[Lourmel] Aller - Retour /Lyse

Une fois ses brèves entrevues avec Messire d'Yers et Dame Maélyne terminaient, Mathilde regagna sa chambre. Anaïs s'activait pour remplir les malles comme le lui avait demandé sa maîtresse un peu plus tôt. Son regard glissa jusqu'à Lyse qui se trouvait toujours dans la pièce et son cœur se serra. Elle n'allait pas être contente, elle allait sûrement pleurer mais il faudrait qu'elle soit forte et qu'elle ne cède pas à ses larmes même si la laisser ici lui nouait l'estomac.

« - Anaïs, tu peux arrêter de faire les malles. Laisse nous un instant. Je t'appellerai dans une minute. »

La servante s'inclina et s'éclipsa aussitôt, laissant la mère et la fille seule dans la pièce. Visiblement intriguée Lyse attendit que sa mère lui dise l'origine de toute cette agitation. Elle la rejoignit sur le bord de la fenêtre, là où elle aimait tant se percher et elle lui prit ses petites mains dans les siennes.

« - Il va falloir que je te demande quelque chose de très important Lyse. Tu sais que je t'aime de tout mon cœur et que je t'ai promis que nous resterions toujours toutes les deux...
Ecoute Trésor, je ne vais pas pouvoir respecter cette promesse les jours à venir. Il faut absolument que je rentre à Hiviène ce soir. »

Lyse était une fillette intelligente et l'éclat dans ses yeux lui apprit qu'elle avait déjà compris où elle voulait en venir et avant qu'elle l'interrompe pour protester, Mathilde reprit en serrant un peu plus fort ses petites mains pour lui donner du courage.

« - Tu es une grande fille mon cœur, et je sais que tu peux être un ange quand tu veux. Je te demande juste de patienter quelques jours. Je reviendrai te chercher dès que tout sera réglée d'accord ? Dame Maélyne accepte de te garder ici le temps qu'il me faudra et je te promets de ne pas être trop longue. Anaïs veillera sur toi et Messire d'Yers également. Si tu as le moindre soucis tu peux t'adresser à eux ou même m'écrire. »

Prenant la fillette dans ses bras, Mathilde redouta l'espace d'une seconde qu'elle la repousse.

C'était inévitable, Mathilde savait que son départ allait déclencher un flot de larmes chez sa fille mais elle n'avait pas le choix. Le trajet jusqu'à Hiviène était long, elle devait y être vite ce qui incluait peu d'arrêt, un voyage rapide et les risques des voyages de nuit. Non elle ne pouvait pas prendre Lyse avec elle. Même si la fillette avait déjà parcouru les routes avec elle, dormis à la belle étoile, chevauchée des heures cette fois c'était différent.
La gardant serrait contre elle, Mathilde lui releva finalement la tête pour croiser son regard.

« - Je ne peux pas t'emmener avec moi Lyse. Ma … Ma mère est très malade et je dois vite me rendre auprès d'elle. Je ne veux pas prendre le risque qu'il t'arrive quelque chose et la place d'une fillette de ton âge n'est pas sur la selle d'un cheval à une heure pareille. Je te promets de revenir vite.

Quittant le rebord de la fenêtre, Mathilde se précipita d'un pas rapide dans la chambre, ouvrit le coffre et sortit ses vêtements de monte. Elle les enfila rapidement, noua ses cheveux et jeta sur ses épaules sa cape de voyage. Elle rassembla rapidement quelques effets dans un sac en toile qu'elle suspendit à ses épaules. Elle était prête. Il ne fallait pas traîner, ainsi ils pourraient profiter des derniers rayons de soleil de cette journée pour avancer sans risque.

Se tournant vers la porte de la chambre, Mathilde croisa le regard d'une Lyse toute tremblante. Elle ne l'avait pas vu ainsi depuis le jour où elle l'avait ramené de l'orphelinat. Coupant court aux pensées qui devaient trotter dans la tête de Lyse, Mathilde s'approcha et s'agenouilla devant elle pour la prendre à nouveau dans ses bras.

« - Si je pouvais te prendre avec moi Lyse, je le ferai. Mais... J'ai besoin de savoir que tu es en sécurité et que tu ne crains rien d'accord. Je t'écrirai dès que j'arriverai à Hiviène et je viendrai te chercher le plus tôt possible. C'est promis mon cœur. Montre moi que je peux te faire confiance et comporte toi bien avec Dame Maélyne et ses gens. Je ferai au plus vite. »

La serrant dans ses bras une longue minute, elle l'embrassa sur les deux joues et lui adressa un sourire, pour qu'à travers ses larmes, un agréable souvenir de sa mère.
Après un dernier baiser, Mathilde quitta la pièce sans un regard derrière elle. Rester une minute de plus l'aurait empêché de partir tant elle avait du mal à regarder la peine de Lyse et de savoir en prime qu'elle en était responsable.

5ème jour de la 5ème ennéade de Verimios

Lourmel était enfin en vue.
Si Mathilde n'avait pas eu le temps de s'ennuyer à Hiviène ses dernières ennéades, elle n'avait cessé de penser à Lyse. Jamais elles n'avaient été séparé aussi longtemps et malgré le fait que Mathilde n'était officiellement sa tutrice que depuis un cycle, la jeune femme n'aurait jamais pu imaginer qu'elle s'attacherait autant à cette enfant. D'ailleurs elle n'aurait jamais imaginer non plus tenir le rôle de mère pour une fillette de dix ans. Elle avait certaine lacune en la matière s'était évident et pendant tout le temps qu'avait duré son absence elle n'avait pas cessé un instant de se demander si elle avait pris la bonne décision en laissant Lyse à Lourmel. Elle aurait pu la faire suivre le lendemain avec le carrosse et les hommes qui étaient restés là bas. Mais elle angoissait à l'idée de la savoir sur les routes. Probablement parce que Lyse n'avait jamais voyagé sans elle... Et puis cette dernière ennéade avait été particulièrement pénible, il avait fallu organiser l'enterrement, reprendre la gestion d'Hiviène, répondre aux courriers en instance... Mathilde n'avait pas eu une minute à elle... alors elle en aurait encore moins eu pour sa fille. Pourtant elle redoutait de la revoir, elle craignait que Lyse ne lui parle plus, qu'elle lui en veuille d'être partie aussi longtemps. Comment une fillette de son âge pouvait comprendre un tel départ précipité, une telle absence ?

Les dernières minutes furent les plus longues, mais quand enfin elle put mettre pieds à terre dans la cour du château, Mathilde n'avait qu'une hâte, embrasser sa fille et la serrer dans ses bras.
Elle avait fait envoyé un coursier à Dame Maélyne la veille de son départ d'Hiviène pour la prévenir de son arrivée et il était évident qu'elle irait présenter ses respects à la Dame de Lourmel mais sa priorité absolue s'était Lyse. Tant pis pour les bonnes manières elles attendraient une petite heure.

Un serviteur se présenta à elle alors qu'elle pénétrait dans le château et elle lui demanda sans attendre où se trouvait la jeune De Clairssac.

« - Mademoiselle Lyse doit se trouver dans sa chambre, Dame Mathilde. Je lui ai monté un verre de lait il y a quelques minutes. Elle était absorbée dans sa lecture. »

Remerciant l'homme qui l'avait renseigné, Mathilde monta les marches à grandes enjambées. Il était heureux qu'elle ne croise personne dans les couloirs... Parce que vous pensez bien qu'il n'est pas convenable pour une Dame de courir dans les couloirs d'un château. Et s'était précisément ce qu'elle faisait. A la fin de sa course, Mathilde poussa la porte de la chambre qu'elle avait occupé avec Lyse avant son départ et elle pénétra dans le même élan dans la pièce lumineuse. Il lui fallut une poignée de seconde pour reprendre son souffle mais elle adressait un immense sourire à la fillette qui se tenait près de la fenêtre.

Presque deux ennéades. Ca faisait presque deux ennéades que Mathilde n'avait pas vu sa fille. Jamais elle n'avait été aussi longtemps séparée de Lyse et elle se rendait compte à présent qu'elle la serrait dans ses bras qu'elle lui avait manqué plus qu'elle ne se l'était imaginée. Rassurée par la joie non dissimulée de la fillette, la jeune maman profita de ces quelques secondes pour la garder contre elle.
Si Lyse avait été en manque de câlins, il était indéniable que c'était également le cas pour Mathilde. Elle s'était tellement habituée à l'affection qu'elle se portait mutuellement, que pendant les deux ennéades qu'elle venait de passer sans elle, elle s'était sentie bien seule.
S'écartant légèrement, Mathilde croisa le regard de sa fille et  lui adressa un grand sourire avant de l'embrasser sur les deux joues.

« - J'ai fais aussi vite que j'ai pu Trésor. Je suis tellement contente de te voir. Et comme tu es élégante. Serait-ce l'air de Lourmel qui t'a rendue si coquette ? »

Il n'y avait pas à dire, le contraste était saisissant, entre Lyse bien coiffée et soigneusement vêtue, et Mathilde dans sa tenue de cavalière, couverte de poussière, les cheveux emmêlées.

« - On dirait une petite dame ! »

Fière de Lyse, elle l'embrassa une nouvelle fois et se releva. La position n'était pas confortable, d'autant qu'elle était encore endolorie par les heures qu'elle venait de passer en selle.
Posant la besace en cuir sur le petit corridor, Mathilde farfouilla dedans et en sortit... une nouvelle poupée toute neuve. Elle n'avait pas exactement trouvée la même que Léa, mais celle-ci était tout de même très jolie... d'autant que ses cheveux de laine étaient coiffés avec des rubans de soie rouge, de la même couleur que sa robe.

Mathilde se tourna vers sa fille et, un sourire amusé sur les lèvres, lui tendit son cadeau.

« - Regarde qui j'ai rencontré sur le chemin, penses-tu qu'elle pourrait plaire à quelqu'un ici ? »

Lyse semblait aussi heureuse qu'elle de l'a retrouver et cette pensée fût un réel baume sur son cœur endolori. Elle était son rayon de soleil, la seule personne qui lui avait donné la force de continuer à vivre à la mort de Kiel, et à présent, elle seule parvenait à dissiper les nuages sombres qui l'entouraient depuis la mort de sa mère.
La fillette lui montra fièrement sa jolie robe, lui déclarant qu'elle voulait être belle pour elle. Le cœur de Mathilde se gonfla une nouvelle fois d'amour pour elle et elle répondit à son sourire par un autre.

Quand Lyse fit la connaissance de la poupée, Mathilde fut ravie de voir sa réaction. Surexcitée, comme toujours, mais tellement adorable. La laissant se saisir de son cadeau, la jeune maman fit quelques pas dans la pièce pour revenir vers la fenêtre. Elle s'installa sur le banc et attendit que Lyse grimpe à côté d'elle.
Pourrait-elle lui faire une maison de poupée …. à la maison. Cette fois son cœur se serra. Cette enfant n'avait jamais eu une vraie maison à elle. Elle l'avait tout le temps trimballée d'un endroit à un autre, l'empêchant de s'attacher à un endroit particulier. Ce n'était pas une vie pour une enfant de son âge.

« - Tu peux l'appeler comme tu veux et nous lui fabriquerons une grande et jolie maison. Je suis sûre que nous trouverons tout ce qu'il faut à Hiviène et s'il le faut nous demanderons à Sébastian, le menuisier, qu'il te construise le mobilier. »

Tout pour la rendre heureuse, pensa Mathilde. Elle était son bout de ciel bleu dans la tempête qu'était actuellement sa vie, et elle veillerait sur elle jusqu'à son dernier souffle.
Passant une main sur la petite joue de sa fille, Mathilde croisa son regard pétillant.

« - Je te demande pardon Lyse. Pardon de ne pas t'avoir donné tout de suite la seule chose qu'il te fallait. Nous allons rentrer à Hiviène et une fois là bas tu auras ta chambre et ce sera chez nous. »

Elle espérait pouvoir tenir sa parole.

Tonton Jérou et Tonton Guillou ? Voilà des surnoms qui ne manqueraient pas de la faire beaucoup rire. Poussant un léger soupir Mathilde regarda sa fille quelques secondes sans rien dire. Seulement pour s’imprégner de sa présence. Elle était certaine qu’elle s’était tenue convenablement, du moins autant qu’elle l’avait pu. Et il était également évident qu’elle manquait encore de tenue, surtout pour son âge, mais Mathilde n’avait pas envie de l’enfermer dans le rôle de la parfaite petite Demoiselle bien sage et polie.
Elle lui apprendrait tout ce qu’il faudrait pour qu’elle soit bien vue, mais elle ferait en sorte de ne jamais gâcher cette joie de vivre et cette insouciance qui illuminait à présent son visage.

« - Je dois me nettoyer un peu et changer de robe pour aller voir Dame Maélyne, je n’en ai que pour quelques minutes. Attends-moi là. »

Quittant le bord de la fenêtre, Mathilde ouvrit la porte des appartements et appela Anaïs. Elle savait que sa fille ne l’appréciait guère mais elle espérait que durant son absence elles avaient fait la paix.
Sa servante l’aida à se préparer. Bientôt la saleté du voyage avait quitté son visage, ses cheveux étaient à nouveaux bien coiffés et sa robe lui rendait l’allure d’une Dame de Cour.
Elle était prête à aller saluer la Dame qui avait veillé à son plus précieux trésor durant les deux ennéades qu’avaient duré son absence.

Revenant dans le petit salon, Mathilde s’approcha d’une Lyse rayonnante. Il fallait qu’elle lui dise la vérité, mais peut-être cela pourrait-il attendre un peu.

Toutes les deux prirent donc le chemin du grand hall pour aller se faire annoncer à Dame Maélyne.

* * *

Le soleil s’était couché depuis une bonne heure lorsque Mathilde et Lyse franchirent la porte de leur chambre. A présent qu’elles étaient à nouveau toutes seules, la fillette retrouvait son air enjoué et Mathilde lui souriait avec tendresse.
Une Anaïs toujours aussi silencieuse et aimable l’attendait dans la chambre près de la coiffeuse. Avec son doigté expert elle détacha ses cheveux, dénoua son corset et lui présenta sa robe de nuit. Longue et blanche, mais sans manche c’était l’été après tout.
Quand elle eut terminée, Mathilde la remercia et la congédia pour s’occuper elle-même de Lyse. Leur petit rituel lui avait manqué, elle s’en rendait compte à présent.
Assises sur le lit, Mathilde terminait de brosser les cheveux de sa fille quand elle se décida enfin. Elle n’était plus une enfant, elle avait le droit de savoir la vérité, même si elle était encore fragile depuis la mort de Kiel.

« - Tu sais… Quand je suis partie, je t’ai dit que ma mère était malade. Et bien… quand je suis arrivée à Hiviène, elle était déjà…. » L’émotion qu’elle avait contenu tous ces jours semblait la submerger à présent.
Bien sûr elle avait pleuré sa mère, mais leur querelle avait atténué son chagrin… elle ne parvenait pas à oublier sa colère, elle n’arrivait pas à lui pardonner son abandon… Pourtant, alors qu’elle était seule avec sa fille, elle se rendait compte qu’à présent les rôles étaient inversés. Elle n’avait plus de maman pour veiller sur elle comme elle le faisait avec Lyse ;

« - Elle avait déjà rejoint le royaume de Tyra … Nous irons prier pour elle demain si tu le veux bien. »

Posant la brosse sur la coiffeuse, Mathilde regagna le lit et se glissa sous le drap. Elle n’avait même pas besoin de demander à Lyse si elle voulait aller dormir dans son lit, elle connaissait déjà la réponse.