Entre les alcôves du monde | Oschide

Benoit Meridont Homme de l'ombre berthildois Au service du Marquis

Diantra était une cité en pleine effervescence, et ce malgré les événements du dernier mois. Les rues étaient agitées et animées, mais il y régnait une ambiance malsaine. On manquait de ce qui était nécessaire pour vivre, et les humeurs s'échauffaient rapidement. Meridont était arrivé à Diantra après un voyage discret, se glissant dans les caravanes marchandes qui faisaient routes vers le Sud. Lorsqu'elles se détournaient de la route de Diantra, il les quittait, et se glissait parmi d'autres. Vu l'état de l'ancienne capitale, un homme rompu aux ombres n'eut aucun mal à s'immiscer entre les murailles de la cité ardente. Il sentait le vélin dans sa poche, et son long manteau voilait visage et corps. Il simulait la mendicité, assis sur un banc, tremblant des mains, tandis que devant lui, un étalage presque vide tentait tant bien que mal de se montrer attirant. Le marchand beuglait ses prix, soi disant défiant toute concurrence. A l'angle de la rue, comme de coutume, l'objet de la présence de Meridont se dessina. Il avait observé le duc de Langehack pendant deux jours pour savoir par où il passait avec son escorte. Et si une approche publique était hors de question, la rencontre devait avoir lieu. Il se leva, lentement, et dans la cohue, bouscula volontairement deux passants qui s'effondrèrent sur l'attelage. Se mêlant dans la foule, les deux passants furent pris à parti par le marchant, et une altercation débuta sous les yeux ébahis ou excités des manants. Rapidement, ils en vinrent aux mains, et la bagarre était telle que lorsque le duc passa, ses hommes ralentirent, pensant devoir intervenir. Ce fut un infime instant, tel une brise matinale, qui effleura le duc de Langehack, et cette brise porta dans sa poche un vélin, qui contenait ces mots : Citation : Monseigneur duc de Langehack Les temps sont si troublés que je me vois avoir recours à la plus grande discrétion pour vous contacter. Si vous lisez ceci, c'est que mon homme a réussi. Sinon, c'est qu'il aura échoué, et qu'il s'est donné la mort. Je vous invite à vous rendre, seul, sous les alcôves de Notre Dame de Deina, ce soir, aux dernières heures de la soirée. Je prie pour que vous y soyez. L'avenir du royaume en dépend. Un ami.

Un jour de plus à passer dans la grande cité des rois. Une fois de plus éloigné de son épouse. Toujours les pieds dans la crasse et la merde des ruelles. Les hauts le cœur récurrents provoqués par les émanations des égouts de la ville. Pas de doute, il ne rêvait que d'une chose : quitter Diantra. Que sa femme soit aussi loin de lui, alors que celle-ci était enceinte et s'apprêtait bientôt à accoucher, lui était particulièrement douloureux à vivre. Mais avait-il d'autres choix ? Ne jouait-il pas son atout en restant ici, prêt à livrer la ville aux futurs renforts qu'il attendait comme s'il avait attendu un messie.

Toujours est-il qu'il n'était arrivé personne depuis quelques ennéades et que la cité commençait à se faire de plus en plus bruyante. Sa garde ne le quittait jamais lors de ses déplacements, ce pourquoi, en ce début de soirée, il sorti accompagné d'une vingtaine d'aigles et de quelques capitaines afin d'arpenter les ruelles débouchant sur les grandes artères.

Une rixe éclata dès lors non loin d'eux entre un marchand et plusieurs manants. Certains de ses hommes dégainèrent, mais lui resta de marbre. Ce qui était nouveau pour les langecins étaient quotidiens pour les diantrais. Ces hommes ne parvenaient pas encore à s'y faire, mais lui ne les connaissait que trop bien.

C'est en continuant la route, une fois après avoir mis un terme à la bagarre, qu'il sentit un petit bout de papier dans l'une de ses poches. Sans attendre, il se mit à le lire et qu'elle ne fut pas sa surprise en y découvrant tout le contenu. Ses yeux s'arrêtèrent brusquement sur « l'avenir du royaume en dépend ». Lui faisait-on une mauvaise plaisanterie où était-ce un vrai message ? Etait-ce la promesse d'une embuscade ?

Curieux comme il était d'en découvrir un peu plus, il ne put se résigner à refuser l'invitation. Ce pourquoi il prit avec lui une bonne escorte à la nuit tombée et les emmena en direction de Notre dame de Deina. Il leur demanda ainsi de l'attendre non loin du lieu de rendez-vous et d'intervenir que si les choses se mettaient à mal tourner. De son côté, il prit la direction des alcôves et y découvrit un homme encapuchonné à l'allure fort bien mystérieuse. L'obscurité n'aidant pas, son visage était presque totalement dissimulé. Comment ne pas s'imaginer un traquenard dans ces conditions ?

-J'ai bien lu votre message, mais ne pensez pas pouvoir vous jouer de moi, sinon c'est votre vie que vous perdrez.

Benoit Meridont Homme de l'ombre berthildois Au service du Marquis

Lorsque Benoit entendit l'une des poternes de la cathédrale s'ouvrir puis se refermer, il ajusta son capuchon. On ne rencontrait pas un duc, sous la pénombre de la nuit, sous une alcôve, tous les soirs. Le duc fit preuve d'une légitime prudence, si ce n'est méfiance. En réalité, Meridont aurait été déçu, et méfiant même, si son interlocuteur ne voilait pas une menace dans ses premiers propos. Lentement, sortant de l'ombre, il ouvrit sa cape, afin de montrer ses côtés : aucune lame n'y était. Puis il remonta ses manches, montrant qu'aucune dague n'y était dissimulée. Montrant qu'il n'avait aucune arme, Benoit ne retira pas pour autant son capuchon. Il parla le premier, mais prit le soin de répondre aux doutes du duc, avec tout le respect qu'il était en droit d'attendre. Meridont s'exprimait bien, et distinctement. « Monseigneur n'a nulle raison de croire que je veux me jouer de lui. Les récents événements font prendre à mon maître ces précautions, qu'il déplore - croyez-le bien. Pourtant il se devait d'entrer en contact avec vous. » Il prit une pause, puis marqua chacun de ses mots pour que le duc prenne conscience de leur gravité. « Le Royaume, monseigneur, n'est pas mort. La Ligue ne l'a pas jeté à terre. L'âme des véritables royalistes et loyalistes du Royaume ne sont pas auprès de Tyra. Mon maître a cru comprendre que vous comptiez parmi ces gens ? »

-Fort bien, monsieur, vous m'envoyez ravi de savoir que vous n'êtes pas venu dans le but de me trancher la gorge. J'ose pouvoir affirmer que votre entreprise aurait de toute façon était un échec. Mais par ces temps qui courent, il est tellement dur de distinguer nos amis que vous pardonnerez sans aucun doute mes quelques méfiances à votre égard.

Rassuré, il l'était bel et bien. La simple idée de devoir verser du sang dans un endroit si symbolique lui était particulièrement difficile à accepter. Ainsi fait, il prit son temps pour réfléchir aux paroles du maître espion à la solde d'un homme encore inconnu et se mit à avoir un petit sourire tendu en entendant les derniers mots de l'homme.

-J'aimerais effectivement penser que je fais partie de ces dernières personnes à faire passer la royauté avant tout acte d'indépendance mal avisée, mais je crains d'être bien seul dans cette partie du monde à le penser. Dites-moi qui vous envoie afin que je puisse me faire une idée de qui souhaite s'entretenir en un lieu aussi privé, à l'abri des oreilles indiscrètes ?

Benoit Meridont Homme de l'ombre berthildois Au service du Marquis

Benoit se rapprocha alors du duc, lentement, pour ne pas qu'on prenne ses pas comme les prémices d'une attaque. Il retira son capuchon, et joignit ses mains au bas du dos. D'une voix calme et discrète, il répondit au duc. « Mon maître sera heureux d'entendre vos paroles. » Il fit une nouvelle pause, puis répondit à la principale interrogation du duc. « Je sers Godfroy de Saint-Aimé, marquis de Sainte-Berthilde, seigneur et prieur de Saint-Aimé, seigneur de la Toranne et d'Erignac, cousin de feu la régente Arsinoé, protecteur du Royaume des Hommes. » Benoit demeura silencieux un instant, pour jauger la réaction du duc. Il reprit alors la parole : « La régente était certes un membre de la famille de mon maître, mais celui-ci était en désaccord avec les actions de sa cousine. Si elle était une mauvaise personne, elle n'en était pas moins légitime. Vous le savez, dame Arsinoé a trouvé la mort dans le naufrage de son navire, ainsi que son premier fils Adrien. Ce que peu savent, en revanche, c'est que son second fils Bohémond, héritier du Royaume, a été retrouvé sur les côtes du pays Berthildois. Il a été recueilli par mon maître. » Comme cela faisait beaucoup d'informations, Meridont marqua une pause avant de lâcher le pavé dans la mare. « Mais le jeune roi est mort, d'une pneumonie, durant le mois de Barkios. Nous sommes navrés de vous l'apprendre, monseigneur. »

-J'ai bien entendu parler de ce naufrage et de la présence de Bohémond dans le Berthildois. Néanmoins, en m'assurant que ce dernier est mort, vous semblez de ne pas prendre en compte la présence d'un autre Bohémond à la cour Soltaar. Sans remettre en question les paroles et affirmations de votre seigneur, je ne puis que vous répondre que c'est sa parole contre la leur... Et même si j'aimerai vous croire, il me faudra mettre un terme à mes doutes sur le Bohémond du sud.

A vrai dire, que le Bohémond du sud soit le vrai, il en doutait fortement. Mais le simple fait que son père ait été à la cour de l'estréventine, dans l'entourage de cet enfant le forçait à croire qu'il s'agissait du vrai, où du moins, d'une bonne copie conforme. Prendre un marmot et lui mettre une couronne n'était pas chose difficile. Mais lui, Oschide d'Anoszia, avait été un capitaine de l'armée royale et avait fait parti de l'entourage du très jeune roi pendant un certain temps. Si court soit-il, il gageait à présent d'être en mesure de le reconnaître.

-Vous n'êtes pas venu dans le seul but de m'informer d'une nouvelle qui serait, de toute façon, arriver à mes oreilles tôt où tard. Est-ce que votre seigneur souhaite renouveler le dialogue avec le Langecin ? Si tel est le cas, sachez qu'il trouvera une réponse positive à sa demande.

Depuis trop longtemps, le médian et par conséquent, le Langecin, avaient coupé les ponts avec le Berthildois et le reste du nord. Que le marquis en personne souhaite prendre contact avec lui ne pouvait révéler qu'une chose : la possibilité d'une trêve.

Benoit Meridont Homme de l'ombre berthildois Au service du Marquis

Benoit demeurait calme, écoutant le duc qui s'adressait à lui. « Mon maître a commis une erreur, monseigneur, et il le sait : il a cru que le pays Langecin s'opposait à la couronne. Au vu de vos anciens...alliés, si je puis me permettre, vous reconnaîtrez qu'il était difficile de voir en vous un défenseur du royaume. La scission dont vous vous êtes rendus, heureusement, responsable, a ôté du cœur de mon maître un grand poids. Il espère voir en vous un ami, un allié, un défenseur du royaume. » « Pourquoi, monseigneur, la cousine de mon maître se serait-elle séparée de son enfant ? Elle savait qu'il était le roy légitime, elle qui est morte en se rendant dans ses terres, à Sainte Berthilde. Pourquoi mettre le roy au Sud, alors que le lieu le plus fidèle à la couronne se trouvait, se trouve encore, au Nord ? Le Soltaar n'a reconnu cette mascarade que pour ne pas ployer devant le comte de Velteroc. Vous verrez, bien assez tôt, monseigneur, que le Soltaar dévoilera son vrai visage, celui d'êtres avares du pouvoir. Bien assez tôt, au nom de la couronne, vous verrez que le Soltaar fera maints agissements pour voiler le nid de leurs mauvaises volontés. » « Mon maître ne désespère pas de ramener les grands du Soltaar à la raison. Le roy a beau être mort, cela ne justifie pas que le royaume soit un terrain de jeu pour les grands. Mon maître aurait donc grand plaisir à vous convier à sa table, à Sainte Berthilde, et s'entretenir avec vous, dès que vous le pourrez. Il vous donne sa parole que vous serez reçu en ami, et en allié, et il espère que vous irez dans ces même termes. »

Oschide parut une fois de plus sceptique en entendant les nouvelles paroles du maître espion Berthildois. Ces éléments, ils les avaient déjà tous anticipé et réfléchit. Il était une évidence que la régente ne se serait jamais séparée de son fils. Aucune mère n'aurait préféré se séparer de son engeance au prix d'une triste diversion. Mais comment croire en cet homme alors que son père se trouvait en cet instant même à la cour Soltaar, dans l'entourage d'un potentiel usurpateur. Avait-il d'autre choix ? Obéir à l'estréventine et rester sage devait être sa seule alternative. Néanmoins, si tel avait été le cas, son père l'en aurait informé depuis bien longtemps. Tiraillé entre toutes ces idées qui lui venaient en même temps, Oschide eut le plus grand mal du monde à se décider.

-Je ne demande qu'à croire vos paroles, monsieur et j'ose espérer que votre seigneur saura m'en convaincre, mais pourquoi me rencontrer, si ce n'est pour fonder une alliance contre la ligue ? Existe-t-il d'autres raisons, pour lesquelles je me dois d'être informé, qui pousse votre seigneur à vouloir inviter un ancien ennemi ?

Diantra est dans la plus grande précarité et risque de sombrer à chaque instant. Prévenez votre seigneur que je ne pourrais venir de suite, mais bien une fois que la situation se sera calmée.

Benoit Meridont Homme de l'ombre berthildois Au service du Marquis

Benoit demeurait calme, écoutant le duc qui s'adressait à lui. « La politique de mon maître n'est pas de mon ressort, monseigneur. Lui, et lui seul vous informera de ses projets d'alliance. Mon rôle était de vous transmettre la réalité, et l'invitation. C'est chose faite. Portez vous bien, monseigneur. Puissions-nous vous revoir entre les murs de Cantharel. » Le maître espion recouvrit son cheveux de son capuchon, et disparut entre les ombres des colonnes de la haute cathédrâle. Au début de l'énnéade suivante, la huitième, Godfroy de Saint-Aimé reçut son rapport de vive voix.