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 Ainsi naissent les héros [Alanya]

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Roderik de Wenden
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MessageSujet: Ainsi naissent les héros [Alanya]   Ainsi naissent les héros [Alanya] I_icon_minitimeLun 14 Mar 2016 - 17:34


L'an Huit du onzième cycle
4ème ennéade de Verimios
Le 4ème jour...

Le siège d'Amblère s'était achevé la veille, et les arétans avaient fêté bruyamment la victoire, saluant d'une manière bien à eux la mémoire de leurs frères d'armes tombés au combat. La bataille de Nebelheim avait coûté la vie au comte ; celle d'Amblère avait emporté un grand nombre d'hommes de valeur.

Dirigeant l'ost arétan depuis la mort du comte, Roderik s'était imaginé conclure cette campagne en digne chef de guerre ; il aurait prononcé un discours saisissant devant les troupes victorieuses, flatté l'orgueil des reîtres arétans et vanté leur verve guerrière comme il savait si bien le faire. Mais la blessure qu'il avait reçue en se battant à la place des forges l'avait tenu à l'écart. Et dans le camp, les hommes, ne voyant pas parmi eux le seigneur de Wenden, avaient rapidement fait courir l'inquiétante rumeur : l'Oësgardie, qui leur avait enlevé le comte Wenceslas, puis le comte Alwin, leur enlevait-elle à nouveau l'homme qui les conduisait à la guerre ? Les arétans étaient-ils maudits dès lors qu'ils posaient le pied dans ce pays ?

Qu'on se rassure, cependant ! Roderik allait bien. La blessure n'était pas profonde, et s'il était demeuré à l'écart le soir de la victoire, c'était parce qu'il tenait à faire le moins de cas possible de la nature honteuse de son mal. Car le seigneur de Wenden, le bouclier de l'Est Arétrian, le chevalier malelandois le plus en vue du comté d'Arétria, ce héros légendaire disais-je, s'était pris une flèche dans le cul. Elle était venue lui charcuter la fesse gauche, et sitôt qu'elle lui fut retirée, il avait dû demeurer dans sa tente, allongé sur le ventre, à lutter contre la douleur.

Le soir suivant, il marchait de nouveau, bien qu'il fut obligé de s'appuyer sur un bâton. Il plaisantait même, en affirmant devant ses hommes que cela lui donnait l'impression d'être Duncan du Lys, le baron d'Alonna, que l'on voyait rarement sans sa canne. En vérité, Roderik avait rapidement su faire de sa blessure un argument de poids pour vanter ses mérites. On disait dans les allées des tentes que le seigneur de Wenden avait combattu courageusement avec ses hommes, et qu'il n'avait pas hésité à aller au devant du plus grand péril ; et si tout le monde savait qu'il avait été blessé, bien peu connaissaient finalement la véritable teneur de sa blessure. Bien peu savaient qu'il avait passé l'essentiel de la bataille entouré de rangées compactes d'hommes, et qu'il s'était trouvé relativement peu exposé.
Ainsi naissent les héros.

Sitôt qu'il avait été capable de marcher, Roderik avait tenu à quitter sa tente de commandement et à être vu dans le campement. Renonçant à chevaucher, il avait parcouru les allées à pied, appuyé sur sa canne, et entouré de ses proches : des chevaliers, tels Henry de Rimbert, et quelques-uns de ces reîtres dont la malelande tirait sa réputation, et qui s'étaient illustrés au plus fort de l'action.
Le voir en bonne santé rassura les troupes. On ne tarda pas à le dire d'un bout à l'autre du camp : Amblère leur avait enlevé bien des frères, mais elle ne les avait pas privés du valeureux seigneur de Wenden, qui les avait menés à la victoire ! Et tous ces braves le félicitaient maintenant à chaude voix, l'assurant de leur soutien, et clamant de vive voix combien ils étaient ravis d'avoir pu se battre à ses côtés. Roderik, qui n'avait jamais mené si grand nombre d'hommes, en était tout émoustillé. Il se délectait de l'amour et du respect qu'on lui témoignait ; et, en même temps, se demandait si tout cela était bien mérité. Ne volait-il pas la gloire qui aurait dû revenir de droit au comte Alwin ? N'usurpait-il pas une place qui n'était pas la sienne ? Ses états d'âme, toutefois, ne duraient guère. Même l'homme le plus probe peut céder à la tentation d'entendre les foules scander son nom.

Il poursuivit sa marche, et ses pas le portèrent naturellement jusqu'au camp alonnais ; là, ils arrivèrent au beau milieu d'une cérémonie funèbre. Le clergé de Tyra officiait depuis la veille pour rendre hommage aux disparus et accompagner les héros du Nord jusqu'au royaume de la déesse. Roderik et les arétans qui l'accompagnaient observèrent alors un silence respectueux et, sans se concerter, se joignirent comme un seul homme aux prières et au recueillement.

La lueur du jour déclinait peu à peu sous un voile sombre. Et tandis que la nuit tombante soufflait une brise fraîche, chassant la chaleur estivale de cette journée, les chants funèbres voilèrent le cœur de Roderik, l'allégresse de son bain de foule cédant peu à peu la place au deuil.
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Alanya de Saint-Aimé
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MessageSujet: Re: Ainsi naissent les héros [Alanya]   Ainsi naissent les héros [Alanya] I_icon_minitimeMar 15 Mar 2016 - 16:48

N'y est-il rien de plus dur que la guerre ?
Non contente d'appauvrir une terre, de la dépeupler de ses hommes les plus vaillants, de détruire les récoltes et les troupeaux, de mettre à sac maintes villes, tuer sans vergogne et sans distinction l'ami et l'ennemi, la guerre réduisait tout à Néant. Nulle fête ne fut assez folle ce soir là et si les hommes buvaient en feignant la joie par l'ivresse, ils se saoulaient avant tout pour oublier. Pour éluder la vision horrible de ces corps transpercés, de ces visages meurtris et figés qui jamais ne retrouveront la chaleur d'un foyer.
Alors ils s'imbibèrent assez, désinhibés par cette boisson âpre qu'ils tétaient avec ferveur. On avait fait venir quelques femmes. Une bien maigre consolation mais ils s'en contentèrent, bien trop saouls pour envisager de penser à leurs épouses laissées au pays. Bien trop saouls pour les besogner convenablement. Peut-être était-ce un bien finalement. Les rigoles et les quelques allées entre les tentes se transformaient doucement. Les soldats gerbaient leurs tripes, si bien qu'une fois le liquide sortit, leur repas dégobillé, ils ne crachaient que de la bile. Si l'odeur était nauséabonde, ils ne s'y attardaient pas. Ils en étaient purement incapable de toute façon.
Et ils riaient faussement – ah comme ils ont ri !- et ils parlaient fort. Bien trop fort. Ils se moquaient les uns des autres, s'envoyant à la volé quelques insultes fraternelles. Au fond, ils s'aimaient. Eux étaient en vie non ? Alors ils chantaient à s'époumoner encore et encore. Non, en réalité, ils beuglaient plus. Des chansons que la morale ne retiendrait pas, des quantiques sales et dégradant mais qu'importe! Ils riaient. Et puis, s'ils ne s'étaient pas déjà écroulé d'avoir trop bu ou trop fourrer la pute, ils pleuraient.
Non, au fond, il n'y a rien de plus dur que la guerre; elle qui fait s'ébranler le plus courageux des males.

On ne peut pas dire que la nuit de la baronne fut la meilleure de sa vie. D'abord parce que son époux ne parla que peu. Il souffrait dans son mutisme, pas seulement physiquement mais son coeur était meurtris. Un petit bout de chair sanguinolent qu'elle n'avait pas la force de réparer pour le moment. Qu'il ne voulait pas qu'elle répare de toute façon. Alors, après avoir fait semblant de s'aimer un peu – comme un « ne t'en fais donc pas, je vais bien » - ils s'étaient couché dans le même silence pesant. Ils quitteraient ce pays de malheur dans les prochains jours, le plus tôt possible.
Ils devraient avant cela rechercher les corps restants dans ruelles, le fort et la plaine. Ils n'avaient pu en ramener qu'une infime partie et bientôt, les maladies se propageraient. Il fallait brûler les corps avant que la pourriture ne s'installe.
Le soir de la victoire fut une nuit bien agitée, même pour Alanya.
Au lendemain elle fit appeler un prêtre et chercher les cadavres des hommes d'Alonna. Aucun ne serait oublié, et ce même si le corps manquait. Les hommes avaient un peu dessaoulés de leur fête sans joie, sinon celle d'être encore là. Les mines étaient moins enjouées que la vieille au soir. Les gens prenaient doucement conscience de l'ampleur du massacre. La prise de la ville n'avait pas été une chose facile et beaucoup étaient morts pour la cause commune.
Mais qui retenait ces petits héros dans la grande Histoire ?
Ceux qui, hardis par la bataille, s'étaient jetés au-devant d'un ami, d'un voisin, d'un fils, ceux qui s'étaient sacrifiés pour une personne plus jeune. Qui se souviendrait de leur nom ? La baronne en eut le coeur serré. Elle avait eu de la chance. Son mari et sa fille était saufs et pourtant elle se sentait meurtie. Comme si on lui avait enlevé ses fils. Les enfants d'Alonna qu'elle avait espéré secrètement garder en vie. Elle était en deuil.

La journée touchait à sa fin quand les chants s'élevèrent du camp. Duncan du Lys avait été trop affaibli pour se rendre aux hommages mortuaires, laissant seule la suzeraine de l'Alonnan. Elle portait le deuil mais, à l'inverse des soldats, gardait un silence respectueux. Le prêtre faisait ses offices avec différence. Après tout, lui aussi avait vu ce massacre. On avait dressé la liste des braves tués. Une liste qui fut lu à mesure que le feu était mis à la dizaine, faute de moyen.
Les mélodies qui s'élevaient lui donnèrent un frisson. Bien qu'elle ne porta que peu d'intérêt aux paroles ecclésiastes, l'unité de ces conscrits lui soulevait le cœur. Elle était une mère pleurant ses enfants. L'Alonna portait une nouvelle cicatrice qui mettrait du temps à se refermer complètement. Comment ces gens pourraient-ils retourner à leur vie simple ou à leur devoir après avoir vu pareils horreurs ? Après avoir enterré ce frère, cet homme à qui ils avaient confié leur vie, leur âme, leur existence, que leur restait-il ? Rien.
Et le prêtre eut fini. Le ciel se teintait d'orange et d'or, tandis que brûlait dans la plaine les cadavres, faisant parvenir les effluves des corps calcinés. Quelques affligés restèrent là et la baronne aussi. Elle se refusait à partir. Elle n'arrivait même pas à décrocher les yeux de ces brasiers hypnotiques, qui emportaient avec leurs langues enflammées les derniers vestiges de valeureux combattants. Ce soir encore, les hommes feraient la fête. Ils chanteraient des chansons grivoises à leur mémoire. Ils boiront pour étancher la soif de leur compagnon décédé et ils baiseront la femme que jamais plus ces morts ne toucheront. Mais là, alors que le monde se dissipait, elle distingua un homme.
Il était de bonne carrure, plutôt agréable et la mine grave s'alliait à la perfection avec sa canne de fortune. Un autre homme qui avait connu la guerre et qui semblait en avoir connu les amères cicatrices. Elle s'avança doucement, respectant le silence du lieu. Certains se recueillaient encore, entre les sanglots qu'ils ne pouvaient cacher et les prières muettes.
Et plus elle s'approchait, plus se visage fermé par le respect aux morts lui parlait. Un seigneur assurément, bien que sa tenue austère ne donnait plus d'indications.

« Toute bataille comporte des risques et pourtant l'on espère toujours voir le moins de ces brasiers inonder la plaine. ». Les yeux de la belle s'était reporté sur le feu crépitant quand elle fut à hauteur respectable. Elle parlait bas mais assez pour que ce curieux personnage l'entende. « Des héros que l'Histoire oubliera de citer au profit de ceux qui restent. ». Un maigre sourire d'une morne tristesse s'ancra sur ses lèvres. Elle avait besoin de parler et de se rattacher à quelque chose de vivant.
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MessageSujet: Re: Ainsi naissent les héros [Alanya]   Ainsi naissent les héros [Alanya] I_icon_minitimeMer 16 Mar 2016 - 14:02

Il fallut un certain temps avant que le seigneur de Wenden ne réalise que c'était à lui que s'adressait la dame. Et encore quelques instants de plus pour qu'il n'arrive à identifier ce visage. Ces grands yeux bleus, ce visage fin et délicat couronné d'une chevelure aussi noire que la nuit, appartenaient à Alanya de Broissieux.

Il ne l'avait guère croisée depuis que l'ost alonnan était venue se joindre aux armées du Nord. C'était davantage son époux, le baron Duncan, qui s'était prêté aux rencontres protocolaires et qui avait prit part aux conseils de guerre, tout comme il avait physiquement prit part à l'assaut. Non, en effet, depuis qu'il se trouvait à Amblère, Roderik n'avait pas vraiment rencontré la baronne ; pas avant ce soir.
Mais il en gardait un souvenir plus précis, plus vif, datant de la campagne d'Alonna quelques mois plus tôt, lorsqu'Arétria, Etherna et un détachement de troupes royales avait chassé les partisans du prétendu roi Goar, et placé les Broissieux à la tête de la baronnie. L'événement n'était pas si lointain, mais Roderik avait l'impression qu'il remontait à des lustres. A l'époque, c'était encore le comte Wenceslas qu'il servait, peu avant que celui-ci ne décède et lègue son titre à son oncle Alwin. Les hommes vont et viennent, ils vivent et meurent, et le monde continue d'être.

- L'Histoire est la plus infidèle des femmes, murmura Roderik. Tant d'hommes la courtisent, tant d'hommes la servent, et elle en oublie la plupart...

Lorsqu'il s'adressait à une personne de haut rang, Roderik se sentait toujours obligé d'user de figures de style pour avoir l'air brillant. Le plus souvent, ses tournures étaient maladroites et vides de sens ; mais cela importait peu. Il s'arrêta naturellement près de la baronne, tandis que le silence, à peine altéré par leurs murmures, retombait entre eux.

Quelque temps plus tôt, il avait été surpris d'apprendre la présence de la baronne dans le camp de siège ; c'était d'autant plus surprenant qu'on la disait enceinte jusqu'aux dents, et Roderik avait cru comprendre qu'elle avait accouché dans sa tente tandis que s'éternisait le siège.
A présent, il était tout aussi surpris de découvrir chez elle une sensibilité qu'il n'aurait jamais soupçonnée ; l'émotion, la compassion qu'elle témoignait aux hommes qui s'étaient battus pour elle tranchait avec l'image qu'il s'était faite d'Alanya de Broissieux. Une image peu flatteuse, qui s'était formée lorsqu'elle avait, une fois investie de l'honneur baronnal sur Alonna, renié le serment qu'elle avait prêté à Jérôme de Clairssac. Roderik s'était alors figuré qu'elle était une redoutable manipulatrice, une obstinée, calculatrice et sans vergogne, usant de son intelligence et jouant de son apparence de faible femme pour satisfaire ses ambitions.
Et il le pensait toujours.
Néanmoins, il ne pensait pas que l'empathie qu'elle témoignait à cet instant précis fut exagérée ; elle semblait sincère, et il s'autorisa à croire que derrière l'arrivisme et l'orgueil de la baronne se dissimulaient un coeur et des sentiments.

- Mais tous les héros ne meurent pas, et les hauts faits de certains d'entre eux ne seront pas oubliés. L'audace de votre époux nous a été d'un grand secours. S'il n'avait pris la citadelle, qui sait combien d'autres brasiers aurions-nous dû allumer ?

Il adressa un sourire aimable à la baronne, voulant témoigner de son respect pour son époux. Il ignorait, bien sûr, qu'un mal rongeait alors le baron d'Alonna. Un mal autrement plus sérieux, et aux conséquences plus graves, que la flèche qu'il avait prise dans le fessier.
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Alanya de Saint-Aimé
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MessageSujet: Re: Ainsi naissent les héros [Alanya]   Ainsi naissent les héros [Alanya] I_icon_minitimeMer 16 Mar 2016 - 16:40

Le temps filait. A vrai dire, le silence était plus évocateur que la parole à ce moment-là. Les yeux toujours fixés sur les feux tandis que l'odeur de chaire brûlée chatouillait allègrement leurs narines. La guerre était un mal qu'il fallait parfois donner. Tout le paradoxe de l'autorité d'un suzerain était de discerner le moment idéal et d'estimer avec sureté le nombre de pertes acceptable.
Un nombre de perte acceptable.
Rien que l'idée partageait la baronne. Fallait-il en rire ou bien en frissonner d'écœurement ? Peut-être les deux. Elle n'était pas douée pour l'art militaire, c'était une chose sûre. Elle ne savait pas mener des hommes sur un champ de bataille, ni même les organiser de manière intelligente. Non, elle était bien ignorante de tout cela. En revanche elle connaissait les risques d'envoyer tantôt trop d'hommes, tantôt trop peu. La baronne savait réfléchir à long terme car la guerre était ce qu'elle était: une salope qu'une fois torchée on ne reverrait pas avant un moment. Il fallait bien admettre qu'au fond, toutes ces fournaises, elle les avait bien voulues. C'était ces fameuses morts que l'on avait bien malgré nous acceptés. Et si sa vie avait été mise en danger ? N'aurait-elle pas préféré voir brûler cinq milliers de corps plutôt que le sien ? Une pensée bien égoïste qui la dégoutait mais qui au fond était certainement semblable à celles de tous ceux qui restaient: "Mieux vaut eux que moi".
Alanya n'avait pas juste l'air triste, elle l'était sincèrement. La petite brise d'été lui rappela un instant sa contrée et sa jeunesse au pied des Monts d'Or. L'Alonna lui manquait plus qu'elle n'aurait pu le croire et même si sa terre n'était qu'à deux jours d'ici. Peut-être était-ce pour cela que le pincement au cœur se faisait plus pressant. Elle voulait rentrer parmi les siens. Emmener Pénélope et son mari loin de cette terre maudite et guérir. Guérir de ce qu'ils avaient vu – ou vécu. Guérir des affres physiques et mentaux.. La belle se doutait déjà que les énnéades à venir seraient de loin les plus dures à affronter.
Le temps apaise les peines.
La tête de cet homme ne lui revenait pas. Elle l'avait déjà croisé, c'était certain mais impossible de se souvenir où et quand. Il avait une allure fière et le visage fermé, mimique de circonstance. Ce qu'il disait n'était pas faux mais elle ne put s'empêcher de laisser échapper un petit rictus amer. Duncan le Héros du Nord qu'ils diraient un jour. C'était peut-être bien vrai, mais à quel prix ?

« La flatterie est toujours bonne à entendre, monseigneur, bien que je doute que le moment soit le plus approprié. ». Elle lui accorda un regard. Une considération somme toute polie mais qui, à cet instant, appuyait largement ses propos. Elle chuchotait, et malgré cela, son filet de voix ne trahissait aucune animosité. Le Lys avait certes bien combattu. Il était un homme fort avisé mais sa hardiesse avait causé certainement plus de macchabés pour l'Alonnan qu'elle n'en aurait jamais accepté. Cela serait très bientôt un sujet de discorde dans le couple baronnial mais ça, nul n'avait besoin de le savoir.
Alors oui, cet homme avait raison. Sans la prise rudement menée par les hommes d'Alonna, le reste de l'armée aurait certainement perdue plus de solides gaillards. La même pensée égoïste que plus tôt lui revint en tête, comme une mélodie sourde. "Mieux vaut les autres que moi". Alanya n'était certes pas une femme de grande vertu et la plupart convenait de la trouver fort déplaisante. Cela aussi était vrai mais au moins, elle avait le mérite de le faire bien.
« Il n'y ai pas un seul homme qui n'ai pas réellement compté aujourd'hui. ». Elle baissa la tête en camouflant un sourire torve. « Mais maintenant la menace Puysarde écartée, c'est à la noblesse de s'illustrer; et l'expérience me fait dire que la bataille sera plus rude encore que ce midi. ». Elle était parfaitement calme et malgré son affliction, elle garadit la tête froide. Le devoir avant toute chose.
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MessageSujet: Re: Ainsi naissent les héros [Alanya]   Ainsi naissent les héros [Alanya] I_icon_minitimeVen 18 Mar 2016 - 8:36

Le seigneur de Wenden fit une moue désabusée. Un flatteur, lui ? La chose avait été dite sans méchanceté, mais il n'aimait pas cela. Il n'était pas un flatteur. Il n'avait jamais eu besoin de déguiser ses sentiments ; mais peut-être en aurait-il eu besoin, s'il avait été d'un rang plus élevé.

- Ne voyez point de flatterie dans mes propos, madame, répondit-il toujours à voix basse, tout en regardant devant lui, le regard perdu dans les flammes des brasiers. Je ne me le permettrais pas avec vous, puisque nous n'avons rien à attendre l'un de l'autre. N'y voyez qu'une marque de respect, car nombre d'alonnans combattaient aux côtés des arétans hier.

Il se permit néanmoins un petit sourire, qu'il effaça bien vite. Pas un seul homme qui n'ait pas compté sur le champ de bataille... les arétans l'avaient célébré comme un héros, mais lui, Roderik, s'était senti plus inutile au cours de cet assaut qu'il ne l'avait jamais été au cours de sa vie. Il n'avait pratiquement rien fait. Il s'était contenté d'être là. Mais peut-être était-ce suffisant, peut-être était-ce que l'on attendait d'un chef.
Et puis, ça avait été bien suffisant pour qu'un archer drow le prenne pour cible.

- Par bonheur, les jeux des grands seigneurs ne me concernent plus. Ce qu'il adviendra de l'Oësgardie n'est plus de mon ressort, et tant qu'elle est gouvernée par des hommes et non des elfes, je saurais bien m'en contenter.

Il tourna la tête vers la baronne, et l'observa attentivement.

- Mais je suis un homme insouciant et irresponsable, alors que vous êtes une grande dame. Et d'ajouter dans un murmure : cela, en revanche, pourrait s'apparenter à de la flatterie.
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MessageSujet: Re: Ainsi naissent les héros [Alanya]   Ainsi naissent les héros [Alanya] I_icon_minitimeVen 18 Mar 2016 - 16:40

Arétria. Enfin elle pouvait remettre un nom sur ce visage fort plaisant quoi qu’ayant subi la guerre. Elle se souvenait à présent de l’endroit où elle l’avait rencontré et avec qui il était à cette époque-là. Le comte Wenceslas lui avait d’ailleurs à l’époque fait forte impression et malgré sa fâcheuse posture, il l’avait tout de même défendue. En ce temps Oschide était encore qu’un simple capitaine de l’armée royale. Les choses changeaient à une vitesse folle. Le voici aujourd’hui duc, heureux en amour et plus fin stratège qu’elle ne le sera certainement jamais tandis que le comte, lui, avait tristement perdu la vie lors de la conquête du sud de la Sgardie par l’Ethernan. Et il n’était pas le seul. Il se disait qu’il n’était pas bon d’être comte d’Arétria. Alwin avait trépassé lors de la bataille précédente et tout le monde craignait pour leur nouveau meneur.
Elle eut un sourire. Au final il ne s’en était pas trop mal sortit en comparaison à ses prédécesseurs. Le sénéchal des armées Arétannes était encore vivant ; blessé mais vivant. Elle reporta un instant son attention sur le brasier. Il avait toujours été là mais elle n’avait pas su le reconnaître. Il avait guerroyé auprès des siens, auprès de Desmond… A cet instant, elle eut un peu honte. Elle ne se souvenait pas même de son prénom et ne connaissait rien sur lui sinon son rôle ici-même. Bientôt il serait certainement le meilleur parti mâle de sa terre et connaîtrait une nouvelle forme de gloire, bien différente des réjouissances de la guerre.
Et malgré sa gêne habilement dissimulée, elle eut un petit rire. Pas de ceux amers et moqueurs, loin de là. Voilà bien longtemps qu’elle n’avait pas apprécié la discussion pour ce qu’elle était. Ici rien n’indiquait le moindre calcul, ni pour lui ni pour elle. Ils étaient là, face aux flammes. Ils parlaient de choses somme toute futiles mais qu’importe ! Cela soulageait le cœur meurtri de la baronne et reposait son esprit. Ni Duncan ni elle ne verrait les déboires politiques qui se joueraient bientôt mais elle n’ignorait pas qu’en rentrant, ils devraient eux aussi s’y plier. L’économie de l’Alonnan, les réformes et toutes ces choses que la guerre avait momentanément flouées devraient être réétudiées, appliquées ou même simplement entendues. Si elle se languissait de son pays, elle n’avait aucune envie de retrouver ses obligations. Au final, elle arrivait à se demander si elle n’était pas mieux ici qu’en Alonna.

C’est un pays stérile où rien de bon ne repoussera plus jamais. Du moins essayait-elle de s’en convaincre. « Et vous ne pensez pas qu’une grande dame – si je puis reprendre vos termes- puisse elle aussi être insouciante et irresponsable ? ». Un sourire franc illumina le visage d’Alanya tandis qu’elle observait avec discrétion son visage. Non, ses yeux ne s’étaient pas trompé la première fois, il était plutôt bel homme. « Allons monseigneur, ni vous ni moi n’ignorons ma triste réputation. »
Une réputation qu’au fond, elle entretenait avec application. Les qu’en dira-t-on ne lui étaient complètement indifférents, ce n’était pas là sa prime préoccupation. Les jacassements de cour lui avaient toujours paru d’une futilité agaçante et si elle n’en avait jamais réellement pris part, elle préférait de loin les alimenter. Elle espérait au fond d’elle qu’en se préoccupant de trop des petites contrariétés qu’elle engageait envers certains membres de la noblesse, les gens se détourneraient assez de ce qui lui importait réellement. Une apparence parmi tant d’autres. Et la Dame de Broissieux n’avait que faire des regards en biais et des moqueries du moment qu’elle parvenait à obtenir ce qu’elle souhaitait.
« Mais je vous l’ai dit, la flatterie est toujours bonne à entendre. Maintenant si l’homme insouciant que vous êtes pouvait rappeler à ma noble mémoire son nom, sans nul doute je pourrais le juger plus allègrement au sein des Commères lorsqu’il aura le dos tourné ». Il n’y avait aucune méchanceté dans ses propos, et qu’ils puissent être mal interprétés lui importait peu. La noblesse avait grande tendance à oublier que parmi tous les bienfaits de la vie, le rire avait la part belle.
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MessageSujet: Re: Ainsi naissent les héros [Alanya]   Ainsi naissent les héros [Alanya] I_icon_minitimeSam 19 Mar 2016 - 2:59


Oh, si, pensait Roderik, les grands hommes et les grandes dames aussi sont parfaitement capables d'être insouciants et irresponsables. Et ils font encore plus de dégâts. Il se tut, voyant qu'elle le regardait avec persévérance. Il se garda de commenter la « sinistre réputation » qui entourait son nom ; à vrai dire, peu d'arétans la connaissaient. Il ne savait, pour sa part, que ce qu'il avait vu. Il savait aussi que, bien que le baron Duncan ait dévoilé son esprit retors à plusieurs reprises au cours des conseils ayant précédé l'assaut, la baronne le mettait encore moins à l'aise. Mais peut-être était-ce parce qu'elle avait des seins ; il est toujours plus difficile pour un homme de sonder l'esprit d'une femme, et Roderik ne savait à quoi s'en tenir avec elle.

- Je suis Roderik de Wenden, madame. Un nom bien insignifiant qui ne prête guère aux commérages, je le crains. Vous l'aurez sans doute oublié sitôt que j'aurais le dos tourné. Vous l'aurez oublié, tout comme ces héros que l'Histoire oubliera de citer au profit de ceux qui restent, dit-il, empruntant pour le plaisir la formule employée par la baronne quelques instants plus tôt.

Insouciant, irresponsable, et presque insolent tout compte fait. Les règles de l'éthique auraient dû l'enjoindre à éviter la familiarité, car tout cela commençait à manquer de dignité ; tout à son bavardage, Roderik n'écoutait plus les prières que d'une oreille distraite. Mais il fallait avouer qu'aussi poignant que ce fut, tout ce cérémonial funèbre était sacrément long, et si Roderik était plus que favorable à ce que l'on honore toutes les mémoires, sa patience connaissait des limites.
Limites qui ne manquaient pas de se réduire à mesure que la plaie de sa fesse gauche, sans doute réveillée par sa longue marche, venait le relancer petit à petit, même en restant immobile. La douleur lui arracha une grimace, et il se courba légèrement pendant quelques instants, s'appuyant sur son bâton pour ne pas tomber, attendant que ça passe.

- Veuillez m'excuser... le bon souvenir des drows, encore. J'ai pris une flèche dans... j'ai pris une flèche dans la bataille.
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MessageSujet: Re: Ainsi naissent les héros [Alanya]   Ainsi naissent les héros [Alanya] I_icon_minitimeLun 21 Mar 2016 - 16:08


Il grimaça, se campant un peu plus sur sa canne. Elle imaginait fort bien le fringuant sénéchal en entretient de boiteux avec son époux et cela lui arracha un maigre sourire. Duncan du Lys souffrait de la goutte, une maladie qu'au lieu de combattre il préférait de loin l'ignorait; il en payait déjà le prix. Les médecins s'affairaient tant bien que mal mais il était de ceux qu'on ne cloue pas au lit – du moins pas quand l'enjeu est aussi grand. Bien sûr la baronne aurait aimé qu'une fois il l'écoute et prenne le repos nécessaire. Oh oui, elle aurait aimé le voir moins souffrir qu'en ces heures où chaque pas devenait un peu plus douloureux que le précédent.
Mais elle le comprenait. N'avait-elle pas, elle aussi, subit les restrictions des soigneurs un peu plus tôt ? Ne les avait-elle pas maudit mille et une fois de ne pas pouvoir ne serait-ce que faire un tour au dehors ? Bien sûr qu'elle entendait ce que son époux lui disait. Elle ne pouvait décemment pas l'obliger à rester dans la tente quand elle-même avait tout fait pour que l'on autorise sa sortie de cet antre qui prenait alors des allures de prison.

La baronne regardait le seigneur de Wenden. Roderik, c'est exact. Elle se souvenait l'avoir vu dans les talons des précédents comtes. Une ombre serviable qui avait toujours fait au mieux pour ses suzerains et ses soldats. Il n'y avait qu'à entendre les bruits qui circulaient dans le campement. Des noms que l'Histoire retiendrait, il en serait très certainement. Quelle joie cela devait être de s'illustrer auprès de marquis, comte ou baron... Oui, cette fierté, cette allégresse elle l'avait déjà ressentie. Aucun homme ne pouvait faire de fausses modesties quand le prestige semblait aussi grand.
« Ne vous excusez pas monseigneur, vous n'y êtes pour rien dans le mal que vous ressentez. ». Elle lui offrit un sourire engageant. Il n'avait pas l'air pédant des grands nobles, et cela lui plaisait au fond. La même assurance de celui qui n'avait rien à perdre qu'elle avait trouvé chez le Lys. C'était d'ailleurs drôle de s'en souvenir ce jour-là. Elle était à présent baronne, et sans nul doute elle méritait son titre mais qui était-elle avant ?
« Voulez-vous que l'on marche un peu? Cela vous soulagera peut-être. ». Si l'intention était bonne, la raison toutefois n'était pas très honnête. A vrai dire, Alanya était laissée des pleurs et des feux. Elle était lassée des prières et malgré son déchirement, elle ne voulait plus voir l'oeuvre de ses décisions. Mais il accepta et les deux prirent la route qui longeait les tentes. Elle préférait marcher, pour sûr.

Des décisions de son époux qui, cherchant la gloire, avait fait des Alonnans une troupe d'hommes morts. Peste soient les Cinq ! Il n'aurait jamais dû risquer tant de vie pour un plan qui avait autant de chance d'échec que de réussite. Certes, maintenant ils étaient des héros, mais à quel prix ? Elle semblait la seule à porter le fardeau de ces corps enchevêtrés. Buvons pour Alonna qu'ils disaient !
« Votre modestie vous perdra Roderik, bien que ce soit là une qualité que je trouve fort louable chez un homme. Laissez donc l'Histoire se souvenir de vous, se rappeler votre rôle ô combien utile dans cette guerre. ». La belle soupira. Que la bienséance et l'étiquette aillent se faire foutre ! Elle voulait se saouler elle aussi. Elle voulait oublier que ses mains étaient pleines d'un sang qui aurait pu ne jamais exister. Elle garda néanmoins contenance, son for intérieur se livrant à une tumultueuse tempête de haine et de dégoût, de fierté et d'abnégation – tout ce qu'elle avait toujours été.
« Vos gens n'ont que faire qu'elle se trouve être vraie ou pas. Cela n'intéresse personne de savoir combien de Sombres vous avez pourfendu ou combien vous en avez épargné. Le même désintérêt pour le nombre d'hommes que vous avez perdu et que vous perdrez encore. ». Elle marqua une pause, son sourire si jovial avait viré dans un faible rictus. « Ils retiendront une seule chose de tout ceci: vous avez fait partit de ceux qui les ont menés à la victoire. Vous êtes leur héros et à jamais vous le resterait. ». Alanya pouffa. « Alors rassurez-vous. On se souviendra pour moi de votre nom et on vous attribuera mille mérites. Je m'assurerais simplement que la retenue et l'humilité en fasse partie ».
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MessageSujet: Re: Ainsi naissent les héros [Alanya]   Ainsi naissent les héros [Alanya] I_icon_minitimeMer 23 Mar 2016 - 15:07


C'était un destin bien singulier que celui du seigneur de Wenden ; il avait prit part à la campagne qui avait mené Alanya de Broissieux sur le trône d'Alonna. Il avait assisté, en spectateur de l'ombre, au différend qui l'avait opposée à Jérôme de Clairssac ; il avait même, en cette occasion, conseillé à son suzerain de durcir le ton avec elle - et c'était un doux euphémisme. Mais Wenceslas ne l'avait pas écouté, il avait préféré jouer les diplomates, ce qui était fort peu dans ses habitudes. Sans doute Wenceslas n'était-il pas aussi froid et insensible qu'on le dit. Sans doute avait-elle usé de ses charmes pour obtenir un peu de soutien de sa part. Lorsque Néera a choisi de doter les femmes de tels atouts, ce n'était assurément pas sans raison...

Et aujourd'hui, il marchait aux côtés de la baronne, sous une lune pâle. Et ils devisaient avec le flegme et l'apathie de deux observateurs du temps, comme s'ils contemplaient une époque à laquelle ils n'auraient pas pris part. Mieux encore, ils philosophaient sur le sens de la victoire, sur l'importance des vérités et la portée du prestige.

- Vos paroles sont justes et vraies, madame, mais je garderais cela pour mes hommes et pour mon retour au pays. Assez parlé de héros, au moins pour ce soir ; ni vous ni moi ne sommes dupes de tout cela.

Il se tut, tandis qu'ils poursuivaient leur balade dans la nuit tiède ; il était à l'extérieur depuis un moment déjà, mais l'air frais lui procurait toujours une sensation de liberté après son isolement prolongé dans la tente. Mieux encore, la chaleur du jour s'était enfuie, et il n'avait pas froid.

- La question que je brûle de vous poser risque fort de vous déplaire, Dame Alanya, mais je pourrais longuement regretter de ne pas l'avoir fait. Et puisque nous sommes des gens raisonnables, et, je crois, toute modestie mise à part, doués d'une certaine intelligence...

Il y eut quelques secondes de flottement ; non que Roderik hésitât à poser la fameuse question, car il était bien décidé à le faire. Mais il cherchait comment l'amener. Comment la formuler, sans que la dame ne puisse se méprendre sur ses pensées profondes.
Puis il se lança.

- Jérôme de Clairssac - avec notre aide, bien sûr - vous a donné la baronnie d'Alonna, dit-il. Il vous l'a donnée, en échange de votre serment, à vous et feu votre premier époux. Oh, sans doute avait-il autant besoin de vous que vous aviez besoin de lui... néanmoins, je m'interroge. Pourquoi lui avoir tourné le dos sitôt après avoir prêté serment ?

La question était d'une incongruité sans limite, et pourtant, elle était prononcée sans méchanceté ni ressentiment. Les arétans n'avaient subi aucun tort de cette situation, et objectivement, Roderik admettait sans difficulté que la suzeraineté sur l'Alonna devait appartenir à Serramire, et à nulle autre, comme cela avait été depuis toujours, et comme cela devrait toujours être. Mais à l'époque, sitôt libérée des griffes de Jérôme, Alonna n'a pas cherché pour autant à se tourner vers Serramire.
Non, Roderik cherchait uniquement à satisfaire une curiosité insolente. Et cette proximité inattendue, cette conversation privée sous le couvert d'une ombre crépusculaire, lui avaient donné l'audace de prendre à parti la baronne.
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MessageSujet: Re: Ainsi naissent les héros [Alanya]   Ainsi naissent les héros [Alanya] I_icon_minitimeMer 23 Mar 2016 - 16:14

La baronne regardait le ciel qui se couvrait de nuit. Quelques nuages épars venaient camoufler avec pudeur les étoiles naissantes. Elle avait vécu toute sa vie au pied des montagnes, à l'endroit où l'on disait qu'il s'agissait le ciel le plus clair de tout l'Alonnan. La douce brise de fin de journée venait lui rappeler avec tendresse ces moments passés. Oh, elle n'avait pas passé une enfance si chaotique qu'elle laissait croire. Certes, Phillipes de Broissieux était un homme dur qui l'avait élevé comme sa pupille, dans l'espoir qu'un jour elle lui succède dans les affaires familiales. Il n'avait jamais eu de grands projets pour son fils – Desmond n'était pas simple d'esprit mais il n'avait jamais eu la volonté et l'intelligence politique dont faisait preuve Alanya.
Le castel sans prétention lui manquait. La tranquillité des lieux et l'insouciante jeunesse lui faisait à présent défaut. Elle l'avait toujours voulu de toute manière, il n'était pas venu le temps des regrets. Elle y retournera surement quelques jours, si ses obligations ne la retenaient pas à Alonna les Trois-Murs. Puis la belle pensa un instant à sa fille. Elle ne pourrait épargner à la charmante Pénélope les affres de la cour et l'absence parentale. A y réfléchir, elle l'enverrait peut-être – lorsqu'elle sera en âge – auprès de son parrain, le duc Oschide. Dans le Langecin, elle vivrait certainement des jours paisibles et bien que l'éloignement la chagrinerait, elle y recevrait une bonne éducation. De plus, Méliane de Lancrais, son amie de longue date, était-elle aussi prête à donner la vie: son bébé était à naître pour le début d'année suivante.
Jamais elle n'avait pensé à cela avant. La charge d'une mère était-elle toujours aussi dure à porter qu'une charge politique ?

Ils marchaient dans l'herbe depuis longtemps flétri par les passages des soldats. Le seigneur de Wenden était dévoré d'une curiosité maladroite, presque insolente mais elle s'en amusa. Comment pouvait-elle lui en vouloir de se tourmenter pour ces mêmes raisons ? Un sourire flotta sur ses lèvres mais elle gagea qu'il ne pouvait le discerner tout à fait dans la pénombre.
Pourquoi l'avait-elle fait ? Elle n'aurait su expliquer avec exactitude ce qui l'avait promptement poussée à faire marche arrière. Un enchaînement de tout supposait-elle, quoi qu'elle n'en n'aurait certainement jamais l'entière certitude.
« N'ayez crainte, beau seigneur. Je ne pourrais vous admonester de vouloir comprendre. Vous étiez là et il est vrai que je n'ai fourni aucune raison au revirement de l'Alonnan. ». Elle avait cette voix sereine et détachée. Il y a bien longtemps, elle n'aurait su répondre avec le même calme et peut-être aurait-elle perdu tous ses moyens. Mais le temps et l'expérience avait forgé en elle une armure d'assurance et de compréhension. Un maigre rempart pour la protéger elle. La noblesse avait des lames bien plus aiguisées que celles des armées et des poisons bien plus forts que ceux des apothicaires. Sous ses plates, la jeune femme était aussi vulnérable que tout autre. Elle se souvenait fort bien de ce que son oncle lui avait un jour dit. La plus grande force d'un homme était d'accepter sa faiblesse, en cela, ceux qui accepte leur sort sont ceux qui tiendront mieux que n'importe quelle muraille . Et force était de constater qu'il avait raison.
« A vrai dire – et pour ne pas vous mentir – il ne s'agit pas là d'une volonté propre à une seule action. La guerre civile a été dure, tant pour nous que pour ceux en face. L'Alonna n'avait pas besoin qu'on lui rappelle chaque jour ses blessures. ». Elle soupira faiblement. « Voyez Roderik. Si nous avions poursuivi dans la même volonté que le seigneur Clairssac, aujourd'hui nous devrions certainement faire face à une nouvelle rébellion et peut-être... Non, c'est certain que je ne pourrais pas même tenir cette conversation. ». Bien sûr qu'elle serait morte. Les Alonnans étaient des hommes bourrus qui n'acceptaient aucune autorité, sinon la leur. Les grands seigneurs ne portaient pas dans leur cœur la Licorne, si bien qu'à peine partit dans sa guerre de conquête, le trône aurait été renversé et elle mangerait aujourd'hui les pissenlits par la racine. « Jamais je ne pourrais montrer toute ma gratitude envers ceux qui nous ont aidé à faire revenir l'ordre parmi nos gens. Mais mon devoir, lorsque j'ai prêté serment devant vous, était de veiller sur le bien-être de mes vassaux et de mon peuple, de veiller à leurs besoins et de leurs prodiguer comme un mère tantôt l'éducation tantôt l'amour. ». Elle eut un petit rire nerveux. « Un jour vous comprendrez certainement ce qu'un tel rôle signifie, et ce jour là vous ne me verrez plus comme la folle qu'il aurait mieux valu pendre quand il était encore temps mais comme une personne respectable qui a fait les choix qui s'imposait pour préserver - tant bien que mal - les siens. ». Elle s'arrêta un instant pour le regarder avec sympathie et bienveillance. « Croyez-moi, au retour de la guerre, l'Alonna avait besoin de se retrouver; et c'est bien pour cela que nous n'avions alors pas plus courtisé Serramire qu'Etherna. ».
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MessageSujet: Re: Ainsi naissent les héros [Alanya]   Ainsi naissent les héros [Alanya] I_icon_minitimeVen 25 Mar 2016 - 10:31


On pouvait reprocher bien des choses à la baronne d'Alonna, mais le manque de franchise n'en faisait pas partie. Et s'il était probable qu'elle garda sous silence certaines de ses motivations profondes, Roderik appréciait qu'elle daigne lui répondre, car rien ne l'obligeait à le faire. Oh, elle n'était pas totalement franche, mais il savait lire entre les lignes ; il doutait fort que la baronne se soit souciée avant tout de veiller au bien-être de ses vassaux - encore moins de son peuple - lorsqu'elle avait tourné le dos à Etherna. Pour lui, elle avait plutôt veillé à se maintenir en place, car si Jérôme de Clairssac ne l'avait pas mise à mort, la noblesse alonnaise, elle, ne s'en serait pas privée. En cela, la baronne avait joliment calculé son coup. Elle avait vu en Jérôme un homme plus docile, elle avait tenté le sort, préférant se l'aliéner lui plutôt que ses propres gens.

Le fait qu'elle se tienne ce soir à ses côtés, bien vivante et toujours baronne, prouvait qu'elle avait misé sur le bon cheval.

- Je ne vous vois pas comme une folle, dame Alanya. Vos ennemis vous qualifient peut-être ainsi, pour mieux vous dénigrer... mais vous n'êtes pas folle. Vous avez fait un choix, et j'ignore s'il a su préserver les vôtres, mais il vous a préservée vous-même. Non, vous n'êtes pas folle, c'est certain.

Il répétait cela avec d'autant plus de conviction qu'il prenait tout juste conscience de la chose. Il l'avait imaginée comme il imaginait toutes ces femmes jouant un rôle majeur en politique, et, s'appuyant sur des lieux communs d'une grande banalité - qu'il suivait par ignorance, ne connaissant personnellement aucune d'entre elles - s'était figuré d'elle une manipulatrice en herbe, tissant ses petits subterfuges en écoutant son coeur plutôt que sa raison.
A présent, il découvrait qu'Alanya était bien plus que cela. Il avait largement sous-estimé ses talents d'intrigante ; elle était bien plus redoutable qu'il ne l'avait cru.

- Le temps vous a déjà donné raison, madame. Et il est probable que l'emprise de Clairssac sur l'Alonna et l'Oësgardie n'aurait pas fait long feu, s'il était arrivé à ses fins. La région était par trop hostile à la venue d'un étranger, dont la seule légitimité était d'être désigné par la régence, au mépris de tout ce qui fut jadis. La dame d'Olyssea n'aurait jamais dû l'envoyer se fourrer dans ce guêpier. Elle n'a compris son erreur que bien trop tard : l'on m'a dit qu'elle s'apprêtait à faire marche arrière, juste avant d'être brisée par le vent de la sédition du comte de Velteroc et de sa méchante femme.

En vérité, c'était le sire de Clairssac lui-même qui avait confié cela à Roderik, un mois plus tôt, lors d'une entrevue à Wenden. Clairssac avait bien failli être victime, lui-même, des égarements de la régence. Et si Roderik n'approuvait pas les actes impardonnables des rebelles du Médian, il comprenait le ressentiment que certains avaient éprouvé à l'encontre de l'Olysseane. Il ne le comprenait que trop bien ; elle avait été son ennemie bien avant de devenir régente, à l'époque où elle revendiquait Sainte-Berthilde, et que Roderik guerroyait dans le camp adverse.
Tant de guerres, tant d'inimitiés stériles, pour en arriver toujours au même résultat : les uns mouraient, les autres vivaient, et le monde continuait d'être.
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MessageSujet: Re: Ainsi naissent les héros [Alanya]   Ainsi naissent les héros [Alanya] I_icon_minitimeVen 25 Mar 2016 - 16:28

« Les mauvais choix se répercutent toujours au moment où on s'y attend le moins. L'Olysséane en a fait les frais, je le crains. »
Elle n'était pas très au fait des tractations qui se déroulaient plus au sud, sinon ce que lui avait fait parvenir le baron d'Apreplaine. Des nouvelles qui devaient sans doute être dépassées depuis quelques temps. Peste soit la guerre ! Aucune nouvelle ne filtrait en bon temps, aussi il était presque impossible pour les gens du Nord de savoir avec précision les intentions du Médian. Déjà fallait-il qu'ils s'en sortent avec les histoires de bébé mort ! Alors même que le Soltaar revendiquait la présence du jeune roi sur leur terre, voilà que les Saint-Aimé avait dit la même chose; le problème se posait d'autant plus que ce dernier avait annoncé la mort du petit Bohémond peu avant le mariage de la baronne. Triste que de mourir si jeune d'une infection !
Au moins remerciait-elle les Sombres pour une chose: avoir occupé les hommes plus au Nord, à des actes somme toute plus pragmatiques. Bientôt, quand tous rentrerait chez eux et que chaque noble sera tout à fait au courant des affaires de la Couronne – ou du moins ce qu'il en reste -, il faudrait alors choisir. Il faudrait prendre position dans un monde de mensonge et de pouvoir où l'ambition prévaut de loin sur la raison et les réelles préoccupations d'un dirigeant. Elle ne pouvait leur en vouloir au fond, qu'y a-t-il de plus attrayant que le pouvoir ? Elle aurait même revendiqué une quelconque affiliation si cela avait été vrai. Autant dire que si elle y avait songé, ne serait-ce qu'un bref instant, d'autres l'auront fait aussi. Et de ça, elle n'avait certainement pas hâte. Alors même que la Péninsule retrouverait un semblant d'accalmie, cela ne fera que souffler sur des braises encore chaudes. Le feu reprendra alors plus vite qu'il ne s'est éteins.
« Jérôme aura même du mal à garder sous contrôle les Ethernans. Un an à guerroyer laisse des marques, tant sur les hommes que dans les caisses. Je doute qu'il puisse se relever aussi vite qu'il ne le voudrait. Malgré nos différents, cela me peine. Il est la preuve encore vivante que les mauvais choix ne font pas les mauvaises personnes. ». Elle lui sourit. Elle pensait ce qu'elle disait. Jérôme était un piètre politique pour autant il n'était pas quelqu'un de foncièrement méchant. Pire même, c'était sa gentillesse maladive qui lui desservait dans l'univers sans pitié de la noblesse. C'est aussi ce manque de discernement qui l'avait conduit à mener des guerres qui ne lui appartenait pas de mener et des allégeances bafouées qui auraient pu être évitées. En d'autres temps, elle aurait pu l'aider et le conseiller. Duncan avait tenté mais il n'est homme plus borné que celui qui court après un doux rêve.

Sur le camp, l'animation avait repris avec la nuit et on pouvait déjà entendre les chants grivois s'élever au-dessus du brouhaha des conversations. Les hommes, même s'ils se préparaient au départ plus qu'imminent, avaient besoin de réconfort. Le retour serait sans doute plus pénible qu'ils n'imaginaient et reprendre la vie là où ils l'avaient laissé serait une véritable torture. Des offices seraient faits à Alonna les Trois-Murs durant presque une demi-énnéade. Les cultes pleureront les morts pui fêteront la victoire sur les impies, poussés au dehors des frontières par de valeureux chevaliers. On adouberait certainement quelques écuyers de petites noblesses. Oui, au final, le travail qui attendait Alanya était d'une banalité triste.
« Qu'allez-vous faire, vous, une fois le camp levé ? »
La question n'avait aucun sens dans leur conversation. Peut-être que la baronne était lassée de parler de politique et de morts. Oui, il était même sûr qu'elle ne voulait pas en entendre d'avantage. Les futilités avaient, en ce moment, plus d'importances que jamais et même si elle se foutait complètement du devenir de cet homme, elle était curieuse de l'entendre parler de son chez lui et de ses projets. Il l'aiderait à s'évader un instant des obligations dont elle avait la charge, d'oublier que ce soir, elle retrouverait le Lys dans le même état qu'elle l'avait laissé. Qu'ils se disputeraient certainement et qu'ils feraient l'amour sans réellement le vouloir et l'un et l'autre. Il était sûr qu'elle s'en fichait d'habitude, mais pas ce soir.
« Pardonnez ma curiosité mais j'avoue avoir perdu la saveur des petites choses dont vous jouissez certainement encore. Avez-vous une femme qui vous attend dans votre domaine ? Des enfants ? ».
Elle voulait savoir ce qu'un homme simple voudrait faire. Savoir qu'au-delà des obligations, il y a toujours une part de bonheur...
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MessageSujet: Re: Ainsi naissent les héros [Alanya]   Ainsi naissent les héros [Alanya] I_icon_minitimeMer 30 Mar 2016 - 14:12


A l'évocation de Jérôme de Clairssac et des difficultés qui l'attendaient à Etherna, Roderik se contenta de hausser les épaules, faisant un geste d'incertitude de la main qui ne tenait pas sa canne.

- Clairssac a été dupé par l'Olysseane, et c'est Etherna qui en fait les frais. Peut-être devrais-je me féliciter de ce que ce ne soit pas Arétria. Le comte Wenceslas n'avait pas aimé qu'on nomme maréchal un homme qui avait été si réticent à reconnaître la régence, alors que lui était un partisan de la première heure. Mais si elle l'avait choisi lui, alors c'est nous, arétans, qui serions embourbés là-dedans. Il ajouta, un sourire précédant une remarque de mauvais goût : et c'est nous qui vous tiendrions grief de votre revirement, dame Alanya.

Ils restèrent silencieux un moment, Roderik méditant sur les singularités du destin, du hasard et des imprévus. A quoi ressemblerait la situation aujourd'hui, si la première campagne de Sgarde avait été un succès ? Et si les drows n'étaient pas intervenus ? Et si la régence n'avait pas été, entre-temps, écrasée par les forces de Velteroc et de Hautval ? La péninsule, unie, aurait sans doute assemblé ses forces et chassé bien plus rapidement le drow. Jérôme de Clairssac aurait obtenu Oësgard pour lui-même, avec le soutien de Diantra. Puis un nouveau conflit aurait éclaté ailleurs. Contre Odélian et Serramire, pour les hommages que Clairssac leur avait renié ; ou contre Alonna, pour l'hommage que celle-ci lui avait refusé.
Mais refaire le monde dix fois, cent fois, ne changera rien à la situation présente.

Ce fut la baronne qui brisa le silence, et ses questions les conduisirent bien loin des jeux de la politique et de la guerre. Pendant toute la durée du siège, Roderik s'était rarement projeté dans l'avenir, au-delà de l'assaut final. Il était temps, à présent. Il eut un sourire amer, lorsqu'elle lui demanda s'il avait une femme et des enfants ; des choses qui, d'après elle, rendaient la vie agréable, mais dont elle ne parvenait pas à profiter elle-même. Surprenante confession, de la part d'une femme qui venait de mettre au monde.

- J'aurais aimé vous donner un peu d'optimisme et de joie de vivre, mais je ne suis que peu pourvu de l'un et de l'autre, dame Alanya. Je n'ai que vingt-cinq ans, mais je ne suis pas étranger au veuvage et j'ai déjà enduré la perte d'un fils. Il parlait rarement de ces choses, agissant la plupart du temps comme si elles ne s'étaient jamais produites ; mais leur discussion avait déjà brisé un tabou, et Alanya avait émoussé une partie de sa réserve. Néanmoins, il ne s'attarda pas beaucoup plus sur le sujet. Mes obligations, depuis, ne m'ont laissé que peu de temps pour songer à m'assurer une descendance. Je n'ai pour toute famille proche que ma sœur Aliénor. Jusqu'à ce que je trouve à la marier, elle aussi...

Il grimaça, car la chose allait forcément s'avérer ardue. Aliénor avait un tempérament rebelle, et on l'imaginait difficilement dans le rôle de la bonne épouse, attentionnée et serviable. Elle en ferait certainement voir de toutes les couleurs à son futur époux. Mais pouvait-il lui en vouloir, alors que lui-même ne montrait guère d'empressement à se marier ? L'idée de prendre pour femme une parfaite inconnue qui partagerait sa vie et son lit n'était pas horrible en soi, à condition que le sort lui en réserve une dont la compagnie soit aussi agréable que le physique. Au moins pouvait-il choisir, mais si la décision lui revenait, le choix n'était pas totalement ouvert. Il avait toujours été prévu qu'il épouse une arétane ; or la femme qui hantait son esprit chaque nuit était serramiroise.

- Il y a bien une femme qui, je l'espère, m'attend... mais elle ne vit pas dans mon domaine, du moins, pour l'instant. Un jour, peut-être, songea-t-il avec la candeur d'un enfant de cinq ans.
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MessageSujet: Re: Ainsi naissent les héros [Alanya]   Ainsi naissent les héros [Alanya] I_icon_minitimeVen 1 Avr 2016 - 15:10

« Je suis désolée pour votre femme et votre fils, monseigneur. ». Elle l'était. Aucune condescendance ne prenait part dans sa voix. Elle ne connaissait que trop bien la douleur d'une perte et, elle devait l'avouer, cela rendait le seigneur de Wenden moins solennel. Elle le voyait désormais comme un homme et non plus comme un de ces emplumés, tenant une conversation plus par principe que par réelle envie. S'il avait eu envie de couper court à leur petite marche, il l'aurait déjà fait. La mort apprenait bien plus sur la vie et son goût que n'importe quelle leçon.
Le rythme lent de ses pas assurait une cadence soutenable pour le boiteux. Ainsi donc elle n'était pas la seule que le sort haïssait, au moins ils étaient deux. Elle se retint de sourire – il aurait été mal venu de le faire durant une telle situation. Oui, la baronne avait envie de rire même. Ah quelle était drôle la vie ! Pour sûr, avec sa tendresse et ses doux aléas... Au moins était-il attendu quelque part. Alanya, quant à elle, devrait se plier aux humeurs de son époux avec la boule au ventre et satisfaire le besoin d'affection de sa jeune fille.
Elle la rendait malade. Elle n'avait pu encore la regarder dans les yeux tant la ressemblance était troublante. Chaque fois que son minois se posait sur le poupon de chair et d'os, elle manquait de défaillir. Ce n'était pas Pénélope qu'elle voyait mais Desmond. Elle en avait même pleuré un soir, tant la similitude semblait troublante. Elle avait le même visage d'ange aux yeux azurés. Ses cheveux étaient ceux des Broissieux : d'un chocolat foncé où, quand le soleil décidait de jouer de ses rayons, l'on pouvait voir de beaux reflets rougeâtres. Elle aurait mille fois préféré qu'il s'agisse de l'enfant du Dragon. Oui, elle l'aurait aimé au moins mille fois mieux.

« Si vous êtes autant épris qu'elle ne l'est, je gage qu'elle vous aura attendu Roderik. Je vous le souhaite de tout cœur. ». Elle lui offrit alors un vrai sourire où ses dents se dévoilaient à demi à travers ses lèvres roses. « Voilà au moins de quoi vous réconforter de la guerre. Et m'est avis qu'elle vous verra comme un héros, elle aussi ».
Blurp.
Le bruit était plus éloquent que la scène qui clôtura sa phrase. Sainte Deina mère des pauvres âmes ! Qu'on apprenne aux hommes à boire ! La gerbe était répandue à leur pieds – si tant est que l'on ne considérait pas les gouttes perdues sur les chausses des deux nobles – et en son sein gisait le fauteur de trouble. Elle ne le connaissait pas mais le maraud avait largement dégobillé devant eux. La baronne aurait pu jurer qu'il avait mangé du poisson et bu beaucoup. Du rhum très certainement à la douleur olfactive qu'elle supportait. Elle aurait voulu jurer et renvoyer le pourceau dans le con de sa mère tant elle était furax mais sa conscience refusa d'ouvrir la bouche. Son estomac retourné, un haut de cœur eut raison de son masque infaillible et elle s'éloigna au plus vite de la marre infecte mais surtout de l'Arétan.
Ah, quelle douce image elle allait encore donner d'elle en ce glorieux jour. Vidant son corps de sa bile, les spasmes de son ventre la tourmentaient tant qu'elle ne pouvait s'arrêter. Maudit soit cet homme ! Maudite soit cette terre ! Et bordel, maudite soit cette putain de guerre ! Quelle charmant panorama que celui du camp d'Alonna ce soir-là. Le vent soufflait sur la plaine, faisant doucement bruisser les herbes meurtries par les passages des hommes. La cité brûlait dans le crépitement joyeux des flammes qui faisaient échos aux bûchers d'hommes morts pour leur liberté – du moins était-ce là une explication chevaleresque de leur venue en Oësgard. Les hommes riaient faussement à la chaleur de quelques feux allumés entre les tentes, et ils buvaient. Ils se saoulaient pour oublier qu'ils étaient des héros. Et, enfin, au milieu de ce mensonge trônait la reine des affabulations, gerbant tripes et boyaux parce qu'elle ne supportait pas la simple vu d'un vomi royalement exécuté.
« Je... ». Elle expirait doucement par la bouche, toujours à moitié pliée par ses délicatesses abdominales. Alanya essayait de se reprendre et de faire front. Après tout, c'était peut-être là une réaction de bonne femme venant d'avoir son enfant. C'était cela bien sûr ! La faute à sa mise-bas peu conventionnelle. « Je vais bien. »
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MessageSujet: Re: Ainsi naissent les héros [Alanya]   Ainsi naissent les héros [Alanya] I_icon_minitimeLun 4 Avr 2016 - 9:10


Pendant que la baronne d'Alonna dégobillait à foison, Roderik resta immobile, la regardant sans mot dire, sans manifester la moindre réaction, pas même le moindre geste de dégoût. Oh, dégoûté, dans un sens, il l'était ; il l'avait trouvée plutôt agréable à regarder, et d'une certaine manière, elle l'avait apaisé et lui avait rendu une certaine confiance en lui ; mais maintenant qu'elle était occupée à gerber partout, la sensation émoustillante que lui procurait parfois un regard furtif sur ses rondeurs de femme s'était, disons, dissipée.

- Vous n'avez pas à avoir honte, dit-il, bien qu'il pensait le contraire. Peu de femmes auraient le courage de mettre au monde un enfant dans un camp militaire. Excepté peut-être les putes qui suivent l'ost et passent d'un combattant à l'autre, mais mieux vaut éviter cette comparaison à haute voix. Cet endroit n'a rien d'agréable, et je vous conseillerais bien de regagner au plus vite vos terres maintenant que cette campagne s'achève... mais j'imagine qu'une armée de médecins vous a dit cela bien avant moi.

Une douce odeur de dégueulis vint lui chatouiller les narines, sans qu'il puisse dire si c'était celui de la baronne ou de l'ivrogne qui sentait le plus fort. L'arôme prononcé du rhum inclinait toutefois pour la seconde hypothèse. Il grimaça, mais cela n'alla pas plus loin. L'odeur pestilentielle des armées était pour lui une habitude, et il avait vu tant de choses immondes qu'il en fallait aujourd'hui beaucoup pour le faire vomir.
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MessageSujet: Re: Ainsi naissent les héros [Alanya]   Ainsi naissent les héros [Alanya] I_icon_minitimeMar 12 Avr 2016 - 15:33

Encore et toujours les mêmes mots, les mêmes phrases et la même empathie. Lorsque la baronne se redressa, elle ne put ignorer le regard sévère que portait Roderik sur sa personne. Comment pouvait-il en être autrement après tout ? Elle venait de décorer les herbes rases et amochées de son précédent repas, mêlant quelques morceaux digérés à de la bile colorée. Un délice de distinction et d'élégance en soit. Elle n'avait certes pas honte mais elle sentait ses efforts pour paraître un peu mieux considérée s'envoler au loin. Il était clair que la guerre n'était pas un endroit pour une femme, d'autant moins lorsque celle-ci avait mis bas à même le campement durant un siège ardu. Ah qu'elles devaient être jalouses ces fantômes de truies allaitantes qui avaient perdue la vie pour moins que ça. Au moins les médecins avaient-ils rincer les instruments avant leur utilisation.
Elle eut un petit rictus à penser qu'au fond, elle était peut-être la seule femme de bonne famille ici présente. Les autres n'étaient que de simples amusements pour les soldats, des filles aux mœurs légères qui habillaient un peu leur cœur de douceur. Ne valait-elle pas autant qu'elle ? Qu'est-ce qui, au fond, différenciait une putain d'une noble ? Peut-être la volonté familiale. Car une chose était sûre: si la profession de belle-de-nuit était largement désavouée par la population – que l'on soit de sang bleu ou non, les mariages arrangées et les entrevues privées, elles, n'étaient que sombre manipulation politique. Ah ! Qu'elles fines politiciennes ces femmes de joie !

« Une armée vous dîtes ? Ah ! Ils m'auraient sanglé au lit s'ils avaient pu ces marauds. ». Alanya reprenait contenance après la petite interlude peu ragoutante. Elle regardait l'homme qui lui faisait face et il fallait avouer qu'il n'était pas du pire acabit. Au moins se sentait-elle un peu moins seule en cet instant. « Moi qui voulait vous faire grande impression, me voilà contrainte d'abdiquer toute chance de vous séduire un jour ». C'était une boutade qui lui décrocha un sourire amusé. Bien sûr qu'il était charmant, mais il n'avait rien de comparable à Duncan. Du moins, le beau blond éclipsait toute les chances du seigneur Wenden. La baronne tentait simplement de reprendre une conversation à peu près correcte, sans que le sénéchal Arétan ne fut obligé de se remémorer les tristes instants durant lesquelles elle avait parût incroyablement faible.
Ce n'était pas là un comportement acceptable de la part d'une femme, alors d'une baronne... Dans une autre vie, elle aurait été tenté de fuir loin, de se terrer dans un trou afin que tous oubli jusqu'à son existence. Mais elle ne le pouvait pas, elle ne le pouvait plus. Elle se devait d'affronter les regards moqueurs, les jugements hâtifs et les boutades grossières des gens qui gravitaient autour d'elle. Peut-être qu'un jour elle trouverait aux yeux du monde une véritable crédibilité. Du moins, c'était ce à quoi elle aspirait.
« Bel héros, il me serait fort aise de vous avoir à ma table ce soir. Nous pourrions parler de vos exploits et de vos terres. ». Elle eut un petit rire. « Acceptez je vous prie Roderik, il me faut me racheter maintenant que vous m'avez vu en fâcheuse posture ».
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