[Lourmel] Froides retrouvailles un soir d'été | Roderik

6ème ennéade de Vérimios, mois d'été de la 8eme année du 11ème cycle.

Le soleil se couchait, lentement, alors que ses derniers rayons réchauffait encore le visage de la Dame. Le repas avait pris fin il y a de cela maintenant plus d’une heure. Habituellement Maélyne était déjà dans sa chambre mais pas ce soir. Marchant paisiblement, bras croisés, le regard tourné vers l’horizon, elle foula l’herbe.  Cela faisait maintenant plus de deux ennéades qu’elle prit l’habitude d’aller prier à la petite chapelle se trouvant dans les jardins. Néerra, Tyra, ou encore Othar, elle les priait tout trois mais pour différentes raisons. Accompagnée de sa fille, Aline, la jeune femme voulait que la petite prenne l’habitude de prier chaque jour, même si la moue de la gamine montrait plus sa fatigue que son enthousiasme d’apprendre des dogmes.

La petite finit par s’endormir sur un des bancs de la chapelle. Maélyne ne put que sourire. D’un geste tendre, elle caressa les cheveux blonds de la fillette et finit par faire une dernière prière.

« Par tous les dieux, faîtes qu’elle ait une longue et heureuse vie, que son visage n’accueille que sourires au lieu de larmes, que ses rêves les plus irréalistes deviennent réalité, que son cœur n’ait aucunement à souffrir…  qu’elle reste la petite fille innocente qu’elle est aujourd’hui. Epargnez-là de tous les maux pouvant exister, ceci est mon seul désir. »

Plusieurs minutes passèrent avant qu’elle ne prenne l’enfant dans ses bras. De retour au château, les servantes prirent le relais, emportant la petite dans sa chambre, l’habillant pour sa nuit. Maélyne vint lui offrir un dernier baiser, laissant ensuite sa fille rêver de ce qui, peut-être, un jour, se réalisera.

De retour au rez-de-chaussée, la Dame se faufila dans ses cuisines, à la recherche d’un fruit ou d’un bout de pain sans se douter, qu’en cette soirée plutôt bien entamée, elle aurait droit à une dernière visite tant espérée.

La colonne de chevaliers, d'écuyers et de sergents, de reîtres et de portefaix, de miliciens et de soudards cheminait une fois de plus en pays serramirois ; mais désormais, toute cette riante compagnie s'en retournait en son doux pays. Pour eux, la guerre était finie ; les drows avaient été chassés, et ce qu'il adviendrait désormais d'Oësgard ne les concernait plus en rien. Vivant les derniers jours de son rôle de chef de guerre, Roderik s'efforçait de maintenir une certaine discipline, afin d'éviter que l'on en vienne à commettre quelque acte dommageable à l'encontre de tel ou tel village. C'est qu'il ne tenait pas à s'attirer les foudres du marquis. La tâche était ardue, cependant ; ses hommes étaient de tout temps des êtres imprévisibles, et il régnait un certain relâchement maintenant que la guerre était achevée.

Mais il n'est plus mauvais maître que celui qui se laisse adoucir. Roderik était lui aussi gagné par l'euphorie de la victoire ; et la gloire qu'il avait acquise pendant cette campagne, tout comme le respect que lui témoignaient ses hommes, le rendaient toute chose. Si bien que ce voyage de retour devint bientôt une expédition fort plaisante, chaque pause devenant un prétexte à la détente. On improvisait parfois des joutes, on plaisantait, on vantait ses hauts faits, tout en mangeant avec appétit et buvant avec grand soif. Tempérant sa droiture d'esprit, Roderik se laissait gagner par l'esprit du jeu ; il lui semblait retrouver un peu de la jeunesse qu'il avait perdue trop tôt, de cette fougue adolescente, cette insouciance et cette inconscience. Il ne buvait jamais jusqu'à l'ivresse, mais sa modération, ces jours-ci, prenait une tournure plus souple. D'ailleurs, la boisson était un excellent remède aux souvenirs douloureux et violents qui marquaient l'esprit d'un homme faisant la guerre.

On campait ce soir-là dans la région de Versmilia, et Roderik, plutôt rieur ces jours-ci, eut étrangement le vin mauvais, car il se souvint de la nuit qu'il avait vécue ici avec la dame de Lourmel. Il se souvint des lettres qu'ils avaient échangées alors que l'on mettait le siège devant Amblère - des lettres formelles, chastes, car il n'avait su coucher le moindre sentiment sur le vélin. Des sentiments, pourtant, il devait bien en éprouver. Il avait cru n'avoir pour elle qu'un profond désir physique ; mais la nuit qu'ils avaient passée ensemble, et la longue séparation qui s'en était suivie n'avaient pas atténué cette attirance, loin s'en faut.

Il vida dans l'herbe sèche son verre de piquette, et plongea son visage dans une bassine d'eau, avant de contempler son reflet. Il ne s'était pas rasé depuis des jours, et sa barbe hirsute lui donnait l'air d'un sauvage. Il resta ainsi un certain temps, pensif, devant ce visage qui était le sien et qu'il ne reconnaissait pas.

L'idée se présenta assez naturellement. Lourmel n'était pas si éloignée, et il aurait tôt fait, en chevauchant seul, de s'y rendre et de revenir, sans que l'ost n'ait le temps de prendre trop d'avance sur lui. Il sourit, amusé par sa propre insouciance. N'avait-il pas mérité de s'accorder cette folie ? Il brûlait désormais de se lancer à l'aventure. Il brûlait de la revoir.

La nuit tombait déjà, lorsque Roderik grimpa sur un cheval et, ayant simplement averti son écuyer Athaulf qu'il reviendrait bientôt, s'élança pour une chevauchée solitaire. Et il chevaucha longtemps dans la campagne profonde, faisant fi de tout danger et de toute prudence, pour gagner Lourmel-la-belle et sa belle.

La ville était endormie lorsqu'il en aborda les faubourgs. Il distinguait le château au sommet de la falaise, silhouette noire se découpant dans les nuances bleutées de la nuit étoilée. Telle une ombre silencieuse, il grimpa la colline jusqu'à trouver la grande porte métallique, ornée de gravures, qui protégeait l'entrée de la demeure seigneuriale. Implacablement close.

Alors Roderik héla la voix pour être entendu des gardes, de l'autre côté.

- Je demande le gîte et le couvert !

Son appel se heurta à un profond silence. Il attendit un peu, avant de répéter, élevant plus haut la voix :

- J'ai fais une longue chevauchée pour venir jusqu'ici, et je sollicite une audience auprès de Dame Maélyne de Lourmel ! Au nom de Néera, ouvrez !

Nouveau silence.

- Par le con de Néera, vous allez ouvrir, oui ! Je sais très bien que vous m'entendez, je ne suis pas complètement con ! A qui croyez-vous parler, bande de débiles ? Ouvrez ! Ouvrez ! Je suis Roderik de Wenden, et je vous pisse dessus ! Je vous baise ! Je vous bute ! Je vous encule !

La porte s'ouvrit alors, révélant une rangée d'arbalétriers. Un homme vêtu d'une cotte de mailles s'avança, l'épée à la main.

- Non mais oh, ça va pas ? Vous êtes complètement taré ! Personne ne parle comme ça !

- Je parle comme je veux, mon petit père. Bon, je dois égorger combien de trous de cul dans votre genre pour qu'on me laisse entrer ?

- Emparez-vous de cet imbécile, et jetez-le au cachot !

- Allez vous faire f... lâchez-moi, mais lâchez-moi ! vociféra Roderik tandis qu'on se saisissait de lui et qu'on l'entraînait de force. Soyez maudits, soyez tous maudits ! Même à Amblère, les drows ne m'ont pas reçu comme ça ! Salauds ! Salauds !

Toujours dans les cuisines, assez mal éclairées, Maélyne avait réussi à dénicher plusieurs fruits, du pain et surtout du bon fromage. Assise à une table acculée contre un mur, la Dame s’offrit ce petit festin, tranquillement. Une servante entra dans la pièce, plutôt exaspérée vu les propos qu’elle tenait. Il semblerait qu’elle n’ait pas remarqué la jeune femme. Maélyne se contenta alors de la regarder faire et surtout de l’écouter.

« C’hommes s’croiv’ tout permis… pfff. J’chui une servante moi, pa z’une d’ses catins d’ville. »
« Un homme du château vous incombe-t-il mademoiselle ? »

L’on put entendre les couverts s’écraser au sol offrant un bruit de cliquetis métallique plutôt désagréable.

« Ma… Ma Dame… Je… J’ne vous savais pas ichi… Je »
« Allons, reprenez-vous, je ne fais que casser la croute. Une petite faim, j’en ai de plus en plus d’ailleurs. C’est à croire si je ne suis pas en train de manger pour deux. » Un sourire vint s’afficher sur son visage ce qui rassura un tant soit peu la jeune femme qui s’était déjà affairée à ramasser les couverts qu’elle venait de faire tomber. « Je prendrais bien un peu de vin… »

Servie gracieusement par la même servante, Maélyne essaya par la suite de comprendre ces problèmes. Mais il semblerait que sa langue décida de se lier. Sans compter qu’un garde décida soudainement de s’inviter dans la pièce.

« Ma Dame… Je ne pensais pas vous trouvez ici… Je… » L’homme semblait réellement surprit.
« Je me permets de prendre quelques vivres, nous venons d’emprisonner un homme et celui-ci nous réclame de la boustifaille. »
« Emprisonner un homme ? A cette heure-ci ? Une bagarre a encore éclatée à l’auberge ? »
« Non Ma Dame… C’est un homme qui s’est présenté aux portes… et... il nous est paru juste de l’envoyer aux cachots… »
« Et pourquoi donc ? Qu’a-t-il donc fait pour mériter ce séjour ? »
« Je pense qu’il serait préférable d’éviter de vous détailler cela, Ma Dame… »
« Allons, cessez donc de me protéger contre vents et marées, cet homme est enfermé dans mes cachots, je souhaite en connaître la raison. » Elle s’était levée, son verre à la main, imposant sa décision. Attendant sa réponse elle prit une pleine gorgée.

« Cet homme se prétendait être le seigneur de Wenden et a clamé haut et fort qu’il vous pissait dessus, qu’il vous baissait et qu’il vous enculait en nous insultants tous de tr… » Il n’eut pas le temps de finir sa phrase que Maélyne avait complètement recraché le contenu de sa bouche. Le liquide rougeâtre avait malheureusement terminé sa course sur le visage de l’homme. D’une main il s’essuya… « Que nous étions tous des trous du cul… » finit il en beauté.

« Quelle honte ! » Dit-elle après s’être essuyée suite à ce malencontreux accident. « Dénigrer ainsi la réputation d’un humble seigneur… bienveillant et… euh… respectueux » La Dame avait du mal à finir sa phrase tellement celle-ci sonnait de manière bancale.

Pressant le pas dans les couloirs, elle descendit ensuite les escaliers qui menaient aux cachots. « Où est-il ? » Demanda-t-elle sur un ton qui montrait amplement son taux d’énervement.
« Au fond ma Dame. »
« Très bien, apportez lui donc son dernier repas avant qu'il ne soit lui-même servit à la bête. »

Il avait l'air malin, à présent.

Allongé à même le sol, l'air hagard, Roderik traçait paresseusement des signes dans la poussière. Il avait l'impression d'être ailleurs, mais il aurait été difficile de dire où exactement. S'il y avait bien un endroit où il n'imaginait pas se retrouver un jour, c'était dans un cachot de Lourmel.
Oui, il avait sans doute déconné un peu. Il avait le vin aigre, et la chevauchée qui avait duré plusieurs heures lui avait sans doute un peu trop chauffé le sang. Il avait déboulé à Lourmel sans aucune stratégie en tête, car dans sa hâte de retrouver sa belle il ne lui était même pas venu à l'esprit qu'on puisse lui refuser l'entrée.

Finalement, il était entré. Ça oui, il était entré. Mais il aurait peut-être pu trouver un meilleur moyen. Ils pensent que je ne suis qu'un ivrogne et n'avertiront jamais Maélyne. Je vais croupir ici pendant des jours, et si les Cinq m'accordent la chance d'en sortir, qui sait dans combien de temps ?

D'une voix fiévreuse, il appela, espérant qu'un garde l'entende de l'autre côté de la porte de son cachot ; et qu'il daigne s'intéresser à lui.

- Ecoutez, tout ceci est un malentendu ! Enfin, disons que... écoutez ! J'ai manqué de... euh, de tact, et sans doute de politesse aussi...

- Ferme-la, gronda une voix dans le couloir. T'as insulté la dame de Lourmel.

- De... bien sûr que non !

- Tu as dit que tu venais la baiser, la buter et je ne sais plus quoi d'autre... t'as de drôles de fantasmes, et t'es drôlement cinglé.

- Mais pas du tout ! J'insultais les gardes qui refusaient de m'ouvrir la porte. Je ne veux aucun mal à Maélyne de Lourmel, je veux juste, euh... en tout cas, je ne veux pas la buter.

- Tais-toi, tu m'fatigues...

Roderik entendit les pas du garde s'éloigner. Ses chances de se tirer de ce guêpier s'amenuisaient encore.

Il resta là un certain temps à attendre, sans trop savoir que faire.
Puis, pris d'une soudaine inspiration, il jugea qu'il ne se laisserait pas docilement emprisonner. Un rictus déforma ses traits alors que l'idée se manifestait à lui. Dès qu'un garde ouvrira la porte, je lui sauterais dessus, et je foutrais le camp.

Des bruits de pas dans le couloir le firent sursauter. C'était le moment.

De retour au rez-de-chaussée, la Dame essaya de retrouver sa servante. Les cuisines étaient vides, les couloirs aussi ainsi que les différents salons. La fatigue commença à la gagner, ses paupières se faisaient lourdes. Elle prit alors la direction de sa chambre quand le même garde l’interpella à nouveau.

« Ma Dame, le prisonnier a terminé son repas, doit on le jeter à la bête maintenant ? »
« Faites donc ce qui vous semble juste. Aujourd’hui ou demain, qu’importe. Laissez-moi désormais, je suis lasse. »
« Très bien ma Dame. »

Seule dans sa chambre, Maélyne se décoiffa, laissant tomber ses cheveux sur ses épaules, elle retira également tous ses bijoux pour les ranger soigneusement dans ses différents coffres. Plusieurs missives attendaient encore qu’on les lise mais elle n’avait plus le courage de le faire ce soir. Prête à se déshabiller, ses mains vinrent défaire le premier nœud de son corset, puis un deuxième et c’est là, qu’on frappa à la porte. « Oui ? » dit-elle tout en soufflant d’exaspération. « Ma Dame… » Toujours ce même garde. Je me demande si ce n’est pas lui que je devrais jeter en geôle. Se dit-elle.

« Nous avons envoyé l’Godfroy à la cellule du prisonnier… » Il parlait de l’un des gardes du château, si pas le garde. Mesurant plus de deux mètres, peu de personnes arrivaient à deviner son poids. Fait entièrement de muscles, il possédait une force brute des plus impressionnantes. Il était également celui qu’on appelait « la crainte du Kerkand » car il était le seul à pouvoir approcher la bête et à la nourrir.
« Oui, et bien ? Que se passe-t-il ? »
« Le prisonnier a tenté de s’évader mais il a suffi à Godfroy d’un simple coup de bedaine pour l’envoyer à l’autre bout d’la cellule… »
« Eh bien soit, quel est le problème ? Il l’a accidentellement achevé ? »
« Non… Hm… Disons qu’il… a décidé de ne plus bouger de l’entrée… Il… boude. »
Le garde qui se trouvait toujours de l’autre côté de la porte put entendre un TACK venant de la chambre. Ce bruit n’était qu’autre que la main qui claquait contre le front de la Dame.
« Mais pourquoi boude-t-il, ENCORE ? »
Certes, cet homme, vu sa carrure était un atout. Néanmoins, il restait un véritable gosse pour certaines choses.
« Il s’est blessé… »
« Le prisonnier l’a blessée ? »
« Non, il s’est cogné et il a… mal au pouce. »
S’en était trop, la porte s’ouvrit rapidement et le garde eut juste le temps de reculer pour laisser passer Maélyne, qui d’un pas pressée retourna dans ses geôles. Je sens que je vais reconstituer ma Garde d’ici peu…
« Godfroy ! Que se passe-t-il donc ?? » Dit-elle alors qu’elle approcha de la cellule.
« Je me suis… fait mal… regardez » dit-il en montrant son pouce qui après un examen rapide, était… intacte.  « Il n’y a rien Godfroy… Absolument rien…  Bon, relève le prisonnier et retourne à ton poste. » Aussitôt dit, aussitôt fait. Celui avait été attaché suite à sa tentative d’évasion. Et c’est là, qu’elle vu son visage.
« Roderik ??? »
Elle entra précipitamment pour y voir de plus clair.
« Mais que faites-vous ici ??? Est-ce donc vous l’homme ivre qui m’insultait ? »

L'échec cuisant de sa tentative d'évasion avait tant blessé son amour-propre que Roderik ne broncha même pas lorsqu'il vit entrer Maélyne. Les vêtements couverts de poussière depuis sa chute, il se tenait à présent debout, dos collé au mur au bout de la pièce, les mains liées, comme un vulgaire forçat. Pour rien au monde il n'aurait voulu qu'elle le voit ainsi, mais au point où il en était...
Et puis, en y réfléchissant bien, elle l'avait rarement vu dans des situations avantageuses. A chacune de leurs rencontres, il avait su s'illustrer de manière rocambolesque. Néanmoins, cette fois-ci, il fallait reconnaître qu'il avait fait fort.

- Je ne vous ai pas insultée, Maélyne, articula-t-il, la bouche un peu sèche ; il avait prit un coup, mais ce n'était pas trop grave ; il avait surtout soif, car si on lui avait amené à manger, on avait « oublié » de lui donner de l'eau. Ce sont vos gardes que j'ai admonestés... je n'en suis pas fier, mais j'ai eu, disons, un petit coup de sang.

Il jeta un œil au fameux Godfroy.

- Lui, en revanche, je ne l'ai pas insulté, et je ne me permettrais jamais de le faire, les Cinq m'en soient témoins. S'adressant directement à l'intéressé, il bafouilla : oh, et d'ailleurs, je suis désolé pour, euh, votre pouce...

Il reporta toute son attention sur la dame, et sourit, comme s'il se souvenait tout à coup qu'il avait enduré tout ce périple uniquement pour la voir. Néanmoins, les beaux yeux bleu pâle de Maélyne étaient encore habités par la surprise, et, peut-être, la déception. A ce seul regard, Roderik sentit ses forces s'amenuiser.
Mais ça ne dura pas longtemps.

- Bon, dit-il d'un ton dégagé, comment fait-on à présent ?

Un petit coup de sang ? Mais qu’espérait-il recevoir en retour dans ce genre de situation ? Arriver seul, en pleine nuit et insulter les gardes, il ne pouvait avoir qu’un aller simple pour les geôles. Roderik s’adressa à Godfroy mais celui-ci ne répondit que par un grognement. Maélyne se retourna, affichant un air mécontent à l’intention de son gosse molosse et d’un geste de la main lui demanda de les laisser. Elle soupira avant de poser à nouveau  son attention sur Roderik.

- Bon, comment fait-on à présent ?

« Je serais tentée de tout de même vous jeter à la bête. » Commença-t-elle sur un ton très sérieux. « Mais la barbe vous sied si bien que cela me manquerait de ne plus vous voir la porter ainsi. » finit elle, affichant un léger sourire. Elle prit alors ses mains et commença à desserrer les liens qui le retenaient. « Je suis vraiment navrée pour ce malentendu. Je vous présente toutes mes excuses et j’espère que les gardes ne vont pas fait subir de trop mauvais traitements. » Alors qu’elle termina sa phrase, les poignets du bouclier de l’Est Arétan furent libérer et c’est là qu’elle aperçut son bracelet. Oui, celui qu’elle lui avait confectionné avant qu’il ne parte à la guerre. De ses doigts, elle vint le toucher, très étonnée de le voir toujours à la même place.

Elle se reprit. « Venez, remontons. Vous devez avoir soif. » Il put enfin mettre un pied hors de cette cellule pour suivre Maélyne jusqu’à un des salons du rez-de-chaussée. Elle fit quérir une carafe d’eau et quelques fruits. Invitant ensuite Roderik à s’assoir avant de s’adresser à la servante qui venait d’apporter ce qui avait été demandé. « Faites préparer une chambre dans l’aile Est. »

Elle servit ensuite elle-même une coupe d’eau fraiche qu’elle tendit au seigneur avant de lui demander : « Pourquoi venir à une heure aussi tardive et surtout sans aucune escorte ? Avez-vous un quelconque problème ? L’ost Arétan semble pourtant être dans la région de Versmillia. »

Roderik accepta de bonne grâce la coupe qu'elle lui offrait. Rarement au cours de ces derniers jours il n'avait tant apprécié boire simplement de l'eau ; la chevauchée et les péripéties qui s'en étaient suivies l'avaient complètement desséché. Ce n'est qu'après avoir reposé la coupe vide qu'il s'affala contre le dossier de sa chaise, pour fixer Maélyne d'un regard insistant, la déshabillant d'un regard lent et indiscret ; la contemplation de ce visage fin et de ce corps tout en courbes et en rondeurs éveilla en lui des pensées inavouables et des souvenirs indécents.

Alors il daigna enfin lui répondre. Il ouvrit la bouche, hésita une seconde, puis se lança, car il n'était pas raisonnable de continuer à la fixer de cet air licencieux tout en gardant le silence.

- Je voulais simplement vous revoir, lança-t-il très calmement, non sans audace - mais il avait été suffisamment audacieux depuis le début de la soirée pour se permettre de continuer à l'être un petit peu. Et si ma présence ne faisait pas injure à votre dignité, peut-être oserais-je vous dire que j'ai longtemps espéré ce moment, ma dame.

Son passage dans ses cachots et surtout les éventuelles conséquences que cela pourrait avoir, avaient déjà quittés son esprit. Qu’importe la façon, il était à nouveau là devant elle. Maélyne sentit son regard glisser lentement sur elle avec une telle indécence qu'elle n'aurait pas hésitée à hurler au scandale si cela était venu d'un quelconque autre homme. Au lieu de ça, elle le laissait faire et se délectait même de cette sensation de se sentir encore et toujours autant désirée.

Des souvenirs revinrent lui rappeler les moments qu’ils avaient précédemment passés ensemble. Leur premier regard lorsqu’ils se croisèrent au château de Lourmel, débutant ensemble la route vers Arétria. Leur conversation, puis l’attaque de brigands. Elle se revit poser sa tête sur son torse dans cette forêt où il n’y avait qu’eux. Vint ensuite les retrouvailles dans ce camp militaire. La courte route vers sa tente. Son souffle chaud sur sa joue, ses effleurements, ses caresses et ses baisers. Tout cela semblait s’être passé hier, pourtant un mois entier s’était écoulé depuis son départ pour Oësgard.

Son regard croisa le sien rapidement avant qu’il ne s’attarde sur ses lèvres, entrouvertes. A cet instant, elle maudissait d’être assise en face de lui, aussi loin de lui. Imaginant s’en emparer, un frisson la parcourut. Il finit par prendre la parole. Se rendant soudainement compte de son comportement, elle rougit assez fortement. L’aveu de Roderik n’aidant pas à calmer l’état de ses joues.

« Peut-être… que vous auriez dû attendre quelques jours de plus… si cela nous aurait permis d’éviter un tel incident » Sa voix se faisait tremblante par la gêne, mais aussi par ce désir qui s’était soudainement emparée d’elle. Croisant à nouveau son regard,  cette fois-ci, elle ne le lâcha pas. Ses mains se crispèrent légèrement sur ses genoux. Se mordant la lèvre inconsciemment, une certaine tension venait de s’installer entre eux.

- Quel incident, ma mie ? demanda Roderik, affichant un sourire gaillard. J'ai déjà oublié. Je pourrais oublier n'importe quoi, il me suffit de vous regarder.

Son regard insolent ne lâchait pas la dame de Lourmel, et ne manquait rien de l'émoi qui la saisissait. Il constatait sa gêne, voyant ses mains se crisper et ses joues s'empourprer, et il s'en gonflait d'orgueil. Leur séparation trop longue, associée à sa crainte de ne pas revenir d'Oësgard, avaient émoussé autant sa patience que sa retenue. Peu lui importaient les convenances ; peu lui importaient la pudeur et la décence. Il ne le criait pas encore, les mots ne pouvant franchir la barrière de ses lèvres, mais tout son être clamait l'amour qu'il lui portait.

Puis les yeux de la dame se posèrent sur lui, et à son tour elle ne le lâcha plus, le fixant comme dans une attitude de défi ; mais était-ce le seigneur de Wenden qu'elle voulait braver, ou défiait-elle sa propre gêne ? La voyant rougir de plus belle, Roderik y vit un signe. Aussitôt, il quitta sa chaise et vint s'agenouiller auprès de la dame, qui était toujours assise, toujours nerveuse ; et il lui prit la main, une main petite et froide qu'il réchauffa entre les siennes.

- Quel esprit malade m'a convaincu d'aller me battre aussi loin, ma dame ? Vous êtes la seule conquête qui en vaille la peine. Ah ! Je vous veux, Maélyne, je vous veux. Ne me repoussez pas.

« Roderik... » Il était à genoux, ses mains réchauffèrent la sienne. Ses joues gardèrent leurs couleurs rougeâtres. Sa gêne avait encore monté d’un cran au point où, alors qu’elle attendait son retour avec impatience, elle voulait subitement s’évaporer pour lui revenir une fois calmée. « Je vous en prie levez-vous... » Dit-elle en se levant, entraînant l’homme avec elle. « C’est... embarrassant... »

Pourtant un  sourire s’afficha sur son visage malgré son regard fuyant. Il lui fallut quelques instants pour s’en remettre plus ou moins. Sa respiration enfin calmée, elle reprit. « Ne regrettez pas d’être parti combattre, Roderik. Vous et vos hommes avez contribué à éradiquer la menace des noirelfes. Il vous a fallu énormément de courage et vous en êtes revenu victorieux... Vous avez sauvé le nord. »

Maélyne déposa son autre main sur sa joue, la caressant légèrement. Son regard recroisa le sien, ils semblaient échanger tant de choses sans pourtant émettre un seul mot. La Dame sentit son cœur s’emballer, sa respiration s’accélérer. Son corps, sans qu’elle ne puisse affirmer qu’elle l’ai elle-même décidée, se rapprocha du Seigneur. « Pourquoi vous repousserais-je ? Alors que mon cœur hurle votre nom et réclame votre retour depuis notre dernière rencontre. Je brule d’envie d’être à vous, Roderik.»

Se rapprochant d’avantage, elle ne put finalement plus se retenir et s’empara de ses lèvres.  

Ils étaient debout, face à face, à quelques centimètres de distance ; si proche de Maélyne, Roderik pouvait sentir son souffle sur son visage ; enivré par son entêtant parfum, il se sentait littéralement irradier par sa seule présence. Ils se rapprochèrent avec une lente prudence, et ses lèvres rencontrèrent celles de Maélyne, contact doux, humide et infiniment agréable. Cette douce étreinte réveilla d'emblée toute la passion qui couvait entre eux. Il contempla quelques instants ce doux visage, à demi effacé dans la lueur atone des lampes du salon, le regard noyé dans ces beaux yeux bleus, tout en caressant d'une main la chevelure blonde qu'il aimait voir ainsi décoiffée. Roderik ressentit alors tout le poids de sa trop longue absence, de sa trop longue privation d'elle. Il éprouvait l'impression fiévreuse que chaque seconde, chaque caresse échangée pourrait être la dernière, comme si elle pouvait s'y soustraire à tout moment, comme si elle pouvait, entre ses bras, disparaître d'un instant à l'autre. Alors, pris d'un irrépressible besoin d'elle, il l'embrassa avec ardeur, le sang lui battant aux tempes, le cœur lui martelant la poitrine ; il sentait contre sa peau le souffle saccadé de Maélyne, et c'était comme si rien n'était plus important désormais que d'être avec elle, comme si le monde n'était plus qu'eux. Et à mesure que se prolongeait leur étreinte, à mesure qu'ils donnaient libre cours à cette effusion de sentiments et de tendresse, Roderik se montrait de plus en plus entreprenant. Ses mains audacieuses vinrent caresser les hanches de Maélyne, flattant ce doux corps qu'il devinait sous la robe ; puis l'une de ses mains se glissa le long de la cuisse, l'autre, dans le dos de la dame, s'attarda sur les noeuds de son corset.

Il régnait une douce chaleur dans ce salon où le feu de cheminée paraissait mourir.  Son audace semblait avoir enivré son amant, livrant un ardant échange en retour. Non, elle ne regretta pas. Oui, elle s’abandonna totalement, le laissant libre de ses mains, de ses lèvres. Celles-ci avaient d’ailleurs un goût différent. Portant la barbe, la sensation de ces baisers était tout autre.  Revenu de la Guerre, il l’avait laissé pousser. Ayant chevauché plusieurs heures pour la rejoindre, ces cheveux étaient ébouriffés et ses vêtements plutôt poussiéreux, tout cela lui donnait un air assez sauvage, n’en déplaise à Maélyne, bien au contraire. Tous les sens de la jeune femme étaient en éveil. Elle ressentait chacune de ses caresses plus intensément, malgré la barrière du tissu, goutait ses lèvres, se délectant de sa saveur qui lui avait tant manqué,  sentait son odeur et entendait sa respiration s’accélérer. Une des mains de Roderik vint se glisser dans son dos, souhaitant se défaire de ces nœuds qu’elle avait précédemment commencé à délier. Quant à elle, ses lèvres quittèrent les siennes malgré la tentation de continuer ce fiévreux baiser. Celles-ci vinrent effleurer son menton puis descendirent lentement vers son cou pour s’attarder sur cette peau enivrante. Sa langue commença timidement à explorer ce qui s’offrait à elle tandis qu’une de ses mains se faufila en dessous de sa tunique, frôlant son dos du bout de ses doigts encore froids. L’autre vint s’insinuer dans ses cheveux pour venir tendrement agripper sa nuque. Maélyne l’avait attendu, longuement, et cette attente lui donna envie de profiter du moindre instant. Si le temps pouvait s’arrêter, elle le ferait, là, maintenant, tout de suite. Ce moment, ces échanges, la chaleur de son corps, lui tout simplement, lui. Elle n’avait pas encore réussit à le lui dire, mais elle l’aimait, éperdument. Le dernier nœud venait d’être dénoué, sa robe glissa lentement, effleurant sa peau déjà sensible au moindre contact. Son corps frissonna, trembla même. Maélyne resserra alors son étreinte, poussée par le froid qui les entourait. Cette barrière s’était envolée, libérant ainsi son corps mais également ses envies.

Libéré des lacets qui le retenaient, le vêtement glissa au sol dans un froissement d'étoffe, dévoilant Maélyne dans toute la grâce de sa féminité. Exposée au regard de Roderik, à ses yeux étincelants d'envie et ses pupilles dilatées comme sous l'effet de l'ivresse, elle lui faisait face, mêlant son souffle haletant au sien ; comme dans une attitude de défi, sa nudité la rendait à la fois vulnérable et provocante. Continuant de caresser les longs cheveux blonds et soyeux de la belle, Roderik promena l'autre main le long de sa hanche, goûtant la douceur et la fraîcheur de sa peau, embrassant sa bouche avec l'énergie d'un assoiffé s'accrochant à son outre d'eau en plein désert. Sa main vint se poser audacieusement sur l'un de ses seins ; il en savoura le galbe, le découvrant agréablement rond et ferme sous sa paume, sentant le téton durcir au contact de ses doigts. Il n'en fallait guère plus pour l'émouvoir, lui dont la seule présence de Maélyne suffisait à l'électriser. Toujours vêtu, il frissonnait agréablement chaque fois qu'il sentait les doigts fins et froids de la belle parcourir son dos sous sa tunique, mais se sentait plus serré que jamais sous ses vêtements. Il voulait ressentir le contact de sa peau contre la sienne, de sa poitrine serrée contre son torse.

D'un geste brusque, il arrêta momentanément leur étreinte pour se séparer de sa tunique, et ne porta bientôt plus que ses chausses. Sa virilité gonflée s'y trouvait plus que jamais à l'étroit ; il avait envie d'elle, maintenant, tout de suite. La prudence aurait voulu qu'ils s'enferment dans une chambre, où ils auraient goûté le confort d'un lit et la certitude de ne pas être surpris, mais il était trop tard pour cela ; c'était ici et maintenant qu'il voulait la prendre. Saisissant Maélyne par les hanches, il la força à reculer, jusqu'à la plaquer contre le mur, et embrasser sa gorge avec avidité.

D’un geste brusque, il s’était reculé. S’empressant de se débarrasser d’une bonne partie de ses vêtements, Maélyne se rendit compte de leur situation actuelle et des éventuelles conséquences qu’elle pourrait avoir. « Je ne sais pas si… On pourrait nous surprendre. » Avait-elle chuchotée avec gêne. Mais elle n’eut pas le temps d’en dire plus, ou ne l’avait-il simplement pas entendu, qu’importe, la voilà dorénavant acculée contre le mur. Elle oublia bien vite cette dangereuse posture, complètement enivrée par ses baisers. Maélyne admira longuement ses différentes attentions, savourant chaque contact de ses lèvres et chaque caresse qu’il lui offrait. Son corps réagissait à toutes ses délicatesses, prouvant l’émoi auquel il faisait face. Elle n’osa l’avouer, et la rougeur de ses joues en était un des nombreux signes, mais elle ressentait l’intense désir d’être à lui et de ne former qu’un. Alors, comme si elle eût été jalouse du linge qui le couvrait encore, Maélyne rectifia la situation, les plaçant dorénavant tout deux sur un pied d’égalité au niveau de leur nudité. Ses lèvres, aussi avides que ses mains parcoururent le corps de son amant, le rapprochant même d’avantage, souhaitant ressentir sa peau contre la sienne. Elle captura ensuite ses lèvres, échangeant un baiser passionné, mordant même à quelques reprises. La jeune femme ne se lassa pas de cet échange et ne le rompit sous aucun prétexte. Le souffle commença pourtant à lui manquer mais elle se sentit entrer dans une douce extase et ne souhaitait surtout pas en sortir. Sa gêne avait fini par la quitter complètement pour laisser place à l’assurance, elle se montra alors plus insistante encore. Ses lèvres se séparèrent enfin des siennes alors que ses mains vinrent s’agripper dans son dos. Un murmure parvint à l’oreille de Roderik ; la Dame lui avoua toute son impatience, tout son désir, trahissant ainsi l'ardeur qui la faisait désormais frémir.

Les mises en garde de Maélyne ne reçurent pas la moindre réponse, si ce n'est un regain d'ardeur chez Roderik, dont les baisers réduisirent la belle au silence. On ne saurait dire si le chevalier se moquait de la possibilité qu'on les surprenne, ou si l'idée le stimulait. Si Maélyne avait paru légèrement réticente au premier abord, elle s'abandonnait peu à peu à présent, Roderik sentant céder ses dernières barrières. Si bien que, lorsqu'elle l'eut à son tour dévêtu et qu'ils se trouvèrent là, nus et enlacés l'un l'autre, et qu'elle lui avoua, brûlante de désir, l'émoi qui était le sien, Roderik, guère connu pour faire traîner les choses, ne tergiversa pas. Il jeta un regard dans la pièce autour de lui, regrettant qu'ils n'aient pas un lit ni quoique ce soit qui y ressemble à disposition. Avisant un secrétaire dans-lequel la dame conservait des documents, il entraîna doucement Maélyne à sa suite, lui faisant comprendre par de simples gestes ce qu'il attendait d'elle. Elle posa ses mains sur le bord du secrétaire, et se pencha légèrement en avant. D'un geste vif, Roderik appuya dans son dos, l'obligeant à se cambrer davantage.

Le regard de Roderik s'illumina à la vue privilégiée qu'elle lui offrait sur sa croupe ; sa peau pâle semblait briller à la lueur des lampes, teintant ses fesses d'une blancheur éclatante. Il effleura du bout des doigts sa féminité, arrachant un soupir à la belle ; puis, posant ses mains de chaque côté de sa taille, il se glissa en elle. La sensation de ne faire qu'un et la satisfaction qu'il en retira lui arrachèrent un râle de plaisir. Il entama la danse, d'un mouvement souple et lent au départ puis, se laissant guider par le souffle saccadé de Maélyne, devint plus ferme, plus rapide ; le claquement de sa peau contre la sienne résonnait dans la pièce, couvrant presque le halètement des deux amants. Il y avait quelque chose de bestial dans leur étreinte, tant dans le comportement des deux amants que dans la posture peu conventionnelle qu'ils avaient adoptée, à mille lieues de ce que les poètes pouvaient se figurer de l'amour courtois ; mais sans doute ces mêmes poètes n'avaient jamais forniqué de leur vie, sans quoi leurs écrits auraient été un peu moins insipides. Un guerrier qui retrouve sa dame à l'issue d'une sanglante campagne ne saurait se contenter d'un ou deux baisers volés ; toute la violence qu'avait vécue le jeune homme se ressentait dans l'ardeur qu'il mettait à leur étreinte. Une ardeur qui, à son avis, ne déplaisait pas à son amante.

Il y avait entre eux un désir intense, mais qui, Roderik le sentait, dépassait le besoin physique, transcendait le plaisir de la chair. Chaque fois que ses doigts caressaient la peau de Maélyne, chaque fois que sa main s'agrippait à elle, chaque secousse de leurs corps réunis, chaque soupir de la dame diffusaient en lui une félicité qu'il ne comprenait pas. Au-delà de l'attirance sexuelle, c'était la présence de la dame qui lui procurait la jouissance dans toute sa plénitude.
Bon, après, puisqu'il y avait moyen de baiser, il n'y avait pas de raison de s'en priver.

La douceur qu’ils avaient connue lors de leurs premiers ébats dans ce camp militaire n’était pas au rendez-vous cette fois-ci.  Leurs échanges étaient plus vifs, dotés d’une certaine bestialité que Maélyne savourait pleinement, même si elle l’avouerait sans doute jamais. Son excitation couplée à cette soumission qu’il offrait la poussa à se rebeller. Commença alors un véritable combat de domination entre les deux amants. Non, Maélyne n’était pas aussi docile qu’on pourrait le croire, et elle comptait bien le lui prouver. L’homme avait pourtant plus de force qu’elle et n’avait aucun mal à la maîtriser, reprenant à chaque fois sa danse, toujours aussi ferme et rapide, quel que soit leur position et ce, à différents endroits de la pièce. Mais Maélyne ne céda jamais complètement et reprit sans cesse ses attaques. Le combat arrivait à sa fin, au sol, sur une tapisserie qui avait été arraché de son mur… involontairement. La Dame l’avait enfourchée, ondulant énergiquement alors qu’elle assaillait son cou de baisers et de morsures tout en s’agrippant dans son dos, ce qui laissera sans doute quelques marques. Sentant sa jouissance arriver, elle s’empara de ses lèvres pour étouffer ses cris, ne souhaitant pas éveiller le moindre soupçon. Pourtant, il suffisait d’un regard pour comprendre ce qui s’était passé au vu de l’état dans laquelle se trouvait la pièce. Séparant ses lèvres des siennes, ils essayèrent de reprendre leurs souffles. Haletant tous deux, son regard croisa le sien. De longues secondes s’écoulèrent sans qu’elle ne cesse de le regarder, de le contempler. Elle avait finalement gagnée le combat, ou l’avait-il laissé cet honneur ? Cette question restera sans doute longtemps sans réponse.  

Malgré le retour d’une respiration maîtrisée, elle sentait que son cœur s’alourdissait, martelant toujours autant sa poitrine. Une tristesse insupportable l’envahit alors, sans qu’elle ne puisse réellement en comprendre la cause.

« Je vous aime. » Dit-elle, rompant le silence qui s’était installée entre eux. Elle se sentit plus légère et son cœur semblait enfin se calmer. Mais un doute s’empara d’elle. Etait-ce le bon moment, le bon endroit ? S’il y avait bien une chose qu’elle ne souhaiterait pour rien au monde, c’est de le voir se dérober, prendre peur face à cet aveu ou même la repousser. Maélyne chercha alors à se justifier.

« Je ne vous demande rien en retour… Si ce n’est que d’écouter ce que j’ai toujours tant redouté à vous avouer. » La Dame resserra son étreinte, utilisant ses propres bras comme un piège dont il ne pourrait s’enfuir. Son regard se fit plus intense, miroitant légèrement suite aux émotions qui s’emparaient d’elle. Sa voix s’éclaircit alors, comme si Maélyne souhaitait qu’il comprenne chaque lettre qu’elle s’apprêtait à prononcer une seconde fois.

« Je vous aime, Roderik. »

Allongé à même le sol, Roderik reprenait lentement son souffle, la tête de Maélyne posée sur son torse. Pour la première fois depuis bien longtemps, il se sentait serein. Il se demanda s'il n'avait pas fait preuve d'un peu trop de rudesse dans leurs ébats, mais elle avait joliment su lui tenir tête, la sauvageonne. Il sourit en y repensant, tout en caressant ses doux cheveux blonds, et d'effleurer du bout des doigts ses gracieuses épaules nues. Il était apaisé, et n'avait aucune envie de partir, même s'il le faudrait bien.

C'est elle qui, la première, osa avouer à voix haute ce que tous deux savaient déjà. « Moi aussi, Maélyne, je vous aime », répondit-il enfin, et il l'embrassa alors qu'elle l'emprisonnait de ses bras, presque à l'en étouffer. « Je vous aime. » Il grimaça, un faux mouvement de ses jambes réveillant la blessure de guerre qui avait laissé, sur sa fesse gauche, une cicatrice bien nette ; dans leur empressement, il ne s'était même pas demandé si Maélyne l'avait remarquée. Il préférait que ce ne soit pas le cas, ne trouvant pas cette blessure-là particulièrement honorable à exhiber pour preuve de son courage. Enfin, à tout prendre il vaut peut-être mieux être défiguré dans un endroit qui ne se voit pas trop. Il se redressa et, étendant Maélyne sur le dos, enfonça sa tête dans son cou, caressant de ses lèvres la peau de son amante. « L’amour est bon, d’où vient mon malheur ? S’il est mauvais, une merveille, il me semble, en demeure », murmura-t-il, se souvenant des élucubrations de quelque poète dont il avait oublié le nom. « Je devrais vous enlever, ma dame, et partir avec vous loin de tout. »

Il l’allongea sur le dos, caressant de ses lèvres la peau de son cou. Maélyne ferma les yeux et savoura pleinement cette tendresse. Il avait fini par avouer cet amour qu’ils semblaient partager. La jeune femme en était soulagée, elle qui voulait dorénavant le garder auprès d’elle. La Dame pencha légèrement la tête, humant ainsi l’odeur de ses cheveux, tout en déposant un doux baiser sur le haut de son front. D’une main, elle caressa doucement son dos alors que de l’autre, elle entrelaça ses doigts avec les siens. Maélyne avait besoin de cette douceur, elle la réclamait et ce depuis longtemps.

« Je ne vous savais pas poète, Roderik. » Commença-t-elle, affichant un sourire, ravie de le voir sous un autre jour que celui du chevalier qu’il était. Elle songea ensuite à son aveu de l’emmener loin d’ici. Fixant le plafond pour y perdre son regard, Maélyne ne répondit pas tout de suite. Une éternité semblait s’être écoulée lorsqu’elle tourna à nouveau la tête. « La fuite... J’espère ne pas devoir en arriver là... Nul ne sait ce que les dieux nous réservent Roderik mais j’assumerais les sentiments que je vous porte. » Elle se releva, mettant fin à leurs douce étreinte. Elle était légèrement contrariée en plus d’être poussée à se rhabiller au plus vite et à remettre un tant soit peu la pièce en état. Une fois ceci fait, elle se rapprocha de son amant, le prenant dans ses bras pour ensuite dompter quelques mèches rebelles. « Dans un premier temps, vos hommes vous attendent pour rentrer au pays et festoyer votre courageuse victoire. » Elle lui offrit un sourire avant de l’embrasser tendrement. « Ensuite, j’espère ne pas devoir attendre trop longtemps pour vous revoir, si vous me faites trop languir, je n’hésiterais pas à venir frapper à la porte de Wenden en pleine nuit. » Son sourire s’élargit, laissant même échapper un petit rire. La Dame captura une fois de plus ses lèvres. « Votre chambre doit être prête, je pense qu’un peu de sommeil ne vous ferait pas de mal avant de repartir. » La jeune femme ne voulait pas le quitter maintenant, mais il devait se reposer.

Roderik était au bord de l'épuisement, mais il répugnait à passer la nuit seul. Il le faudrait bien, pourtant ; ils avaient déjà pris beaucoup de risques, et à présent que la frénésie de leurs ébats était passée, Maélyne n'était plus tellement disposée à mettre davantage en péril sa réputation.

- Je vous reverrai bientôt, promit-il avant de l'embrasser. Je dois régler certaines choses à Arétria, mais il ne s'écoulera pas beaucoup de temps avant ma prochaine visite à Lourmel. Oh, et je... promets de ne pas trop brutaliser vos gardes, cette fois. Il émit un léger rire, un peu aigre à l'idée qu'en réalité, c'était plutôt les gardes qui l'avaient brutalisé. Pour vous, en revanche, je ne promets rien... murmura-t-il, taquin.

Il eut toutes les peines du monde à quitter ses lèvres. Il dut néanmoins s'y résoudre lorsqu'on appela quelqu'un pour le conduire à sa chambre. Il aurait voulu crier son amour, et pourtant, il se refusait à mettre Maélyne dans une mauvaise posture devant ses gens. Il suivit un jeune page qui le mena jusqu'à la coquette chambre d'hôte, subtilement meublée et décorée pour les invités de marque. Il la trouva pourtant désespérément vide.
Par bonheur, il ne mit pas longtemps à trouver le sommeil. Il se sentait repu, plein de satisfaction à l'idée d'avoir enfin admis ses sentiments à l'égard de Maélyne, et de les savoir réciproques. Et, par la vulve de Néera, quelle soirée ! L'énergie que la belle avait mis dans leur étreinte l'illuminait encore, et le souvenir de leurs soupirs mêlés, de son corps nu se convulsant sous ses assauts, était encore net dans son esprit ; les images fugitives de ce moment réveillèrent son désir d'elle, mais il s'endormit comme une masse avant même d'avoir pu songer à quitter son lit.

Il quitta Lourmel avant l'aube, car il ne pouvait demeurer plus longtemps ; ses hommes, à Versmilia, risqueraient de se poser des questions. Il ne revit pas Maélyne ce matin-là, mais se promit de revenir la chercher au plus vite. Il le ferait. N'était-il pas un homme de parole ?