[Lourmel]M'accompagnerez-vous pour une simple balade ? [Cécilie]

La veille avait été morose. Aline et les exercices avec son professeur lui avait pris tout le temps que la prière n'avait pas emporté. Pas une note de musique n'avait ricoché dans l'air. Elle était restée agenouillée les mains en coupe dans le temple de Néera à ne plus en sentir ses rotules. Elle admirait le Capitaine qui l'avait accompagnée d'avoir supporter sans broncher toute sa piétée. Elle n'avait passé que quelques minutes avec les enfants les plus âgés pour les saluer avant de repartir. Après avoir sauté le petit déjeuné et le déjeuné, elle s'était résolue à descendre prendre son dîné avec Maélyne, armée de son éternel sourire serein...

La nuit n'avait pas été aussi agitée que l'avant veille mais le sommeil la fuyait toujours. Même en ingurgitant les deux doses préparés sur sa table de nuit, elle ne put fermer l'oeil qu'une paire d'heures.  Alors quand une femme de chambre toqua à sa porte pour l'avertir que Mathilde de Clairssac souhaitait la voir, elle ne se fit certainement pas prier. En quelques minutes Rose avait finit de la coiffer et d'ajuster sa confortable robe grise.

Les couloirs disparurent rapidement sous leurs pas jusqu'à la porte épaisse qui les attentait. La main sur l'épaule de sa suivante, Cécilie vérifia distraitement les replis de sa robe pendant que Rose frappait deux coups avant d'entrer.

Aussitôt que le battant tourna sur ses gonds, l'éternel sourire tendre et le maintien impeccable de la jeune Missédoise réapparurent.

-Dame de Clairssac, vous avez demandé à me voir ? Veuillez m'excuser. J'aurai du vous saluer hier mais je craignais de vous ayez trop à faire pour perdre du temps avec moi.

Rose l'avait amenée jusqu'au centre de la salle, déposant sa main sur le dossier d'une banquette. La noble demoiselle gardait humblement baissés ses yeux bleu si ordinaires à première vue. Une habitude souvent nécessaire pour ne pas mettre mal à l'aise ses interlocuteurs.

-Avez-vous fait bon voyage ?

Cécilie fut littéralement prise à la gorge par la proposition de Mathilde. Elle s'attendait à beaucoup de choses… Mais une seconde proposition de promenade à cheval en deux jours… Voilà un tour pendable d'Arcam. Elle demanda intérieurement l'appui de la Dame-Dieu pour ne pas perdre son sourire. En autorisant implicitement Rose à quitter la pièce, elle ne se doutait pas que cela tournerait ainsi…

Son premier réflexe fut de secouer légèrement la tête. Il n'était pas question qu'elle fasse de nouveau une folie pareille. Et elle penserait bien trop… Elle aurait tout le temps de penser…

Mais elle avait de toute façon beaucoup trop de temps pour penser. Alors lorsque la jeune femme lui dit très honnêtement avoir envie de fuir le château pour quelques heures, la décision à prendre lui paraissait nettement moins clair.

Quitté le château, loin de ses gardes, des angoisses du capitaine, du regard de Maélyne et de Rose… Loin de toute obligation… Pour la première fois de ça vie sûrement, elle envisageait sérieusement cela, non pour quelqu'un d'autre, mais pour elle-même. Même pour quelques heures…

Elle frissonna.

Une frisson comme seuls peuvent en connaître ceux qui ont toujours respecter les codes et les règlements qu'on leur imposait sans faillir ni se poser de question lorsqu'ils se retrouvent au bord du gouffre.

« Je ne vous trouve pas égoïste le moins du monde, Mathilde. Et j'apprécie votre franchise plus que vous ne le pensez. »

Un sourire un peu plus franc, un peu moins heureux et un peu moins serein étira ses lèvres.

« Je vous préviens, sur un cheval je ne vaut rien, j'aurais besoin que vous me guidiez même à pied et je semble avoir un réel talent pour attirer les ennuis ces derniers temps. Mais si cela ne vous dérange pas, je serais ravie de vous accompagner quelques heures... »

Ou même plus ! Pensa-t-elle dans la fougue d'une décision aussi peu conforme au cocon de soie dans lequel elle se berçait depuis son enfance et qui n'avait que trop craqué ces dernières ennéades. Doucement elle tendit légèrement la main devant elle, espérant heurter le bras de sa compagne pour l'assurée de son approbation.

Cécilie sourit en sentant sa compagne se lever.

« Non je suis navrée, je n'ai rien de plus confortable... »

Une tenue plus adaptée ? Mettons... Le frisson de l'incconu courrait dans les veines de la jeune femme pour si peu...

« Et bien je vous suis. Ne vous donne pas la peine d'appeler ma suivante. Si vous me remettez les vêtements en main propre, ça devrait aller. »

Pas à pas, aussi fluidement que possible, la jeune femme suivit son amie du jour à travers les couloirs. Lorsqu'elle découvrit la « tenue plus adaptée », elle hésita une seconde. Rien qu'une. Elle n'était pas a ça près après tout. Et elle serait sûrement plus à son aise qu'en amazone. Et un détail de plus qui rendait cette sortie extraordinaire.

Il ne leur fallu pas beaucoup plus longtemps pour se rendre jusqu'aux écuries. L'odeur et les raclements des bêtes n'avaient pas changés. En poussant la porte, elle confia à Mathilde :

« J'ai déjà essayé de monter une fois. Béa, une jument al... ag... Je ne me souviens plus du terme. Veuillez m'excuser. »

HRP:

Mathilde n’en revenait pas, la jeune femme avait été si facile à convaincre que finalement elle en venait à se demander si elle n’avait pas elle aussi un besoin pressant de grands espaces et de liberté. Parfait, elles allaient donc s’entendre à merveille. Mathilde conduisit Cécilie jusqu’à ses appartements et elle l’aida du mieux qu’elle put avec les vêtements de monte qu’elle transportait toujours dans ses malles. Sur le moment la jeune femme sembla surprise par la présence de ce pantalon, mais elle fila derrière le paravent une seconde après et en ressortie transformée. Les robes qu’elle portait lui donnaient un air sage et paisible alors que cette tenue la faisait ressembler à une vraie amazone du Nord. Le pantalon en daim marron disparaissait sous une ample robe de la même teinte et la chemise blanche ajustée par un corset mettait la finesse de sa taille en évidence. Avec un petite sourire, Mathilde s’imagina que ce genre de moment elle aurait pu les vivre avec une petite sœur.
A son tour elle fila se changer puis regagna la chambre et s’approcha de sa coiffeuse. Avec doigté elle fit de ses cheveux une longue tresse blonde qu’elle noua avec un lacet noir.  Se tournant vers Cécilie qui attendait au milieu de la pièce, Mathilde ne put s’empêcher de lui dire en riant doucement :

« - J’espère que vous ne serez pas trop décoiffée à notre retour ! »

Une fois toutes les deux apprêtées, Mathilde prit la main de la jeune femme et la guida à travers les couloirs. Malgré son impatience, elle fit en sorte de se montrer une guide attentionnée et prévenante. Elle ne voulait pas courir le risque de lui faire manquer une marche…
Les gens qu’elles croisaient dans les couloirs semblaient surpris de voir Cécilie dans cette tenue si différente de celle qu’elle portait habituellement, mais ils ne firent aucun commentaire à part pour les saluer.
Une fois dans l’écurie, Mathilde appela le jeune palefrenier qui l’avait accompagné depuis Etherna.

« - Henry, peux-tu seller Tempête et … Béa. Penses-tu qu’elle soit suffisamment calme pour Dame Cécilie ? Sinon peut-être que tu pourrais préparer Eris, elle est douce comme un agneau. »

Le jeune homme qui avait encore sa figure d’adolescent, s’inclina en voyant entrer la sœur du Baron qu’il servait et il lui confirma que pour une débutante il valait mieux monter Eris, même s’il ne connaissait pas vraiment le tempérament de la dénommée Béa.
Pendant qu’il s’affairait avec les selles, Mathilde se tourna vers Cécilie

« - Vous n’aurez aucun problème avec cette jument, c’est celle que monte ma pupille Lyse lorsque nous sommes sur les routes et que le chef des gardes acceptent que l’on ne soit pas enfermées dans le carrosse.  
Surtout une fois en selle pensez à bien vous maintenir avec vos cuisses, vous verrez c’est plus simple que de monter en amazone. Vous tiendrez les rênes mais je commencerai par guider Eris avec une longe le temps que vous vous habituiez. »

Henry, revint quelques minutes après en tenant les deux chevaux par le licol.

« - Est-ce que vous avez pensé à …. »
« - Oui Dame Mathilde, j’ai sanglé votre arc à votre selle. Une fois sur Tempête, votre robe devrait suffire à dissimuler sa présence. Et portez-vous une dague ou dois-je aller en chercher une, vous savez que je ne vous laisserais pas franchir cette porte sans en avoir l’assurance ? »
« - Non c’est bon, j’en ai une dans ma botte comme Père me l’a toujours conseillé »

Ils échangèrent un sourire complice et Mathilde le remercia en sortant des écuries.  Lorsqu’elle se tourna vers la jeune femme qui l’accompagnait et qui n’avait rien du rater de cette discussion, Mathilde la rassura en lui disant qu’il était hors de question qu’elles sortent désarmées. Si la jeune Ethernoise aimait l’aventure et la liberté que lui procurait une sortie à cheval, elle n’en oubliait pas moins que le danger était partout et qu’elle préférait l’accueillir avec une dague bien affûtée.

Une fois dans la cour, Henry s’approcha pour aider Cécilie à monter tandis que Mathilde tenait Eris pour éviter qu’elle n’avance. Il ne fallut qu’une minute pour que la Dame de Laval soit en selle, et une poignée de seconde supplémentaire pour que l’Ethernoise le soit également.
En avançant au pas, Mathilde veillait à ce que Cécilie tienne en selle, tout en se dirigeant vers les portes. Evidemment l’un des gardes du convoi qui l’avait accompagné depuis Etherna se présenta et déclara qu’elle devait attendre qu’un groupe d’hommes se prépare pour les accompagner, mais lorsque Mathilde lui répondit qu’elle allait seulement dans les champs alentours pour donner une première leçon d’équitation à Cécilie, il finit par lui ouvrir les portes en lui faisant promettre de ne pas s’attarder plus d’une heure sans quoi il viendrait les chercher lui-même.

Le trajet jusqu’aux fameux champs fut lent et étonnamment apaisant. Eris se balançait lentement et sa cavalière ne semblait pas en difficulté. En revanche Tempête piaffait d’impatience, il n’avait qu’une envie partir au galop. Mais ça il pouvait faire une croix dessus. A moins que….

« - Vous vous débrouillez très bien Cécilie et cette balade est très agréable. Mais que diriez-vous si nous accélérions un peu ? Je ne veux pas risquer que vous fassiez une mauvaise chute alors vous pourriez monter derrière moi et nous pourrions galoper un peu. Je suis sûre que vous aimerez la liberté que l’on ressent. »

Marcher avec un pantalon était... inhabituel. Pas désagréable, loin de là, Sur de longues marches, cela devait d'ailleurs être bien plus confortable que n'importe quelle robe de voyage. Même avec une jupe par dessus, elle avait l'impression d'avoir été maladroitement déguisée en homme.
A la remarque de Mathilde sur ses cheveux, elle n'avait put que se souvenir de sa dernière ballade. Elle ne pourrait jamais être aussi « décoiffée » qu'alors. Mais contre toute attente, au lieu de lui porter un nouveau coup, cette pensée la fit plutôt sourire. Ce qu'elle s'apprêtait à faire était peut-être trop extravagant pour qu'elle reste perdue dans sa morosité. Ou était-ce la présence de Mathilde qui lui changeait à ce point les idées ? Peu importe ! L'anxiété et la peine la rattrapait ça et là pour quelques secondes, alors elle profitait de ces piques de légèretés.

Elle demanda tout de même quelques épingles supplémentaires en pour tenir plus correctement ses cheveux qui lui descendaient jusqu'aux genoux lorsqu'ils étaient lâchés. Ce n'était sans doute pas aussi beau que lorsque Rose s'en chargeait, mais un simple chignon sous lequel pendait une large boucle serait bien plus pratique... Et c'était là ce que la musicienne maîtrisait le mieux en matière de coiffure alors...

Une fois aux écuries, ce ne fut pas le palefrenier missèdois ou le réel maître des lieux qui les accueillis mais l'un des gens de Mathilde en personne.

« Et bien allons-y pour Erys. Je vous fait confiance... Mais même avec de l'habitude, je doute que des rênes me soient très utiles vous savez. » encore une fois, elle fut étonner de laisser échapper quelques éclats de rire tout à fait sincère.

Avec une aide rapide du palefrenier, elle demanda à s'approcher de sa prochaine monture. Elle préférait avoir quelques instant pour la connaître avant de se retrouver en selle. Pendant que sa main flattait l'encolure de la jument et suivait les minuscules mouvement des muscles de son épaules, la conversation qui eu lieu la surpris assez... Mais n'était-il pas plus sage de sortir armé ? Et ce fut en effet ce que Mathilde lui confirma... Mais si Cécilie doutait du fait que ce ne soit que pour se défendre que la Dame d'Etherna avait pris l'habitude d'avoir toujours un arc près d'elle. Lorsque ce n'était pas pour attaquer ou chasser, lorsqu'on avait la chance d'être à cheval, mieux valait tenter la fuite, non ?

Enfin, ce n'était qu'un détail au milieux des milliers de nouveautés légèrement hors des convenances qui entouraient la jeune femme.

L'orsqu'on l'aida à enfourcher sa monture, Cécilie ne pu que constater une chose : tenir ainsi était bien plus facile. Etrange. Quelque chose en elle lui disait également : inconvenant. Mais bien plus facile. Ainsi elle sentait beaucoup plus facilement les mouvements de l'animal, les changements de pieds semblaient moins déstabilisant. Et l'importance d'avoir un pantalon prenait toute son ampleur ! Elle attrapa une mèche de crin avec les rênes pour éviter de tirer sur le mord par mégarde, une astuce que lui avait donné Jindanor.

« C'est bien plus fa-ah ! »

Le petit cri aiguë de Cécilie ne passa pas inaperçu. Il ressemblait plus à un grincement qu'autre chose et même la musicienne ne pu que s'amuser de la situation. Sous l'impulsion de la longe, Erys avait commencer à avancer pour se mettre à la hauteur de tempête avant de partir.
Bon... C'était peut-être plus facile mais cela ne la dispensait pas de rester concentré !

"Facile qu'en amazone voulais-je dire..."

Comme prévu, elles passèrent les portes et comme elle l'avait pensé, avancer au pas après avoir passé des heures à monter en amazone lui paraissait vraiment simple... et moins douloureux pour leur dos qui n'avait pas à se tordre à moitié pour rester aligné avec la direction alors que vos jambes pendaient sur le côté.

Détendue et attentive à chaque vibration d'Erys jusqu'à sa respiration, la demoiselle trouva assez rapidement son assiette. La jument était en effet incroyablement douce et régulière. Plus encore que Béa.

« Merci Mathilde c'était une idée splendide. »

« - Vous vous débrouillez très bien Cécilie et cette balade est très agréable. Mais que diriez-vous si nous accélérions un peu ? Je ne veux pas risquer que vous fassiez une mauvaise chute alors vous pourriez monter derrière moi et nous pourrions galoper un peu. Je suis sûre que vous aimerez la liberté que l’on ressent. »

« Ga... galoper ? Je ne suis pas sûre que... Enfin ce n'est pas un peu risqué ? »

L'anxiété remontait à toute vitesse, serrant la poitrine de la jeune femme. Dans quoi avait-elle mis les pieds... Galoper... Elle n'en avait que le tonnerre des sabots qui passait près d'elle lorsqu'elle était enfant. Le renaclement des chevaux épuisés.

« Pourquoi ne pas commencer par quelque chose de plus simple ? J'ai toujours trouvé le fracas des sabots assez.. terrifiant. »

L'odeur d'herbe après la pluie commençait a être assez entêtante. Si elles n'étaient pas dans un champ, elles ne devaient plus en être loin.

« Mais vous devez y être habituée depuis longtemps, n'est-ce pas ? Vous devez me trouver bien sotte. Vous paraissez fort à votre aise, vous chevauchez souvent, je me trompe? »

Un petit rire amusé s’échappa des lèvres de Mathilde lorsque sa compagne d’évasion protesta à l’idée du danger que pouvait représenter un galop. Effectivement pour une personne  dans sa condition physique tout ce qui sortait de l’ordinaire devait paraître effrayant. Mathilde fit tourner Tempête autour d’Erys pour venir se placer juste à côté de Cécilie. Son but était qu’elles passent toutes les deux un agréable moment et il n’était pas question qu’elle la force à faire quelque chose dont elle n’avait pas envie.

« - Allons, pourquoi passeriez-vous pour sotte ? Je connais bien des Dames à Etherna qui ne sont jamais montées sur une selle et qui se débrouilleraient assurément moins bien que vous. Tenez-vous ici, continuez à serrer les cuisses et suivez le mouvement du cheval, nous allons commencer doucement..»

Mathilde prit les mains de la Missédoise et les plaça sur le pommeau de la selle, après les rapides consignes, elle reprit les rênes d’Erys et donna un petit coup de talon à Tempête. Aussitôt l’étalon repartit, d’abord au pas, puis au petit trot. Rien de très rapide, et Erys suivie. Mathilde guidait son cheval sur le chemin de terre bordant les champs en direction des bois, mais elle passait presque son temps à regarder sur le côté pour s’assurer que Cécilie n’ait pas de difficulté.

« - Vous voyez, vous vous débrouillez très bien. Redressez-vous et continuez de suivre le mouvement d’Erys. Je n’irais pas plus vite ne vous inquiétez pas. »

Non inutile de prendre le risque de la faire tomber. Un petit trot s’était déjà une prouesse pour une personne atteinte de cécité, et Mathilde ne voulait pas pousser sa confiance. Si elle voulait lui faire goûter la liberté que l’on éprouve lorsqu’il n’y a plus rien d’autre que son cheval au galop et le vent qui fouette le visage… alors elle la prendrait en selle derrière elle.

Lorsqu’elles atteignirent enfin l’orée du bois, Mathilde fit ralentir les chevaux pour reprendre une progression au pas. Elle revint au niveau de Cécilie et lui adressa un grand sourire comme elle en adressait peu depuis longtemps. Certes elle ne pouvait pas le voir, mais à l’intonation de sa voix, il était évident que la jeune Ethernoise passait un agréable moment.

« - Vous voyez ce n’est pas très compliqué, si vous montez régulièrement vous finirez par trouver ça facile j’en suis sûre!
J’ai toujours adoré monter à cheval mais depuis la mort de mon père, disons que je n’ai plus autant l’occasion de le faire. Pour vous dire la vérité, ma mère n’a jamais apprécié qu’une Dame monte à cheval, elle trouve cela totalement inconvenable. Mais mon père, que Tyra veille sur lui, mon père était un excellent professeur, et il acceptait ma présence même durant les chasses qu’il organisait chaque automne. D’ailleurs c’est également lui qui m’a appris à tirer à l’arc. »

Tirant sur les rênes de son étalon, Mathilde mit pied à terre pour récupérer sous la couverture de selle son arc et son carquois en cuir. C’était le dernier cadeau que lui avait fait son père, ce qu’elle possédait de plus précieux à ses yeux. Une fois la sangle du carquois passée sur son épaule, Mathilde remonta en selle d’un petit bond.

« Et c’est aussi la raison de notre petite balade. J’espère pouvoir m’éclipser jusque dans ces bois pour pouvoir m’exercer un peu ! Mais si vous voulez faire demi-tour surtout dites le moi, je ne veux pas vous contraindre à quoi que ce soit »

Le compliment fit sourire Cécilie et elle suivit à la lettre les instruction de la cavalière confirmée, rassurée de voir qu'elle ne tentait pas de la convaincre de partir de suite au grand galop.

Le trop était bien plus compliqué qu'il n'y paraissait. Bien plus remuant également. Cramponnée au pommeau, elle tentait maladroitement de rester en selle en rebondissant sans aucune grâce. Au bout de quelques secondes, elle fut convaincu qu'il lui faudrait au moins deux jours pour que son fessier s'en remettre. Quelques minutes et elle arrivait de nouveau à sentir et entendre autre chose que les coups répétés de son postérieur sur a selle. Entendre assez pour que les mouvements de sa compagne lui parviennent... ou plutôt ne lui parviennent pas. Comment Dieux faisait-elle ?!

Le trot était décidément bien trop désagréable pour que quelqu'un aime voyager de la sorte. Au bout d'un moment, ne supportant plus d'avoir l'impression d'être un sac de patate mais ne voulant pas réclamer de repasser au pas, Cécilie se mit tant bien que mal en équilibre sur ses étriers.  Elle faillit glisser sur le côté. Chaque muscle de son dos, de ses bras et de ses cuisses était crispé... Mais elle parvint à se tenir ainsi, cramponnée à sa selle et aux crains de l'animal, les dents serrées à lui faire mal à la mâchoire.

C'était.... terrifiant... et fatigant... et un peu douloureux aussi à force. Mais mettre la rage sourde qui lui brûlait le ventre depuis la veille dans quelque chose de concret, se battre contre sa propre peur, son propre corps, lui faisait un bien fou. Elle ne parvint pas a ses redresser, ni à suivre les mouvements du cheval, mais au moins, elle tenait. Et elle tiendrait le temps qu'il fallait !

Lorsqu'enfin Erys ralenti et que la toute nouvelle cavalière pu se rasseoir, ses mains tremblèrent légèrement en se séparant du pommeau. Elle prit une longue inspiration, emplissant ses poumons de l'odeur humide des sous-bois... sans pouvoir réprimé un sourire rayonnant.

« Trouver facile le fait d'être ballotter comme un sac de paille je n'en doute pas, mais trouver ça confortable... J'ai comme l'impression que je ne m'y prend pas tout à fait correctement. »

Elle écouta sa compagne en essayant de se détendre un peu le dos. A la description de sa mère, la musicienne laissa échapper un petit rire.

« Je crois bien être de l'avis de votre mère. Monter en homme est parfaitement inconvenant... Mais un peu d'inconvenance ne tue pas. »

Quelques oiseaux pépiaient au-dessus de leur tête.

« Votre père semble avoir été un grand homme. Au moins autant que votre frère. Le mien a plutôt tendance à juger les gens au premier coup d’œil et à faire aveuglément tendance aux convenances. »

Des mots très durs, surtout prononcer à propos de son propre père et en compagnie d'une femme qu'elle ne connaissait finalement presque pas. Mais Cécilie était de moins encline à jouer avec les faux semblants depuis son départ de Missède.

Pendant que Mathilde mettait pied à terre. Une branche craqua sur leur droite, suivit de pas légers et de frôlement de feuillage. Une inspiration un peu plus appuyée et la volonté de Cécilie écartait le Voile qui la recouvrait sentant la chaleur désormais habituelle irradiée de sa poitrine et un frisson glisser le long de sa peau. Les sons s'accentuèrent tout de suite, révélant des mélodies qu'elle était la seule à entendre, venant faire pression contre sa peau, siffler à ses oreilles.
Erys était paisible, Tempête beaucoup moins.

Elle se concentra de présence sonore en présence sonore frôlant des consciences non humaines en train d'évoluer dans leur propre monde. Puis elle remis proprement en place le Voile qui l'empêchait de se perdre et les sensations s'estompèrent.

« Vous ne me contraignez en rien, croyez moi. Depuis que je m'occupe de l'intendance de Lourmel, je n'ai plus une minute à moi. Habituellement je joue pour me détendre mais cette sortie me fait le plus grand bien. Si vous voulez vous entraîner, n'hésitez pas. Je ne crois pas entendre qui que ce soit d'autre que nous... Mais si ce sont des animaux que vous chercher, un animal de belle taille vint juste de passer à quelques pas dans cette direction. » ajouta-t-elle en pointant a dite de la main avec un léger sourire."...Et si.. vous voulez galoper, nous pouvons peut-être tenter ce que vous proposiez."

Mathilde rit doucement en entendant les premières paroles de Cécilie. Effectivement au début on avait rarement l’air très gracieux, mais au fur et à mesure, lorsque les mouvements du cheval deviennent une habitude alors il faut reconnaître que c’est tout de suite plus facile. Son père avait été un excellent professeur et visiblement Mathilde ne lui rendait pas hommage en s’occupant de la jeune femme, elle promit alors de mieux lui expliquer pour le retour. Lorsque la Missédoise se confia sur son père, Mathilde tourna son visage vers elle et lui sourit.

« - Et bien votre père s’entendrait très bien avec ma mère ! Nous devrions arranger une rencontre, ils auront de quoi parler pendant une ennéade ! »

Reprenant son sérieux, Mathilde examina les sous-bois, elle avait entendu des bruissements de feuilles, mais c’était probablement des oiseaux rien de plus. Il fallait attendre que le gibier s’habitue à leur présence et à celle des chevaux. Cécilie était restée silencieuse, les traits de son visage s’étaient adoucis comme si elle se détendait et Mathilde en fut ravie. Elle ne voulait que cette sortie soit un fardeau pour la jeune femme.
Mais les paroles qu’elle prononça alors la surprirent. Elle avait pu entendre le bruit d’un animal de grande taille ? La perte de son sens visuel avait dû exacerber les quatre autres. Cette constatation impressionna Mathilde mais elle ne fit aucun commentaire.

« - Je suis ravie que vous appréciez cette sortie. Et croyez-moi j’en avais grand besoin moi aussi ! »

Cette fois elle avait murmuré, après tout si une proie se tenait là elle ne voulait pas la faire fuir. Elle avait suivi des yeux la direction qu’avait indiquée Cécilie, mais elle ne pouvait pas suivre la piste à pied sans quoi elle serait contrainte de laisser Cécilie derrière elle. Mais à cheval l’affaire s’annonçait compliquée… si l’animal sentait leur présence il risquait de fuir. Enfin la présence de Tempête, fulminant d’impatience, risquait de le faire fuir. La jeune femme prit donc le parti d’attacher son étalon à la branche basse d’un arbre et de prendre Erys par le licol pour l’entrainer à après elle.

Certes c’était une méthode plutôt bruyante mais après une poignée de minutes de marche silencieuse, Mathilde stoppa net. Elle avait entendu un bruit sur sa droite. Une branche qui casse… et presque aussitôt après le sabot d’un animal en fuite. Du coin de l’œil, elle vit la biche sauter un arbre mort, elle encocha aussitôt une flèche, ajusta son tir et lâcha la corde.
La flèche siffla mais rata la biche d’un cheveu. L’animal en panique, changea brusquement de trajectoire, faisant perdre une deuxième flèche à la jeune chasseuse qui jura entre ses dents.

Cette biche aurait été une belle prise mais on ne pouvait pas toujours gagner du premier coup. Néanmoins, après une dizaine de minute, Mathilde fut ravie de brandir un faisan qu’elle avait tué en plein vol. Là encore c’était Cécilie qui lui avait indiqué l’endroit d’où elle avait entendu l’animal battre des ailes.

« - Par Néera, n’ébruitez pas votre secret sans quoi une fois la paix revenue, les hommes vous traînerons à chacune de leurs chasses pour user de vos talents ! »

L’Ethernoise avait retrouvé le sourire, cette sorite à cheval, cette chasse improvisée… elle appréciait ce genre de moment trop rare à son goût.

« - Je préfère tellement ce genre de moment… Rester enfermer dans un salon à broder, cela ne me ressemble pas. Mon frère a raison, je dois tenir mon rang, pour lui et pour notre famille. Mais parfois… j’aimerai être né garçon. Et je redoute le jour où il me trouvera un époux… qui sait si j’aurais encore le droit de monter à cheval… enfin l’avenir nous le dira. »

Elles avaient regagné l’endroit où se trouvait Tempête et Mathilde était remontée en selle en disant cela. Pourquoi se confiait-elle ainsi à Cécilie ? Peut-être parce qu’elles venaient de partager une heure en toute simplicité, loin du protocole et des convenances. Elle n’avait parlé de ses angoisses avec personne. En même temps la seule personne à qui elle pouvait parler était une enfant de onze ans…

« - Alors, souhaitez-vous toujours tenter l’aventure ? Si vous voulez, je peux monter devant vous sur Erys. Vous n’aurez qu’à vous tenir à ma taille. Il vaut mieux éviter Tempête, le connaissant ça n’ira pas assez vite ! »

Si on lui avait dit qu'elle participerait un jour à une chasse, même improvisée, elle aurait ouvertement éclater de rire. Mathilde marchait à pas comptés, aussi silencieuse que possible malgré le déplacement bruyant d'Erys. Cécilie entendit l'animal déguerpir d'un bon et la corde de l'arc de sa compagne vibrer deux fois... sans vraiment de résultat visiblement.

Mais lorsqu'elle revint victorieuse en lui conseillant de ne pas faire valoir sa fine oreille, elle du plaquer une main sur sa bouche pour ne pas éclater de rire finalement. Ça aurait été bien peu judicieux de gâcher ainsi la chasse de sa compagne du jour.

Elle avait l'air véritablement détendue ici, loin de Lourmel et son château. Cécilie ne pouvait pas en dire autant. Bien que le calme qu'elle ressentait soit réel, il y avait toujours cette pointe d'inconnu qui la tenait en éveil.

« Je ne suis donc pas la seule à me demander quel sera le tempérament de mon futur ? Sourit-elle. Enfin je doute qu'une femme de votre tempérament... et qui de plus semble savoir se défendre, se laisse facilement enfermer. Nous avons un dicton à Missède Le mariage c'est pas la mer à boire, mais la belle-mère à avaler. Si votre mère et mon père sont fait pour s'entendre, je ne doute pas que votre futur vous trouvera digne d'adoration. »

La plaisanterie était poussée mais néanmoins parfaitement honnête. Sa voix gardait toujours la même douceur, loin du ton grinçant que certains auraient pris, ce qui donnait même à ses répliques un air décalé difficile à cerner avec exactitude. Mieux valait rire de ce genre de choses que de vivre dans le doute, ou même la peur. A force de n'avoir presque aucun contrôle sur sa vie, on finissait par adopter un certain... lâché prise ? … Même si pour l'heure elle n'aurait put nier qu'elle même était particulièrement à fleur de peau lorsque son esprit se tournait vers le mariage. Ne sachant trop si cela simplifierait sa vie ou au contraire la rendrait invivable.

L'idée du galop revient sur le tapis... et cette fois Cécilie acquiesça alors qu'un frisson lui courrait le long du dos.

« Eh bien essayons. Si je tombe, je crierai fort pour vous avertir... »

Décidément, cette sortie était pleine de défit... Et Mathilde pleine d'attention. Même en n'échangeant que des bribes de leur vie, quelques sous-entendus, Cécilie appréciait sa franchise et son naturel autant que sa conversation.

Elle laissa la jeune femme prendre les reine et entoura sa taille d'un bras, l'autre restant sur sa propre jambe en attendant de voir ce que ça donnerait.

« Je me demandais... est-ce que galoper remue beaucoup plus que le trot ? »

Après la différence entre les deux premières allures... il y avait de quoi craindre...

La plaisanterie de Cécilie fit beaucoup rire Mathilde, même si elle doutait d’être un jour un sujet d’adoration pour son futur époux, la jeune femme ne fit aucun commentaire. Même si elle se plaignait du peu de liberté qu’on lui accordait, elle savait qu’une fois mariée cela pourrait être pire… D’autant que le futur époux risquait d’être surpris en apprenant que sa femme n’était plus tout à fait vierge… et qu’elle avait déjà enfanté.
Cécilie accepta de se lancer un nouveau défi en termes d’équitation et cela fit d’autant plus sourire la jeune femme. Evidemment elle n’allait pas se lancer dans un triple galop effréné pour les débuts de sa compagne, d’autant plus qu’elle ne voulait pas faire supporter le point des deux cavalières à sa jument. Non elle irait doucement. Après quelques détails techniques comme : gardez vos pieds dans les étriers, reculez-vous un tout petit peu, cramponnez-vous à ma taille, Mathilde se retrouva en selle devant Cécilie. Erys n’avait pas bougé d’un pouce pendant toute la manœuvre, c’était vraiment une jument d’un calme olympien.

Elle fit d’abord avancer Erys au pas, se balançant au rythme de ses mouvements, Mathilde en profita pour corriger la position de Cécilie.

« - Vous devez légèrement serrer vos cuisses, appuyez plus fermement vos pointes de pieds dans l’étrier. Restez droite mais souple, vous devez suivre le mouvement d’Erys. »

Peut-être que le fait d’avoir son professeur juste devant pouvait permettre à Cécilie de mieux comprendre la posture qu’elle devait adopter.

« - Je ne vous cache pas que le galop est un peu plus… remuant ! Mais ce qu’il faut surtout savoir c’est que vous devez adapter votre posture. Tenez, là nous allons passer au trot » Un petit claquement de langue indiqua à la jument le changement de rythme. « - Vous devez rebondir sur la selle. Pas comme un sac de paille évidemment. Garder vos talons fermement appuyé, serrez davantage les cuisses et laissez-vous légèrement décoller de la selle ! »

Mathilde ne pouvait pas vraiment voir si la jeune femme appliquée correctement ses consignes mais elle se retournait fréquemment pour voir si elle n’avait pas trop de difficulté. Tenant dans sa main les rênes d’Erys et la longe de Tempête, Mathilde guida tout le petit monde jusqu’à la sortie du bois. Les champs s’étalaient devant elles. Tempête piaffait toujours, hennissant même par moment pour faire savoir sa frustration.

« - Maintenant nous allons galoper un peu. Vous devriez vous accrocher avec vos deux bras ! Vous allez vous sentir un peu plus secouer. Suivez mon mouvement, collez-vous contre moi si cela peut vous aider. Et n’ayez aucune gêne c’est ainsi que j’ai appris avec mon père, et puis nous ne sommes que toutes les deux ! »

Un petit coup de talon dans le flanc et hop Erys se lancer dans un petit galop, rien de bien méchant, mais c’était tout de même différent du trot. La jument bougeait différemment, ses sauts étaient plus importants, il fallait serrer les cuisses. Ce n’était pas un exercice évident, surtout lorsque l’on manquait de pratique, aussi Mathilde fit revenir Erys au trot, puis au pas après une minute. Elle ne voulait pas effrayer Cécilie dès le départ.

« - Vous êtes toujours accrochée c’est que vous ne vous débrouillez pas si mal ! Souhaitez-vous reprendre un rythme plus lent ? »

Cécilie suivit à la lettre les recommandation de sa compagne, essayant d'adapter sa position à chaque conseil. Lorsqu'elle passèrent au trop, elle se concentra autant que possible sur les mouvements de l'animal. Légèrement en suspension au début, la main posée sur la taille de sa compagne imprima bien vite un rythme digne d'un métronome... Qu'elle essaya finalement de suivre... Légèrement à contre temps, mais il y avait de l'idée...

« - Maintenant nous allons galoper un peu. Vous devriez vous accrocher avec vos deux bras ! »

Comme si sa camarade pouvait la voir, elle hocha la tête, toujours concentrée, et s'accrocha à elle des deux bras... Et heureusement !

Le premier mouvement la pris de court, lui arrachant un petit cris de surprise alors qu'elle se collait plus étroitement contre le dos de la cavalière émérite. La première peur passée, Les mouvements étaient plus amples, le vent plus pressant. Les bras raides, le dos crispée, la musicienne avait même fermé les paupières par réflexe. Deux fois dans le court instant pendant lequel Mathilde laissa leur monture au galop, Cécilie manqua de tomber d'un côté ou de l'autre, se rattrapant in extremis en serrant brutalement les jambe... Ce qui n'avait pas l'air de plaire particulièrement à la monture. Heureusement pour elles qu'Erys était une crème et qu'aucun écart ne fut à déplorer.

Mais Cécilie ne parvint pas à se détendre une seconde. Elle était encore recroquevillée contre sa compagne lorsque la jument repassa au pas et du trouver de nouveau trésors de volonté pour desserrer sa prise.

Presque tétanisée, les larmes aux bords des yeux, ses mains tremblaient terriblement... comme presque chacun des muscles de son corps. Sa respiration bloquée lui interdisait d'avaler l'air autrement que par petites gorgées précipités. Sa mâchoire serrée à lui briser les dents se débloqua douloureusement... Et elle éclata de rire.

Elle devait avoir une mine affreuse avec ses yeux légèrement rougis, et elle avait sûrement eu l'une des plus grande peur de sa vie (et après l'attaque des Wandrais dans sa chambre, c'était beaucoup dire!). Mais pour la première fois, elle avait elle-même franchis le pas ! Elle avait pris la décision et réussit à tenir par elle-même.

Son rire était aussi victorieux que nerveux, tant et si bien qu'elle avait du mal à se reprendre. C'était stupide au vu de la durée incroyablement courte et de la vitesse minime de ce galop. Stupide... et incroyablement libérateur.

-Pardonne-moi... réussi-t-elle tout juste a articuler entre deux pouffements étouffés d'une main toujours aussi tremblante. Je... C'était fantastique !

Reprenant un peu plus le contrôle de sa voix malgré les tremblements de son corps qui ne semblaient pas vouloir s'estomper, elle posa sa main sur l'épaule de Mathilde.

-Oui... Je suis toujours accrochée... mais enfin, je crois que pour aujourd'hui il vaut mieux en rester là... Mais si vos gardes vous en donnent l'autorisation... et que vous n'y voyez pas d'inconvénient, j'aimerai beaucoup que vous acceptiez de m'emmener de nouveau en balade pendant votre séjour. Quitte à vous échapper seule dans les bois pendant quelques temps pour profiter de la chose, vous aussi.

Elle inspira à fond, espérant faire un peu ralentir son cœur.

-Cela doit être fantastique de pouvoir parcourir de grande étendues ainsi. Bien mieux que de rester entre les quatre murs d'un salon... Non pas que j'entende quoi que ce soit à la broderie remarquez... glissa-t-elle en fronçant le nez. Avez-vous beaucoup voyagé ?

Le rire de Cécilie était contagieux, et bientôt sans vraiment savoir pourquoi, Mathilde riait elle aussi aux éclats. Peut-être tout simplement parce qu'elle passait une excellente après midi, peut-être parce qu'elle imaginait la tête de sa mère devant une situation aussi surprenante – sa fille sur la même selle que la Dame de Laval – quoi qu'il en soit s'était son premier vrai fou rire et il lui faisait énormément de bien.
Sa compagne de selle la rassura sur le plaisir qu'elle avait éprouvé pendant ce bref galop, certes il lui faudrait du temps, beaucoup de temps, et de la patience avant de parvenir à faire la même chose toute seule mais Mathilde était certaine qu'elle y parviendrait avec un peu de volonté. Elle lui proposa même de refaire une balade similaire durant son séjour, chose qui fit un peu plus sourire Mathilde si c'était encore possible.

« - Je suis sure qu'avec un peu d'entraînement et après avoir appris à faire confiance à votre monture... vous vous débrouillerez merveilleusement bien ! Mais d'ici là, je vous accompagnerai avec joie durant mon séjour à Lourmel. »

Cécilie poursuivit alors tandis que Mathilde faisait stopper Erys. Il était temps qu'elle retourne sur Tempête, cela aurait pu paraître étrange de les voir revenir toutes les deux sur la même jument. Mais les dernières paroles figèrent Mathilde, lui ôtant même le radieux sourire qui s'était fixé à ses lèvres.

« - Beaucoup voyagé ? Non...pas vraiment. Du moins pas jusqu’à l’année dernière. »

Mathilde resta silencieuse quelques secondes. Elle revoyait les images de son voyage qui l’avait mené devant un Comte puis jusqu’à Thaar. Elle avait changé de nom, voyagé avec un inconnu, dormi à la belle étoile et elle avait aimé son fils sans avoir à caché qu’elle était sa mère.
Repenser à ce voyage lui faisait toujours mal parce que ça lui rappelait des jours heureux, si lointain à présent … ça lui rappelait Kiel. Pendant ce mois entier qu’elle avait passé loin de Mathilde de Clairssac, elle avait goîté à la liberté … une liberté pleine et entière comme jamais plus elle en aurait. Elle ne se plaignait pas d'être bien née. Au contraire, durant son voyage elle avait eu tout le temps nécessaire de se rendre compte de la chance qu'elle avait d'être une De Clairssac, d'avoir grandit à l'abri de tout. Glissant de la selle aussi aisément qu'elle y était montée, la jeune femme s'approcha de Tempête dont elle flatta l'encolure. Il était nerveux, il voulait courir, mais il se calma aussitôt que sa maîtresse le gratta entre les deux yeux.

«  - Vous avez peut être entendu parler de ma…. disparition l’été dernier. Mon frère a fait battre la campagne pour me retrouver ...je suppose que ce n’est pas passé inaperçu. » Sa voix était calme bien que l'on puisse sentir à quel point les mots qu'elle prononçait lui pesé. « Voyez vous il se trouve que je ne voulais pas qu’on me retrouve. J’étais partie tout simplement. Une nuit, avec mes enfants, quelques affaires et ces deux chevaux. A ce moment là, ma vie m’échappait complément … j’avais l’impression de … c’était devenu tellement étouffant. J’avais besoin de... vivre. Alors je suis partie… tout un mois. Je suis même allée jusqu'à Thaar. Thaar, vous vous rendez compte ? Moi qui n’avait jamais mis les pieds en dehors de la baronnie. Ce voyage a été une révélation pour moi. Je ne suis pas faite pour les salons de broderie, les conversations sur les derniers potins mondains ou pour la pratique de la lyre. Ce genre de chose m'ennuie, je préfère tellement vivre au grand air, dormir à la belle étoile, chasser... J'ai prié Néera de me dire pour quoi il avait fallu que je naisse fille... A Thaar j'aurais pu être qui je voulais, apprendre un métier ou continuer ma route.  S'il n'y avait pas eu ses rumeurs au sujet de la mort de Guillaume... je ne suis pas certaine que je serai revenue un jour.  Aujourd'hui quand j'y repense... j'ai l'impression que c'était dans une autre vie. »

Mathilde fit une pause. Elle réalisait seulement maintenant de l'importance des chose qu'elle venait de confier à Cécilie. C'était des paroles qu'elle n'avait jamais prononcé devant personne, même pas devant Jérôme... cela lui aurait fait tant de peine d'apprendre son ingratitude après tout ce qu'il avait fait pour elle.
Montant à cheval, la jeune femme tourna son visage vers Cécilie qui n'avait pas dit un mot.

« - Je ne sais pas pourquoi je vous raconte tout cela. C'est tellement simple avec vous. Je n'ai jamais confié ces choses à personnes, pas même à Jérôme. »

Un petit rire désabusé lui échappa alors tandis qu'elle reprenait le chemin du château.

« - Savoir à présent que vous montez en selle avec une personne aussi peu convenable doit vous faire regretter votre proposition, et n'en soyez pas inquiète je ne m'en offusquerai pas si vous changez d'avis... après tout, ma propre mère ne supportait que difficilement d'être seule avec moi ces derniers mois. »

Que Mathilde accepte de l'accompagner de nouveau réjouit plus encore Cécilie... enfin si elle pouvait être plus extatique que ce court instant pendant lequel l'adrénaline courrait dans ses veines.

Hélas, cela s'arrêta net.

Une seule explication : elle venait de mettre copieusement les pieds dans le plat sans le vouloir...  Puis elle se rappela un détail... L'été dernier... Ce qu'elle pouvait être idiote !

Elle faillit retenir sa camarade lorsqu'elle la senti sauter souplement à terre mais se retint. Elle avait fait une erreur... Et a présent, elle se sentait affreusement coupable d'avoir ramener un sujet si mystérieux sur le tapis sur un coup de tête... Sans même le faire exprès.

Elle écouta l'histoire de cette jeune femme en silence. Comme a chaque fois qu'elle aurait voulu pouvoir réconforter quelqu'un par un geste tendre ou amical, elle retrouva la prison de ses propres perceptions. Ce que Mathilde lui révélait semblait terriblement intime et.. pesant. Sa voix était lourde de regret... et vibrante d'une joie perdue.

Ce qu'elle lui révélait était... à peine imaginable. S'enfuir ainsi avec ses enfants. Tout quitter sur un coup de tête... Partir jusqu'à Thaar. Se réinventer une vie. Se découvrir une passion, de nouvelles envies...

-Je suis désolée... Souffla-t-elle, ne trouvant rien de plus à dire face à ce fragment de vie tellement incroyable.

Près d'elle, la cavalière se remis en selle sur sa propre monture. Son rire grinçant serra la poitrine de la jeune musicienne. En un instant, elle venait d'effleurer toute la profondeur des blessures qu'avaient laissées la vie sur cette femme... Et elle ne savait que dire. Peut-être un peu parce que si ses yeux ne lui avaient pas liées les mains plus qu'elle ne l'avouerait jamais, elle aurait sûrement déjà pris la décision de quitter la Péninsule. Elle serait sur les flots au côté de son oncle... Et qu'elle comprenait aussi bien la fuite de Mathilde qu'elle en craignait les retombées.

Certes, on lui avait appris les convenance et elle y portait une grande attention. Si ici, et hors de ses obligations, elle s'autorisait quelques digressions auxquelles son cœur n'arrivait pas à résister, officiellement, elle arborait une attitude égale et courtoise, respectant à la ligne la bienséance et les devoirs qu'elle imposait. Même son esprit restait souvent muselé au milieu de ses pairs, gardant pour elle les réflexion les plus spirituelles qui lui passaient par la tête.
Mais de par sa propre expérience et ce que l'histoire avait démontrer, un cœur noble et honnête valait bien mieux qu'un vernis d'éducation. Cette discipline rigoureuse a laquelle elle s’astreignait, elle n'y avait jamais soumis les autres. Lorsque vous êtes incapable de vous défendre ou d'estimer un homme a son maintien, il faut être plus à l'écoute de la personne que de son titre pour prévoir ses actions...

Et ce dont Mathilde avait fait preuve jusque là était d'une exceptionnel bonté et d'une force inhabituelle. La voix de Cécilie était douce lorsqu'elle repris, cachant sa culpabilité sous un masque serein.

-Je ne le regrette pas un instant. Après tout, vous ne regrettez pas d'avoir partager votre selle avec une femme que les dieux ont maudite. Ajouta-t-elle avec un sourire mi-figue mi-raison.

Elle se contrôlait trop pour ne se rendre compte qu'après coup de ce qu'elle disait. Chacun de ses mot était toujours prononcé en toute connaissance de cause. Mais un peu de confiance ne semblait pas mal placée ici. Comment aurait-elle put douter de la demoiselle d'Etherna après ce qu'elle venait d'avouer ?

-J'évite de concourir pour le prix de celui ou celle à qui la vie à jouer le plus de coup pendable car ce n'est pas une récompense bien agréable à décrocher... Mais pourquoi croyez vous qu'une héritière s’obstinerait à rester si loin de ses terres ? De l'avis de beaucoup, Maélyne a pris de gros risques en me nommant intendante en attendant que cette guerre prenne fin... Et je ne parle même pas des rumeurs que ma seule présence a coûtées à votre frère.

Elle s'arrêta un moment, la recommandant intérieurement à la protection de Néera.

-Vous avez eu le courage de réagir alors que votre vie prenait un tournant que vous ne supportiez pas et vous êtes revenue vers votre famille malgré vos propres désirs. Bien peu de personne peuvent en dire autant. Je ne sens qu'honnêteté et bravoure dans vos actes. Pourquoi cela devrait me mettre mal à l'aise ? Vous me traitez comme une égale, sans tenter de m'empêcher de faire mes propres choix. Vous faites preuve d'une franchise qui vous honore. Vous êtes une personne bien plus noble de cœur que vous ne semblez le croire.

Elles reprenaient peu à peu le chemin du retour. Finir sur une note si déplaisante aurait été tout à fait dommage, mais que faire pour en sortir ?

-Vous n'êtes pas homme, soit, profitez de ce que la vie vous a offert. Si l'oisiveté vous pèse, ne pouvez vous pas administrer un fief de la baronnie de votre frère ? Ou l'aider sur des affaires pratiques ? Peut-être que vous sentir utile et organiser vos journées de manière a pouvoir sortir et passer du temps avec vos enfants vous redonnerait un peu le sourire ? Ou représenter votre famille à une cours étrangère ? Il m'a toujours paru d'esprit ouvert... n'y a-t-il vraiment rien à faire pour vous permettre de respirer un peu ?  Puis elle ajouta, mimant l'emportement plus qu'elle ne le ressentait. Et si votre mère refuse de rester près de vous, c'est qu'elle est encore plus aveugle que je ne le suis ! Entourez-vous de gens de confiance. Peu importe leur sang.

« - Et peu importe qu'ils soient maudits par les dieux » rajouta Mathilde en adressant un sourire à Cécilie.

Ces paroles lui avait mis du baume au cœur. Elle avait vu ses cicatrices et elle n'en avait pas eu peur. Au lieu de réclamer d'être reconduite sur le champ, la jeune intendante confirma son souhait de vouloir remonter avec elle les prochains jours et Mathilde éprouva une profonde reconnaissance pour elle.
Elle avait été surprise en l'entendant parler de malédiction divine mais elle n'avait fait aucun commentaire, car c'était un avis qu'elle était loin de partager. Bien que la plupart des Seigneurs de la Péninsule pouvait voir la cécité de Cécilie sous cet angle, elle, elle y voyait plutôt une exception, un cas à part que les Dieux envoyaient aux Hommes pour leur apprendre l'humilité et la compassion.

« - Merci pour vos paroles, elles sont sages et réconfortantes. Vous avez raison il faut savoir s'entourer de gens de confiance et je n'en ai pas rencontré beaucoup. Mais je souhaite de tout cœur que vous en fassiez partie. Et ne craignez pas pour ma réputation, elle est déjà bien entâchée. Qui sait peut-être que je pourrais éviter un mariage arrangé et que, vieille fille, Jérôme se résignera à me laisser la gestion d'un petit domaine. »

Terminant sa phrase sur un léger rire, Mathilde fit avancer les chevaux, il était tant de rentrer avant que le chef des gardes ne décide de mettre sa menace à exécution. Et ce serait le meilleur moyen de ne plus avoir son accord pour de futures escapades.

« - Pour le moment j'attends que la guerre s'achève en priant que mes deux frères rentrent sains et saufs. Mais je pense que je lui soumettrai votre idée. Lyse adorerait repartir sur les routes mais ce n'est pas vraiment la place d'une fillette de son âge et je suis sûre que nous serions heureuse toutes les deux ! Vous savez.... ce sont des choses dont je n'ose pas vraiment discuter avec Jérôme. J'ai l'impression d'être tellement égoïste avec lui parfois, si vous saviez tous ce qu'il a déjà fait pour moi... C'est un frère formidable, dévoué à sa famille quoi qu'il advienne.
Et vous, avez vous de la famille ? Une sœur ou un frère ? »

Mathilde se montrait curieuse. Ce n'était généralement pas le cas lorsqu'elle n'était pas à l'aise,mais cette escapade avec Cécilie avait créé de véritables liens. Du moins Mathilde l'espérait-elle.

Citation :

Je suis désolée... c'est court... mais je ferais mieux la prochaine fois ! Promis  

« vous êtes prompte à accorder votre confiance » ne put s'empêcher de sourire Cécilie. « Mais j'en suis honorée... Et même heureuse pour ne rien vous cacher. »

Sa gorge se serra un instant. La confiance que lui inspirait Mathilde étant loin d'être habituelle. Elle se souvenait avoir refuser l'amitié d'un jeune homme sous prétexte qu'il ne se connaissait que depuis quelques jours. Et même après des ennéades et des liens plus forts qu'elle ne pensait jamais pouvoir en forger, il ne connaissait toujours qu'une infime parcelle de sa vie et de sa situation. Mais ce petit moment hors des murs, hors du giron de Rose, du protocole, juste elle et la jeune Dame d'Etherna... Cela n'avait rien à voir. Avec Mathilde, elle avait l'impression de pouvoir parler presque totalement à cœur ouvert... Presque, mais c'était largement suffisant pour être d'une valeur inestimable.

Le léger rire de sa compagne eut au moins le mérite de mettre du baume au cœur de la musicienne.

Ce que décrivait Mathilde à propos de son frère, Cécilie le connaissait précisément, bien que sur un plan différent. Rose la connaissait par cœur et s'occupait d'elle. Elle l'avais sauvée, aidée, elle lui était indispensable et elles partageaient une affection digne des liens du sang. Mais le plus important, elle n'osait pas lui dire. Elle n'osait pas se plaindre, l'accabler encore davantage. Elle faisait déjà tellement !

Submergé par la situation, elle faillit en perdre son sourire. Une discussion sincère cahotée par le pas d'un cheval en direction de Lourmel... Si l'un de ses proches lui annonçait encore son départ dans une entreprise dont il avait les plus grandes chances de ne pas revenir, elle se ferait religieuse !

Mais la question de sa compagne la surpris tant qu'elle en oublia son humeur. Elle n'avait vraiment plus l'habitude qu'on la questionne à ce sujet ! Elle devait vraiment recommencer à voir du beau monde si elle ne voulait pas perdre la main...

« Oui, j'ai de la famille. J'ai la chance d'avoir encore mes deux parents en vie... mais cela fait des années que je n'ai pas communiqué d'une quelconque façon avec mon père. »

A force de se répéter, elle allait devenir pesante, aussi s'arrêta-t-elle là pour le sujet 'parent'. Ils ne se rendaient pas visite. Ils ne lui couraient pas après. Fin de l'histoire. Elle n'avait pas envie d'ennuyer sa nouvelle amie avec ça...

« Je suis l'aînée de la fratrie. Un frère. T-Deux sœurs. » sourit-elle de nouveau plus légère en se retenant comme d'habitude in extremis d'ajouter Maélyne dans le décompte des sœurs. « Gaël, Colombe et Mélisande. Ma cécité couplée au fait que je soit l'héritière légitime de notre fief ne rend pas les choses faciles avec mon frère, d'autant plus que c'est un garçon a l'esprit brillant... et le seul fils de la maison. C'est en partie pour éviter que nos différents ne se transforment en querelles fratricides que j'ai quitté Missède. Mais il a de quoi forcer l'admiration et il m'est plus cher qu'il ne l'imagine... Bien sûr je compte sur vous pour rester muette si jamais vous avez un jours le malheur de croiser la route de cet aventurier. Son orgueil est suffisamment développé comme cela. » glissa-t-elle en étouffant un rire. « Mais heureusement mes sœurs sont plus simples. Colombe surtout est une enfant impressionnante d'intuition. Melisande est plus... aventureuse dirons-nous. Elle rêve de naviguer... »

Une expression ennuyée passa sur les traits de Cécilie. Allez expliquer à un marin qu'il devait avoir une femme a son bord... D'autant plus que la petite avait de grandes ambitions : Capitaine d'une frégate s'il vous plaît ! Enfin... De toute façon leur père ne laisserait rien au hasard, Leur mère avait soufflé quelques mots au sujet de plusieurs prétendants remarqués pour des fiançailles.

« J'espère que j'aurai rapidement l'occasion de les revoir, mais pour être tout à fait franche, et même si je le démentirai toujours devant quelque personne que ce soit, Maélyne est ma sœur, plus que nulle autre. C'est elle ma véritable famille. »

Un sourire sincère illuminait les traits de la jeune femme. Après tout ce que Mathilde venait de lui offrir, elle voulait lui prouver, même un peu, que sa confiance n'était pas vaine.

Mathilde écouta les paroles de Cécilie tandis que les pas des chevaux les ramenaient lentement vers la cité. Elle avait apprécié cette sortie, bien plus qu’elle l’aurait pensé alors qu’elle conviait la jeune Missédoise à boire le thé une heure auparavant. Jérôme lui avait vanté les mérites de cette femme et même si elle avait bien voulu croire le croire sur parole, maintenant elle en était tout à fait certaine. Il ne lui manquait plus qu’à l’entendre jouer de la lyre pour pouvoir être totalement d’accord avec son frère.
Cécilie lui parla de sa famille, de son père dont elle n’avait plus de nouvelle, de son frère et de ses sœurs qu’elle chérissait beaucoup bien que la réciproque ne semblait pas être une évidence. Du moins elle paraissait le laisser entendre. Ce fut surtout sa dernière phrase qui conforta Mathilde dans cette idée.

« - Il y a la famille dont on hérite et celle que l’on se construit, n’est-ce pas ce qu’il se dit ? » Bien qu’elle n’ait jamais rencontré une personne pour qui elle aurait pu éprouver des sentiments plus forts que ceux qu’elle ressentait pour ses frères, elle pouvait comprendre que cela se produise. Après tout elle avait cessé de s’adresser de façon familière à sa mère, elle l’appelait à présent par son prénom et elle n’avait plus pour elle que le respect des années qu’elles avaient passé ensemble. Les derniers évènements avaient cassé à jamais le lien qui les avait unis par le passé.

« - Je suis navrée pour votre père et pour le climat qu’il semble y avoir dans votre famille… et je suis heureuse que vous ayez pu trouver en Maélyne de Lourmel cet attachement qu’il peut y avoir entre deux sœurs. Je n’ai pas encore rencontré la Dame de Lourmel mais je sais déjà qu’elle peut voir au-delà de certaines choses. Au-delà de votre fameuse malédiction par exemple. J’aimerai pouvoir dire ça de mes frères. Ils sont partis à la guerre avant que certaines choses… avant que nous ayons pu régler quelques différents… Et j’ai peur qu’ils soient partis en ayant une image de moi bien différente de celle que je suis. »

C’était surtout le cas pour Guillaume qui avait eu bien plus de mal que Jérôme à passer l’éponge sur les péchés qu’elle avait commis. Elle était revenue de Thaar parce qu’elle l’avait cru mort et tandis qu’il se remettait de ses blessures à Etherna, elle avait pu passer un peu de temps avec lui. Mais les choses étaient devenues bien différentes. Il la regardait autrement et elle n’aurait su dire si c’était une bonne ou une mauvaise chose. Avec Jérôme s’était différent. Les épreuves qu’elle avait traversé les avait rapproché, il n’hésitait plus à lui dire le fond de sa pensée, à lui parler comme à une adulte plutôt qu’à une enfant. Certes il continuait à la surprotéger mais leur relation avait évolué dans le bon sens. Elle priait Néera chaque jour pour que cela soit possible avec Guillaume.

« - J’ai été élevé loin de tout. Dans un cadre à la fois strict et rempli d’amour. Je n’ai jamais manqué de rien, mais peut-être qu’être constamment à l’abri de tout … disons que ça ne nous prépare pas à la dureté du monde.» Mathilde laissa échapper un soupir. Non, elle n’avait pas été préparé à ce qu’elle avait ressenti pour Norman, à l’impact qu’avait eu les mots qu’il avait prononcé pour elle, elle avait été élevé en toute innocence et elle se rendait compte aujourd’hui que c’était son ignorance qui l’avait conduite à ce qu’elle était aujourd’hui. « - Le monde vous en veut parce que vous n’êtes pas née comme tout le monde. On porte sur vous un jugement dur sans même avoir échangé avec vous  la moindre phrase…. Vous êtes sûrement la personne la plus forte que j’ai rencontrée, parce que malgré tout ça, vous êtes là la tête haute. Vous ne me jugez pas alors que beaucoup l’ont fait avant vous. Merci pour ça, pour cette heure loin du poids de mes erreurs et de toutes ses règles étouffantes qui font nôtre quotidien.

Vous avez raison, peut-être que je suis trop prompte à accorder ma confiance, peut-être que je devrais me montrer plus méfiante… cela m’aurait épargné bien des larmes et des cris je l’avoue… mais j’espère sincèrement que cette fois je ne me suis pas trompée ! » concluant sa phrase sur un petit rire, Mathilde arrêta les montures et glissa de sa selle.

Le trajet de retour lui avait paru bien trop rapide, pourtant elle n’avait pas forcé l’allure des chevaux loin de là. Elles avaient remonté les rues de la ville et se trouvaient à présent dans la cour du château. Le garde qu’elle avait croisé plus tôt lui adressa un signe de la tête auquel elle répondit par un sourire. Elle guida les chevaux vers les écuries tout en restant à hauteur de Cécilie.

« - Et bien nous y voilà ! Donnez-moi votre main que je vous aide à descendre.
Vous savez, quand j’étais enfant je faisais toujours très attention de bien me comporter lorsque j’étais avec Jérôme. Je voulais qu’il voie en moi une petite fille modèle alors qu’avec Guillaume j’ai toujours été plus naturelle, il vous dirait sûrement que j’étais une vraie chipie. Si je vous dis cela c’est parce que vos fonctions auprès de mon frère et de Maélyne vous forcent peut-être à adopter un comportement particulier avec eux, et puis il y a le poids des convenances, de la bienséance mais sachez qu’avec moi vous pouvez être une petite chipie si cela vous chante !»

Cette balade s’achevait sur une note de bonne humeur très agréable.[/i]

Lorsque Mathilde proposa d'aider Cécilie à descendre, la jeune femme s'appuya plutôt sur la selle pour repasser ses jambes du même côté avant de se laisser glisser à terre… fort peu élégamment mais par ses propres moyens. Elle rit à la remarque de sa compagne.

Oui, elle se comportait bien. De façon étudiée et respectable… autant que possible. Elle voyait exactement ce que voulait dire la cavalière… Comme elle voyait parfaitement de quoi elle parlait lorsqu'elle disait qu'une éducation stricte et aimante protégée de tout ne préparait en rien à affronter le monde extérieur. Elle avait préféré ne pas s'étendre, mais telle était l'éducation des jeune-filles de bonne famille. Des tours d'ivoires qui avaient pour but de les garder innocentes sans leur dire ce qui les attendait réellement.

« Et bien accepteriez vous que la chipie que je suis vous invite à passer la soirée à ses côtés ? J'ai encore une montagne de travail qui m'attend pour aujourd'hui, mais je serais ravie de vous disputer une partie de carte… a moins que vous préfériez les échecs ? »

La journée se trouvait étrangement plus légère qu'elle ne l'avait pensé au réveil…