La Vie | Solo

1^ere ennéade de Barkios de la 9^ième année du XXI^ième cycle - Jour 3 [Automne]

Il devait être un peu plus de midi. Ce matin-là, la Dame du Val était descendue dans les bas quartiers afin de mener une distribution de vives pour les plus démunis. Elle avait gracié de quelques souverains les plus pauvres prise d’une peine peu commune face à cette misère qui lui laissait un gout amer. Par après, sa suite l’avait suivi dans les hôpitaux et l’hospice qu’elle avait créé afin de rendre visite aux malades. L’après-midi, la duchesse avait prévu de se rendre à la Cathédrale de Sainte-Deine – comme tous les jours, d’ailleurs – afin d’implorer la Damedieu pour la féliciter des siens mais surtout lui épargner les guerres à venir. Enfin, elle terminerait sa journée par les audiences habituelles consacrées aux affaires de la ville.
Poussant machinalement la porte de ses appartements, elle soupira. Elle aurait aimé revoir ses cinq enfants mais ils étaient loin. Bien trop loin. Déambulant sur les tapis jonchant le sol et le préservant du froid, une voix mielleuse qu’elle connaissait que trop bien capta son attention.

« Alors comment me trouves-tu ? Je ne suis pas mal, non ? »

Un homme nu se présenta fièrement face à elle. Les poings contre les hanches, il la dépassait d’au moins deux têtes, si pas trois. Son torse était si imposant et volumineux qu’elle crut voir un géant. Mais de cette masse impressionnante se dégageait une certaine élégance, quelque chose qui rappelait la grâce des elfes. Les yeux tombèrent sur le service trois-pièces du monsieur et elle poussa un cri en cachant précipitamment ses yeux d’une main alors que l’autre fouettait l’air comme pour l’éloigner.

« C’est vrai que tu ne dois pas en voir des comme ça tous les jours. ARGARGARGH. D’ailleurs, tu vois si peu souvent le chibre de ton gueux de mari que tu as dû l’oublier. ARGHARGHARGH. »

Très drôle… Non sans blague. Blanche se délesta de sa cape prestement pour lui envoyer à la figure.

« RANGEZ MOI CA TOUT DE SUITE ! J’appelle les gardes ! GAR…. »

Mais la fin de sa phrase ne trouva sa fin puisqu’une force mystérieuse forçait ses lippes à demeurer closes.

« LA FERME, FEMME ! » Silence. « Je le fais bien ? »

Il afficha un sourire badaud. Elle tenta de crier mais ses sons demeuraient cloisonner à sa gorge.

« Allons, tu ne me reconnais pas, petite fleur ? »

Quoi ? Avait-elle bien entendu. Prudemment, elle retira sa main pour se cantonner au visage de l’homme qui lui faisait face. Elle le détailla sous toutes les coutures. Satisfait du regard inquisiteur de la Dame, l’Infâme amorça un pas en sa direction. Elle recula à pas feutrés. Ses longues et grandes jambes réduisirent bientôt la mesure et il lui faisait face.

« Je me suis naturellement assorti à toi. Longs cheveux noirs, yeux bleus, on va bien ensemble, tu ne trouves pas ? C’était franchement douloureux mais bon ainsi, je pourrais me montrer à tous en tant que… Euh comment t’appelles tes petits chienchiens là ? La Garde Ophidienne ? Obsidienne ? Oui c’est ça ! »

Face aux yeux exorbités de la Dame qui tentait toujours de parler, il se rappela.

« Ah oui. »

Et sous sa volonté, ses lippes se délièrent et elle put à nouveau sortir quelques sons.

« Vous… Tu… Je… Euh… »

Elle se hissa sur la pointe de ses pieds et écarta quelques mèches de cheveux pour dévoiler des oreilles humaines.

« Habillez-vous je vous en supplie… »
« Rabat-joie. »

Dans un grognement, il s’en retourna pour s’habiller d’une tunique couleur encre. Blanche ne s’en remettait pas. C’était vraiment possible de… ? Vraiment ? Elle se sentit vaciller et trouva vite une malle de bois sur laquelle s’asseoir.

« Il faut me trouver un nom. Duncan ? »
« Non ! Surement pas » Ce prénom lui rappelait que trop bien le feu époux de la Baronne d’Alonna.
« Emerik ? »
« Encore moins ! » Quelle horreur. Elle avait déjà un Aymeric qui la terrorisait dans le Nord, pas besoin d’un second à son chevet.
« Keith ? Alrik ? Amaury ? Anthelme ? Arnaud ? Erwin ? Karl ? Ludvig ? »
« Irmin… »
« Irmin ? »
« Oui… »
« C’est quand même moche… mais peu m’importe en fait. »

Sa grande main extirpa machinalement une fiole cachée dans l’une de ses poches intérieures et la lui mit devant les yeux.

« Voici ce dont nous avions parlé. »
« Que… »


Blanche écarquilla les yeux en le fixant droit dans les yeux.


« N… Non. »

Peu loquace, elle était toujours anesthésiée par la transformation de l’Infâme. Il en était d’ailleurs déçu. Trop passive à son gout. Finalement, il fourra la fiole dans le décolleté de la Dame puis la souleva pour la faire tournoyer.

« Prête à me présenter à ta suite ? »
« Vous… devrez respecter les convenances… »
« Je les sais. Ai-je le droit de m’amuser un peu ? »
« Suis-je réellement capable de vous empêcher de le faire ? »
« Evidemment que non. »

Il la reposa au sol et Blanche en profita pour récupérer la fiole. Cette dernière trouva bien assez tôt le pli de ses jupes.

« Quel est le programme pour aujourd’hui ? »
« La Cathédrale. Vous n’allez quand même pas foulé le parvis de… »
« Je l’ai déjà fait. Et ta pucelle de Déesse ne m’en a pas empêché alors que c’était l’élévation de votre Haute-prêtresse. »
« Vous n’avez quand même pas… »
« Bien sûr que si, pardi ! »