[Lourmel] Sur le chemin d'une réconciliation ? | Maélyne [Terminé]

Jérôme était reparti depuis longtemps et Mathilde avait pansé ses plaies à Bastylle. Elle avait mis du temps à sortir de sa coquille, à retrouver le plaisir de sortir, de faire des balades à cheval et de retrouver le sourire, mais elle se sentait enfin prête à attaquer le reste de sa vie, même si elle se sentait toujours un peu fragile.Ce matin elle se demandait encore comment elle pouvait accomplir la tâche que lui avait confiée Jérôme avant son départ. Il voulait essayer d’arranger ses relations diplomatiques avec Maélyne de Lourmel et pour cela il lui avait proposé d’essayer d’échanger quelques missives avec elle. Cela faisait pourtant deux jours qu’elle tournait autour de la petite table de son boudoir et qu’elle ne trouvait rien de banal à dire à cette femme qu’elle ne connaissait pas. Elle n’avait aucune raison de lui écrire, elles n’avaient jamais été présentées et cela pouvait même paraître discourtois de sa part d'engager pareille correspondance . Aurore de Clairssac n’aurait probablement pas apprécié ce genre d’approche.Finalement lorsqu’elle prit la plume pour la énième fois se fut pour demander tout simplement si elle pouvait être reçue par la Dame de Lourmel dans les jours à venir. Sa missive était soignée, elle n’avait rien rajouté de superflue, juste les politesses d’usage et sa requête.Lourmel ne se trouvant qu’à quelques lieux de Bastylle, la réponse lui parvint à peine deux jours plus tard.Elle n’était pas signée de la main de Maélyne mais du chambellan qui lui assurait qu’elle était la bienvenue à Lourmel mais que Dame Maélyne était actuellement absente. En revanche il l’invitait à venir dès à présent pour qu’elle puisse rencontrer son hôtesse dès son retour prévu dans les prochains jours. Tout fut donc décidé très rapidement. Le lendemain elle était en route pour Lourmel. Une petite escorte l'accompagnée mais elle avait réussi à négocier que son voyage ne se fasse pas en carrosse. Elle préférait de loin monter son étalon, Lyse fermement cramponner derrière elle. Lorsque les murs de la cité furent en vue, Mathilde se demanda si c'était une bonne idée de se présenter ainsi chez cette femme. Elle n'était en bon terme avec Jérôme et elle n'avait donc aucune raison de la recevoir les bras ouverts. Tant pis, elle  se forcerait à sourire un peu et elle tenterait de briser la glace. « - Bienvenue Dame Mathilde, nous sommes heureux de vous recevoir dans ces murs. Venez, suivez moi je vais vous conduire aux chambres que nous vous avons préparé. »Le chambellan qui les avait accueilli s'était montré dès plus aimable, peut-être parce qu'elle était la sœur du Baron d'Etherna... Mathilde avait encore du mal à ce dire qu'on lui devait le respect seulement à cause du titre de son frère. Elle lui sourit et le suivit sans un mot dans le dédale de couloir. « - Savez-vous quand Dame Maélyne doit revenir à Lourmel ? Je ne veux pas abuser trop longtemps de votre hospitalité. »D'autant plus qu'elle n'avait concrètement aucune raison d'être là, si ce n'est qu'elle souhaitait comprendre le fond du problème dans les tensions actuelles entre Lourmel et Etherna.« - Elle ne devrait pas tarder à revenir à Lourmel. Je vous préviendrai lorsqu'elle sera de retour. Mais surtout si vous avez besoin de la moindre chose n'hésitez pas à me le demander. »Mathilde et Lyse restèrent donc deux jours sans que l'arrivée de leur hôtesse ne soit annoncée. N'étant pas très à l'aise dans cette demeure qui n'était pas la sienne, Mathilde passait le plus de temps possible à l'extérieur où elle avait moins l'impression d'être une intrus. Les jardins étaient très agréable surtout à cette saison et c'était un plaisir de s'y promener.

L’on venait d’entamer la deuxième journée de la deuxième ennéade de Vérimios. Le soleil se faisait de plus en plus présent mais on était sans doute loin des chaleurs que procurait le sud. Non, ici nous étions toujours au nord, et même si les fourrures avaient retrouvés leurs chemin vers les placards, les foulards et autre les remplaçaient aisément. Une brise légère était présente et comme tous les matins, Maélyne faisait les cents pas dans les jardins. Lourmel possédait un beau château, de belles grandes pièces, de belles chambres et de beaux balcons mais c’était sur l’herbe verte qu’elle se plaisait le plus.

Alors qu’elle parcourait librement ses allées, le regard dans le vide, pensant au front, pensant à cette menace qui planait sur le nord tout entier. Son regard se perdit alors vers l’est, en direction d’Oësgard.

Avait-il donné l’assaut ? Ont-ils sur s’entendre ? Se rallier l’un l’autre pour bouter ces noirelfes en dehors de leurs terres ? Leurs étaient-ils arrivés quelque chose ? Tant de questions, tant d’inquiétudes dont la Dame ne put se débarrasser.

Mais il n’y avait pas que cela. Une autre menace planait sur Serramire, une qui se faisait plus discrète, mais Maélyne la sentait, Maélyne s’en était doutée et finalement, elle avait vu juste. Les sauvages du pays des Wandres profitaient de l’absence d’hommes pour franchir les frontières et piller d’avantages villages et fermes en notre pays. Elle ne pouvait rester là à ne rien faire. Surtout qu’Outremont faisant partie des trente seigneuries avait pour lourde tâche de défendre ces dits villages. Mais comment faire quand la plus part des hommes sont au front et que la seigneurie de Karras avait déjà subi une attaque ?

« Je devrais sans doute envoyer de toute urgence des missives aux seigneuries… » se dit-elle alors à elle-même.

Mais voilà qu’autre chose la rattrapait. Un valet vint la trouver pour lui rappeler que Mathilde de Clairssac était présente au château depuis deux jours déjà et qu’elle demandait audience. La jeune Lourmelloise était si occupée ces derniers temps qu’elle ne put lui accorder de temps. Pourtant, il fallait l’accueillir et lui accorder cette rencontre qu’elle désirait tant.

« Soit, convoquée la dans le petit salon, je tâcherais de la rejoindre au plus vite. » Répondit-elle à son valet. Entre-temps, avant de rejoindre la Sœur du Baron d’Etherna, Maélyne fit quémander son scribe. Elle lui demanda de rédiger une quarantaine de lettres.

Une vingtaine de minutes passèrent, Mathilde devait sans doute déjà être dans le petit salon quand Maélyne arriva. Elle n’avait jamais vue cette femme, pourtant d’un regard elle reconnut en elle les traits de Jérôme.

« Dame Mathilde, c’est un honneur pour moi de vous accueillir à Lourmel. » Commença-t-elle avant de faire une légère révérence. Elle invita alors la jeune femme à s’installer dans le petit salon puis fit quémander quelques petites victuailles et un peu de thé.

« que me vaut une si charmante visite ? » lui demanda-t-elle alors.

« - Dame Maélyne de Lourmel vous propose de la rejoindre dans son petit salon. Si vous voulez bien me suivre. »

Les mots du valet tirèrent Mathilde de ses pensées. Pour la plupart sombres et sans joie, aussi accueillit-elle cette intrusion avec le sourire. C'était lorsqu'elle se retrouvait seule que ses pensées les plus noires ressurgissaient, lui rappelant la mort de son fils, l'absence de ses frères et les dangers qu'ils couraient au front, ses relations houleuses avec sa mère... Seul le petit visage de Lyse la rendait heureuse. La voir s'émerveiller devant chaque chose la faisait même parfois rire.

« - Retourne m'attendre dans la chambre et travaille tes lettres pendant mon absence. »

Mathilde termina sa phrase en déposant un baiser sur le sommet de petite tête brune de onze puis elle tourna les talons et suivit le valet. Elle fut introduite dans un petit salon tout à fait charmant, mais pour l'heure, totalement vide. Prenant son mal en patience, Mathilde s'approcha de la fenêtre pour admirer encore un peu plus les jardins. Un miroir posait sur la cheminée lui renvoya le reflet d'une jeune fille aux cheveux blonds ébouriffés par le vent, elle prit donc quelques secondes pour remettre de l'ordre dans sa coiffure, puis dans sa tenue.

Quand la porte s'ouvrit enfin ce fut pour laisser entrer la fameuse Maélyne de Lourmel. Si Mathilde en avait beaucoup entendu parlé, elle n'avait jamais eu le plaisir de la rencontrer et c'est très sincèrement qu'elle lui adressa un franc sourire. La jeune femme devait avoir le même âge qu'elle, ou quelques années de plus, et elle était extrêmement belle bien qu'elle affiche un air tendu... mais la situation politique actuelle ne devait pas lui permettre de se montrer frivole. Lorsqu'elle lui adressa une révérence Mathilde tiqua légèrement mais ne fit aucun commentaire et elle lui rendit son salut avant de la suivre près de la petite table dressée.

« - L'honneur est partagé Dame Maélyne. »

Mathilde lui adressa un nouveau sourire et s'installa sur la chaise en face d'elle. Une fois assise elle se surprit à penser qu'il y avait bien longtemps qu'elle n'avais pas partagé une entrevue comme celle-ci avec une personne du rang de Maélyne. Avant c'était habituel, Mathilde avait toujours aimé ce genre de mondanité, avant Kiel, avant son voyager vers Thaar... cela lui semblait si loin et si désuet qu'elle se sentit sourire un peu plus, comme si la nostalgie de se souvenir avait quelque chose d'heureux. Mais avant que le silence ne s'éternise elle croisa le regard de mon hôtesse.

« - Je voulais d'abord vous remercier pour votre hospitalité, votre château est vraiment très beau et vos jardins sont merveilleux, j'ai beaucoup apprécié m'y promener ces derniers jours... En revanche, je suis vraiment confuse de m'être imposée chez vous ainsi. Nous n'avons jamais été présenté et je comprends que vous puissiez trouver ma requête cavalière...

En effet c'était bien normal. Elle n'avait trouvé aucun prétexte, aucune véritable raison valable pour demander une entrevue à cette femme, pourtant Mathilde se tenait là dans son salon à lui faire perdre ce temps qui devait lui être si précieux. Elle se sentit soudain légèrement gênée par son intrusion, la Mathilde qui aurait trouvé tout à fait normal d'être là quelques années auparavant était bien loin aujourd'hui

« - J'imagine que vous n'avez que très peu de temps pour vous, vous devez avoir mille chose à penser et à faire... et moi je suis là à vous voler ce temps. »

Mathilde culpabilisait comme elle l'avait fait lorsque Jérôme avait été de passage à Bastylle et qu'il n'avait pu passer que très peu de temps avec elle.

« - Je prie Néera pour que cette guerre finisse vite, j'aimerai retrouver mes deux frères, j'aimerai arrêter de m'inquiéter pour eux...» elle s'interrompit quelques secondes, sentant qu'elle avait perdu son sourire, elle fit un effort pour le percher à nouveau sur ses lèvres.

« Ne soyez pas confuse, ma Dame. Tout le monde est la bienvenue à Lourmel, en tout temps. » Lui répondit-elle d’abord pour rassurer la jeune femme. Jamais Maélyne n’accepterait que quelqu’un se sente rejetée par Lourmel. Certes, la Dame était en froid avec son frère, et bien plus qu’il ne l’était avec son propre suzerain, Aymeric. Maélyne avait en quelque sorte… été très déçue de son comportement. Celui qui se disait être un ami l’avait quelque peu trahit. « Je m’accorde le temps nécessaire quant à l’accueil de mes invités. Ce serait plutôt à moi de m’excuser de ne pas vous avoir reçu plutôt mais il se trouve que mon oncle est souffrant, je me devais de lui tenir compagnie à son chevet. » Lui dit-elle sans réellement réfléchir à la révélation qu’elle venait de faire. Mais qu’importe, la politesse aurait voulu que la Dame d’Etherna soit reçue au plutôt, ce que Maélyne n’a pas pu faire. « Je comprends que vous soyez inquiète pour vos frères, ma Dame. Nous avons tous quelqu’un… qui se situe au front. » Sa pensée se tournait évidemment vers ses nombreux cousins, et oncles. Mais elle ne put s’empêcher de penser à Roderik. Maélyne tenta de garder une expression des plus neutres, elle cachait déjà si bien son état à son propre entourage, ce n’était pas le moment de le révéler à la sœur de Jérôme. « Mais, aussi loin que remontent mes souvenirs… Votre frère, Jérôme de Clairssac, le Baron d’Etherna n’a jusqu’alors encore perdue aucune bataille ! La Damedieu doit veiller sur lui et je suis certaine qu’il mènera le nord à la victoire aux côtés des autres seigneurs partis à la guerre. » Elle s’arrêta un instant, son expression changea, elle devint moins rigide, moins dure, moins enfermée sur elle-même. « Il n’y a pas un seul jour où je ne prie pas pour chaque homme partit. Pour chaque personne ayant décidé de quitter femme, enfants et famille pour nous garantir une nouvelle paix. » Maélyne prit une gorgée de son thé, qui lui réchauffait en même temps les mains. « Si vous le souhaitez, ma Dame, nous pourrions prier ensemble, je dois justement me rendre auprès des orphelins du temple, souhaiteriez-vous m’accompagner ? »

Mathilde fut rassurée par les paroles de la Dame de Lourmel. Bien qu’elle lui prenne du temps pour pas grand-chose, elle se tenait là devant elle et buvait son thé comme si elle se connaissait déjà. Mathilde retrouva son sourire et but une gorgée du liquide fumant tandis qu’elle l’écoutait parler de son oncle souffrant et des hommes partis au front. Lorsqu’elle prononça le prénom de Jérôme, la sœur de ce dernier stoppa son geste avant de reposer sa tasse sur la soucoupe qu’elle tenait dans son autre main. Effectivement Jérôme n’avait encore perdu aucune bataille et elle priait fermement pour que cet état de fait perdure.

« - Vous êtes bien plus bonne que moi dans ce cas. Je confesse que mes prières ne sont adressées qu’à mes frères. Je n’ai plus qu’eux comme famille… les perdre… cela me serait insupportable. »

Oui elle n’avait plus qu’eux. Même si dans les faits sa mère était toujours de ce monde, Mathilde ne comptait plus sur elle, elle ne voulait plus en entendre parler. Ces dernières ennéades elle avait essayé de renouer le dialogue et même si dans un premier temps tout c’était plutôt bien passé, depuis la mort de Kiel s’était une toute autre histoire.
Penser à son fils lui serra le cœur brusquement et elle tourna la tête vers la fenêtre pour tâcher de dissimuler les larmes qui menaçaient de lui échapper.
Maélyne proposa alors de se rendre au temple pour prier ensemble, sur le moment Mathilde resta muette, surprise qu’elle lui propose une chose pareille. La prière était quelque chose de profondément intime et à part avec les membres de sa famille, la jeune femme ne s’était jamais rendue dans un temple avec quelqu’un d’autre.

« - Si ma présence ne vous dérange pas alors je veux bien vous accompagner. Et cette fois je n’oublierai pas de prier pour tous ceux qui sont partis se battre. »

Elle avait parlé des orphelins du Temple et ces mots réveillèrent à nouveau des souvenirs de Kiel, endormi dans les bras d’une Lyse méfiante.

« - Peut-être n’êtes-vous pas au courant, mais le cycle dernier j’ai pris à ma charge deux enfants de l’orphelinat du temple d’Etherna. Lyse est venue avec moi, si cela ne vous dérange pas j’aimerai qu’elle nous accompagne. »

« Ma Dame… » Commença-t-elle.  « Ne soyez pas trop sévère avec vous-même. » Maélyne marqua une pause, comme si ce qu’elle souhait avouer la gênait profondément. « Je pense que mes prières s’adressent à chaque homme car je n’ai tout simple plus personne qui m’entoure… Vous avez une chance inouïe d’avoir vos frères et votre mère… » La jeune femme ne dit pas un mot de plus, l’évocation, même voilée, de sa sœur lui fit monter les larmes aux yeux. Mais aucune ne prit le risque de perler sur sa joue. « J’accepte volontiers la présence de Lyse. Certains enfants seront sans doute contents de rencontrer d’autres orphelins qui ont eu la chance de trouver un foyer. » Sur ces mots, Maélyne invita Mathilde à la rejoindre dehors d’ici une quinzaine de minutes. Quitte à faire venir Lyse, Maélyne comptait bien en profiter pour intégrer sa propre fille également. Aline était certainement en train de suivre les enseignements de ses maîtres mais ils ne verraient certainement pas d’inconvénients à ce qu’elle fasse une pause pour aller prier la Damedieu.  Un quart d’heure passa et les quatre –femmes- montèrent dans le carrosse qui les mènerait en ville.

Le voyage ne fut pas si long, à peine une dizaine de minutes. Le temple n’était pas le plus grand de la région, et c’était bien pour cela que le nombre de place pour les blessés et les orphelins étaient plutôt réduit. Elles étaient toutes sorties lorsque le petit groupe d’enfant se précipitèrent à l’extérieur pour accueillir la Dame. D’un sourire, Maélyne se retrouva bien vite entourée de toutes ces petites têtes. C’est là qu’ils purent entendre un cri. Une femme, paysanne, s’avança, en pleurs, complètement désespérée alors qu’elle tenait au sein de ses bras, un petit corps ensevelis sous une couverture. Elle pleurait à chaudes larmes tout en implorant Maélyne.

« Je vous en prie… pitié… » Pouvait-on déchiffrer entre ses plaintes et ses pleurs. « Ma Dame, je vous en prie… » Les enfants s’écartèrent puis Maélyne s’approcha malgré le refus de ses gardes. « Calmez-vous… dîtes-moi donc ce qui vous chagrine ? » Là, la paysanne révéla ce que contenait sa couverture. Un enfant, un petit enfant qui au vu de sa corpulence devait tout juste avoir l’âge d’Aline. « Il est malade, il respire presque plus… Les prêtres ont essayés, l’herboriste à essayé… personne n’a réussi, je vous en prie, ma Dame… je vous en prie… » La femme se remit à pleurer. « Il ne me reste que lui… Mon époux et mes ainés sont mort en Oësgard… Je ne veux pas le perdre, lui aussi. » Continua-t-elle avant de se mettre à genoux.  Maélyne sentit son cœur se serrer, que pouvait-elle donc faire si les prêtres et les herboristes avaient échoués ?  Ce sentiment d’impuissance la troubla énormément et la colère commença à monter. Cette femme semblait avoir déjà énormément perdu et pourtant la Déesse semblait s’acharner sur elle. « Qu’on emmène cette femme et son enfant au château pour que le garçon puisse être soignée par Fanehir et Orahil. » Aussitôt dit, aussitôt fait. La paysanne fut emmenée au château où les guérisseurs personnels de Maélyne pourront éventuellement faire quelque chose tout en respectant au maximum les règles d'hygiène pour ne pas propager les souffrances du gamin. La Dame reprit alors le chemin de son invitée pour s’excuser auprès d’elle. Puis, elle l’invita à entrer, là où leurs prières pourront -espérons-le- aider à vaincre la sombre menace.

Mathilde se rendit dans les appartements qu’on lui avait attribués depuis son arrivée à Lourmel. Elle y trouva Lyse, sagement assise, près de la fenêtre avec un gros livre sur les genoux. Depuis que la jeune fille avait appris à lire elle pouvait rester des heures à déchiffrer les pages d’épais volumes. Elle leva la tête et lui adressa un sourire si éclatant que cette marque d’affection serra le cœur de Mathilde. Comment ne pas craquer pour cette petite que la vie n’avait pas épargnée. C’était son rayon de soleil… le seul depuis la mort de Kiel. Rapidement elle lui expliqua qu’elles étaient invitées à rejoindre la Dame de Lourmel pour une visite au temple et à l’orphelinat de Néera. Lyse fut ravie par cette annonce et se précipita dans sa petite chambre pour récupérer sa cape et enfiler ses chaussures.
Quelques minutes après, assise dans le carrosse à côté de Maélyne, Mathilde se faisait la réflexion que l’image pouvait être surprenante. Lyse parlait beaucoup avec Aline, les deux fillettes semblaient s’apprécier, tandis que Maélyne et Mathilde n’échangeaient que de brèves politesses.
Le trajet ne fut pas long, mais il fut suffisant pour que Mathilde se rende compte qu’en plus de s’imposer à Lourmel, Maélyne devait trouver sa visite louche. Peut-être même voyait-elle dans sa présence, une manœuvre sournoise de Jérôme…. Elle s’apprêtait à lui en parler alors qu’elles descendaient du carrosse lorsque la Dame de Lourmel fut littéralement submergée d’enfant.

Elle répondait à leurs sourires avec le même, rempli d’amour et de douceur. Ce sourire que seules les mères pouvaient adresser à un enfant. A cet instant une femme, surgissant de nulle part, l’interpella en l’implorant de soigner son enfant. Mathilde put entrevoir le visage de l’enfant, si jeune, inerte… on aurait pu le croire déjà mort.
Mathilde resta à l’écart tandis que Maélyne s’occupait de gérer cette mère éplorée et son enfant malade, non pas parce qu’elle s’en fichait, mais parce que la vue de cet enfant malade  lui rappelait trop douloureusement celle de Kiel… La châtelaine décida d’envoyer au château l’enfant et sa mère pour qu’il puisse être soigné par ses médecins personnels. Finalement, il fallait convenir que les deux femmes qui se tenaient à cet instant sur le parvis du temple, se ressemblaient un peu.

« - Ce que vous venez de faire est très généreux de votre part. Je connais peu de gens qui aurait fait une chose pareille pour une dame de sa condition. » déclara-t-elle alors que Maélyne revenait vers elle en s’excusant. Elle tentait de dissimuler à quel point cette interruption l’avait secoué. « - Nous prierons ensemble pour que Néera guérisse cet enfant. »

Une fois dans le temple les enfants qui les avaient accueillis s’approchèrent d’une Lyse qui, visiblement, ne se sentait pas très à l’aise. Elle se revoyait sûrement en eux et elle se tourna plusieurs fois vers Mathilde, cherchant des réponses dans son regard.

« - Va jouer avec eux. Je ne serais pas loin ne t’inquiète pas. »

Un baiser sur le sommet de son crâne et l’instant d’après Lyse se trouvait fondu dans la masse. Mathilde suivit Maélyne dans le temple et s’installa près d’elle sur le banc en bois qui faisait face à la statue de la Déesse. Les offrandes fleurissaient ses pieds et apportaient de la couleur. Pendant plusieurs minutes Mathilde garda les yeux fermés et la tête baissée. Elle adressa ses prières à Néera, lui demandant de prendre  soin de ses frères, de les préserver de la mort, elle pria ensuite pour tous les hommes partis  se battre, pour ce petit garçon malade et pour tous les orphelins qui affluaient dans les temples à cause de cette fichue guerre. Et enfin, lorsqu’elle eut priée pour la Vie, elle adressa ses prières à Tyra, pour son père qui lui manquait tant depuis sa mort et pour Kiel qui avait emporté son cœur avec lui.

Lorsqu’elle ouvrit les yeux, ses joues étaient couvertes de larmes, comme à chaque fois qu’elle priait pour l’âme de son fils. Elle pouvait presque le voir tout souriant, gazouillant tandis qu’elle lui donnait son bain, elle pouvait l’entendre pleurer lorsqu’il avait eu cette poussée de fièvre qui ne l’avait pas inquiété… et elle pouvait le revoir sans vie…. Au milieu des draps froissés de son petit lit en bois.

L’image lui arracha un sanglot qu’elle ne put contenir davantage. Elle aurait dû se forcer, ravaler ses larmes et prétexter que tout allait bien, mais elle avait seulement besoin de le pleurer… parce que c'était la seule chose qu'elle pouvait faire à présent.

« - Je n’aurais jamais la force…. » murmura-t-elle en s’adressant à Néera entre deux sanglots silencieux.

Toute deux dans le temple, elles étaient installées sur des bancs en bois tout comme d’autres Lourmellois venus adresser leurs espoirs à la Damedieu. Maélyne s’adressa à Néerra, silencieusement dans un premier temps. La jeune femme avait tant de questions à lui poser. Où était-elle en ce moment ? Pourquoi ne donnait-elle plus aucun signe ? Avait-elle abandonné les hommes à leurs tristes sorts ? Le royaume avait éclaté, le Nord subissait d’innombrables pertes issues de l’invasion des noirelfes. Pourquoi ne faisait-elle rien ?

La Dame hésitait, elle se questionnait, puis se reprit de plus belle. « Veillez excusez mon manque de confiance, cela ne se reproduira plus. » lâcha-t-elle dans un souffle à peine audible pour ceux qui l’entouraient. Elle adressa ensuite ses prières au peuple d’Oësgard, aux hommes d’épées, courageux et vaillants, à sa fille pour qu’elle garde sa parfaite santé, à sa cousine ; Cécilie, pour qu’elle garde son cœur d’or, puis... ses pensées se tournèrent vers Roderik et son visage se noircit alors. Cela faisait plusieurs ennéades qu’il était partit à la guerre et elle n’avait reçu aucune nouvelles de sa part. Ô oui, elle avait pensé lui envoyer une missive, elle en avait écrit des pages et des pages, mais elle n’eut jamais le courage de l’envoyer. Peut-être qu’un jour, elle scellera le vélin.

Ce sont des larmes, et un sanglot qui fit revenir Maélyne à elle. Tournant la tête, elle vit la Dame de Clairssac en pleurs. La première réaction de Maélyne aurait été de se lever, pour la rejoindre et lui proposer une balade, mais ils étaient dans un temple, celui de la Damedieu, et vu le chagrin que porte Mathilde en son cœur, seule la Déesse lui serait d’un secours. Néanmoins, la jeune femme se permit de prendre la main de son invitée pour ensuite la serrer d’une force encourageante. Son regard se fit doux et compréhensible. La sœur du baron avait certainement de bonnes raisons d’exprimer ainsi sa tristesse, néanmoins ces raisons ne regardaient en rien la Dame de Lourmel.

Soutenant comme elle le pouvait la Dame de Clairssac, un prêtre vint alors à leurs rencontres. Lorsqu’il s’assura que les prières des deux femmes furent terminées, il s’adressa à Maélyne. Ils leurs souhaita la bienvenue dans la demeure de la Damedieu avant de lui parler de la guerre actuelle en Oësgard et des prêtres dépêchés sur place depuis l’épidémie de peste.

Elles sortirent du temple, retrouvant leurs enfants. Aline était restée auprès de sa mère depuis leur arrivée, Maélyne tenait à ce que sa fille prie Néera le plus possible. Le soleil brillait, l’été venait de commencer, les températures n’étaient pas encore chaudes au point d’apprécier une robe légère mais les rayons du soleil suffisaient à réchauffer un minimum. « Accepteriez-vous de m’accompagner pour une balade en ville ? » Demanda-t-elle à son invitée. « Le soleil nous permet de faire une petite balade à l’air libre. Cela nous changera des habituels bureaux. » Elle fit une légère pause. « Après tous, nous sommes censés nous entretenir, corrigez-moi si je me trompe mais je pense que vous avez quelque chose à me demander ? »

Il fallut à Mathilde tout le temps que dura la conversation entre la Dame de Lourmel et le Prêtre de Néera pour retrouver une contenance. Certes ses yeux étaient encore rouges et les traces de ses larmes maculées ses joues, son cœur lui faisait mal mais bizarrement, elle se sentait apaisée. Comme si les pleurs étaient un mal nécessaire. La jeune femme savait parfaitement qu’elle ne tarderait pas à ressentir à nouveau le poids de cette terrible perte mais en cet instant, dans ce temple, elle avait l’impression que la Damedieu s’était penchée sur elle pour la réconforter.
Lorsqu’elle retrouva Lyse, Mathilde vit immédiatement que la fillette avait pleuré. Quelques secondes de battement durant lesquelles elles se regardèrent puis Lyse se précipita vers elle pour serrer ses petits bras autour de sa taille.

« - J’ai cru que comme Kiel n’était plus là… j’ai cru que tu voulais me ramener ici. »
« - Par les Cinq, Lyse, combien de fois devrais-je te le répéter. Tu n’es peut-être pas ma fille, mais c’est tout comme d’accord. On sera toujours là l’une pour l’autre d’accord. Comme à Thaar, comme à Hiviène. »

Mathilde s’était baissée devant elle et la serrait dans ses bras. Consciente qu’elle s’était donnée en spectacle, Lyse adressa de timides excuses à Maélyne avant de venir prendre la main de Mathilde. Elles devaient avoir fait une drôle d’impression sur la Dame de Lourmel et celle-ci devait avoir hâte de retourner à ses occupations habituelles.
Au lieu de ça, la châtelaine leur proposa de faire une promenade dans les rues de la ville. C’était une très belle journée et il fallait reconnaître que l’idée de retourner s’enfermer dans le château n’était pas vraiment du goût de Mathilde, aussi la jeune femme adressa un sourire à son hôtesse.

« - Nous acceptons avec plaisir. Il fait bien trop beau pour retourner entre quatre murs vous avez raison. »

Les derniers mots de Maélyne rappelèrent à l’Ethernoise la raison de sa présence à Lourmel, ou plutôt le manque de raison. Certes elle était là parce que Jérôme lui avait demandé de tenter de comprendre pourquoi les liens d’amitié qu’il avait noué avec Lourmel, ne semblaient plus être les mêmes à présent.
Alors qu’elles quittaient le temple à pied, Lyse et Aline juste devant elle, Mathilde adressa un regard à Maélyne.

« - Quelque chose à vous demander ? Non … non ce n’est pas vraiment cela.
Voyez-vous j’ai été longtemps tenu à l’écart de la politique, d’abord parce que je ne suis que la sœur du Baron d’Etherna et ensuite parce que selon les dires de ma mère : cela ne sied pas à une Dame de se mêler d’affaires d’hommes. Cela m’allait très bien à l’époque et croyez-moi cela me convient très bien aujourd’hui aussi. Je préfère laisser cela à Jérôme.
Mais ces derniers temps… disons que l’inaction me pèse beaucoup. Je ne supporte pas l’idée de rester enfermer dans un boudoir pour faire de la couture, ou même pour lire, quand je sais que des milliers d’homme se battent au péril de leurs vies pour préserver la nôtre. »

C’était bien la première fois qu’elle exprimait à haute voix de tels sentiments. Aussi avait-elle l’impression qu’elle ne s’expliquait pas comme elle l’aurait voulu, que tout était brouillon. Mais elle continua tout de même.

« - J’ai rendu visite à Jérôme il y a quelque jours alors qu’il se trouvait à Bastylle et je lui ai demandé comment je pouvais l’aider… Vous vous doutez bien qu’il préfère me savoir entre quatre murs pour ne pas avoir en plus à se préoccuper de ma sécurité. Il m’a bien évidemment parlé de la guerre mais aussi d’amitiés qu’il croit gâchée… notamment la vôtre. Je ne suis pas venue pour vous apporter un quelconque message, ni pour vous convaincre de la bonne foi de mon frère, à vrai dire je ne sais même pas quel est l’objet de votre mésentente… Mais j’étais curieuse de vous rencontrer.
Et puis, il y a cette guerre et je pensais que nous pourrions l’affronter ensemble. Parce que même si nous ne sommes pas au front… ici aussi il y a des choses à faire. Je suis venue vous proposer mon aide. »

C’était sûrement cette visite au temple qui avait fini de la convaincre. Néera peut-être qui lui soufflait un moyen de s’occuper l’esprit et les mains.

« - Au Temple, ils n’ont peut-être pas assez de monde pour soigner les blesser, pour s’occuper des orphelins, pour aider dans les cuisines, oh et je peux même me rendre utile à la chasse et pourquoi pas dans les champs… la saison des récoltes approchent et il n’y a peut-être plus assez d’homme pour…enfin… Bien sûr je peux comprendre que vous n’ayez pas besoin de moi dans vos pieds….! »

Maélyne n’arrivait pas à croire ce qu’elle entendait. Pendant un moment, elle doutait fortement de l’identité de son interlocutrice, au point de se demander si une intervention des gardes pour une éventuelle arrestation n’était pas nécessaire. Comment pouvait-on avoir si peu d’estime pour le rang que l’on porte ? «Ma Dame, avec tout le respect que je vous dois. Votre place n’est pas au temple, ni dans les cuisines et encore moins dans les champs. » Elle fit une légère pause. « Permettez-moi de me rectifier. Votre place n’est pas au temple de Lourmel, ni dans mes cuisines et encore moins mes champs. Vous semblez oubliez… la tension qui règne entre le marquisat de Serramire et la Baronnie d’Etherna. Si la cour de votre frère apprend que vous… gaspiller votre temps à aider « l’ennemie » que je suis, je doute que votre Frère n’en pâtisse pas de vos actes. » La Dame refit une pause, s’arrêtant même de marcher. « Puis…  m'estimez-vous pas assez apte à m'occuper de mes gens qu'ils soient dans mes champs ou dans ma cuisine? Etherna, vidés de ses nobles n'a-t-elle pas besoin de la présence de la soeur du Baron pour encourager le peuple à garder bon moral? » Elle regarda autour d’elle. « Tous ces hommes partis à la guerre, laissant femmes et enfants derrière eux. Tous ces gens qui espèrent leurs retours… Ne croyez-vous pas, que votre sourire pourrait les apaiser ? Ne sous-estimez pas la nécessité de la présence d’un seigneur, cela réconforte bien plus que vous ne le pensez. Montrez-leurs que vous êtes à leurs côtés, que vous vous souciez d’eux, car eux se soucie pour vous, Ma Dame. » Elle se remit à marcher.

Une certaine tension s’était installée. Sans doute que la répartie de la Dame de Lourmel avait été quelque peu déplacée, mais c’était ainsi. La franchise était sa principale qualité, même si celle-ci n’avait pas sa place partout, ni avec n’importe qui. Une fois rentrée au château, la Dame invita toutefois Mathilde à rester un ou deux jours de plus. Maélyne se doutait bien qu’elle n’était pas venue en vain, et que cela avait un lien avec Jérôme. Mais pour aujourd’hui, elle n’avait plus le moral à la discussion.

Les paroles de la Dame de Lourmel avait profondément bouleversée Mathilde. Si sur le moment elle n’avait rien dit, elle les avait réentendu résonner à ses oreilles. D’abord elle avait eu envie de lui dire qu’elle se trompait, que sa présence à Etherna de faisait aucune différence. Car même si elle était la sœur de Jérôme de Clairssac, Baron d’Etherna, elle n’avait aucun poids là-bas, personne ne se souciait d’elle, elle n’avait ni terre, ni de bien à administrer alors qui pouvait bien se soucier de son sourire.
Mais la nuit portant conseil, Mathilde se rendit compte de la véracité de ses paroles. Certes il y avait le problème politique actuel entre Serramire et Etherna et elle s’était montrée stupide de proposer son aide à Maélyne. La Dame de Lourmel n’avait pas eu d’autre choix que de la refuser, et même si sa franchise lui avait fait l’effet d’une gifle, il fallait reconnaître que la jeune Ethernoise voyait les choses bien différemment à cet instant.
La Cour d’Etherna ne se souciait peut-être pas de la Sœur du Baron, encore que les paroles de son hôtesse la fassent à présent douter de cette affirmation, mais à Hiviène … Là-bas elle n’était pas « personne », il y avait des gens qui comptaient sur elle. Certes il y avait sa mère, mais peut-être que si elle lui faisait savoir son désir de s’investir dans les affaires du domaine, peut-être qu’elles arriveraient à enterrer la hache de guerre définitivement. Le pardon… pour le moment Mathilde en était incapable, mais elles pouvaient trouver un terrain d’entente, un juste milieu.

C’était exactement cela qu’elle recherchait depuis tout ce temps. Sa place. Elle avait toujours été traité en petit oisillon fragile jusqu’à l’année dernière … Son écart de conduite lui avait alors valu l’abandon total de sa mère et la déception de ses frères. Mais toujours rien qui puisse lui donner l’impression d’être utile. Sa mère gérait Hiviène d’une main de fer, Jérôme était Baron, et Guillaume était le bras droit de son frère… Peut-être son père avait-il pensé la marier plus tôt… Et personne n’avait imaginé que cette vie oisive finirait par ne plus lui convenir.

Il avait fallu qu’elle croise la route de Maélyne de Lourmel pour qu’elle réalise enfin tout ce qu’elle pouvait accomplir. Elle retournerait à Hiviène, parlerait à sa mère et prendrait enfin en main sa vie et son avenir. Et pour ça, nul besoin de s’enfuir à Thaar.

« Votre mère est très souffrante… elle ne survivra probablement pas…. » Ces mots, Mathilde les voyait défiler devant ses yeux sans arrêt tandis qu’elle se dirigeait d’un pas rapide vers les appartements de Dame Maélyne. Un garde se trouvait dans le couloir, près de la porte, et lorsqu’il la vit arriver il lui barra la route. Elle n’avait pas le temps de parlementer, elle  devait voir la Dame de Lourmel pour l’avertir de  son départ précipité, pour la remercier de son hospitalité, pour lui demander un service qu’il lui coûtait de formuler… Non pas le temps de bavarder avec le garde.

« -  Faites savoir à Dame Maélyne que Mathilde de Clairssac souhaite la voir. Il s’agit d’une affaire urgente, je ne la dérangerai qu’une minute. »

Quand le garde revint pour lui faire signe d’entrer, Mathilde ne se le fit pas dire deux fois. Elle pénétra dans la pièce et salua Maélyne d’un inclinaison de la tête.

« - Je suis vraiment désolée de vous déranger à une heure pareille et sans m’être fait annoncer plus tôt, mais je ne pouvais pas quitter Lourmel sans vous avoir remerciée pour votre hospitalité.
Je dois partir sur le champ pour Hiviène, j’ai reçu des nouvelles … de mauvaises nouvelles au sujet de l’état de santé de ma mère … et je ne peux pas … Il faut que je rentre immédiatement. »

Traversant la pièce pour se trouver face à la Dame de Lourmel, Mathilde attrapa l’une de ses mains et serra doucement ses doigts.

« - Je ne vous remercierai jamais assez pour ce que vous avez fait pour moi. Vous n’en avez peut-être pas conscience, mais notre dernier entretien m’a ouvert les yeux. Je cherchais ma place et vous m’avez aidé à la trouver. Merci Dame Maélyne. Et merci pour le temps que vous avez bien voulu m’accorder. Vous ne serez jamais pour moi une ennemie, quoi qu’en pense les nobles qui régissent nos vies, et vous serez toujours la bienvenue chez moi à Hiviène.
Avant de partir, j’ai un dernier service à vous demander… J’ai bien conscience que j’abuse de votre gentillesse et de votre hospitalité, mais je pars sur l’heure et si je puis me vanter d’être une bonne cavalière, ce n’est pas le cas de Lyse et je ne veux pas lui infliger un pareil voyage. Puis-je vous la confier quelques jours ? Je serai plus rassurée de la savoir ici plutôt que sur la route… et je vous promets de venir la chercher le plus tôt possible. »

Elles étaient rentrées et Maélyne avait invitée Mathilde à rester autant de temps qu’elle le désirait. Portant son attention sur la femme du village, rencontrée précédemment, malheureusement même les guérisseurs du château n’ont rien pu faire pour son enfant. Il était déjà trop tard. La femme repartit alors, le cœur brisé, laissant une Maélyne prise au désarroi et à la colère. Personne ne méritait de perdre son enfant, personne, même pas cette femme, surtout pas cette femme. Un nom de plus figurerait à présent dans ces prières.

De retour dans son bureau, son invitée, Mathilde de Clairssac vint la trouver précipitamment. Il ne fallut pas longtemps à Maélyne pour s'apercevoir qu’elle avait un problème. Son émotion et son expression prouvait qu’elle était anxieuse. Ses paroles ne firent que confirmer ses doutes. « Ne vous excusez pas, Dame Mathilde. Vous êtes ici chez vous et je suis à votre disposition. Votre mère est souffrante et il me parait tout à fait logique que vous rentriez au plus vite. Je m’occuperais de Lyse et ce, comme si elle était ma propre fille. N’ayez donc aucune crainte à son égard, sa sécurité sera assurée. » Sur ces paroles, Mathilde partit, rentrant chez elle à Hiviène en Etherna.

Chose promise, chose due, Maélyne fit en sorte que la petite Lyse se sente comme chez elle, et ce, au détriment du stock de fraises.

Mi-5ème ennéade de Vérimios

« Ma Dame, la Dame de Clairssac est de retour. » Pouvait-elle entendre en bruit de fond. « Très bien, j’arrive. »

La jeune femme prit la direction du rez-de-chaussée où elle aperçut la sœur du Baron.

Mathilde était revenue à Lourmel depuis moins d'une heure mais elle s'était d'abord précipitée dans la chambre qu'occupait Lyse pour retrouver sa fille. Elle avait été séparé d'elle bien trop longtemps et, même si elle la savait parfaitement en sécurité, elle n'avait pu s'empêcher de s'inquiéter pour elle. C'était la première fois que Mathilde laissait Lyse seule, la première fois qu'elle ne passait pas la nuit près d'elle.
Rassurée de l'avoir retrouvée entière et visiblement ravie, Mathilde avait fait appeler sa servante.

Anaïs l'avait aidé à se changer et à enfiler une robe décente quoique sombre. Elle n'oubliait pas le deuil qu'elle portait à présent et le ruban noir qui retenait ses cheveux pouvait en témoigner. Les relations avec sa mère avaient été très compliquées ses derniers mois mais elle lui devait bien cet ultime hommage.
Après avoir quitté sa chambre et une Lyse surexcitée, Mathilde avait rejoint le hall pour demander si la Dame de Lourmel acceptait de la recevoir.

Elle n'eut guère à attendre car bientôt elle vit la Dame arpenter le couloir qui menait à elle. Un sourire étira ses lèvres tandis qu'elle la saluait d'un signe de tête respectueux. On pouvait voir à son teint pâle et à son regard fatigué que les jours qui venaient de passer n'avaient pas été de tout repos. Endeuillée par la mort de sa mère, moins d'un mois après la mort de Kiel, seule à attendre le retour de ses frères toujours à la guerre0

« - Dame Maélyne, je suis heureuse de vous revoir. »

Redressant la tête, elle croisa le regard de la châtelaine. Les tensions entre Serramire et Etherna existaient toujours et même si Mathilde les déplorait, elle ne pouvait pas nier cet état de fait et agir comme si de rien n'était. Pourtant la Dame de Lourmel s'était occupée de sa fille et acceptait de la recevoir une nouvelle fois dans sa demeure. Même si à ce stade elles n'étaient encore que des inconnues l'une pour l'autre, Mathilde lui serait éternellement reconnaissante pour ce qu'elle avait fait pour elle.

« - Permettez que je vous remercie une nouvelle fois pour votre générosité. Merci d'avoir veillée sur ma fille, merci de tout cœur. J'espère qu'elle ne vous causait aucun dérangement, je sais son caractère empressé et enjoué... »

La Dame était habillée sobrement et un nœud noir retenait ses cheveux. Maélyne avait été mise au courant du décès de la Dame d’Hiviène, Mère de Jérôme mais également de Guillaume et forcément… de Mathilde. Elle venait elle-même de connaître la perte d’un être cher il y a quelques ennéades de cela. Certes, il n’était qu’un grand-oncle, intendant de Lourmel, mais pour Maélyne il était plus que cela. Il était devenu un père de substitution. Son décès l’a alors beaucoup affectée mais il fallait surmonter le chagrin et continuer à vivre. A croire que Maélyne avait en elle un énorme récipient où elle enfermait toutes ces mauvaises émotions pour le sceller sans se demander les dégâts que cela pourrait engendrer si celui-ci venait à déborder…

Mais qu’importe, l’heure n’était pas à son propre deuils, ses propres deuils, mais celui de la Dame de Clairssac. Accompagnée de Lyse qu’elle était sans doute allée chercher directement en arrivant, ce que Maélyne comprit aisément. Être séparé de son enfant, même s’il était adopté, pour une mère, c’était sans doute la pire épreuve qu’on pouvait éprouver.

« Lyse n’a en aucun cas causé de dérangement. Elle a passé son temps à découvrir le château et ses nombreux secrets, à lire des livres et à manger tout notre stock de fraises. » Dit-elle en riant légèrement avant de reprendre un semblant de sérieux. « Je vous présente toutes mes condoléances pour votre Mère, ma Dame. Que Tyra veille sur son âme, elle fera dorénavant partie de mes prières. » Maélyne avait pris la main de la belle blonde, l’enfermant entre les siennes, adressant un sourire de compassion. « Si vous avez besoin de quoi que ce soit ma Dame, n’hésitée surtout pas. » Elle invita alors la Dame à faire quelques pas. « Nous venons d’apprendre la victoire de la Coalition. Les drows ont été boutés en dehors de nos… des terres d’Oësgard. » Peut-être valait-il mieux pas trop parler de politique, surtout entre deux femmes qui au fond n’avaient aucun poids. « Vos frères se portent bien et sont dorénavant aux côtés du Marquis. Ils semblent avoir fait… la paix ? » Un sourire revint sur son visage, comme soulagée d’être enfin à nouveau « libre »

Bien que légèrement gênée, Mathilde ne put s'empêcher de rire également lorsque la Dame de Lourmel lui déclara que son stock de fraise avait pâti de la présence de la jeune De Clairssac. Un regard amusé vers Lyse puis elle reporta son attention sur Maélyne qui lui présenta ses condoléances.
Les nouvelles allaient vite visiblement, et quoi que légèrement déstabilisée par ses mots empreint de sincérité, Mathilde remercia son hôtesse en serrant ses mains dans les siennes.

« - Je vous remercie pour vos prières. Elle est partie si vite que … nous n'avons pas eu le temps de tout nous dire... Mais là vie est faite ainsi. Je n'ai plus que mes frères et ma fille à présent. »

Et s'était déjà beaucoup, se força-elle à penser. Elle suivit alors la Dame qui souhaitait visiblement faire quelques pas avec elle. Ses premières paroles firent pourtant stopper net l'Ethernoise... Ses frères étaient sains et saufs...La guerre était finie... et Jérôme avait trouvé le pardon du Marquis. Tant d'informations en si peu de mots... Un léger tremblement parcouru la jeune femme tandis qu'elle luttait pour contenir ses larmes.
Il ne lui restait que ses frères et toutes ses ennéades elle avait tremblé pour eux, elle avait prié chaque jour la Déesse de les protéger... apprendre qu'ils allaient bien, qu'elle les reverrait bientôt et que plus aucune menace ne pesait sur sa famille... Apprendre tout ça fit voler en éclat les barrages qu'elle avait dressé pour pouvoir tenir le coup.
Malgré ses efforts, elle ne put se retenir d'avantage et si elle parvint éviter les sanglots qu'elle ne réservait qu'à ses moments de solitude, la Dame se tourna tout de même vers la fenêtre pour se donner un minimum de contenance. Non pas que pleurer devant une autre femme la gênait … mais elles n'étaient pas les seules à arpenter ses couloirs et s'était plus sa pudeur qui la faisait se détourner ainsi plutôt qu'un excès de bienséance.

« - Je suis désolée... Je... Vous n'imaginez pas à quel point ce que vous m'annoncez là... me soulage. »

Peut-être que c'était le simple fait de ne plus avoir cette réserve obligatoire lorsqu'elle s'entretenait avec une Dame de Serramire, à moins que ce soit tout simplement la joie de cette annonce... quoi qu'il en soit Mathilde se sentait soudain plus libre.

« - Je n'ai pas revu mes frères depuis de nombreuses ennéades... Et Guillaume... j'ai tellement de chose à me faire pardonner de lui. Tellement de chose que j'ai besoin de lui dire et qu'une lettre ne permet pas d'exprimer. Je ne l'ai pas revu depuis... »

La mort de Kiel.
Passant ses mains sur ses joues pour essuyer les larmes qui y coulaient toujours, Mathilde fit un effort pour se reprendre. Elle avait partagé sa souffrance avec Jérôme, elle avait pleuré dans ses bras. Mais Guillaume... Depuis qu'il avait appris qu'elle portait un enfant, leur relation n'avait plus vraiment été la même.

« - Pardon, je ne veux pas vous embêter avec mes histoires de famille... Mais vous venez de... de me rendre une partie de moi-même. Merci d'avoir été la messagère d'une si heureuse nouvelle. »

Maélyne ne savait vraiment pas comment réagir face aux pleurs de Mathilde. Elle-même était soulagée d’apprendre cette nouvelle. Par respect, toutefois, elle ne réagissait pas tout de suite, laissant la sœur du Baron d’Etherna se reprendre de son côté, déjà que cela devait être gênant pour elle, autant ne pas en rajouter.  

« Sachez que vous ne m’embêtez pas, Mathilde. Et vous ne m’embêterez jamais. Je comprends votre soulagement, moi-même si j’avais de la famille partis à la guerre je n’aurais pas donnée cher de moi-même quant aux nombreuses larmes que j’aurais versés. » Elle fit une légère pause, posant sa main sur l’épaule de son invitée. « Vous frères sont saint et sauf maintenant, ils vont bientôt rentrer et vous pourrez reprendre le cours de votre vie. » Un léger sourire s’afficha, celui-ci se voulait rassurant et compatissant.

« Permettez-moi de vous inviter à grignoter quelque chose… d’autre que des fraises. » Son sourire s’agrandit.

Les deux jeunes femmes prirent le temps de partager un repas avant que la Dame d'Hiviène ne reprenne la route.