était qu’une illusion. S’efforçant de le faire raisonner seulement dans sa tête, mais elle remuait légèrement les lèvres à chaque fois qu’elle assenait le mot in petto. Elle s’astreint à se focaliser sur les incohérences de ce qu’elle voyait, les cheveux de la vision traversaient les épaules de la magicienne, son corps faisait de même là où il était collé à celui de la demi et ses oreilles n’entendaient rien. Malgré ses efforts, son regard faisait la navette entre la porte et le fantasme de sa presque sœur et elle dut faire des efforts surhumain pour ne pas se retourner vers celui-ci quand elle eut dépassé les deux femmes.

« Oh, allez ! Ca ne ta jamais dérangé de découper quelqu’un alors que vous veniez de faire ami, ami. »
J’ai pas envie de finir en barbecue ! gronda Ak’esha.
« Ah, tu voix quand tu veux. »

La muse du Chaos manqua trébucher, alors qu’elle avait l’impression que l’autre l’enlaçait et posait sa tête sur son épaule. Serrant les dents, elle se remit à réciter son mantra tout en sortant de la pièce d’une démarche vacillante et raide.