[Intronisation] Que les générations viennent à échanger entre elles... {Terminé}

Neuvième ennéade de Barkios, VIII° année du XI° Cycle,
Palais d'Eteniril.

Tout le monde s'était assis à table, et alors que la musique avait repris les discussions allaient bon train. Au départ les gens n'avaient pas osé se déplacer à des chaises vides, non habitués à de telles règles lors d'un repas dit "mondain", mais Neraën n'ayant pas hésité à faire le premier pas en montrant l'exemple beaucoup avaient fini par l'imiter. Le nouveau seigneur-protecteur se leva une nouvelle fois de table, terminant une conversation avec l'un des protecteurs d'Eteniril sur l'état des terres ainsi que la relation qui était établie entre Elfes des cités et Elfes des noss. Un problème qui prenait en certains endroits de l'ampleur, fort malheureusement, et même si Neraën avait abordé la question de manière décontractée il n'en avait pas moins recueilli quelques informations sur ce protecteur avec lequel il viendrait à travailler. L'air toujours aussi distant des discussions chaleureuses et des amitiés naissantes, l'elfe désormais debout prit le temps de regarder autour de lui tout en faisant quelques pas lents autour de la table.

Il avait pensé cette soirée simple, moins éprouvante que la cérémonie d'intronisation... mais alors même que les plats principaux commençaient à être déposés tout au long de la table, il savait déjà qu'il avait mal deviné. Tout d'abord, sa rencontre avec le jeune druide, Ëninril... Le simple fait de le voir, de rencontrer cet enfant aux yeux vairon qui avait fait l'une des grandes joies de son ami d'enfance l'avait profondément chamboulé, plus qu'il n'avait pu l'imaginer. Mais il en avait été heureux, heureux de savoir que ce jeune elfe avait suivi la même voie que son oncle. Ensuite, il y avait ce lien établi magiquement il y a de cela trois siècles... Autant avec son maître du domaine de l'esprit il y avait toujours eu un quelque chose auquel il s'y était habitué depuis longtemps, autant concernant le seigneur-protecteur de la Quatrième Saison... c'était quelque chose de particulier qu'il avait du mal à définir. Sachant qu'il verrait Anorn le lendemain, il imprima dans sa mémoire l'idée qu'il serait bon de lui en parler.

Ses yeux couleur de glace se posèrent sur une place vide à côté d'une femme encore jeune - du moins à ses yeux de presque-millénaire - aux cheveux roux tressés et au fin corps habillé d'une longue robe blanche et verte. La dame-protectrice d'Ardamir... Il n'avait pas encore eu l'occasion d'apprendre à la connaître, juste de l'apercevoir vite fait et de retenir qui elle était. Il s'arrêta donc au niveau de la chaise privée de convive, posa ses mains sur le dossier et baissa les yeux dans la direction de l'elfe aux cheveux de feu, avant de demander d'une voix neutre.

" La Dame-Protectrice d'Ardamir accepterait-elle la présence d'un nouveau seigneur-protecteur ?

Elle se retourna vers lui, semblant être surprise de le voir près d'elle. Il fallait dire qu'il était habitué à marcher sans faire de bruit et il suffisait que son attention soit demandée ailleurs pour qu'elle ne l'ait pas senti arriver. Elle commença à se lever pour l'accueillir, l'invitant à s'asseoir, mais il leva doucement sa main droite pour lui signifier qu'il n'était pas la peine de tel protocole. Il prit place à sa gauche tout en l'écoutant s'exprimer sur le fait qu'elle appréciait le fait qu'il soit venu la voir et qu'elle n'avait pu venir le féliciter avant. Il eut un doux sourire, tandis que ses yeux si clairs détaillaient le visage de son interlocutrice. La couleur de ses cheveux ainsi que le diadème qui ceignait son front contrastaient agréablement avec son vêtement, chose qui était inversée chez l'elfe d'Eteniril : lui qui était habitué à porter des habits aux couleurs presque effacées, en cette journée il avait l'impression que ses vêtements de vert, de blanc et d'or étaient plus ressortissants que ses cheveux naturellement blancs. Ironie qui l'amusa intérieurement.

- C'est à moi de te remercier de ta présence, Halyalindë Yasairava. C'est un honneur pour moi que de voir que les différents seigneurs-protecteurs se sont déplacés jusqu'ici pour assister à l'intronisation. Et sache que tu peux me tutoyer, je ne représente que moi-même en cet instant, non mon peuple.

Naturellement ses yeux pénétrants vinrent chercher ceux d'Halyalindë, ne considérant aucunement le fait qu'ils pouvaient déranger - comme c'était le cas pour beaucoup d'elfes qui l'avaient croisé. Il évita pour autant de se laisser aller à lire en elle, contraignant cette habitude à ne pas reparaître.

- Comment vas-tu ? J'espère que cette journée est à ta convenance ?"

Le repas s'écoulait doucement. Tant de personnes différentes étaient là. Le style du dîner était peu conventionnel, mais après des débuts un peu retissant, la plus grande partie des convives s'était prêtée au jeu. On jaserait sur ce choix, c'était certain. Les plus traditionalistes seraient capables d'en parler pendant des années. Mais en attendant, l'événement délaissait ses allures de dîner guindé pour se transformer plus ou moins subtilement en salon. Nul doute qu'une fois le repas fini, musique, problèmes tenaces et alcool aidant, les langues se déliraient d'autant plus.

Alors qu'elle avait eut une petite appréhension au sujet de tout le décorum qu'elle pensait avoir à supporter durant toute la journée, Halya était plutôt très agréablement surprise de ce changement de programme. Elle n'était pas parmi les plus à l'aise lorsqu'on en venait aux jeux de cour, mais l'idée l'amusait.

Après avoir parlé un bon moment avec ses premiers voisins, la Protectrice les avaient regardé s'éloigner d'un œil absent pour finalement tourner son attention vers l'extérieur. D'ici, on pouvait voir le ciel. Un ciel si dégagé qu'il donnait l'impression de vouloir vous aspirer tout entier. Un ciel comme on en voyait jamais à Ardamir. Comme on ne pouvait en voir que dans les Cités. Et quelque part à l'extérieur de ces murs, Randil l'attendait. Elle se sentait toujours affreusement vulnérable sans sa présence... Le moral avait tenu bon une grande partie de la journée mais une petite baisse de régime se faisait sentir sans lui. Et encore plus dans un milieu qu'elle avait l'impression de ne pas maîtriser... Mais surtout elle s'en voulait de le mettre ainsi à l'écart.

" La Dame-Protectrice d'Ardamir accepterait-elle la présence d'un nouveau seigneur-protecteur ?

La phrase la fit sursauter. La haute stature du maître des lieux se tenait près d'elle. Bon... Elle ne devait pas être si à cran que cela, sinon elle serait en train de surveiller le moindre recoin de la salle. Après tout ce n'était qu'une fête en l'honneur d'un Protecteur... et fort loin du Front. Personne n'aurait pu la troubler.

Enfin, la soirée venait de commencer et se morfondre ne servait à rien. Il y avait de trop nombreuses sources de joie pour se fixer sur ce qui était déprimant. Et le héros du jour avait pris la peine de venir jusqu'à elle sans qu'elle ait à jouer des coudes. Elle ne pouvait s'en trouver qu’étonnamment flattée et cela l’allégea de suite. Un sourire rayonnant sur le visage, elle allait se lever mais il l'en dissuada d'un geste. Aussi se contenta-t-elle de son habituelle franchise alors qu'il prenait place à côté d'elle.

-Plus que l'accepter, même. L'hôte que tout le monde cherche à voir me reconnaît et me fait l'honneur de venir de lui-même, ça ne peut qu'être flatteur. Félicitation pour votre nomination, continua-t-elle sur un ton un peu plus sérieux mais avec un visage toujours aussi radieux. Je serais volontiers venue me présenter plus tôt, mais il y avait tellement de monde que je craignais de vous indisposer plus qu'autre chose.

D'abord surprise par le tutoiement du Protecteur, elle sourit de plus belle. Peut-être que tous ceux qui avaient séjourné dans l'armée avaient ce manque de considération pour l'étiquette... Où peut-être qu'elle avait la chance de tomber sur des gens à l'esprit ouvert.

-Très bien, dans ce cas, appelle-moi seulement par mon prénom. Il est suffisamment long comme ça.

Ce tutoiement était d'autant plus inattendu que le masque pâle percé de deux yeux de glace qui servait de visage à cet homme rappelait celui de Kalendrilh. Non que les deux protecteurs se ressemblent physiquement, à part la couleur de leur chevelure ils en étaient loin, mais Halya avait l'impression d'y retrouver cette même retenue, cette même distance. Tout en étant cordial, voire même fort avenant dans ses paroles, l'homme qu'elle avait devant elle gardait un maintien noble mais fermé qui avait quelque chose d'étrangement calculé.

Intriguée, elle n'aurait su dire si c'était elle qui avait fini par accrocher ses iris bleu pâle pour poser une question silencieuse ou si c'était lui qui avait cherché son regard pour une raison qui lui appartenait. Mais elle prit soudain conscience de l'intensité de leur échange et son expression vacilla.

Elle avait l'habitude de soutenir le regard de ceux qu'elle voulait convaincre ou combattre. Une habitude nécessaire pour s'imposer devant des bêtes sauvages... Et des Conseillers. Il en fallait beaucoup pour la mettre mal à l'aise ou la déstabiliser. Elle avait regardé la lueur de vie s'éteindre dans les yeux de ses proies un nombre incalculable de fois. Mais ce regard était si pénétrant qu'elle ne put empêcher un frisson de courir le long de sa nuque lorsqu'elle s'en aperçut.

Elle faillit détourné le regard par réflexe, mais se ravisa. Cela n'avait rien d'agressif ou de menaçant. Cet homme avait à la fois un regard franc et étonnamment perçant. Sans l'avoir jamais rencontré elle avait l'impression qu'il pouvait presque percevoir les murmures lointains de la Symphonie à travers elle et voir les cicatrices qu'avaient laissées les troubles survenus dans sa vie.

Le regard d'Halya se fit plus posé, moins folâtre comme le voulait l’ambiance festive. Depuis peu, elle était plus consciente de ses travers et des difficultés qu'elle avait surmontées. Fenris l'avait aidée à avancer sur tellement de plans... Elle n'avait pas à rougir de quoi que ce soit. Plutôt que de fuir le contact, elle le soutint, cherchant à en comprendre davantage.

-Les vieilles histoire ont raison d'affirmer que les Cités sont aussi différentes les unes des autres que les elfes et les hommes. La cérémonie était vraiment magnifique. Nous n'avons rien de semblable à l'Aube en Ardamir. Et puis je pense que l'organisation peu orthodoxe de ce dîné va user de nombreuses langues. En bien comme en mal. Mais pour ma part, c'est une bonne surprise.

Elle rompit le contact un instant pour récupérer un feuillet de papier fin, pliés et cacheté aux couleurs de Wyslena qui était posé sur la table.

-J'avoue que les moment comme celui-ci me sont d'autant plus précieux qu'ils se font rares. Je vois ici de nombreux visages amis, une possibilité de réunir enfin quelques Protecteurs, de faire avancer de nouveau notre peuple... et cela représente aussi une pose salvatrice dans un quotidien bien sombre. Mais se permettre un tel luxe n'est pas à la portée de tous.

Elle tendit le plis à Neraën.

-Aussi j'aimerai que tu accepte ceci de la part de notre confrère de Wyslena. Il ne pouvait quitter sa Cité alors que les drows sont sur ses terres. Il espère pouvoir se rendre comme nous tous à Alëandir dans trois ennéades et t'y féliciter de vive voix, mais en attendant, il t'envoie cette lettre avec ses plus sincères encouragement. Il sait que tu n'auras pas forcément le temps de lui répondre et ne s'en offusquera pas.

Son regard la dérangea, mais elle eut la force de le soutenir tout en cachant ce qu'elle pouvait ressentir. C'était une bonne chose pour elle. Surtout en ces temps troubles, il fallait savoir affronter la glace en face, sans jamais détourner le regard... surtout lorsque l'on sait que l'on a tort. Le vieil elfe l'écouta répondre à sa question avec attention, remarquant qu'elle oubliait la question qui était souvent dite de formalité mais qui, en l'occurrence, pouvait être un point important pour apprendre à connaître celui avec qui on allait devoir travailler : comment allait-elle. Neraën eut un petit sourire lorsqu'elle le prévint que le non respect des traditions du festin allait en faire parler plus d'un et ce pendant plusieurs années. Pas qu'il cherchait à faire parler de lui, même si cela ne lui déplaisait pas forcément. Mais il avait ses idées bien arrêtées sur le sujet des traditions et si le fait d'en faire parler en faisait réfléchir plus d'un... hé bien alors c'était une bonne chose.

" Je suis content que cette idée ne te déplaise pas, Halyalindë. Faire passer un message n'est pas toujours simple et, parfois, il y a besoin de donner un coup de pied dans les traditions pour que les choses commencent à se faire. Les différents protecteurs auraient-ils osé aller jusqu'à son confrère se trouvant de nombreuses places après lui, si la tradition avait été respectée ? Aurais-je eu le temps d'apprendre à connaître tous ceux qui ont répondu à mon appel ? Rien n'en est moins certain.

Son sourire s'accentua. Il repensa à la salle de l'Aube, Trésor parmi les trésors d'Eteniril à ses yeux. La cérémonie avait été belle oui, mais parce qu'elle allait à merveille avec la salle en elle-même elle en devenait magnifique.

- Je ne sais exactement pourquoi mes ancêtres ont créé cette cérémonie et pour quelle raison l'Aube est devenue le point central de la nomination du seigneur-protecteur de cette contrée, mais je dois avouer que c'est bien là l'une des plus belles traditions qu'ils nous ont laissées. Y a-t-il une cérémonie particulière en Ardamir pour cette occasion ?

Ardamir se trouvait loin d'Eteniril. Selon certains même, ce seraient deux protectorats complètement différents, autant de par leur façon de penser, leur climat ou tout simplement le fait d'être proche des autres peuples ou non. Si bien qu'il ne savait pas tant de choses que cela de cette région, en ayant surtout entendu parler il y a bien longtemps, alors qu'il faisait partie de l'Armée du Sud. Elle lui répondit, avant de passer à un sujet malheureusement bien plus sérieux : la raison de l'absence du protecteur de Wyslena. Il prit le pli et l'ouvrit tout en écoutant la Dame d'Ardamir. Son sourire s'effaça et son visage devint fermé, ne laissant paraître aucune émotion, aucun souvenir à travers ses fins traits. Lorsqu'elle eut fini de parler, et ce sans même qu'il eut réellement commencé à lire la missive, il lui répondit d'un ton posé.

- Quand penses-tu partir ? J'aimerais pouvoir te transmettre ma réponse, pour que tu la lui donnes, si tu le veux bien. Qui sait ce qu'est la guerre comprend quelles sont ses implications. S'il a pris le temps de m'écrire cette lettre avant ton départ, alors je me dois de faire de même.

Ses yeux parcourent les lettres couchées sur le papier et son esprit retint chaque mot employé par le protecteur. Ce n'est qu'à la fin de sa lecture qu'il se rendit compte qu'il avait encore essayé de voir quel était le personnage à travers ses écrits, ce qui faillit l'énerver. Fichue magie... depuis qu'il l'avait des automatismes souvent inappropriés - du moins à son goût - s'étaient mis en place et il avait bien du mal à se réfréner. Sur ce plan-là, Halyalindë avait eu de la chance qu'il ne commence pas à lire en elle.

- Je ne souhaitais pas forcément partir sur un sujet si sérieux que la guerre, mais j'ai entendu dire que tu étais certainement la protectrice la plus impliquée dans la guerre contre les Drows, au sud. Aurais-tu un lien avec l'armée plus fort que pour bon nombre d'entre nous ? Et si ce que je peux entendre est véridique, pourrais-tu m'expliquer ce qu'il se passe exactement près d'Ellyrion ? Je suppose que les deux représentants de l'armée royale viendront m'en parler mais j'aimerais vraiment avoir ton ressenti sur ce qu'il se passe.

Il referma la lettre, fixant à nouveau son interlocutrice.

- Si le fait de te poser des questions personnelles te dérange, n'hésite pas à me le dire. Nous aurons à travailler ensemble dans les années à venir et je considère que pour bien travailler avec quelqu'un il faut le connaître un peu plus que sous un angle de travail. Mais là sont mes idées et comme je ne souhaite aucunement que tu te sentes mal à l'aise, exprime-toi."

Il n'ajouta volontairement pas le fait que si elle désirait lui poser des questions sur qui il était, il ne s'en offusquerait aucunement. Mais il ne l'invita pas à le faire de vive voix, préférant qu'elle franchisse elle-même le pas.

Il n'avait que trop raison. La plupart de ceux qui discutaient dans la grande salle n'auraient jamais ouvert la bouche pour s'adresser la parole si cet étrange façon de faire n'avait pas été proposé... et montrée à l'exemple par leur hôte. Ça aurait été bien dommage.

Et en partie grâce à cela, Halya venait d'avoir la confirmation de ses soupçons : l'Aube était si ancienne que même le Protecteur ne savait pas d'où venait cette tradition. Perdre ce genre d'origine avait quelque chose de triste, mais cela en disait long sur cette cérémonie. Ce genre de tradition qui existaient dans tous les Protectorats.

-En Ardamir, nous prêtons serment sur un chêne millénaire en répétant les vœux d'Anadris pour sa Cité.

Elle sourit en se remémorant son propre serment.

« Je veux un lieu de paix, où chaque elfe pourra s'exprimer, partager son savoir, communier avec ses frères. Un lieu où nous pourrons oublier les querelles et où le sang ne sera versé que dans les contes que nous réciterons à nos enfants. Un rassemblement qui montrera que l'avenir peut être pensé par tous. Anaëh nous offrira sa protection car rien ne nous séparera d'elle. Et nous mêleront nos voix à celles des arbres en ce lieu sacré. »
Tels étaient les mots d'Anadris. Tels étaient ses rêves pour la Cité qu'il venait de fonder en incitant les arbres eux-même à protéger les nôtres du vent et de la pluie.
Ces rêves, je les partage et j'en fais mon Devoir.
Aujourd'hui, devant vous, je met ma vie au service de ces idéaux. Je jure de protéger cette vision, de respecter l’OEuvre et de toujours agir dans l'intérêt de nôtre peuple. Je le jure sous le regard bienveillant de notre Mère. Je le jure sur mon honneur.

Malgré le fait qu'il soit très court, elle avait à peine réussit à le terminer sans verser une larme. Elle se souvenait du regard de l'Ancien, de son père, de son oncle et de la prêtresse de Kÿria. Pour bien des raisons, cela avait sans doute été l'un des jours les plus difficiles et les plus solitaire de sa vie... Mais aussi l'un de ceux qui l'avaient marquée à jamais et dans un sens qu'elle n'échangerait pour rien au monde.  

-Mais les festivités qui le suivent marquent bien plus les esprits en règle générale. Elles durent au moins une ennéade complète et donnent lieu à des rencontres d'artistes, d'érudits et d'artisans, des concours en tout genre... J'espère que tu auras l'occasion de voir une célébration en Ardamir. Contrairement à la plupart des Cités, Ardamir n'a jamais été pensée comme un fortin ou un lieu de défense et nous sommes dépendant des autres, ne serait-ce que pour avoir assez de nourriture au quotidien. Alors apporter une contribution à notre peuple d'une autre façon, préserver et étoffer notre culture est dans l'âme de la Cité. Quel meilleur moyen de le montrer que des cérémonies ou des fêtes ?

Inutile de préciser que dans son cas, le serment s'était fait en petit comité et que les festivités avaient été co-présidés pour la première fois par le clergé de Tari, en l'honneur des braves tombés à Ellyrion. Mais elle devait tout de même revenir sur une partie moins joyeuse de leur quotidien, elle l'avait promis à son confrère.

Elle ne s'attendait pas vraiment à un tel revirement. En recevant la missive, toute trace de joie avait instantanément déserter le visage de Neraën.

-Je pense repartir dans deux ou trois jour au maximum. Le voyage jusqu'à Alëandir n'est pas des plus courts et j'ai des affaires... pressantes à réglés en Ardamir avant que le Haut Conseil ne se réunisse pour décider d'un roi ou d'un régent.

Elle le laissa un moment parcourir la lettre. Elle ne voulait pas assombrir sa journée mais recevoir des félicitation d'un confrère absent pour de si funestes raisons devait inévitablement ravivé quelques questions plus pragmatiques que festives... Et ce fut en effet le cas.

A force de la vivre au quotidien, Halya n'avait pas vraiment de soucis à parler de la guerre. Elle la gérait et l'orientait avec ses faibles moyens, souvent en se heurtant à des murs d'incompréhensions, alors trouver une oreille attentive n'était jamais désagréable malgré la gravité de la chose. Elle aurait sans doute put lui demander d'attendre le lendemain pour le laisser profiter de sa soirée, mais il avait l'air de vouloir son avis, également pour pouvoir le confronter à celui des officiers présent ce soir-là.

Mais les précautions du Protecteur à son égare redorèrent un peu son sourire. Elle se déplaçait si rarement sans Randil à ses côtés qu'elle avait presque oublié que certaines personnes dans ce monde ignoraient qu'elle avait été militaire... et ne partaient donc pas du principe qu'elle avait le caractère qui allait avec.

-Ne t'en fait pas, si j'avais éprouvé la moindre gène à répondre à tes questions, je ne l'aurais pas fait. Je ne pense pas que connaître personnellement quelqu'un soit préférable pour travailler avec lui quand l'impartialité est si souvent de mise, mais c'est un luxe que j'apprécie.  

Il voulait de la franchise, elle était très loin d'être contre. Après tout certains de ses conseillers les plus proche la reprenaient sur son manque de tact diplomatique. Gardant un ton assez détaché pour ne pas alourdir définitivement l'ambiance de jour, elle continua :

-Quant aux rumeurs, elles sont aussi vrai que fausses. Wyslena est plus concernée par l'avancé des drows, elle ne peut pas faire autrement, et si le Protecteur de Mera se fait plus discret, il sait ce que représente une guerre. Il a joint ses troupes au miennes et s'il me laisse le champ libre sur certains points militaires, nous travaillons en étroite collaboration sur bien d'autres sujets. Il n'y a pas si longtemps, Ardamir était encore le Chef-lieu des terres ancestrales du Sud. Il est donc normal que je soit celle qui cri le plus fort pour attirer l'attention des autres Protectorats.

Même si elle passait souvent sous silence la coopération qui existait entre Mera, Ardamir et Wyslena pour éviter d’assommer les militaires avec les affres des décisions politiques, ce genre de lien ne devait pas être dissimulé aux autres Protecteurs. Bâtir sa réputation sur le travail des autres n'avait jamais été dans les habitudes d'Halya, que ce soit en tant que mercenaire, militaire ou protectrice.

-Mais pour répondre à ta question, oui j'ai été dans l'armée... Jusqu'à très récemment en réalité. J'ai refusé le poste de Lieutenant des Aigles pour me consacrer à Ardamir. Mais c'est utile par les temps qui courent. Je fournis un grand nombre d'information aux capitaines de l'Armée royale, j'aide leur intendance à régler les problèmes de logistiques que le Trône Blanc n'est pas en état d'assumer pour l'instant et je fais en sorte d'assister au maximum de réunions d'Etat Major.

Entre autre recherche de Noss, embuscades drows et organisation du secours aux réfugiés d'Eraison et Wyslena. Mais ne connaissant pas la position de son interlocuteur sur l'utilité des Noss, elle préférait y aller doucement.

-Pour être honnête, le Front s'enlise depuis la prise d'Eraison. Nous avons de nouveau stabiliser un périmètre mais cette fois, Anaëh en pâtit directement. Sans personne sur le trône, l'armée est privée de directive claires car il est impossible de trancher sans cette légitimité dans l'état actuel des choses. Chaque commandant d'armée locale revendique plus ou moins une part des décisions malgré les capacités indéniables de notre Commandant de l'Armée Royale. Les officiers ont également des positions bien différentes les unes des autres sur ce qu'il convient de faire, le problème étant qu'elle ont toutes leurs justifications. Pour toutes ces raisons, nous pourrions très rapidement stagner et de donner une nouvelle fois l'avantage de l'actions aux drows. Une avancée plus profonde en Anaëh, une nouvelle atteinte au lac d'Uraal ou un revers en Linaëh ne doivent pas se produire, les occuper sur le Front actuel est donc une nécessité.

Elle avait parlé sans ambages, comme si le protecteur à qui elle s'adressait connaissait forcément ce genre de désagréments dans l’articulation de l'armée elfique... Et c'était en effet le cas dans l'esprit de l'elfe. Mais il y avait un autre point à aborder.

-C'est pourquoi nous avons lancé les préparatifs nécessaires à la reprise de la Cité.

Voila une décision pour le moins unanime dans le Sud... Mais qui n'avait jamais eu l'aval du Haut Conseil ni été débattue par les Protecteurs dans leur ensemble. Mieux valait sans doute qu'il l'apprenne de la bouche d'une de ses consœurs s'il n'était pas déjà informé, que de celle d'un officier. Elle avait encore le point des Noss à aborder, un point sans doute moins sombre mais tout aussi épineux pour certains. Pourtant elle préféra chercher calmement le regard de son vis à vis pour s'assurer de sa réaction.

Neraën écouta attentivement Halyalindë, acquiesçant pour signaler son accord ou sa compréhension. Parler d'Ardamir avec sa dame-protectrice l'aidait à voir ce qu'il était de la mentalité de ce protectorat et ce serait avec curiosité qu'il demanderait plus de précisions pour savoir comment cela avait évolué en trois cents ans. Mais l'heure était venue de parler de la guerre et la femme elfe lui raconta ce qu'il s'y passait, précisant les "on dit" pour que le vieil elfe une vue plus vraie du lien qu'avait son interlocutrice avec la guerre. Lorsqu'elle laissa entendre qu'il était normal qu'elle soit celle qui crie le plus fort au sein d'Ardamir, puisque ce protectorat était encore il y a peu souverain de ceux de Mera et de Wyslena, Neraën répondit calmement et d'un ton qui laissait entendre que son avis était déjà tranché.

"Si tous les protectorats étaient dans les faits réellement indépendants les uns des autres, alors l'unité qui peut exister au sein d'Anaëh aurait bien plus de mal à être que ce qu'elle n'est déjà. Les protectorats ont besoin de se fédérer, d'avoir une ligne directrice au sein d'une même zone géographique. Et c'est à nous, qui sommes encore appelés Seigneurs-Protecteurs, qu'il incombe cette tâche. Eraïson ne faisait peut-être pas tout à fait partie de ton protectorat, mais même indépendants ils se sont certainement directement tournés vers toi. Mais oui, tu as bien fait de crier, comme tu le dis. Enfin ce n'est qu'une question de mentalité... peut-être que des protecteurs trouveraient mon raisonnement inadmissible.

Il sourit et écouta la suite de ses propos. Ainsi donc elle aurait dû être lieutenant chez les Aigles... Neraën savait parfaitement à quoi ce grade correspondait et pouvait déjà avoir un aperçu plus militaire de son interlocutrice. Pour qu'elle ait été désignée comme étant capable d'être dans l'élite et de commander ses camarades, c'est qu'elle avait des dons liés au commandement et au combat en lui-même. Quelque chose de fort utile en période de guerre, surtout lorsque c'était son propre protectorat que cette guerre touchait. Halyalindë continua, il ne l'interrompit pas. Il écoutait et triait les informations, pensant en même temps que le fait que la guerre s'enlise n'était pas une bonne chose. Après il n'avait vécu qu'un seul combat contre les Sombres, certainement le plus violent de tous... donc il ne pouvait affirmer son ressenti.

- C'est pourquoi nous avons lancé les préparatifs nécessaires à la reprise de la Cité.

Neraën eut un sourire amusé, mais dans son regard se lisait toujours le sérieux avec lequel il prenait ce sujet.

- Lancer les préparatifs est une chose, reprendre la cité en est une autre. Mais c'est déjà un bon début pour rompre la monotonie d'un front, même si le risque d'avoir beaucoup de morts de son côté est grand. Et je peux te le dire, contre les Drows s'il y a besoin d'une force suffisante pour ne pas être acculés, quelle que soit l'importance de l'armée elle ne suffira pas à vaincre l'ennemi. Ils possèdent une hargne telle que seule une force intérieure de même intensité peut permettre d'éviter la catastrophe... ou du moins l'échec. J'espère que vous avez ce qu'il faut pour cela.

Il fit une courte pause, le temps que son interlocutrice comprenne où il voulait en venir.

- Et qu'en est-il de ceux qui vivaient dans la cité ? Et des noss ?"

Même si le protecteur n'avait pas tord, Halya ne pouvait s'empêcher de trouver son affirmation qur la nécessité de la prédominance des 7 Cités assez rétrograde.

« Surtout les Protecteur des Cités en question je pense. Mera, Wyslena et Eraison, même si ce fut trop tard pour ce dernier, ne se sont pas tournés vers moi dans un souci hiérarchique. Nous avons agis ensemble parce que nous connaissons la valeur des autres et leurs capacités. Et il faut bien que quelqu'un se dévoue pour prendre les décisions nécessaires et les prendre à sa charge quand nous manquons de temps pour les faire valider par le consensus. »

Certains protecteurs auraient été totalement outrés par sa dernière phrase. Cette idée aurait put lui coûter cher car c'était ce genre de manœuvre individuelle qui dérapait le plus souvent. Pour Halya, c'était une simple nécessité en temps de guerre mais qui en disait long sur ce qu'elle serait capable de faire en cas d'hésitation du Haut Conseil concernant des affaires urgentes. Ils n'en étaient pas encore là… Mais cela approchait.

Lorsque Neraën parla des drows, Halya se demanda un instant s'il ne sous-entendait pas plus qu'il ne semblait dire. Elle soutint son regard mais préféra ne pas avancer de certitude. Les phrases sibyllines de son nouveau confrère pouvaient être interprétées façons bien différentes.

« Et qu'en est-il de ceux qui vivaient dans la cité ? Et des noss ?"

Voilà une question bien épineuse… Chaque chose en son temps.

« Depuis que les premières vagues de réfugiers ont atteintes Ardamir, des missions ont été entreprises pour trouver et exfiltrer d'éventuels survivants… Hélas jusqu'à maintenant ils n'ont put que confirmer l'absence de prisonnier. Quant aux Noss… Et bien. Nous ne savons pas exactement ce que les Noss d'Eraison sont devenu ni dans quel mesure il ne bloque pas l'avancée des Drows encore plus efficacement que nous ne le faisons. Mais notre appel a été entendu et se répand dans les confins d'Anaëh. De nombreux clans se sont rassemblé en zone de guerre. Ils ne coopèrent pas toujours directement avec nous mais certains sont même prêt à manœuvrer avec nos troupes. »

Peut-être pouvait-elle en profiter un peu.

« En vérité, je pense qu'une Réunification, même temporaire est nécessaire. Autant pour arracher la victoire que pour épargner des vies. J'espère qu'un protecteur tel que vous peut voir les Noss comme ils sont, une part réelle de notre peuple empreinte d'une grande sagesse, et non une bande de sauvage arriéré comme le prétendent certains. Mais après le Voile et les problèmes de reconstruction dans bien des protectorats, mes idées ne sont pas très populaires parmi les haut gradés. »

Le visage de Voronwë s'imposa dans l'esprit d'Halya. La Sagesse ne semblait certes pas être une constante chez les Noss, mais elle ne pouvait qu'espérer que l'alliance qu'elle lui avait arrachée dur jusqu'à ce que les drows soient mis en déroute. Après, s'il fallait qu'elle le chasse personnellement pour s'assurer que le Baar'Ane ne serait pas leur prochain adversaire, soit. En attendant, il y avait bien meilleur porte parole pour les Noss que ce fou.

« Vous savez, je n'aurait jamais cru le dire, mais cette guerre pourrait enfin nous apporter le coup de pouce dont nous avions besoin pour rétablir la Paix au sein de notre peuple. En quelques mois, nous avons vu et appris tant de choses. Par exemple, nous pensions que l'équitation était un art des Cités, et bien j'ai reçu la nouvelle de l'arrivé près d'Eraison d'une Noss de cavalier monté sur de grands cerfs. Un druide a également accepté de nous aider à propager le message et à rassembler des forces Noss. Je suis convaincu que nous avons beaucoup à apprendre d'eux, au sujet de la Mère, d'Anaëh ou des Ëalas. Et j'espère que nous pourrons arrêter définitivement les bains de sang fratricides qui ont bouleversé les Protectorats ces dernières années. Mais je vous choque peut-être… Veuillez me pardonner mais j'avoue assez mal connaître votre protectorat ou les déboires que vous avez eut après le Voile.

Le vieil elfe écouta, ne regardant parfois pas son interlocutrice afin de mieux visualiser ce qu'elle lui expliquait, sans jamais donner d'indice vocal ou corporel quant à ce qu'il pensait de ses dires. Il la laissait aller où elle désirait le mener, remarquant les nombreux risques qu'elle prenait à parler si ouvertement de ses opinions. Et s'il était de ceux qui considéraient les Elfes des Noss et les Elfes des Cités comme étant deux peuples différents, avec l'un qui était supérieur à l'autre, et qu'il cachait juste ses véritables pensées par étique ? N'aurait-il pas été des plus offusqués ? Probablement. Fort heureusement pour elle ce n'était pas le cas.

Lorsqu'elle eut fini, Neraën retroussa doucement sa manche droite jusqu'au coude, ouvrit grand la main paume vers le ciel et la tendit vers sa comparse, qui fut étonnée de cette réaction. Que devait-elle faire de cette main tendue ? Il attendit qu'elle croise à nouveau son regard pour lui sourire et lui expliquer.

"Que vois-tu ?

Une main, une paume, des plis formant des lignes dites de vie, des doigts... Rien de bien compliqué. Il attendit qu'elle lui donne sa réponse pour continuer.

- Penses-tu que ce que tu vois est différent chez les membres des noss ?

Non. Tout simplement non.

-Alors tu as ma réponse les concernant.

Cela aurait pu être si simple, mais le seigneur-protecteur savait pertinemment que la ressemblance ne se faisait pas que par le physique. En fait, il ne prenait même plus le physique de certains en considération tant c'était l'intérieur d'eux-mêmes qu'il percevait. Intérieur qui, fort heureusement pour eux, était bon. Parce qu'il n'était pas du genre à hésiter de tuer quelqu'un, même un elfe, s'il s'avérait que cette personne était un danger pour les siens. Mais Halyanlindë n'avait nul besoin de cet apprentissage, ou du moins pas aujourd'hui. Aussi ramena-t-il sa main vers lui, remit-il sa manche jusqu'à son poignet et continua-t-il sur le thème de cette conversation.

- La guerre ou les conflits en général n'arrivent jamais sans raison, Halyalindë. Et même si elle peut paraître mauvaise au départ, il en ressort toujours une part de bon, qu'elle soit infime ou des plus grandes. S'il y a une chose que les nôtres ont oublié avec le temps, c'est que tous les êtres de la Prime Forêt forment un ensemble, une cohésion qui se suffit en elle-même. Et que ceux qui sont issus des mêmes pères et mères, ceux qui se ressemblent jusqu'à penser de la même manière, forment une immense famille. Et n'est-il pas aux aînés de transmettre aux plus jeunes ? N'est-il pas du devoir de chaque frère et sœur ayant un savoir de l'apprendre à ses comparses ou d'aider grâce à ce savoir ? C'est ce que nous avons perdu il y a de cela bien longtemps, Halyalindë. Nous avons restreint nos familles au point que nos frères et sœurs nous sont devenus étrangers. Nous avons arrêté d'apprendre d'eux et eux ont arrêté d'apprendre de nous. C'est ce que tu as redécouvert en t'associant avec un druide et j'en suis heureux. Je déplore juste que tous n'aient pas la même volonté que toi, car c'est en reformant une famille unie que nous aurons le plus de chances de réussir à surmonter les épreuves.

Le sourire qu'il lui avait adressé avait eu le temps de s'estomper, laissant place à une aura encore plus sincère. La dame-protectrice pouvait alors remarquer qu'il y avait réellement une joie en lui, une joie qu'il ne montrait cependant pas. Une joie qu'elle ne pouvait que ressentir de par la façon dont il se comportait avec elle, de façon très paternelle.

- Malheureusement les conflits ne s'arrêtent jamais du jour au lendemain, il faut du temps pour que les mentalités changent et qu'une certaine acceptation se fasse. Tu l'as toi-même remarqué. La majorité des nôtres n'arrêteront de considérer l'autre comme un étranger qui dérange que lorsque l'ennemi sera devant leur propre porte, et encore... L'une des premières choses que je compte faire maintenant que je suis à ce poste est de régler à ma manière les conflits qui existent en Eteniril.

Il s'appuya contre le dossier de sa chaise, le regard déterminé. Il fit jouer entre ses doigts le pli que lui avait donné plus tôt la jeune elfe avant de revenir à elle.

- Attendrais-tu quelque chose de moi, Halyalindë ?"

Une main.
Tout ce que semblait disposé à répondre le Protecteur, c'était une main. Une main qu'elle examina avec la plus grande minutie. Mais non... Pas une seule cicatrice significative, pas un signe distinctif. Une main avec ses particularités, certes. Mais une mains comme toutes les autres mains.

Lorsqu'elle l'interrogea du regard, Neraën consentit enfin à lui poser sa curieuse question. Cette fois, la Protectrce fronça largement les sourcils. Ça n'avait aucun sens. Cette main ouverte suspendue devant elle arrivait presque à la mettre mal à l'aise. Elle jeta un coup d'oeil sur le côté, visiblement l'invité le plus proche était trop occupé, ou trop poli, pour observer ouvertement la scène incongrue. Mais ils étaient au milieu de tous ces diplomates, tous ces politiques... Ce Protecteur était décidément un drôle de personnage...

Après un court moment de réflexion. Elle finit par répondre :

-La main d'un homme aussi intéressant qu'étrange ?

Mais la réponse n'importait pas vraiment. La seconde question éclaira enfin ses actes. Halya sourit en répondant par la négative.

-Alors tu as ma réponse les concernant.

La forme de cette réponse était étrange, mais le fond n'aurait pas put faire plus plaisir à Halya. Une unité indissociable, voilà comment Neraën considérait les elfes des Noss et des Cités. Où peut-être voulait-il dire que seul comptait l'individu ? Dans les deux cas, un nouveau Protecteur en faveur de la paix au sein du peuple venait d’apparaître sur la scène politique et c'était un pas de plus dans la bonne direction.

Les paroles de cet homme étaient pleines de sagesse dans l'ensemble, mais certaines firent un peu tiquer Halya. Penser que des guerres et des conflits naissaient toujours quelque chose de bon ne lui était pas vraiment accessible alors qu'elle passait ses journées à compter les pertes. Peut-être était-ce du à ces stupides détails, mais le discours prenait une tournure hautaines et distante aux oreilles de l'ex-militaire... Jusqu'à ce qu'elle se rappelle qu'il avait lui aussi été dans l'armée.

Cela la laissa interdite. Cette façon de pensée était si éloignée de ses préoccupations pragmatiques habituelles...  Ils n'étaient pas d'accord sur tout, mais Neraën voyait plus loin que les Cités et les Noss. Plus loin que la guerre contre les drows. Il voyait un chemin pour Anaëh toute entière vers un avenir paisible. Dans ses paroles, Halya entendait presque l'écho d'une renaissance de leur civilisation.

Et elle se rendait compte de la distance vertigineuse qui les séparait.

Si cet homme savait agir avec la même sagesse qui transparaissait dans son discours, alors il ne tarderait pas à s'imposer dans les jeux d'influence. Que n'y avait-il pas plus d'aînés comme lui... Ils n'auraient peut-être pas perdu Eraison.

Ce fut la question de son vis à vis qui sorti Halya de ses pensées. Sans vraiment y prendre garde, elle avait tout le temps laissé ses yeux sur lui comme pour essayer de deviner à quel point il pouvait être sincère et capable.

-En ce moment, j'attends beaucoup de choses de beaucoup de monde. Là j'attends surtout de te voir à l’œuvre. Tu me rends curieuse je dois dire. Je ne m'attendais pas à trouver quelqu'un d'aussi... perspicace.

Elle soutint son regard quelques instant avant de reprendre.

-Mais j'avoue, j'aimerai quand même que tu répondes à une question qui te semblera sans doute mal venue ce soir. Mais le temps de délibérer à l'envie nous manquera sous peut, ce pourquoi je me risque à te la poser malgré tout. As-tu déjà réfléchi à la personne que tu aimerai voir sur le trône ?

Alors qu'il posait sa question, il la regarda... et fut étonné de lire en elle ce qui lui sembla être un mélange d'étonnement, de distance et de recherche. Comme si ses paroles avaient provoqué la prise de conscience qu'il existait un fossé entre les deux seigneurs-protecteurs, fossé uniquement dû à la différence de génération ainsi qu'aux événements qui avaient fait évoluer chacun de manière différente. Ce qui l'étonnait le plus en fait, était que généralement les gens réagissaient de la sorte avec lui à cause de son regard froid et de sa manie à lire en ses interlocuteurs. Mais dans ce cas précis il s'était empêché de commettre ce qu'il qualifiait d'impairs.

"En ce moment, j'attends beaucoup de choses de beaucoup de monde. Là j'attends surtout de te voir à l’œuvre. Tu me rends curieuse je dois dire. Je ne m'attendais pas à trouver quelqu'un d'aussi... perspicace.

Un fin rire sortit de la bouche de Neraën. Ce n'était nullement une moquerie, mais bien plus un détail : un certain mot qui, le pensait-il, ne correspondait pas à la situation.

- Perspicace ? Non, Halyalindë, réfléchi seulement. Je m'estime comme chanceux d'avoir pu rencontrer certaines personnes et être confronté à certains événements. Cela m'a amené à voir les choses d'une certaine manière et donc à vous faire un tel discours. Je vous ai parlé de choses bonnes causées par la guerre - ou tout autre acte fort et répréhensible -... croyez-moi que si bien des choses ne s'étaient pas passées alors je ne serais pas là à vous parler comme je le fais. Mais continuez, je vous prie. Je m'égare.

Elle soutint son regard avant de reprendre, comme si Neraën ne s'était pas égaré.

- Mais j'avoue, j'aimerai quand même que tu répondes à une question qui te semblera sans doute mal venue ce soir. Mais le temps de délibérer à l'envie nous manquera sous peu, ce pourquoi je me risque à te la poser malgré tout. As-tu déjà réfléchi à la personne que tu aimerai voir sur le trône ?

L'elfe passa sa main sur son menton imberbe, se concentrant pleinement, avant de répondre.

- Il vrai que nous n'aurons certainement pas le temps d'en discuter d'ici le Haut-Conseil. Je dois t'avouer que je n'ai pas encore d'idée sur la ou les personnes que j'aimerais voir sur le trône. Je ne connais pas encore assez une bonne partie des protecteurs pour cela et je ne souhaite prendre aucune décision à la légère. Mais il est sûr que mon choix ne se fera que sur les qualités, les défauts et la mentalité.

Il n'en dit pas plus. A elle de le questionner sur ses propos si elle le désirait.

- Toi qui es dame-protectrice depuis plus longtemps que moi, peut-être as-tu pu avoir plus d'opportunités pour cerner qui serait capable de guider le peuple elfique ?"

Entendre un vouvoiement échappé à Neraën fit amusa intérieurement Halya, mais elle fit comme si elle n'avait rien entendu et continua. La modestie était tout à l'honneur de celui qui l'employait avec honnêteté, mais rencontrer les bonnes personnes ne signifiait pas en retirer du bon. Le mot qu'elle avait employé était tout indiqué.

Elle écouta avec attention la réponse que le Protecteur acceptait de lui offrir, cette fois sans énigme. Oui, elle le prenait sans doute de court. Après tout, il était Seigneur Protecteur depuis moins d'un jour... Mais cela ne le dispensait pas d'avoir laisser traîner ses oreilles et participer aux rencontre avec des diplomates durant des années. Un Protecteur ne sortait pas de nulle part. Aussi cela n'aurait pas  été étonnant d'apprendre qu'il en savait bien plus qu'il ne le disait.

Enfin... s'il préférait avoir les avis de sa consœur d'Ardamir, elle n'allait certes pas refuser. !

-Aucun Protecteur des Anciennes Terres d'Ardamir ou de Daranovar n'est apte à ceindre la couronne, répondit-elle du tac au tac. J'ai deux... peut-être trois noms en tête.

Elle laissa les noms en question en suspend, elle n'était pas ici pour influencer l'avis du protecteur sur tel ou tel candidat. Mais il y avait une chose fondamentale d'après elle, une chose que les peuples de Daranovar et Ardamir ne pourraient pas remplir avant quelques temps.
Car ces terres avaient été ravagées ravagées par la guerre en cours, les autres avaient construit leur survie et leur grandeur sur l'armée, pour finir par être presque détruit par la Mère lors du Voile. Le sang et la violence coulaient à flot quels que soit les raisons. Même le Sanctuaire du Palais de Chêne avait été éclaboussé par les combats. Là était l'incontournable vérité...

-Mais l'important n'est pas qui sera le roi, mais qui nous mènera à la victoire.

Cela passerait sûrement pour égoïste, mais les délibérations devraient se faire rapidement s'ils voulaient pouvoir reprendre Eraison avant l'hiver. Et élire un monarque dans de telles conditions était la pire chose à faire. Un échec assuré aussi bien pour la guerre que pour la paix qui devait suivre.

-Notre future souverain devra réunir, apaisé les conflits, convaincre des hommes et des femmes ivres de vengeance de s'en tenir à la défense au lieu de donner la charge hors de nos frontières et éviter qu'ils ne se retournent contre leurs propres frères comme cela c'est déjà vu. Nous devrons choisir un esprit fort, droit, capable d'aller de l'avant au lieu de nous complaire dans ce que nous avions de magnifique. Capable de s'appuyer sur notre passer pour construire un avenir réellement paisible et de protéger Anëh sur la durée, non plus d'un agresseur extérieur, mais de nous-même. Il nous faut un nouvel équilibre, le Voile nous l'a montré, et cela ne peut se faire qu'avec quelqu'un dont le cœur est passé outre ce que la guerre peut avoir de plus sombre. Cette personne ne pourra pas être celle qui aura envoyé notre peuple au massacre.

A quelques pas, le visage de Kalendrilh attira Hala du coin de l’œil. Tout cela était fort peu réjouissant et elle ne voulait pas être cause de la baisse du moral du nouveau Protecteur alors que ce jour l'avait elle-même ravie au plus haut point.  

-Cette guerre ne se terminera pas sans bruit et si la Régence doit trancher, le Royauté devra rassembler. Finit-elle avec un franc sourire juste avant de se lever. Sur ce, je te prie de bien vouloir m'excuser, mais il faut que je m'éclipse une minute.  J'espère ne pas avoir trop assombrie ton humeur... Ce n'était vraiment pas mon intention.

Elle s'inclina gracieusement avec sa fluidité habituelle. Les chainettes métalliques piquées dans sa coiffure tintèrent légèrement.

-Si le Maître des lieux veux bien me réserver une danse ce soir, j'en serais ravie, sinon j'espère que nous aurons au moins l'occasion de parler à nouveau. Et de sujets plus plaisant. Je connais quelques auteurs qui vous plairaient peut-être.

Neraën écouta la dame-protectrice, non surpris d'entendre tous ces mots de sa part : elle était une guerrière, une femme qui était habituée à voir le front, commander et prendre des décisions tactiques. Elle était en quelque sorte un reflet de lui lorsqu'il était jeune, lorsqu'il ne connaissait pas encore la magie. Et il se doutait qu'il aurait été au moins au moins aussi direct dans ses opinions qu'elle s'il avait vécu à l'époque la situation d'aujourd'hui. Mais il n'était plus le Neraën de l'armée royale. Et pour lui, celui qui siégera sur le Trône Blanc ne devra pas forcément être un guerrier, ne devra pas forcément mener les Elfes à la victoire. Cette personne devra surtout être quelqu'un d'empathique pouvant réduire les dissensions entre noss et cités avant de prendre lui-même les armes. Mais il est certain qu'il devra collaborer et faire confiance en les différents généraux de l'armée royale. Mais faudrait-il qu'une seule personne prenne le pouvoir.

Halyalindë se leva, s'excusant de devoir s'éclipser. Neraën sourit et se leva avec grâce, la missive de son comparse du sud posée sur la table. Ils avaient parlé pendant un bon moment et pourtant tous ceux qui le regardaient ne pouvaient qu'apercevoir la froide distance qu'il prenait chaque jour avec autrui. C'en était devenu naturel et s'il y en avait qui avaient pu le connaître sous ses jours de jeunesses, ceux-là ne reconnaîtraient pas le fougueux et plaisantin lieutenant qu'il était. Neraën s'inclina pendant que son interlocutrice prenait une dernière fois la parole.

"Nous aurons d'autres occasions de discuter, Halyalindë, sois-en sûre. Sache en tout cas que j'ai été ravi de faire ta connaissance et que notre discussion n'a aucunement assombri mon humeur. Parler de choses importantes est nécessaire en ces temps sombres et cela ne fera que nous permettre de prendre les meilleures décisions le moment venu. Va donc, je ne te retiens pas.

Il inclina à nouveau sa tête par respect, avant qu'elle n'aille rejoindre le protecteur de Mera. Alors il se retourna subitement, comme s'il avait oublié quelque chose, et interpella la dame-protectrice. Lorsqu'elle se retourna il lui lança, sans pour autant crier :

- Pense à tes auteurs pour la prochaine fois, j'en ferai de même !"

Puis il se détourna, reprenant la missive et marchant d'un rythme relativement lent, prenant le temps de regarder autour de lui avant de choisir une nouvelle place. Peu envieux quant à la perspective de la danse après le repas, son esprit avait déjà effacé la demande d'Halya sans même qu'il ne s'en rende compte, ne faisant en quelque sorte pas exprès de ne pas lui avoir répondu. Mais l'important qu'il était content de cette rencontre, d'avoir pu prendre le temps d'apprendre à connaître l'une de ses collègues. Cela lui servirait pour plus tard.