Une rencontre impromptue | Dante Shyn Urgoll

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Il y avait une main >>

3e jour de la 1ere ennéade de Favrius ~ Automne
17e année du XIe Cycle
Principauté des Sept-Monts
Peu après la capture d'Urgoll'Ven

Plusieurs heures s'étaient écoulées depuis qu'ils s'étaient mis en route, tirant leur prise sur une litière derrière Pommelé, le hongre gris pommelé confié à Shyn'tae. L'animal était le plus calme des trois, et le seul qui avait eu la bonne idée de ne pas essayé de partir au galop ou de reculer pour écraser la litière lorsqu'il avait senti quelque chose ramper derrière lui. Aussi, l'adolescent eldéen à l'enthousiasme débordant s'était retrouvé en charge de leur prisonnier, laissant Ténèbre et Zayase libre de piaffer et de s'énerver tout leur sous à cause de l'odeur de sang que dégageait la carcasse du drow.

La première heure avait été particulièrement difficile pour Cécilie et par extension, pour le moral du groupe qui aurait du jubilé. Silencieuse, elle regardait la côte et la mer sous la pluie comme si elle avait voulu s'y jeter à l'instant... Ce qui était en réalité le cas. Elle ne s'était jamais baigné dans l'Olienne par temps de pluie. L'idée la rendait curieuse et tempérait l'appétit qui se calmait peu à peu.

- C'est dommage. J'aurais bien pris un peu de temps pour nager. " Furent ses premiers mots après près de trois quart d'heure d'un mutisme total. Comme elle le pensait au début, ce n'était pas une véritable faim qui l'assaillait. Elle ne risquait rien elle-même. Seulement, elle avait pris soin de ne frôler ni Dante, ni Shyn'tae ni même leur proie depuis qu'elle était allé chercher les chevaux.

Puis ils s'étaient enfoncés dans les terres. La côte avait disparue et la pluie molle avait finit par s'éclaircir. Au fil des heures, elle avait retrouver son entrain. Après tout une chasse venait d'aboutir ! Quoi de plus stimulant ?! Commençant par cracher son venin sans retenu sur les villageois de ce coin pourris dans lequel était allé se perdre l'eldéen, elle posa bientôt des centaines de question sur l'homme qu'avait connu Shyn'tae avant qu'il ne disparaisse sans laisser de trace et sur le poison que Dante avait préparé, et sur la cahute ou ils se rendaient et sur... sur bien des choses, de bien des façons, se remplissant la tête comme une éponge se gorge d'eau.

Chaque heure, Dante vérifiait l'état de leur proie. A la deuxième vérification, il avait été surpris de discerner quelques signes d'agitation. L'homme était surement plus résistant aux poisons que ne l'était Shyn'tae. Sa corpulence n'était pas seule en cause. Il allait falloir manier les doses avec précaution pour le maintenir véritablement endormit sans le tuer... Et quitte à devoir le rendormir d'un bon coup sur le crâne, il avait été décidé d'un commun accord qu'ils n'avaient pas fait tout ça pour le tuer avec des médicaments, et que les médicaments seraient lentement augmentés.

Et les doses augmentèrent... Beaucoup plus que prévues. L'un des composants qui avaient très bien marchés sur Shyn'tae semblait être facilement assimilé par le mastodonte décrépit.

Huit heures plus tard, à encore quatre bonnes heures de leur destination, la pluie avait totalement cessée pour laisser le ciel se découvrir, et le soleil se couchait doucement. Leurs vêtements détrempés n'avaient pas encore eu le temps de sécher... Mais leurs réserve de somnifère arrivait à son terme. En espaçant les prises, ils pourraient le tenir somnolent, lent et faible, mais pas totalement endormi.

Les trois compères discutaient des éventualités qui s'offraient à eux tout en continuant à avancer, lorsque deux silhouettes armées de lances se découpèrent un peu plus loin sur la route de terre battue. Deux mercenaires sans doute.

Cécilie avait désigné le chemin du menton en discernant leurs pas lourds sur la terre détrempée et le cliquetis de leurs armures. L'un des étranger leva de suite son arme d'une façon avenante en les apercevant.

- Hola ! " les salua-t-il de loin pendant que son confrère leur faisait signe de la main, gagnant encore quelques mètres. " Pardonnez nous d'interrompre votre voyage, nous... " Il plissa les yeux en voyant la litière derrière le cheval gris. " Vous devez être des mercenaires ?
- Bah tu vois bien qu'ils ont pas une gueule de médecin.
- La ferme Ash... " grommela le premier. " Enfin, ça vous dirait de vous faire une petite rallonge  en travaillant un petit quart d'heure ? Notre carrosse s'est embourbé et à cassé un essieux. On a de quoi le réparer, mais on peut pas tant qu'il est enfoncé dans la boue, et on arrive pas à le sortir tout seul.
- C'est tellement boueux que les chevaux s'enlisent et nous aussi...

Le premier fit les gros yeux à son second, mais ne dit rien de plus cette fois.

Ils s'étaient trompés, ils avaient sous estimé le gobelin. Pour le moment, ce n'était pas particulièrement grave. Mais cela pourrait bien le devenir, était-elle forcée de reconnaître.

Car, avec ses camarades, Shyn'tae avait constaté que, même en prenant en compte leur différence de poids, Urgoll'ven était bien plus résistant au sédatif qu'elle même. La sombre ne savait trop comment interpréter ça, mais c'était un fait. Ils avaient  du se résoudre à ne pas le maintenir totalement endormi, et elle espérait que cela serait suffisant.

Le collier de l'ex triumvir avait  rejoint son paquetage, mieux valait ne pas tenter leur invité, la jeune drow tenait à son cou contusionné: Elle n'en avait qu'un. Son arcade avait cessée de saigner depuis bien des heures déjà. Dans l'ensemble tout allait bien.

Le Pommelé était un cheval de bonne composition, mais ce n'était pas pour autant un cheval de bas. Traîner cette charge dans le sol boueux le ralentissait et le fatiguait plus rapidement que les deux autres montures. Aussi, Shyn'tae avait finalement choisi de l'épargner en marchant à ses côtés. Ses bottes et le bas de son pantalon étaient boueux, mais la dernière chose dont ils avaient besoin était qu'épuisé, le cheval refuse de les mener plus loin.

Etonnement  pour la sombre, l'animal lui avait témoigné sa reconnaissance avec force câlins. Elle ignorait qu'un cheval pouvait se comporter ainsi. Dommage qu'avec sa côte abimée, l'attention ait été plus douloureux qu'agréable. C'était l'intention qui comptait, comme on disait.

Il n'empêchait : un chariot ou même une simple cariole auraient été bienvenues, car Urgoll'ven, même amaigri, était lourd. Très lourd. Même endormi, il était un plaie et elle ne doutait pas que pleinement réveillé, il saurait se montrer absolument insupportable.

Les drows étaient très doués pour ca, elle pouvait témoigner.

S'ils avaient un chariot, ou même une cariole, tout serait bien plus simple, avait conclu la sombre de manière bien inutile.

Ce fut Cécilie qui remarqua  les deux mercenaires amicaux la première(1). Shyn'tae les salua d'un geste de la main amical lorsque le petit groupe arriva à leur hauteur, tendit une oreille d'abord distraite à leur demande car ils n'avaient justement pas vraiment de temps à perdre, jusqu'à ce que le mot "carrosse" lui fasse dresser les deux oreilles.

La suspicion l'envahit. Les dieux leur envoyaient-ils un carrosse en presque bon état? Il y avait forcément un piège, car la chance et des dieux amicaux n'étaient pas des choses auxquelles Shyn'tae était habituée.

- Ces routes sont horribles en cette saison… Je compatis. On est assez pressés de pouvoir ramener notre camarade. Elle avait pointé la main en direction d'Urgoll "mais on va voir si on peut faire quelque chose pour votre carrosse."

Laissant sur place le Pommelé, lequel pensa avec reconnaissance que la pause était pour son seul bénéfice, Kalanree s'avança autant pour découvrir l'étendue des dégâts que la capacité de leur nouveaux amis à leur refuser leur véhicule.

(1): Bien qu'elle soupçonnait Dante capable d'affirmer les avoir vu avant, par principe. Elle-même, parce qu'elle était un peu en arrière et surtout à pied, était de toute manière hors jeu.

Pendant que ses camarades s'étaient changés, Cécilie en avait profité pour sécher un peu sa monture, se contentant de retirer sa cape pour laisser sécher sa chemise blanche et sa fine jupe de lin jaune et bleu. Passant la bride de Zayase à une branche, elle fit quelques pas, s'étirant pour essayer de se détendre. Jusque là, s'occuper l'esprit avait suffit. Elle tenait le bon bout, mais elle Les sentait encore à fleur de peau.

L'idée de rester quelques minutes seule pendant que Dante et Shyn'tae allaient s'amuser ne l'enchantait pas plus que ça... Mais dans ce plan, il y avait tout de même 'rester seule quelques minutes' et cela fini par avoir raison du reste. Elle acquiesça donc avant de se tourner vers la sombre.

- Kal'. Tu peux prendre Zayase, mais je te préviens, il tire dès qu'on ne le laisse pas aller à son rythme et il botte quand il sent quelque chose derrière lui. " Si certains chevaux s'appelaient Noisette, celui-ci aurait aisément pu s'appeler Bonbon. Heureusement, contrairement à Ténèbre, si le Pur-sang Zurthan à la ligne racé était aussi puissant que butté, il n'était pas agressif.

Une fois la question des chevaux réglée, les deux comparses de la mage s'éloignèrent et elle ferma les yeux en flattant l'encolure de la monture restante.

Derrière le vague tournant que prenait la route à quelques dizaines de mètres à peine, une calèche asse confortable était en effet embourbée jusqu'à la portière. Une seule de ses roues était encore sur un bout de terrain à peu près stable, les trois autre étaient engloutis dans la moitié du sentier transformé en bourbier et l'essieu arrière était cassé bien au milieu. Pour éviter d'être entrainés au cas ou l'attelage soit déstabilisé, les deux chevaux de traie avaient même été détachés.

Autour de la calèche, un cheval de monte broutait distraitement et deux autres gardes sortaient un à un les bagages de leur carriole. Une haute silhouette à la peau noire, aux oreilles piquées d'or et au cou alourdi d'un collier épais, était emmitouflée dans un châle flamboyant au dessus d'une simple robe de soie orange. La grande femme était assise sur un amas de coffres et de sacs, la main posée sur une grosse boite carrée enroulée dans un drap blanc.

- M'dame ! " Les gardes et la femme se tournèrent vers les deux hommes partis en éclaireurs. " On a trouvé quelques bras en plus et des chevaux.
- Arcam soit loué. " Lança la femme d'une voix assez forte pour être clairement entendue de loin, mais posée, nullement empressée. Son accent était incontestablement Gereshois. " Je vous remercie voyageurs. Vous venez nous tirer d'un bien mauvais pas. "

D'un geste nonchalant, elle passa la main sous le drap blanc, attendant que les arrivant s'approchent.

Des marais infinis. Sa conscience y semble embourbée, quand bien même il se débat, quand bien même il gronde... Mais il n'y a rien. Rien que l'obscur, rien que le corps lourd, rien que le poids qui écrase, empêche de respirer, voir, penser, se mouvoir, sentir, exister. Des tressautements, parfois, frissons de froid de la carcasse nue et glacée. Le poison dans ses veine,s le poison qui endort, qui semble disparaître pour se répandre encore, quand bien même il veut lutter, se relever, frapper, écraser. L'esprit égaré, assommé, dans un corps épuisé, lâche, comprimé, douloureux. Les liens qui étreignent et lacèrent les trop nombreuses plaies, la masse du corps qui comprime la brûlure du flanc contre sa propre chair, celle du dos contre ce à quoi il est attaché.

Lever les paupières. Lourdes. Lever les paupières. Si lourdes. Un frémissement, une inspiration plus forte, un éclat, le gris du ciel peut-être... Puis le poison qui se répand. Le temps qui file, sans qu'il sache, sans qu'il sente. Lutter dans l'inconscience, incapable de dire où, quand, pourquoi, combien de temps. Tel un cadavre maintenu sous la boue, dans une moiteur étouffante. De diffuses sensations qui laissent à penser qu'il est vivant... Avant que l'obscur ne se répande encore, annihile tout. Énième plongée dans l'inconscience.

Sentir. Les brûlures, sur sa peau, le frottement, le poids, l'odeur d'un animal. Sentir. L'humidité, le froid, les tiraillements, la douleur, un goût pâteux, les tremblements, son corps qu'il tente de se rappeler. Sentir. Les paupières qui lui répondent, son torse qui tressaute, l'air dans sa gorge, le tremblement de ses battoirs. Sentir.

Lui.

Le corps massif tremble et frémit, frotte, saigne sur les cordages, alors que l'être force, force, se débat sans être vu, prisonnier de sa propre carcasse, plongé dans une inconscience forcée. Les liens sont serrés, le corps affaibli... Une infime plainte file entre ses lèvres arides, alors que les yeux roulent sous les paupières scellées par le poison.

- Merci, on revient vite." Un clin d'oeil à sa consœur, et, la bride de Zayase à la main, Kalanree s'était éloigné de son pas souple en esquivant les flaques du chemin boueux à la suite des deux gardes et de Dante.

C'est lorsque le petit groupe franchit le détour de la sente qu'ils purent découvrir la situation réelle. Le drow haussa un sourcil. La manière dont cet équipage était parvenu à se mettre dans cette situation lui échappa. Le carrosse, embourbé jusqu'aux portières et penché dangereusement sur le coté, aurait pu tout aussi bien s'abimer dans un petit étang.

Dans l'ensemble, Kalanree trouva la scène bucolique. Le gris du ciel répondait au vert magnifique des arbres de la région. Le carrosse, comme une épave échouée, offrait au regard l'illustration des limites de la civilisation et de l'ingéniosité humaine. Les chevaux broutaient, insensibles à l'émoi des gardes et du personnel de la marchande. Ces derniers, tâches blanches perdues dans les bois, semblaient hésitants sur la meilleure manière dont ils pourraient sortir de cette situation.

Enfin, le regard du sombre se porta sur la dame elle-même, qui apportait la dernière touche de couleur, entre flamboyance et dignité, de l'ébène de sa peau, l'or de ses bijoux à l'orange de la soie, la sérénité qu'elle arborait contrastait tellement avec l'atmosphere qui l'entourait qu'elle fit naître sur le visage de Kalanree un sourire amusé.

Autour de la dame, ses bagages s'étaient accumulés comme pour former un ilot de civilisation sur lequel la maitresse des lieux s'était installée. Lorsqu'elle interpella les deux voyageurs, ce fut avec des manières à la hauteur de l'image qu'elle avait choisi d'incarner. Le jeune Doeb efféminé la salua respectueusement, manifestement favorablement impressionné par le calme de l'humaine à la peau noire.

- Je vous en prie Madame, à nous tous on va vous sortir de là sans problème."L'adolescent avait  adressé à la maitresse des lieux un sourire confiant, et son regard glissa un instant avec curiosité le long de son bras enveloppé de soie pour se poser sur le drap sous lequel elle avait passé la main. Le regard du jeune sombre fut un instant ailleurs. Un souvenir venait de refaire surface, comme il lui arrivait parfois: Une cage dans un bazar bruyant qui avait attiré son attention, un jour. Un bagron y résidait, il regardait Shyn'tae de la même façon que son père depuis qu'elle le côtoyait à nouveau. Avec colère et mépris. Kalanree en eut la gorge nouée.

Pour masquer son malaise, Il s'avança vers le carrosse accidenté, lequel évoquait pour l'heure plus un vaisseau échoué sur un traitre récif qu'un véhicule terrestre.  De plus prés, il était clair que les roues du véhicules s'étaient prises dans une plaque d'argile assez profonde pour qu'elles s'y soient abîmées de moitié. Il s'appuya dessus en grimaçant. Il ne bougea pas. C'était une bonne chose, son poids ne reposait pas entièrement sur la dernière roue.

Même s'ils décidaient de se débarrasser des propriétaires de l'attelage pour se l'approprier, jouer le jeu pour le moment était très probablement la meilleure chose à faire. Quand bien même ils arriveraient à se débarrasser des quatre gardes et de la propriétaire, ils se retrouveraient avec un carrosse embourbé à l'essieu brisé. La belle affaire.

- On va attendre un peu que vos hommes aient fini de l'alléger. Puis on devrait pouvoir le tirer de là sans problème. Le choc a du être rude… C'est un animal que vous avez là? J'espère qu'il n'a pas trop souffert." Continua-t-il sur le ton de la conversation.

Ah la jeunesse, toujours si curieuse.

Restée en arrière, Cécilie flatta un moment l'encolure su hongre gris pommelé. Le geste répétitifs et long la calmait autant que l'animal, elle en était convaincue. Passé quelques minutes, elle posa même la tête contre les crains de l'animal, respirant l'odeur équine mêlée à la paille et à l'humidité ambiante.

Un grondement sourd lui fit redresser l'oreille. Leur prise. En trois pas, elle était près de lui et s'accroupit à son côté. Ses yeux étranges en profitaient pour le détailler et sa main se posa sur les poignets liés du grand homme. Ils étaient agités de soubresauts. Conscient ou non, il allait finir par se les entamer sévèrement.

- Calme. " souffla-t-elle en eldéen de sa voix douce. " Calme... Tu vivras. J'ai seulement besoin de réponses. " Pour le moment...

De son côté, les gardes de la voyageuse à la peau brune avaient redoubler d'effort pour vider la calèche et mettre au point le plan du mercenaire. Ils avaient bien trouver à y redire, et le ton était rapidement monter quand à trouver ce qu'il convenait de faire, mais comme de toute façon, tester une façon n’empêchait pas de tester les autres après, la question avait vite été réglée. Et puisqu'en l'absence de tête, il faut bien avoir des bras, les hommes d'arme étaient bien partis pour en avoir pour un quart d'heure... Enfin s'ils ne passaient pas à la technique de la hache et du levier, auquel cas, ils en auraient pour bien plus longtemps.

La femme en robe orange s'était contenter d'acquiescer pour reporter son attention sur Kalandree, le regard doux.

- Il y a eu bien plus de peur que de mal. Pour lui comme pour moi. Ma Chrivine est encore à l'intérieur, elle était tellement énervé que nous avons décidé de la laisser tranquille pour l'instant. " Elle sourit au jeune homme curieux. Il était encore fort frêle pour quelqu'un de sa race et si elle se souvenait bien des échelles de valeurs qu'on lui avait donné, il ne devait pas avoir plus de quatre-vingt ou cent ans. " Appelez-moi Clepta Ashouhan. Je suis négociante en art. Et lui, c'est Laïn. " ajouta-t-elle en donnant un coup de menton pour désigné la boite enrobée d'un drap blanc. " Et vous ? "

Si tu peux voir détruit l'ouvrage de ta vie, Et sans dire un seul mot te mettre à rebâtir.

Le jeune sombre adressa un regard chaleureux à son interlocutrice. Il savait apprécier quelqu'un capable de rester flegmatique et indifférente aux mésaventures, même égaré au milieu des étendues sauvages. Clepta Ashouhan ne manquait pas de confiance en elle, et le sombre ignorait si cette confiance était bâtie sur la sagesse, le bluff ou la méconnaissance. C'était un mystère fascinant à résoudre, d'autant plus qu'il n'était pas impossible que le succès de leur entreprise, à Dante et lui, repose sur la réponse à cette question.

- Kalanree madame. Enchanté de vous rencontrer. Mais veuillez m'excuser quelques instants. Il avait écouté les instructions de Dante, lequel avait pris en main l'équipe de gardes et se tourna vers lui, souriant et innocent. Lui, en nouvel arrivant, n'aurait pas pris la direction des operations au risque de court circuiter les habitudes de commandement des hommes déjà présents, mais son chef n'était pas chef pour rien.

Pour autant, savoir commander ne donnait pas forcément des compétences en mécanique non plus, chose à laquelle lui excellait. Tout en discutant, il avait retiré ses bottes et remonté à la fois pantalon et manches de chemise, et n'hésita pas un instant à plonger ses jambes fines dans la gadoue auprès de la roue avant.

- Si je puis me permettre chef, si vous arrivez à soulever l'arrière en tirant, ca va juste faire s'enfoncer l'avant, et c'est pas trop ce qu'on veut. Passez plutôt le bois et des pierres sous la roue avant embourbée pour lui donner un support. Que l'arrière s'enfonce c'est pas grave. Elle suivra toute seule."

Dante l'avait regardé dans les yeux pendant qu'il prononçait à l'attention de tous ses explications accompagnées de gestes didactiques dignes d'un professeur en désembourbage. "Kalanree est malin, il sait ce qu'il fait, on fait ce qu'il dit" retorqua le borgne sans une once d'hésitation, défiant d'un regard torve, les gardes de contredire ou de rouspéter contre le jeunot.

Ce dernier était resté en position, dans la boue jusqu'aux cuisses, prêt à donner de sa personne pour mettre en oeuvre le plan. En attendant, il se retourna vers son interlocutrice, sans donner le moindre signe qu'il était dérangé par la situation.

- Êtes-vous artiste vous-même?  Votre négoce-a-t-il une spécialité? Avant de devenir mercenaire, j'écrivais et je dessinais, mais je n'ai jamais eu le talent pour imaginer en faire ma vie." Le visage du jeune homme avait un bref instant oscillé entre regret et amusement, avant de redevenir pétillant et curieux, pour le plus grand plaisir des éventuels spectateur.

"- Laïn est-il un animal qui craint la lumière du jour?

Sentir. Les cordages qui résistent. La peau qui tire. Les muscles qui tressautent. Sentir. Présence. Voix. Mots. Grimace hideuse qui, lentement, se répand, sur la gueule grise, au fil des frémissements, des tensions fébriles, erratiques, du grondement maladif, gagnant en puissance. Sentir. Ce qui est si proche, que le poison pourrait encore lui dérober. Ne sentir que cela, ne se raccrocher qu'à cela. Sentir. Vouloir sentir plus. Refuser l'obscur. Trembler. Se tendre et bouger encore. Quand bien même la peau cède. Quand bien même le corps implore. Sentir. Sentir ce qui le fait avancer et ne plus vouloir manquer un pas.

Peu à peu, le brancard vibre de plus en plus. Le cheval redresse la tête, observe, gratte de son sabeau la terre ramollie par la pluie. La lourde tête du drow chavire de gauche puis, sous une impulsion, de droite. Les paupières luttent pour s'entrouvrir, révéler du rouge qui vrille et s'acharne, tel un fou jetant les mains vers la lumière, depuis les profondeurs d'un puits. Comme au sortir d'un mauvais rêve, qui s'accroche. Comme prit d'une mauvaise fièvre, qui le tenaille au corps.

Le grand corps est glacé, quand bien même la rage s'éveille dans ses entrailles. Nu, massif et émacié, couvert de plaies et de cordages serrés, lesquels s'imbibent petit à petit de sang. Plus haut, les lèvres sur les crocs blancs. Plus forts, les tressautements du brancard de fortune. Plus intense, la sensation, la perception si proche. Muscles, corps et sang... Tout cela se tend, s'arque et coule. S'éveiller, s'éveiller, s'éveiller, s'éveiller...!

Voilà qu'il est à deux doigts de convulser. Le hongre s'agite. Cécilie se relève pour détacher les différentes courroies de fortunes avec lesquelles ils avaient fixées la litière à l'animal. S'il commençait à paniquer ou partait droit devant, ça deviendrait ingérable. Alors elle le guida par la bride vers une branche basse à laquelle elle l'attacha lâchement.

Sur le brancard, le drow continuait à ruer, de plus en plus fort, de plus en plus durement. Le système de cordage serrait d'un côté à chaque fois qu'il tentait d'obtenir un peu de mou de l'autre. Un craquement. Une planche venait de céder. Cécilie de retour près de lui recommença à lui parler, comme elle le faisait jadis aux vétérans d'Amblère dans le temple de Lourmel. Elle lui parlait de cette façon posée et légère qu'on les soigneurs pour dédramatiser.

Et à l'abri du regard, le bois brisé entamait la corde qui passait dans le dos de l'eldéenn en même temps que sa chair.

Clepta, elle, regardait tout le monde s'agiter autour d'elle, son regard venant de plus en plus souvent vers le drap blanc duquel s'échappait par moment de petites stridulations agitées.

- Je suis historienne avant tout. La majeure partie de mon travail consiste en l’authentification de pièces rares, de reliques ou d’œuvres de maîtres. " sourit-elle au jeune drow avant de s'emparer de la cage qui devait bien faire un demi mètre de côté pour la tourner vers elle. " Non. C'est seulement un animal. Les voyages le rendent nerveux et limiter sa vue le calme un peu. Les gens pensent souvent à tord que les animaux aiment endurer le style de vie de leur propriétaire. Comme ces imbéciles qui s'agitent et les angoissent a vouloir tout le temps les caresser et les manipuler. J'aurais préférer le laisser chez moi mais je il n'était pas encore acclimater et je partais pour bien trop longtemps. Je ne voulais pas qu'il se sente à nouveau perdu. " Un sourire plus doux se dessina sur ses trait et ses yeux sombres tombèrent sur le jeune homme drow. " Pardonnez-moi. Les animaux rares me fascinent. C'est la différence entre une profession et une passion, je suppose. "

La voyageuse sourit de plus belle en entendant la voix renfrognée du borgne qui avait pris les choses en mains.

- Heureuse de voir que nous sommes d'accord. C'est pour ça que je le soigne depuis son arrivée chez moi. "

Le calme de ses mots et de sa voix chaude ne connait pas d'écart. Et si le jeune drow curieux se pose la question, il pourrait commencer à entrapercevoir l'attitude d'une femme qui interagit au quotidien avec des créatures sauvages. Le regard posé et fermes des soigneurs pour les créatures des fosses de Zhak'Bar peut-être ? A moi que ce ne soit celui des dresseurs dans les caravanes de saltimbanques ? Ou encore plus doux ? Serait-ce seulement possible sans que tout cela ne soit qu'une façade ?

- Ce pauvre petit a été capturé par des braconniers, blessé, drogué, gavé et passé d'acheteur en acheteur avant que je ne le rencontre. Il m'a fallut des ennéades pour qu'il accepte que je commence à le soigner. Le laisser seul chez moi avant de l'avoir remis sur pied était impensable. Je ne sais pas exactement entre les mains de quels fous il est tombé, mais il restait même un morceau de fil de soie sous sa peau, comme si on l'avait cousu à autre chose. " Elle secoua la tête de droite à gauche, visiblement désespérée par le comportement de ses congénères.

La main qu'elle avait plongée plus profondément dans la cage semblait adopter un mouvement lent et répétitif.

Le regard de la drow passa de Clepta à Dante, avant de revenir à la première. Ses oreilles effilées s'étaient sensiblement tendues, son expression vaguement suspicieuse. Dante n'aimait pas la négociante en art et en reliques anciennes. C'était quelque chose qui ne surprenait en rien Kalanree. Elle était trop calme, trop détachée. Trop différente de l'assassin qu'elle découvrait soucieux de la liberté animale. Elle n'y avait jamais vraiment réfléchi, mais c'était une position qu'elle pouvait comprendre.

Quant à la négociante, elle avait réagi avec humilité, avec le même calme et la même confiance en elle que Kalanree trouvait rassurant. Celui des dresseurs murmura-t-elle pour intérieurement. Un frisson la parcouru, son oreille droite tressauta. Le petit chat était-il si différent de l'animal caché sous le drap blanc? A quel point ces mots doux efficaces sur les bêtes l'étaient-ils aussi sur eux?

Dante se cabrait, sauvage, comme à son habitude, probablement sans savoir pourquoi. Mais c'était peut-être plus de lui que de l'animal qu'il venait de parler.

Quant à elle…

… Mieux valait éviter de trop s'appesantir sur la question. Kalanree se reprit et hocha la tête, dépité. Un garde lui tendait une grosse pierre. Il prit le temps de la placer sous la roue, penché dans l'argile, et de montrer à l'homme comment placer les autres. Lui répugnait à salir son uniforme. Il faudrait bien pourtant.

- Il y en a qui font souffrir les plus faibles qu'eux. Ca les rassure. C'était venu tout seul. Shyn'tae n'avait jamais aimé affronter plus faible qu'elle, à moins que cela ne soit pour faire honneur à son adversaire autant qu'à Kiel. Mais faire souffrir sans autre perspective... Les rares fois où elle s'était trouvée dans cette situation, elle l'avait fait sans passion, comme une corvée. Mais là c'était different, et cela n'avait encore moins de sens. Des braconniers ayant entre les mains un animal rare, et qui le maltraiterait? Ce n'était pas forcément surprenant, mais

- Et d'autres qui le font juste par stupidité…  Je peux le voir? Le drow se hissa de son bain de boue pour laisser la place au garde, lequel glissa et tomba derrière lui. Kalanree ne jeta qu'un regard dubitatif sur lui avant que la maitresse des lieux ne retrouve toute l'attention de son regard perçant. "Vous dîtes qu'il est rare… Vous savez de quel genre d'animal il s'agit?"

La négociante semblait passionnée par son animal, et, plus elle en parlait, plus la curiosité du jeune drow avait grandit. L'histoire de l'animale était tout aussi mystérieuse. Pourquoi aurait-on voulu le coudre à quoi que ce soit? Kalanree avait beaucoup d'imagination, mais il supposait qu'il n'aurait d'idées cohérentes qu'en ayant une idée de l'animal. Pour tout ce qu'il en avait appris, il venait même peut-être de l'Anaëh. Pour une raison qui lui échappait(1), l'idée la fascinait. Le drow s'accroupit souplement et avec lenteur, une main posée au sol. Avec son souffle court et son bras fou, il n'était de toute manière pas la personne la plus indiquée pour sauver l'attelage. Il avait fait sa part du travail, maintenant, c'était aux autres de terminer.

(1): L'origine de beaucoup de ses pensées lui échappait depuis ce quelque temps. Cela avait été agaçant au début, puis Shyn'tae avait renoncé. Elle se battait contre bien assez de moulins comme ca.

Et le corps de tirer, les cordages d'être tendu, le bois de jouer, gratter... Un à-coup, quand la civière est détachée. La présence, la voix... Les crocs qui se montrent davantage, le sombre nullement apaisé. Enfin. D'entre des paupières encore vacillantes, le sombre acharné peut voir, accroché la lumière. Chaque inspiration se fait plus décidée, moins heurtée. Encore prisonnier, encore contraint. Tirer, saigner, en un acharnement irraisonné. La charpente émaciée qui s'arque, tire encore. Craque le bois, entaille la chair et la corde. Avec un grondement, brusquement, le sombre *sent*. Sang, douleur... Relâchement. Déchaîné, il force de plus belle, tirant sur les cordages...

Aiguillé par la douleur.
Aiguillé par la rage.
Aiguillé par lui.

Soudain... Il se redresse. Les cordes l'entravant encore tendues, à certains endroits, mais lâche au niveau du torse. Lâches, de plus en plus lâches... Le regard sanglant vrille sur la figure pâle. Reconnaître. Montrer les dents, alors que le poing libéré se jette à l'assaut du visage. Un violent coup, suivi d'un râle de douleur du sombre, qui gigote pour se défaire des derniers liens. Délaissant presque aussitôt la femelle, quand bien même elle est un danger. Regarder alentours, le cheval tout près, sent ce qui n'est pas si loin...

Ignorer le corps, ignorer la chair, se focaliser, se mettre en mouvement et bondir sur l'équidé harnaché, pour mieux saisir les rênes lâches et le talonner, lui pressant les flancs, lui tordant la tête vers... Précipité, le géant prostré sur sa monture se rue sur le chemin.

Voyant les cordes se relâcher et le bois craquer toujours un peu plus, Cécilie jure entre ses dents. Dante s'occupe des dosages et lui avait assuré que cela suffirait. Visiblement, il avait tort... Et elle ne pouvait pas aller récupérer une dose supplémentaire dans les bagages de son compagnon puisqu'il était parti. Tant pis pour le risque, elle est bien obligé de s'en occuper ! Elle ne prend qu'une seconde supplémentaire pour les prévenir. " Hale...! " Malheureusement, la magie prend du temps mais crier également... et le poing vole trop vite.

Le hongre pommelé, attaché à sa branche, prend un moment à être détaché mais cela ne change rien du côté de la jeune femme étendue sur le sol.


_________


De l'autre côté du virage, Clepta sourit de l'intérêt du jeune drow.

- C'est un dragon. Je vous l'ai dit, il est encore nerveux. Ce n'est pas une bête de foire. " refuse-t-elle calmement à l'idée de le laisser observer son petit compagnon. Les yeux sombres de l'humaine se trouvent également de plus en plus attirés par la boite drapée de blanc. Visiblement, quelque chose n'allait pas et cette idée lui faisait accorder plus d'attention à l'animal qu'au drow.

Un sursaut de sa main sous le drap. Elle fronça les sourcils et lança finalement à l'étranger.

- Et bien il semblerait que son malheur face votre compte. Ne le fixez pas je vous prie. " et retirant sa main du drap, elle en releva le pan qui obstruait la grille sur l'avant de la boite. Les stridulations devinrent cris aiguës et rond de fumées... Car entre les quatre planches une tête de reptile s'était glissée entre les barreaux et humaient l'air humide.

Son museau noir cédait très vite à du rouge rubis sur le dos et du blanc sur le ventre. Ses écailles formaient tout un dégradé flamboyant parsemé d'arabesques charbonneuses formant d'étranges tatouages. Ses yeux d'ambre aux pupilles reptiliennes étaient fendus en deux lignes infimes par le soudain regain de luminosité, mais il n'hésitait pas à affronter le soleil.

Au loin, une exclamation résonna. La voix de Cécilie. Ce n'était pas un cri de douleur, plus un appel assez simple, mais son arrêt était brutal. Deux gardes se retournèrent, portant la main à leur arme, aux aguets. Clepta, elle, murmuraient de sa voix chaude et la petite créature se frotta aux doigts qu'elle lui tendit, lui adressant de petits couinements aiguës après son premier cri d'appel. Des couinements de plus en plus plaintifs. Il semblait voir ou désiré quelque chose dans cette direction. Frémir pour une chose invisible.

Voyant son compagnon s'agiter de plus en plus, la marchande repoussa la petite tête à l'intérieur pour commencer a déverrouiller la grille. L'animal se laissa faire, gazouillant même avec entrain. Mais un tonnerre de sabot interrompit le geste.

Alors l'animal poussa. La main suivit sans résistance.

Si personne ne l'attrapait, la créature prendrait son envole en une poignée de battements de cœur.

Le jeune drow avait fronçé les sourcil, tête un instant baissée. La reflexion de Dante faisait son petit chemin dans sa tête, celle de la négociante l'y avait rejoint. Pourquoi observer la créature serait-il un problème? Un manque de respect? Quelle importance cela pouvait-il bien avoir? C'était un animal en cage!

La colère était à portée, mais elle ne venait pas. Parce qu'elle avait la sensation dérangeante, non, effrayante même que c'était en effet un problème. Une sensation qui disait qu'il n'était pas si différent.Cela n'avait aucun sens. Et quand bien même cela en aurait… Ses oreilles s'abaissèrent, tendues sous l'effet du conflit. Pour sa part Halewyn ne fait que rester là, a soutenir le regard de la dresseuse ou peu importe.

Les trilles aigues de la créature ramenèrent Kalanree à la réalité. Dante pencha la tête légèrement de côté, attentif.

- Et bien il semblerait que son malheur face votre compte. Ne le fixez pas je vous prie. " L'humaine à la peau d'ébène avait parlé d'un dragon, non? "Promis," répondit doucement l'adolescent. Le borgne ne dit rien.

Le drap s'écarta.
Les yeux de rubis s'ouvrirent comme des soucoupes. Celui de Dante s’amincit jusqu’à devenir une mince fente... c’est quoi ce truc bordel?


Un petit dragon.... non, mais pourtant si. Les plumes, la taille... ça correspondait.

Ainsi, il décrivit la petite chose reptilienne, tenant dans la main du grand drow, ses ailes duveteuses, ses écailles, sa queue allant s'allongeant, compensant le ventre rond et juvénile et la grosse tête curieuse, le rouge, le gris, les motifs à peine esquissés sur lui...

Le rouge, le noir, le blanc. Les ailes magnifiques aux plumes chatoyantes. Le souvenir se superposa à la réalité. Ils en avaient parlé tant de fois avec Cécilie et Dante. Tant de fois à explorer ses souvenirs. Mais ils lui étaient cette fois-ci apparus si clairement. Le grattement de la mine de plomb sur le papier. La voix servile de l'esclave. De Nessys… C'était ainsi qu'il s'appelait.

- Yah tlu kyorl'n... Ol's u'lar. Les mots, prononcé dans un Eldéen parfait, avaient quitté sa bouche avant qu'il n'ait pu les arrêter.  Dante s’avança.
Les dieux soient témoins... C'est impossible.

La créature s'agita plus fort. Plus loin, comme tout le monde Kalanree entendit l'appel d'Irulan. Tout comme son compagnon qui sentit son coeur se serrer. Sa coupure soudain la fit se dresser comme un chat, les oreilles tendues, frémissantes, la main toujours à terre, le regard dans la direction de sa consœur. Ce qui venait d'arriver était caché par le virage.

"Non" Elle sentit monter en elle la sensation caractéristique de l'angoisse. Ils l'avaient laissée seule avec l'ex triumvir Urgoll'ven. Non loin, les gardes avaient porté la main à leur arme. Merde. L'image de son amie, brisée, sur le coté de la route, la fit bouillir.

Va! " tonna le mercenaire qui tendit la main pour empêcher cette putain de porte d’ouvrir. Clepta rugit un refus, empoignant la cage à deux mains sans penser à sa sécurité, comme une mère protégeant un enfant de son propre corps.

Kalanree se releva  brusquement, et s'élança en ignorant la douleur à sa poitrine, pieds nus dans la boue, en direction de l'appel.Le doute n’était pas permis.

-Hale... Le dragon.. c'est le sien! Attention!
-Va voir Irulan! Grouille!

Le museau de la créature se tendit contre le battant, toussant une langue de flamme surprenamment violente, brulant d'un même coup toute la surface de la main du mercenaire et le bras de la marchande qui s'écarta avec un hoquet de douleur, gardant seulement son second bras enroulé autour de l'arrière de la boite. Autour, les gardes se jetaient vers leur patronne en dégainant épées et arcs.  S'il retire sa main, si la bestiole sort, ils sont foutus… L'autre énergumène va leur faire la peau. Oh divine Kiel, accueille cette douleur.  La voix grave tonne exacerbée par la douleur…  

-J'essaye de vous sauver la vie sales cons… L'autre bord!

Prenant Mensonge, il vent remplacer sa main malmenée en plantant l'arme de travers, pour bloquer la porte et repousser l'Animal au fond de la boite lorsque deux gardes s'abattent sur lui sans écouter ses complaintes tandis qu'un troisième s'empare du bras de la marchande pour éteindre son châle sans qu'elle ne desserre la prise sur l'arrière de la boite. A l'intérieur, les piaillement redoublent. Mensonge se retrouve plus à tailler dans le lard des gardes, encore enduite du somnifère de la grotte aux bernacles… Peu importe où il touche ni ce qu'il touche.

Et apparait sur la courbure de la route le drow à peine plus gris que sa monture blanche d'écume. Pauvre canasson… Mais ni Dante qui ne veut pas relâcher l'animal ni l'énergumène qui le prennent à partie ne le voient.

L'animal au souffle fou. Le lourd son des sabots sur le chemin humide. Le fracas de son coeur. Son souffle qui se suspend. Sentir. Sentir, et ne plus percevoir que lui, là, dérobé à ses yeux, non pas à ses sens. Sans un regard pour la silhouette qui se jette à l'écart de la ruée vers l'avant du cheval. Ni pour l'être qui s'interpose.

Voir, sentir, désirer, sentir ce qui a a manqué, arraché, à portée, là, là... Comme une douleur qui surpasse les autres, celle du creux acéré, le vide qui se creuse toujours un peu plus, où se répand la terreur d'échouer, qu'il lui soit dérobé à nouveau. La rage y répond. Le refus. Peu importe le reste, peu importe tout, il n'y a que cela, son corps qui se tend vers lui, couché sur la bête lancée, écumante et cruellement talonnée. Cette perception, unique, si longtemps distante, effacée, à présent là...

Un cri de douleur, de l'équidé, puis de l'humain. Celui qui s'est interposé, lame au clair. Le coup. La chair tranchée. Le corps lancé qui s'effondre dans la souffrance, et s'écrase sur l'assaillant. Celui qui chevauchait qui est projeté, massif et lourd, s'écrasant dans la boue, roule, membres gris jetés par l'élan et le choc.

Se relever. La douleur, le contact, les plaies réveillées, les vertiges. Se relever en vacillant, et hurler, de fureur et de tourment. S'accrocher à ce qui le tenaille, le cisaille, le dévore et le transperce. Le besoin, viscéral, la haine, abyssale. La haine de ceux qui le cachent, de ceux qui s'nterposent, les formes, les corps, les êtres abscons, qui n'ont aucune place dans cette volonté sans concession. La gueule qui n'est que crocs, les yeux qui ne sont que sang, le corps que tension et mouvement.

Le géant émacié rugit et charge, poings en avant.

Les poings furieux, la carcasse vibrante, les crocs avides, la rage démente et le désespoir glacé, il y jette tout, et il ne reste rien. Rien, rien que lui, à portée, par delà les corps et les coups.

Ses pieds nus effleuraient le sol boueux, projetant des gouttelettes d'eau et d''argile au travers du chemin que la végétation luxuriante tentait de conquérir. S'il lui avait fait du mal, s'il l'avait tuée, il le paierait. Derrière elle, Shyn'tae entendit le cri, le tumulte, mais n'en avait que faire Dante devait bien être capable de se débrouiller. Après tout c'était un adulte. Son orgueil lui servirait certainement d'armure, à défaut de sa diplomatie. Peut-être. Elle l'espérait en tout cas.

Ses pieds nus frappèrent le sol, la rapprochant vite du virage derrière lequel ils avaient laissé son amie, le cheval et l'ex triumvir. Un hennissement retentit. C'était impossible. Dante avait-il complétement échoué son dosage? Et le traineau qu'elle avait improvisé avait-il était incapable de retenir le monstre? Devait-elle y croire.

Le battement des sabots répondit à celui de ses pieds légers. Brusquement, à quelques mètres d'elle à peine, fonçant vers elle, surgit le Pommelé. Elle vit la panique dans son regard habituellement si doux. Le temps s'arrêta. Le coeur de la demoiselle manqua un battement. Et sur son dos, Urgoll'ven, tendu. Le drow ne la voyait même pas, ses yeux figés plus loin, là où devait être le dragonnet.

Son corps réagit avant que son esprit ne le fasse. La drow se jeta sur le coté, dans la boue et les fourrés pour éviter la bête lancée à pleine vitesse.

Elle roula pour se réceptionner, protégeant sa nuque de son bras valide. Le galop fit trembler la terre tout prêt d'elle. Comment auraient-ils pu prévoir? Comment auraient-ils du prévoir? Un éclair de douleur déchira sa poitrine, lui coupant le souffle. Elle était censée se reposer, souffla sa conscience avec cynisme. Mais la sombre était vivante, et le cheval était passé. Sa main s'enfonça dans la boue, ses pieds y prirent appui, et, sans se soucier du tumulte derrière elle, elle s'y appuya en grimaçant, pour reprendre sa course vers sa consœur qu'elle redoutait avoir perdu.

Près des éclats de bois et de corde, écroulée au milieu de la route détrempée. Les vêtements encore mouillé dont elle avait refusé de changer la dessinait encore plus fine qu'elle ne l'était vraiment. Sa courte chevelure noire en bataille reposaient dans la boue autour d'un profile pâle marqué d'une seule couleur vive : une tâche de rouge qui rongeait ses traits. Quelle blessure ? Quel état ? De loin, c'était difficile à dire.

La drow trébuchant dans l'argile, ses yeux de rubis figés sur la forme fluette étendue sur le sol. Tu croyais avoir perdu quelque chose d'importance? Semblait moquer sa conscience. Non, ce n'était rien. Elle réalisait que cela n'avait été que des broutilles.

Elle se jeta aux côtés de son amie, seulement une humaine, se répéta-telle. Mais tout cela n'avait rien de rationnel.

Attrapant la main pâle entre ses doigts recouverts d'argile, la sombre chercha le pouls, le regard sur son visage, entre inquiétude et espoir. Elle respirait. Son cœur battait. Il battait paresseusement, à coups lents, propulsant un peu plus de rouge sur son visage au travers de l'arcade sourcilière qui avait été ouverte d'un coup violent.

La drow sentit les larme menacer de lui monter aux yeux. Non pas de tristesse, ni de douleur, mais de soulagement. Une attitude qui ne seyait guère au peuple d'Uriz, ne put-elle s'empêcher de noter. Qu'ils aillent tous se faire voir. L'instant d'après, elle se debarassait de sa chemise pour aider à soutenir la tête de l'humaine et la plaçait de coté.
- Irulan... Cécilie... tu m'entends? Elle s'était penchée sur elle pour lui murmurer doucement. Mais le coup avait du être trop rude. Elle ne bougea pas d'un cil.

Le hennissement aiguë du hongre vrilla les tympans des guerriers tout proche. La terre trembla autour du point d'impact, le garde l'ayant renverser emporté par plusieurs centaines de kilo de muscles lancés à pleine vitesse. L'arme qui venait de se fracasser sur le poitrail et d'entamer la jambe avant de l'animal vola vers l'amoncellement d'affaires.

L'un des deux hommes qui s'était précipité sur Dante changea d'appui pour se tourner vers le massacre, épée au clair, dos à dos avec son camarade qui venait de rater le borgne en train de s'écrouler à genou à la suite de la cage comme si sa vie en dépendait.

- Arrêtez-vous ! "

L'avertissement résonna en vain. L'immense drow se relevait déjà, la gueule boueuse. Son bras gauche suivait un axe étrange. L'épaule trop en arrière pour être restée dans sa cavité, avait cédée lors du choc, mal tenue par des muscles sous-alimentés. Mais il tenait toujours. Il bougeait toujours. Il chargeait toujours.

Campé sur ses jambes, le garde serra les mâchoires face à la vision ignoble de ce montre déchainé. L'odeur du feu et de la terre imbibé d'eau alourdissait l'air autour d'eux. Dans son dos, son confrère s'abattit sur l'imprudent qui semblait se soucier davantage de la boite que de sa propre sécurité, donnant des coups maladroits sans regarder. La main brulée ripe sur la grille de métal chauffée au rouge quand le garde à la barbe noire plaque l'étranger au sol. Sur le ventre, le menton de Dante heurte violemment la terre battue et ses poignets saisit au vol sont cloués par les battoirs du vétéran.

Le garde face au drow se fendit d'une feinte pour passer sur son flanc et viser ses jambes. Peu importe qu'il continue à ruer et à gesticuler du moment qu'il ne puisse pas plus se rapprocher. Le coup partit tranchant profondément la cuisse grise déjà criblée de cicatrices. Suffisamment profondément pour que le muscle se rétracte sous la peau, l'empêchant de courir. Mais la fureur du blessé ne s'arrêtait pas là. Un craquement sec. Les poumons du demi-drow se vidèrent. Son plastron de cuir et de maille souple chuinta à peine lorsqu'il roula à quelques pas dans un hoquet de douleur, quelques cotes sûrement brisées sous l'impact.

Attachés à l'attelage, l'un des chevaux de trait et Ténèbre ruaient et s'agitaient, donnant chaotiquement des coups de sabots qui finissaient par les blesser l'un l'autre, déséquilibrant les roues tout juste calées. Tous les autres équidés avaient fuit au galop sur la route ou entre les arbres. Les pleurs d'une voix féminine s'entendaient à peine au milieu de l'ampleur de la catastrophe. Le soldat qui s'était emparée de la marchande la maintenait au sol sous son propre poids, frappant sur les dernières flammèches de son châle.

Les cris du dragonnet s'étaient tu depuis que la cage avait commencé à glisser. Des grattements précipités les avaient remplacés. Il cherchait à se retourner, à trouver le bon sens. Et ça ne prit qu'une poignée de secondes.

La grille de la boite tombée sur le côté explosa dans un tonnerre de plumes et de crissements reptiliens. Une forme serpentine longue comme un bras s'éleva en un coup de ses longues ailes rouges et noires. Sa forme musculeuse à la souplesse déconcertante fusa de toute la vitesse qui lui était possible vers le colosse décharné, son envergure presque aussi grande qu'un homme, se refermant sur son corps longiligne.

Le choc des corps. Celui qui a cédé... Celui qui veut encore avancer. Un pas. Juste un pas. Un pas qui se dérobe, la gueule qui s'ouvre pour rugir, de douleur et de rage, alors que le sombre s'effondre. Un bras ne suffit pas, une jambe non plus. Se relever, encore... Et retomber. Des râles de souffrance s'échappent d'entre les crocs, de moins en moins forts, de plus en plus étouffés. Sentir le sang qui s'échappe, les muscles qui tressaillent... Le poing qui se serre, pâle; la gueule qui se crispe, émaciée; le corps qui reste à terre, terrassé. Avancer... Les doigts ne trouvent pas de prise dans la boue, pour tirer le poids. Si proche... S'accrocher encore. Traîner ce qui pèse et l'entrave, réclame son dû, longtemps repoussé, longtemps ignoré, jamais longtemps, jamais assez. Le retrouver. Enfin. Si proche. A portée. Alors qu'il ne peut plus se relever.

Les hennissements des bêtes paniquées, ceux de celle qui crève, des éphémères... Le cri du métal. Et un mouvement, une forme, un être, que le sombre n'ignore pas, qu'il ne peut pas ignorer. Les mires sanguines accrochent et ne lâchent plus, alors que le reptile se révèle, déploie ses ailes, avant de piquer vers le sombre à terre.

Pour la première fois depuis trop longtemps, le sombre ne le perçoit pas seulement, il le voit. La musculature fine, l'envergue, la richesse des couleurs, les motifs se déroulant sur le corps fin et puissant. Être de chair, de sang, de plumes, pas seulement un souvenir, une perception tenace. Là. A portée. Vivant, puissant, volant, fendant l'air vers... Le grand corps émacié, blessé, rampant, au bout. Sur lequel il ne reste rien, si ce n'est des plaies et du sang. L'animal vif et jeune, le sombre ancien et mourant. A peine plus que mort.

Il l'a retrouvé. Il ne peut le protéger. Il ne l'a pas pu alors. Il ne le peut plus à présent. Plus d'armes, plus de magie, un poing et des crocs. Maigre, bien maigre, trop maigre. Qu'ils le tiennent et ils auront tout. Tout ce qui compte. Tout ce qui est. Tout.

Il est impuissant.

Il approche.

Il le voie libre.

Il est vivant.

Il veut qu'il le reste.

Va-t-en. Ressentir intensément, lui faire comprendre, le lui hurler, en silence, la gueule crispée de souffrance, levée vers lui. Va-t-en. Le rejet, une rage rugissante, hurlante, brûlante. Qu'il approche, et il tue. Qu'il approche et il déchire. Le battoir écrasant le corps fragile, arrachant les ailes délicates, étranglant le corps fin. Loin. Loin. LOIN. Ne plus sentir, ne plus percevoir, le haïr, le maudire, pour tout, ce qu'il ne peut maîtriser, ce dont il ne peut se séparer. Parasite, faible, grotesque. Le dégoût, le mépris, le rejet abject de la chose immonde, larvaire et sans grâce. VA-T-EN. Sans un son. Le sang des yeux. La grimace de crocs. Disparaît.

Le cœur est un mauvais menteur.

Dans la rage, se terre la terreur. Dans la terreur, se cache le besoin. Dans le besoin, attend le lien. Un lien jusque-la relié à un vide sans fin, qui à nouveau le lie à lui. L'air, la libération, la chaleur de le voir vivant, de le découvrir puissant, coloré, vif, de pouvoir tendre le bras... Être de chair, de sang, seule présence douce à l'immortel. Ce qu'il réclame, ce dont il a besoin, celui sans quoi il se sent incomplet et vide. Sensation intolérable et merveilleuse. Qui le terrifie et le fait tenir.

Le froid de la démence. De l'avoir senti loin. D'exiger qu'il s'éloigne.
Nécessaire.

VA-T-EN.

Refusé. En Danger. Rejeté. Menacé.

Mais Complet.

Le dragonnet passe au-dessus du sombre pour aller directement labourer le visage du garde aux côtes brisées. Le semi drow gesticule et retombe alors qu'il se relevait pour achever son œuvre. Sans une seconde d'attente, la bête fait alors demi tour et fonce sur sa moitié... Mais il hurle. Il rugit. Ses ailes déployées lui font faire du sur place. Il refuse. L'animal piaille, sans comprendre. Un mouvement. Un nouveau danger. Alors il souffle. Il souffle comme il a vu sa moitié le faire tant de fois lorsque l'odeur du sang frais s'échappait de sa chair. Il souffle sur la jambe blessée sans conscience des dégâts qu'il peut faire. Il Souffle pour se faire pardonner. De ne pas avoir été là. D'être faible.

D'être ce qu'il est.

Il guette un changement de ses yeux d'ambre. Il couine. Il pleure. Plein d'espoir.

Mais il n'obtient que panique, douleur et rejet. Dans la profusion de ses propres émotions animales, il ne perçoit rien d'autre.

Alors il vole à quelques mètres au-dessus de la scène, comme il le faisait en cas de combat dans les errances qu'il avait subi.

Au sol, les deux gardes qui s'étaient portés au contact de Dante étaient hors course. Celui qui avait tenté de s'interposer dans la charge du drow était recroquevillé au sol, entourant son visage de ses bras. De son côté, le garde qui avait écarté Clepta s'était relevé, attrapant sa patronne de force pour la tirer vers la lisière.