8eme année du 11eme cycle, Bàrkios, seconde ennéade Protectorat d'Ardamir
Ëninríl, à une centaine de battements d'ailes de la cité elfique d'Ardamir, était à l'écoute d'Anaëh. Le chant perpétuel de la forêt formait sans cesse des mots dans son esprit qu'il interprétait depuis le début de la nuit. Point besoin de sommeil pour un druide : la forêt Mère se chargeait de le préparer à chacune de ses journées. Dans cet état de béatitude, il ne faisait qu'un avec la Nature. Cependant, le soleil allait se lever et le druide s’apprêtait à mettre fin à sa méditation, quand un dernier message se forma dans son esprit : "Il est temps. Sépare-toi des tiens et libère-toi de tes entraves. L'Oeuvre sera ton refuge ; l'Art, ton arme ; la Forêt, ta raison d'être."
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Lorsque Elieth Faerion fit savoir au chambellan qu'il acceptait la mission diplomatique qui lui était proposé, celui-ci le conduisit personnellement aux portes de la ville. Les deux elfes patientèrent un moment sans échanger aucun mot. Le chambellan scrutait la sylve, à la recherche de celui qu'ils attendaient. Celui-ci apparut peu de temps plus tard, émergeant de la forêt. Son pas était lent, ses gestes mesurés, pourtant il se dirigea résolument vers les deux elfes de pierre sous le soleil naissant du matin et la Cité qui s'éveillait.
"_ Êtes-vous l'elfe que Dame Yasairava a fait quérir pour m'accompagner ?" déclara-t-il.
L'intéressé acquiesça. Un simple "Très bien" du nouveau venu lui répondit, avant que celui-ci ne congédie le chambellan d'un signe de tête appuyé.
"_ Im veren o govaded vîn:: Je suis Ëninríl Il'Dolwen, envoyé d'Anaëh au nom du peuple Noss. _ Je suis enchanté de faire votre connaissance, Druide Ëninríl d'Anaëh, on m'a... _ Abstenons-nous d'énoncer nos titres respectifs, si vous le voulez bien. Nous allons être ensemble plusieurs ennéades et je ne tiens pas à ce que j'énumère vos titres à chaque fois que voudrais vous adresser la parole. Appelez-moi plutôt Ëninríl. Mettons-nous en route, s'il vous plait."
Son ton était volontairement ferme mais restait chaleureux. L'envoyé d'Ardamir acquiesça une nouvelle fois puis emboita le pas au druide qui partait au Nord-Est, en direction de la forêt. Ils y pénétrèrent non pas par le sentier déjà envahi par les marchands, les patrouilles de la milice et les diplomates venus faire leurs rapports, mais directement par la brousse. Ils marchèrent ainsi dans la flore et la faune sauvage pendant une heure avant qu'ils n'arrivent dans une petite clairière sombre entourée de grands peupliers et de fougères. Le druide brisa le silence :
"_ Ici commence notre vrai voyage. Comme je l'ai demandé, la nature précise de votre mission n'a pas dû vous être révélée. Avant que je vous l'expose, vous devez m'assurer que êtes toujours d'accord pour effectuer notre voyage. _ Plus que jamais. _ Très bien. Nous nous rendons à l'Ouest d'Eteniril. C'est une région riche en Noss où je veux recruter le maximum de guerriers afin de soutenir le front au Sud. Vous y représenterez le peuple des Cités. Autrefois, une telle alliance existait, je compte sur vous pour pouvoir réitérer cet exploit. _ Et... comment comptez-vous nous conduire jusqu'aux terres d'Eteniril ? Je ne vois aucune monture.
Après qu'un sourire énigmatique lui anime le visage, l'aigle qui sommeillait au plus profond du druide s'éveilla. Sa peau se recouvrit de plumes, ses bras s'allongèrent en de longues ailes, un bec jaune poussa au milieu de son visage. Un cri retentit dans la Prime Forêt : le glatissement de l'aigle géant. Surpris par cette soudaine apparition, l'elfe des cité sursauta mais repris rapidement contenance en adoptant une position de combat typique d'un mage. Si le druide avait été sous forme elfique, il aurait découvert la nature de son compagnon de route, mais ainsi sous forme de rapace, son esprit était obnubilé par l'appel du ciel et de la liberté. Ëninríl planta alors ses deux yeux vairons dans ceux de l'ambassadeur. Celui-ci resta interdit un moment avant de comprendre ce qu'on attendait de lui.
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L'oiseau royal survola Anaëh. Ses ailes puissantes battaient l'air. Son cri résonnait sur les troncs noueux de la forêt en contrebas. Les petits oiseaux s'écartaient sur leur passage, de peur d'être pris en chasse par le redoutable prédateur aérien. Un élément insolite reposait sur son dos : un elfe des cités de quatre cent ans accroché à son cou et qui obligeait l'aigle à réduire considérablement sa vitesse et son altitude. Cela faisait trois jours qu'ils voyageaient ensemble, trois jours exténuants pour l'un comme pour l'autre, et il n'était pas rare de les voir s’arrêter dans une clairière où l'oiseau royal se transformait en un jeune elfe et s'écroulait de fatigue. Cependant la fin de leur périple se profilait à l'horizon, sous les traits de la cité d'Eteniril. Alors, les deux compagnons de route bifurquèrent vers l'ouest, vers la sylve luxuriantes, vers les Noss.