Le retour du grand frère [Mathilde / Lyse ]

L’été était radieux, encore plus depuis que les habitants d’Hiviène savaient que leur maître était en vie et qu’il reviendrait bientôt. Et qui dit « été » dit … Cerises ! Et oui, plus de fraise. Lyse avait été si gourmande depuis leur retour qu’il ne restait pratiquement plus de fraise dans le potager derrière le château. Mais fort heureusement les branches des cerisiers du verger pliées sous le poids des fruits mûrs. Il était donc tant de les ramasser !

Comme à son habitude, Mathilde avait travaillé toute la matinée dans le bureau de son père. Cela faisait plusieurs jours qu’elle avait terminé de classer, traiter et ranger les papiers qui le recouvraient jusqu’alors. Avec l’aide de Cynérus, elle avait remis les livres de compte à jour, elle s’était rendue chez le boucher du village pour lui passer un savon sur les prix excessifs de ses viandes, elle avait même entamé les comptes sur les récoltes. Chaque silo qui se remplissait, Mathilde en était informée, et tout était répertorié. Heureusement le domaine des De Clairssac n’était pas très étendu mais il nécessitait tout de même qu’elle passe beaucoup de temps derrière le bureau.
Elle s’estimait également très chanceuse parce que depuis le décès de sa mère, elle n’avait eu qu’un seul conflit à gérer entre deux villageois qui réclamait l’usage du même pré pour faire paître leurs bêtes.
Puisque aucun des deux n’avaient voulus se montrer raisonnable malgré ses tentatives pour les réconcilier, Mathilde avait décidé de couper court au débat en faisant placer une clôture supplémentaire pour couper le pré en deux. Qu’elle leur ait tenu tête les avait surpris et depuis Mathilde avait la sensation qu’on la respectait davantage au village.

C’était donc le début de l’après-midi et malgré le soleil éclatant, elle avait entraîné Lyse et quelques servantes et serviteurs dans le verger pour cueillir les cerises. Adeline était la reine des confitures et elle avait déjà hâte d’en manger à nouveau. Lyse était perchée sur les épaules d’un palefrenier et elle riait aux éclats lorsqu’il faisait semblant de la faire tomber.
Alors que tout le monde s’activait gaiement entre rire et chanson, Cynérus rejoignit Mathilde. Cette dernière se trouvait l’ombre du premier cerisier, elle portait un panier en osier déjà bien rempli et elle adressait un sourire accueillant à l’intendant.

« - Vous venez vous joindre à nous, Cynérus ? »
« - Non, Dame Mathilde, j’ai passé l’âge de monter dans les arbres. Je viens vous prévenir que votre présence est requise dans la cour du château. »
« - Requise ? Nous avons des visiteurs ? »[i]demanda la jeune femme surprise que l’intendant fasse tant de mystère.
« - En quelque sorte oui. Dépêchez-vous, je vais apporter ce panier directement en cuisine. »

Tendant le panier à l’homme de confiance de son défunt père, Mathilde dénoua le tablier blanc qu’elle avait passé par précaution autour de sa taille. Elle n’était pas vêtue de façon sophistiquée, une simple robe blanche aux longues manches volantes, surmontée d’un corset bleu nuit. Rien d’extravagant mais taillé dans des tissus de qualité.
Elle passa une main derrière sa tête et elle ramena ses longs cheveux sur son épaule. A défaut de les avoir coiffé convenablement, cela donné un côté moins négligé.
Cynérus lui adressa un hochement de tête et un sourire comme pour lui dire qu’elle était très bien ainsi et elle quitta le verger d’un pas rapide.

Il lui fallut traverser les cuisines, remonter un long couloir et passer le hall d’entrée pour rejoindre la cour. Elle avait bien conscience que les gens qu’elle croisait lui souriaient, elle finit même  par penser qu’elle devait avoir de la cerise quelque part sur le visage… mais Cynérus le lui aurait certainement dit. Seulement une fois qu’elle eut passé la grande porte, il fallut plusieurs secondes à la jeune femme pour tout comprendre.

Il y avait plusieurs cavaliers au milieu de la cour, ils mettaient tous pieds à terre au fur et à mesure. De là où elle était Mathilde pouvait voir Hendrich et un palefrenier s’activait auprès des montures. C’est sûrement grâce à sa chevelure dorée qu’elle le repéra enfin au milieu du groupe d’hommes. Cela faisait presque deux mois qu’elle ne l’avait pas vu, depuis son passage début Bàrkios à Froissart, depuis la mort de Kiel. Et il se tenait là à quelques pas d’elle. Enfin leurs regards se croisèrent et Mathilde se sentit aussitôt sourire.

Faisant fi des convenances et de tous les égards qui étaient dû par le protocole au Baron d’Etherna, Mathilde traversa la distance qui les séparait en courant et elle se jeta littéralement dans ses bras. Si quelques larmes coulaient à présent sur ses joues, il s’agissait de larmes de joie.

« - Tu m’as tant manqué Jérôme. » Sa voix n’était qu’un murmure, et elle se demandait s’il avait pu l’entendre tant son cœur battait fort à présent.

Malgré tout l’amour qui existait au sein de la famille Clairssac, Mathilde ne se souvenait pas d’un instant comme celui-là. Sans même penser aux gens qui se trouvaient là, il l’avait réceptionné dans ses bras et leur étreinte avait duré un long moment. Une telle scène n’aurait pas été surprenante entre Guillaume et Mathilde. Ils avaient toujours été très proches et n’avaient aucune gêne à se montrer leur affection. Mais Jérôme n’avait pas été élevé avec eux, on lui avait appris son rôle très tôt et une distance s’était malgré tout créée dans la fratrie. Pourtant à cet instant, ils étaient plus proches qu’ils ne l’avaient jamais été.
Il lui glissa à l’oreille qu’elle lui avait manqué et instinctivement ses bras se resserrèrent un peu plus autour de son cou. Tant de chose avait changé, il n’était plus le même homme qu’elle avait retrouvé à Etherna. Son visage était marqué par le soleil, la fatigue et les combats. Elle se rendait compte à quel point elle avait de la chance de le revoir indemne. Du moins il semblait se porter comme un charme. Mais ce qui dénotait le plus chez lui à présent c’était son regard. Il  était différent, comme si les erreurs qu’il avait commises par naïveté l’avait endurci. Il avait l’air plus sûr de lui, plus fort également et ses entraînements quotidiens n’y étaient pas pour rien.

Après une dernière étreinte, Mathilde se recula légèrement, non sans laisser sa main sur l’avant-bras de son frère, comme si elle craignait qu’il ne reparte à nouveau.

« - Et toi tu n’imagines pas combien votre absence a été difficile pour moi. Vous revoir Guillaume et toi sain et sauf est un vrai soulagement. Mais viens, rentrons nous mettre au frais. Je vais te faire préparer un bain, tu en as bien besoin. »

Un rire amusé ponctua sa dernière phrase tandis qu’elle entraînait son frère avec elle. Elle lui avait pris la main, comme elle l’aurait fait étant enfant. Mais à présent s’était surtout pour se convaincre qu’il était bel et bien là.
Une fois à l’intérieur du château, elle appela l’une des servantes et lui demanda de faire préparer de l’eau pour le bain du Baron. Il faudrait un certain temps avant que celle-ci ne soit suffisamment chaude ... Enfin, tiède suffirait par cette chaleur.

« - Lyse est dans le verger en train de cueillir des cerises, ne l’appelons pas tout de suite et réservons lui la surprise si tu veux bien. Tu pourrais te présenter au souper tout à l’heure. Elle sera tellement contente de te voir. »

Ils pouvaient demander aux gens de tenir leurs langues en présence de la fillette, ce ne serait pas compliqué. Et puis Jérôme voudrait sûrement se reposer après s’être rafraîchi, il n’y aurait donc pas bien long à mentir.

« - Viens, allons dans le bureau, elle ne viendra jamais là- bas. »

Et puis le bureau de leur père se situait non loin d’un escalier menant aux chambres, il aurait donc tout le loisir de regagner la sienne sans crainte de la croiser.
Anaïs se trouvait justement dans le couloir et sa maîtresse en profita pour lui demander de faire circuler le mot auprès des autres serviteurs pour que tous taisent la nouvelle à la fillette. Elle demanda également des rafraichissements et un broc d’eau pour son frère. S’il devait attendre pour prendre un bain, il n’était pas obligé de supporter davantage la poussière sur son visage. De l’eau et une serviette ferait l’affaire en attendant.

Une fois dans le bureau, Mathilde hésita un instant mais s’installa finalement sur la banquette qui se trouvait dans un coin. Si elle avait pris l’habitude de s’asseoir de l’autre côté du bureau, ce n’était que de l’intérim et de toute façon elle voulait rester près de son frère.

« - Si tu préfères te reposer avant, nous pouvons nous retrouver plus tard. Je tâcherais d’étouffer mon impatience, même si je crains de te lâcher tant je redoute que tu partes à nouveau. »

En même temps, chaque fois qu’elle avait retrouvé Jérôme, ils n’avaient fait que se croiser. C’était d’abord la guerre à Sainte Berthilde qui l’avait tenu éloigné, puis sa fuite à Thaar et enfin cette guerre en Oësgard. Auraient-ils droit à quelques ennéades de calme pour se retrouver ?
On frappa à la porte, c’était Anaïs qui portait une bassine en porcelaine contenant un broc d’eau fraîche et serviette, suivie d’Adeline, la cuisinière, qui portait un plateau de boissons et une coupe de fruit. Les deux femmes s’inclinèrent et saluèrent le baron. Elles lui souhaitèrent un bon retour à Hiviène et quittèrent la pièce toutes sourires.

Elevé comme l'ainé et héritier, Jérôme avait rapidement été envoyé auprès d'une autre cour pour devenir écuyer, il avait donc eut moins d'interaction avec sa soeur, plus jeune. Revenu en temps que dirigeant de la famille et avec le titre de baron, ce ne fut pas facile non plus et il n'avait pas eu la possibilité de nouer de plus amples liens avec son frère et sa soeur. Pourtant, c'était du passé, les événements auxquels Mathilde les avait poussé, Guillaume et lui, les avaient soudé. Son éducation avec la famille et l'honneur par dessus tout n'y était pas pour rien non plus et Jérôme désirait mieux apprendre à connaitre sa fratrie. Les campagnes successives avaient rapprochés les deux frères qui étaient maintenant très proche l'un de l'autre mais la benjamine était restée sur place à chaque fois, sauf lors de son escapade. Jérôme avait beaucoup accepté de la part de sa soeur et il l'avait couvert et soutenu comme il le devait. Aujourd'hui, l'honneur entaché qui était le sien avait amoindri l'une des principales branche de sa personnalité et il garderait pour toujours en lui ce manquement à son devoir. Les relations qu'il avait eu ensuite avec tous les protagonistes l'avaient renfermés sur lui, lui renvoyant sa naïveté et la complexité de la politique en pleine face alors qu'il n'avait plus son mentor, Grégoire d'Odélian, pour le guider. Il avait fait des erreurs et il les avait payé chère. Heureusement pour lui, tout s'était fort bien terminé, même mieux que l'espérance ne l'autorisait. Pourtant, malgré la nouvelle entente qu'il avait renoué avec Gaston et Aymeric, il ne souhaitait que se rapprocher encore plus des siens et créer une famille tout en préservant celle existante. Il avait maintenant vingt six ans, presque vingt sept et il n'avait pas pensé beaucoup à son bien être ces dernières années.

C'est donc tout naturellement qu'il oublia complètement le protocole et même qu'il s'en moquait éperdument maintenant qu'il retrouvait sa soeur adorée. Il avait besoin de ce lien qu'il n'avait pas encore établit et la dernière lettre qu'elle lui avait écrite, lui demandant de se confier, l'avait amené à voir sa "petite" soeur autrement. Le lien tactile de sa main sur son bras n'était pas non plus pour lui déplaire, s'imprégnant de cette complicité qui s'était créée avec toutes les épreuves qu'avait subit Mathilde et qui demandait à être affirmée. Jérôme sentit son épaule droite quand Mathilde parla d'un bain, elle n'avait pas tord et il lui rendit son sourire enchanteur

"Tu as raison, j'en ai grand besoin mais j'ai peur de m'assoupir si je rentre dedans"

Il la suivit, lui tenant la main fermement. Il la regarda donner des instructions à la servante comme si elle avait toujours fait ça et intérieurement, il sourit encore plus de la voir diriger et non soumise. En lui même, il était de tout cœur avec sa soeur qui s'était rebellée pour prendre en main sa vie même si ses choix n'avaient malheureusement pas été les meilleurs.

"J'ai été surpris de ne pas voir Lyse avec toi mais je comprends mieux. La pauvre doit être triste que la saison des fraises soit terminée."

Un rire s'ensuivit en se rappelant la gourmandise de sa nièce. L'hésitation de Mathilde dans le bureau finit de sceller une idée qui avait germé chez Jérôme depuis un moment déjà mais qui devenait une nécessité avec toute la charge qui lui retombait sur les épaules. Plutôt que de s'assoir derrière le bureau, il rapprocha un autre fauteuil juste devant celui de Mathilde pour être face à face et proche. Il décida de ne pas parler tout de suite de cette fameuse idée

"En parlant de Lyse, j'aurais quelque chose à te demander. Je lui ai parlé d'un secret entre nous mais elle m'a dit qu'elle ne pouvait pas en avoir pour toi, elle est bien élevée cette petite. J'aimerais l'initier à la magie, je t'en parle parce qu'il faudra la surveiller vu son jeune âge. Tu sais ce que père pensait de la magie et cela serait une chose qui serait entre elle et moi. Si tu es d'accord, j'aimerais que tu fasse comme si tu n'étais pas au courant, que tu sais que nous avons un secret et que tu l'accepte parce que je suis ton frère, mais que tu ne sais pas de quoi il s'agit. Accepte tu ?"

un clin d’œil suivit sa demande. En effet, le père de Mathilde et Jérôme avait été blessé au combat par un magicien et il avait insisté pour que son fils apprenne cet art. Blanche d'Ancenis avait apprit quelques tours à Jérôme qui pouvaient amuser la petite tout en l'initiant gentillement à cet art qui pourrait lui servir plus tard.

"Sinon je voulais savoir ce que tu sais de la campagne qui nous avons mené, qu'est ce que Guillaume t'a dit sur la fin et la suite ?"

Jérôme n'avait pas parlé de sa nomination à la régence d'Oësgard, ni à son nouveau titre de sénéchal de Serramire et il ne savait pas si Guillaume l'avait fait de son côté. Il se demandait donc ce qui avait filtré.

Jérôme venait d'avancer son fauteuil pour se rapprocher le plus possible de sa sœur. Celle-ci ne put s'empêcher de prendre à nouveau les mains de son frère dans les siennes. Ce contact lui était encore essentiel pour qu'elle finisse de se convaincre qu'il était bien rentré à la maison.Il lui parla alors de Lyse et de ce secret qu'il voulait partager avec elle. Sa fille lui avait parlé de cette missive et Mathilde avait été amusé par sa mine réjouit. Il ne fallait pas grand chose pour rendre heureuse cette petite et chaque jour elle l'aimait un peu plus. D'abord surprise qu'il veuille lui confier la teneur de ce fameux secret, Mathilde garda le silence et remercia intérieurement son frère de vouloir la mettre dans la confidence. Il devait se douter que son rôle n'était pas simple et que tout ce qui touchait de près ou de loin à la santé et à la sécurité de Lyse lui était important.

 « - Bien sur que j'accepte. Lyse t'aime énormément, elle me demande sans cesse de tes nouvelles, elle était surexcitée pendant des jours lorsqu'elle recevait une lettre de toi.
Et j'ai entièrement confiance en toi. Je sais que tu veilleras à son bien être et à sa sécurité. »

Une fois rassuré par sa sœur, Jérôme poursuivit en lui demandant ce qu'elle savait exactement de la situation politique. Elle était surprise qu'il lui en parle si franchement. Jusqu'à présent ce genre de conversation il ne les réservait qu'à Guillaume mais peut-être qu'il la voyait différemment à présent. Repensant à tout ce qu'elle avait appris depuis la fin de la guerre, Mathilde fronça légèrement les sourcils avant de reporter son regard vers Jérôme.

« - Et bien, on ne sait pas grand chose ici. Seulement que les Sombres ont été repoussé au delà de nos frontières et que tu as retourné dans les bonnes grâces du Marquis de Serramire. Guillaume ne m'en a pas dit davantage et je dois bien t'avouer que je ne l'ai pas harceler sur des questions de politique. En revanche.... »

La jeune femme marqua une courte pause durant laquelle elle serra un peu plus fort les doigts de son frère. Son regard se faisant plus grave, reflétant toute l'intensité de l'inquiétude qu'elle avait pu éprouver depuis le jour de leur départ en guerre.

« - En revanche il m'a parlé de tes exploits, de ta position en première ligne alors que rien ne t'obligeait à te trouver là... et de tes blessures.
Quand je pense... quand je pense que j'aurais pu ne jamais te revoir.. »

Pourquoi fallait-il que par bravoure, honneur et gloire les hommes se montrent si égoïstes ? Dans ses moments où l'adrénaline leur montait à la tête, ils oubliaient complètement que loin des champs de bataille, dans leur maison, des femmes tremblaient pour eux, des enfants, des vieillards. Des gens qui les aimaient au-delà de l'imaginable et qui n'avait pas la moindre idée de ce qui se passait là bas. Mathilde avait prié pour que ses frères soient à l'abri du danger, mais apprendre que son aîné s'était délibérément jeté corps et âme dans la bataille avait profondément bouleversée la jeune femme. Fallait-il qu'il soit à ce point d'espérer pour ne plus craindre la mort … ou trop confiant.

Se levant de son fauteuil, Mathilde se pencha pour embrasser la joue de son frère avant de le contourner pour se rendre de l'autre côté du bureau. Elle ouvrit un tiroir et en récupéra une lettre cachetée. La cire était intacte. Revenant s'asseoir en face de Jérôme, Mathilde garda les yeux baissés sur la missive qu'elle tenait entre ses mains.

« - Je sais que nous sommes tout à notre joie de nous retrouver et je ne veux pas briser ce moment, mais il y a quelque chose que je dois te donner... Tu pourras la lire avant le dîner. Mère avait laissé ça dans l'un des tiroirs de sa coiffeuse. Il y en avait une pour Guillaume également. »

Tendant le pli à son frère, Mathilde releva les yeux pour plonger dans le regard azur de Jérôme. Les Clairssac avaient tous hérités de ce regard. Elle lui adressa un fin sourire avant de poser une nouvelle fois sa main sur son avant bras. Elle ne voulait pas que cette interruptions rompent la magie du moment, elle avait assez pleuré pour une vie entière.

 « - Maintenant que tu es revenu, que comptes-tu faire ? Resteras-tu quelques jours à Hiviène ? »

Le contact entre Mathilde et Jérôme était d'un apaisement difficilement compréhensible pour quelqu'un qui n'avait pas l'impression d'être passé à côté de quelque chose ou qui avait côtoyé la mort. Le baron avait décidé de changer son fusil d'épaule et d'être plus que le patriarche, d'être le grand frère qu'il devait être et devenir le pilier de cette famille

"Je veillerais sur elle, ne t'inquiète pas mais comme tu es sa mère, il est normal que je t'en parle. Lui faire croire que tu ne sais rien est un stratagème pour partager quelque chose avec elle. C'est qu'elle fait partie de la famille maintenant et que nous avons des devoirs envers elle. Et puis même sans cela, je l'aime beaucoup aussi, les orphelins traversent tous des périodes extrêmement difficiles, nous devons être derrière elle et lui montrer que nous tenons à elle."

Jérôme pensa naturellement à son neveu, de sang celui-ci, mais il fit un effort surhumain pour ne rien montrer à sa soeur qui avait suffisamment souffert et qui continuait sans doute, il lui gardait une surprise en réserve qu'il avait en tête depuis longtemps mais que son respect envers sa mère avait retenu. Mathilde ne savait que peu de choses de ce qu'il s'était passé en Oësgard et il était temps de remédier à cette lacune mais elle continua, parlant de sa folie de se mettre en première ligne. Il lui serra également les mains pour la rassurer, voyant l'inquiétude qui avait été la sienne et la gravité avec laquelle elle parlait, ce qui le fit sourire pour ce dernier point.

"Tu sais Mathilde, la mort au combat est malheureusement un risque inévitable lorsque tu pars en guerre. Elle frappe tout le monde sans distinction de classe et si les dieux en ont décidé ainsi, tu ne peux rien y faire. Et puis j'avais mes raisons comme tu le sais" il faisait allusion à Aline et à son viol "J'avais envie de tuer les sombres de mes propres mains tellement je les haïssais de ce qu'ils avaient fait, je regrette de t'avoir inquiété. Enfin, j'ai mis Guillaume en retrait, sinon ça aurait été lui." Une piètre excuse

Mathilde se leva et se rendit derrière le bureau, prenant une lettre de leur mère qu'elle remit à Jérôme, à son grand étonnement, ramenant le sérieux immédiatement sur son visage alors qu'il la prenait et hésitait à l'ouvrir immédiatement. Il préféra écouter sa soeur et garder son attention sur elle

"Mère en a t elle laissée une pour toi ?"

Puis revenant sur ses dernières questions, il fallait revenir sur Oësgard

"Ce que je compte faire, c'est simple et compliqué à la fois, je pense qu'une nouvelle ne te plaira malheureusement pas. Pour que tu comprenne, il faut que tu sache ceci, Aymeric de Brochant m'a pardonné comme tu le sais mais plus que cela, il m'a nommé régent d'Oësgard et ce n'est pas tout, il m'a aussi fait sénéchal pour le marquisat complet. Ainsi tes craintes sont fondées, je ne vais malheureusement pas pouvoir rester très longtemps et je repartirais sous peu dans le nord. Je vais rester deux jours à Hiviène, pour me recueillir sur la tombe de mère et aussi pour profiter de Lyse et de toi le plus possible puis je me rendrais à Etherna voir Guillaume, j'espère que tu m'accompagneras, ça nous permettra de rester ensemble plus longtemps ?"

Mathilde avait ses yeux bleus plongés dans le regard du baron, Jérôme s'approcha soudain jusqu'à être extrêmement proche de sa soeur

"Tu sais Mathilde, je sais et j'ai vu que tu avais repris Hiviène de main de maitre. En repartant dans le nord, je n'aurais guère le temps de m'occuper de cette terre qui est notre héritage familial. Aussi j'aimerais que tu accepte d'en devenir la dame ? veux tu t'occuper d'Hiviène Mathilde ?"

Il y aurait un bémol si elle acceptait mais elle devait d'abord dire oui.

Entendre combien son frère aîné ne s'était pas inquiété une seule seconde de sa sécurité, tout aveuglé qu'il était pas sa haine, fit frissonner la jeune femme. Guillaume lui avait déjà dit combien l’aîné avait changé durant cette dernière guerre mais elle s'en rendait compte à présent. Dès son arrivée elle avait été surprise par son regard, autrefois tendre et doux, il était plus dur aujourd'hui, plus sérieux.

« - La colère n'est jamais bonne conseillère Jérôme. Tu aurais pu mourir et alors ta chère et tendre se serait retrouvée seule et j'aurais fini de m'effondrée »

Sa voix trembla légèrement mais elle inspira profondément pour contenir toute émotion négative. Non elle ne pleurerait pas. Pas aujourd'hui que son cher frère revenait enfin à Hiviène. Elle lui adressa un maigre sourire, bien consciente qu'elle n'était pas très crédible. Lorsque Jérôme aborda le sujet de la lettre, elle se sentit pâlir. Non, leur mère ne lui avait laissé aucune lettre, rien. Cynérus avait tenté de la rassurée, il lui avait suggéré qu'elle n'avait peut-être pas eu la force de rédiger les mots qu'elle aurait voulu lui écrire, mais à vrai dire Mathilde savait qu'Aurore De Clairssac l'avait puni une dernière fois pour le déshonneur dans lequel elle s'était vautrée et qui avait failli éclabousser sa famille entière.
Lui en voulait-elle ?
Non, elle avait même fini par la comprendre un peu. Mais elles avaient toutes les deux des choses à reprocher à l'autre.

« - Oui... Oui...Elle m'a... Elle m'a laissé quelque chose. »

Ce n'était pas vraiment un mensonge... Si c'était un mensonge. Un horrible mensonge mais elle ne voulait pas que son frère s'inquiète un peu plus pour elle, et surtout elle ne voulait pas qu'il fasse le moindre reproche à leur mère. Il était venu ici pour se recueillir, pour prier pour elle, pas pour participer à une lutte interne qui, de toute façon, avait pris fin depuis la mort d'Aurore.

Il enchaîna ensuite sur son futur rôle et elle sourit un peu plus en entendant toute l'importance que lui donnait le Marquis de Serramire en lui confiant pareille responsabilité. C'était qu'il lui avait réellement pardonné et elle était ravie pour son frère et pour la renom de leur famille. Il souhaitait qu'elle l'accompagne à Etherna pour rejoindre Guillaume et elle acquiesça. Comment aurait-elle pu refuser une proposition pareille. La fratrie enfin réunie... Cela ne s'était plus revu depuis sa grossesse...

Les dernières paroles de Jérôme laissèrent Mathilde bouche bée. Avait-elle réellement bien entendu ce qu'il venait de dire ? Devenir la Dame d'Hiviène ? Prendre la place de sa mère, être officiellement chez elle... C'était un honneur et en même temps une lourde responsabilité que son frère voulait lui confier là. Si elle avait réussi à gérer relativement bien les quelques ennéades passées, elle ne s'était pas attendue à ce qu'il lui propose de faire cela à temps plein.

«  - Je ne sais pas quoi te dire Jérôme... Je … Je ne suis pas sûre d'être prête... Et puis il y a Guillaume, il saurait mieux que moi...et puis Cynérus m'a beaucoup épaulé... »

C'était une proposition de rêve qu'il lui faisait là. Avoir enfin une maison tout à fait à elle, où elle pourrait vivre tranquillement avec Lyse, ou elle pourrait rester près de son fils.

« - Je suis vraiment honorée que tu es pensé à moi. Et si tu m'en trouves réellement digne de cette tâche alors je ferai tout mon possible pour que tu n'es jamais à regretter ce choix. »

Elle lui serra la main un peu plus et se pencha pour embrasser sa joue.
Au même instant on frappa à la porte. C'était Anaïs qui revenait pour prévenir que le bain de Jérôme était près. Il y eut un moment de flottement, comme si le frère et la sœur ne souhaitaient pas se séparer. Mathilde se leva, bientôt imité par son frère.

« - Prends ton temps pour réfléchir, repose toi,  nous aurons tout le temps de parler. »

Jérôme perçu le tremblement dans la voie de sa soeur, il était bien en peine de la rassurer alors qu'il avait bravé tous les interdits et mit sa vie ne péril, et surtout qu'il avait apprécié de se battre avec son armée en première ligne, restait à espérer qu'il n'y ait plus de guerre. Le sourire de façade qu'elle lui présenta ne le dupa pas, ni sa réponse évasive et laborieuse concernant leur mère. Il ne comprenait pas que sa génitrice ait pu couper ce lien avec sa seule fille. Elle avait fait une erreur, une terrible erreur mais le mal était fait et il ne servait à rien de la culpabiliser encore et encore sans lui pardonner. lui même l'avait plutôt soutenu malgré les tracas causés. Il ne reparla plus de leur mère et la laissa prendre en considération sa demande pour Hiviène. Mathlde embrassa encore son frère, des petites attentions auxquelles il n'avait pas l'habitude mais il devait avouer que celui lui plaisait

"Cynérus sera toujours la pour t'épauler si tu en as besoin, je le laisserais avec toi. Le pauvre à bien mérité de rester sur ses terres après toutes ses années de services. Quand à Guillaume, je te le dis avant tout le monde mais je vais lui demander de prendre la régence d'Etherna. Je n'aurais pas le temps de m'occuper de la baronnie avec mes nouvelles responsabilités et elle a bien besoin de quelqu'un pour la diriger en mon absence. Avec Seram, il n'aura pas le temps pour Hiviène et puis je pense que tu as bien mérité ce privilège. Je sais que la terre ou j'ai passé mon enfance sera bien tenue et que je pourrais venir m'y ressourcer en cas de besoin."

Anaïs annonça alors que le bain était prêt, Jérôme se lva et enlaça sa soeur, chose qu'il n'avait pas coutume de faire par le passé

"J'ai déjà réfléchis Mathilde et si je te propose cela, c'est parce que j'ai une confiance aveugle en toi. Je vais aller prendre ce bain et ne plus t'imposer mon odeur" il rit "et puis j'ai toute cette poussière à me débarrasser. C'est à toi de réfléchir mais je te prie d'accepter"

Jérôme se dirigea vers le bain, la chaleur qui se dégageait présageait un bon moment. Il se débarrassa de ses vêtements à l'entrée de la pièce, les laissant négligemment par terre puis il se dirigea, nu vers le bac fumant. Il entra doucement dans l'eau presque brulante, se lava, heureux de pouvoir se débarrasser de ses soucis en même temps que sa crasse. Une fois sa toilette terminée, il se posa, le dos contre le bac et les bras hors de l'eau, sur les rebords. Il finit par s'assoupir, puis s'endormir complètement, épuisé par tout ce qu'il avait accumulé.

Quittant son frère, Mathilde retourna à ses occupations. Du moins elle se rendit à nouveau dans le verger où elle espérait que la consigne ait bien été passée. Malgré son envie de sourire, la jeune femme s’approcha de sa fille dont le panier de cerises était bien rempli. Elle l’encouragea à en remplir un deuxième et reprenant son rôle de mère très au sérieux, elle lui fit savoir qu’elle retournerait à ses leçons une fois fait. Ainsi, une fois dans sa chambre, Jérôme aurait un peu plus de liberté de mouvement.
Regagnant la cuisine, elle s’organisa avec Adeline pour le repas qui serait servi le soir même en l’honneur de son frère et pour les hommes qui l’avaient accompagné. Une belle table, un bon repas, bref elle voulait que tout soit fait pour égayer la soirée de son frère.

Lorsque tout fut entendu, se rendit dans le bureau de son père… Celui qui deviendrait peut-être le sien et elle s’installa dans le fauteuil. La proposition de son frère la touchait énormément. Ils ne s’étaient jamais parlé aussi franchement qu’aujourd’hui, et savoir qu’il lui faisait autant confiance rendait la jeune femme un peu plus fière pour tout le travail qu’elle avait accompli depuis plusieurs ennéades.
Elle n’avait pas fait cela en pensant qu’elle serait nommée Dame d’Hiviène, elle n’y avait même pas pensé une seule seconde. La gestion quotidienne lui prenait du temps mais à mesure qu’elle prenait les commandes, elle se sentait plus sûre d’elle. Pourquoi ne pas accepter après tout. Elle pourrait ainsi s’occuper sans crainte de l’éducation de sa fille, elle entretiendrait le domaine familial pour ses frères. Oui, elle s’en sentait capable, surtout quand elle savait toute la confiance que Jérôme plaçait en elle.

Revenant à ses livres de comptes, Mathilde avança le travail qu’elle avait mis en attente le matin. Quand elle eut terminée, elle quitta le bureau, heureuse de l’avoir débarrassé des derniers papiers qui traînaient. Elle croisa alors Anaïs dans les couloirs qui lui appris que Lyse était sagement dans sa chambre en train d’apprendre ses leçons et que Jérôme n’était pas réapparu.

« - Quoi ? Il est encore dans bain ? »

La servante hocha la tête, elle tenait dans ses mains un paquet de vêtements propres qu’elle avait voulu apporter au Baron d’Etherna mais comme il n’avait pas répondu lorsqu’elle avait tapé à la porte, elle avait préféré s’en aller pour ne pas le déranger.
Mathilde lui prit des mains les habits et se dirigea à l’étage vers la salle d’eau près de la chambre seigneuriale. A son tour, elle fut confrontée au silence de son frère alors qu’elle toquait sur le battant. Poussant un soupir amusé, Mathilde baissa la poignée et pénétra dans la pièce. La buée qui avait dû accueillir son frère s’était depuis longtemps dissipé, ses vêtements sales étaient jetés en tas dans un coin et face à elle, dans le baquet d’eau tiède, l’aîné des Clairssac semblait dormir profondément. Elle referma la porte et s’avança d’un pas avant de se rappeler que son frère était forcément nu.

Ne voulant pas pousser l’intrusion trop loin, c’était son frère mais tout de même… elle s’arrêta donc près du seau qui avait servi à remplir le baquet et déposa le tas de linge propre sur le petit meuble en bois. Mathilde constata alors qu’il y avait encore un peu d’eau au fond du seau. Froide évidemment.
Un sourire amusé étendit ses lèvres.

Dès que la gerbe d’eau glacée eut quitté le seau pour s’écraser sur le visage de son frère, Mathilde lui tourna le dos en pouffant de rire. Elle ne voulait pas non plus que ce réveil surprise lui fasse voir plus de l’anatomie de son frère qu’elle ne voulait bien en voir.

« - Debout Monsieur le Baron. A rester aussi longtemps dans votre bain vous pourriez tomber malade. Et je refuse qu’il soit dit qu’un homme de votre qualité ait souffert de son séjour chez moi ! »

Ponctuant sa phrase d’un rire amusé, la jeune femme tendit son bras derrière elle pour faire passer à son frère la serviette qu’elle venait de prendre.

Jérôme était profondément endormit lorsqu'il reçu un sceau d'eau froide. Habitué par les sombres à des réveils chaotiques, il se leva immédiatement, dans son plus simple appareil, cherchant son arme qui n'était pas la. C'était la preuve que la guerre l'avait marqué plus qu'il ne semblait, Mathilde le comprendrait elle

"Quoi...Que...que se passe t il ?"

Ses esprits repris rapidement et voyant sa soeur qui lui tournait le dos, il sourit. Poussant le jeu plus loin que cela aurait dû être, il s'approcha d'elle comme pour prendre la serviette mais c'est son bras qu'il l’attrapa, la tirant et la jetant dans l'eau toute habillée avec un rire sonore

"Tiens voila qui t'apprendra à vouloir fanfaronner"

Il prit ensuite la serviette qui était tombée, étonnement pas plus embêté que ça par sa nudité devant sa soeur et savoir si elle l'avait vu, il avait l'habitude d'être servit par des femmes et il n'avait pas prit en compte le fait que sa soeur n'était pas habitué de son côté. Il prit la serviette et s'essuya comme il le devait. Il portait maintenant quelques cicatrices sur franc droit et au dessus de son rein gauche, celles plus profonde que les mages n'avaient pas réussit à retirer en le soignant. Il en avait eu plusieurs autres qui avaient disparues sous le traitement magique. Une fois essuyé, il s'habilla toujours sans faire attention à la pudeur de rigueur.

"Ce bain m'a fait du bien, j'espère à toi aussi"

Un nouveau rire appuyé par la situation à laquelle Mathilde ne devait pas s'attendre. Puis il redevint plus sérieux avec un sourire toujours sur les lèvres

"Je te laisse te sécher et te changer, il est temps de me rendre sur la tombe de mère avant de manger"

Il se rendit au cimetière, surprit de sa bonne humeur malgré la tâche qu'il allait accomplir. Il était heureux auprès de sa soeur comme il ne l'avait plus été depuis bien longtemps et les enfantillages ne faisaient plus partie de ses habitudes. Que c'était bon un peu d’insouciance. Une fois sur place, il se recueillit sur la tombe de sa mère, il pria Tyra de lui offrir une place auprès d'elle, qu'elle retrouve son époux et de les laisser voir leurs enfants et l'ascension de la famille. ensuite Jérôme se releva et il chercha la tombe de son neveu, Kiel, il fut surprit de ne pas la trouver, ou est ce qu'elle pouvait bien être.

Ô le scélérat, vile crapule, traitre ignoble. Là jeter ainsi dans un baquet d’eau froide, et sale en plus. Prise par surprise Mathilde n’avait pas pu esquiver l’attaque sournoise de son frère. En même temps elle n’aurait jamais pu imaginer qu’il la traite ainsi. Mais au lieu de s’offusquer, elle éclata de rire tandis qu’elle luttait pour sortir du banquet. Sa robe était trempée et, malheureusement lorsqu’il s’agit d’un tissus aussi fin, lui collait le corps à présent. Par chance le tissu n’était pas devenu transparent et cette constatation la fit sourire mais lorsqu’elle leva les yeux vers son frère, dégoulinante sur le plancher de la petite pièce, elle constata qu’il n’éprouvait absolument pas la même gêne qu’elle. Et autant dire que ses joues virèrent aussitôt au cramoisie tandis qu’elle détournait le regard pour attraper une serviette sèche. Elle riait toujours mais elle s’efforçait tout de même de ne pas regarder dans sa direction.

Une fois qu’il fut entièrement vêtu il lui annonça qu’il se rendrait sur la tombe de leur mère pour se recueillir et il lui laissa le temps de se changer. Sans attendre elle regagna sa chambre à l’autre bout du couloir et ne fit aucun commentaire aux regards étonnés des servantes qu’elle croisait.
Dans sa chambre elle tira sa robe trempée, se sécha complètement et enfila une nouvelle tenue. Toujours dans le même style, simple mais de qualité. Ses cheveux étaient trempés et elle se fit une tresse rapide par-dessus son épaule droite.

Quand elle fut enfin prêtre, elle quitta sa chambre et traversa le château jusqu’à se trouver dans le hall. Cynérus lui confirma que son frère se trouvait toujours dans le cimetière et elle prit le chemin qu’elle avait emprunté quelques heures plus tôt. Elle ne voulait pas le déranger dans son recueillement mais quand elle le vit enfin elle le surprit à balayer l’endroit comme s’il cherchait quelque chose. Remontant le chemin jusqu’à lui, elle se permit de lui poser la question doucement.

« - Si c’est la tombe de Mère que tu cherches … elle est là-bas. »

Elle indiquait du doigt l’endroit où leur deux parents reposaient mais au regard qu’il lui lança elle comprit que ce n’était pas cette tombe qu’il cherchait.
Son sourire se figea et elle sentit un frisson glaçait la parcourir. Il n’était pas au courant… Evidemment qu’il n’était pas au courant… Il n’était pas là ce jour-là et il n’était pas revenu à Hiviène depuis….

« - Il… Il n’est pas ici. »

Son regard glissa de l’autre côté du grand terrain qui séparait le cimetière familial à celui des habitants du village. Malgré les quelques arbres et les clôtures plaçaient pour servir d’enclos aux chevaux l’été, on pouvait entrevoir l’endroit qui servait aux habitants d’Hiviène depuis plusieurs générations.

« - Elle l’a fait enterrer là-bas, à côté de la vieille tante de Janis. »

Sa voix était devenue légèrement chevrotante tant elle devait lutter pour contenir ses larmes d’indignation et de douleur. Cet enfant avait été son erreur de jeunesse. Mais elle l’avait aimé comme n’importe quelle mère aime son enfant et elle avait enduré et continuait à endurer des souffrances que peu de gens pouvaient comprendre.
Ne pas pouvoir faire son deuil de cet enfant qu’elle avait mis au monde, ne pas pouvoir parler de lui, ne pas pouvoir aller se recueillir librement sur sa tombe.
Bien sûr elle n’était pas dupe, Hendrich s’était douté de quelque chose et d’autres que lui devaient penser à la même chose. Mais par respect pour la famille qu’ils servaient depuis si longtemps personne ne lui avait fait la moindre remarque les rares fois où elle s’était rendue dans le petit cimetière du village, personne n’avait rien dit en entendant ses pleurs déchirant lorsqu’elle se trouvait là-bas et personne ne dirait probablement jamais rien…
Elle reporta son regard vers son frère. La joie qui l’avait habité quelques minutes plus tôt s’était volatilisée et elle se sentait frigorifiée, tremblante et vide, comme à chaque fois qu’elle laissait sa peine transparaître.

Ne trouvant pas la tombe de son neveu, il cherchait à droite et à gauche, ne comprenant pas, c'est alors que Mathilde arriva. Un masque de colère se dessina sur ses traits, ses sourcils se fronçant à l'annonce de la nouvelle

"Comment a t elle osée ? son propre petit fils. Je ne pensais pas qu'elle s'abaisserait autant, il y a des limites."

Il était terriblement déçu par les derniers choix de sa mère, elle qui avait été si aimante dans son jeune âge. Par dessus la colère qui l'avait prit, il avait perçu la détresse de sa soeur, il la prit dans son bras droit et la serra très fort contre lui

"Il est hors de question qu'il reste la bas ! je vais le faire déterrer et mettre dans la tombe familiale"

La décision était prise et il n'était pas question qu'il attende une seconde de plus. Il prit aussi les devants une d'éventuelle opposition de Mathilde

"Et pour les gens qui parleront, je m'en moque, qu'ils pensent ce qu'ils veulent. Et je te le dis tout net, si Lyse devait mourir, Tyra nous en préserve, je ferais mettre son corps au même endroit."

Après avoir serré sa soeur contre lui, il la prit par la main et l'entraina pour trouver des serviteurs. Le ton qu'il employa annonça clairement qu'il ne faudrait pas discuter

"J'ai appris que le fils de ma soeur n'avait pas été enterré dans la tombe familiale, trouvez Gaspard, (c'était le croque mort) dites lui de travailler toute la nuit s'il le faut mais je veux que demain à la première heure, nous l’inhumions à l'endroit convenable"

Les serviteurs partirent en courant presque afin de transmettre les instructions. Reprenant sa soeur dans son bras, il l'attira vers le château

"Viens rentrons et allons manger, il va être l'heure et Lyse doit attendre, il est temps que je la vois"

Il était heureux de revoir sa nièce mais l'épisode qui venait d'avoir lieu l'empêchait d'être pleinement heureux. Ils se rendirent dans la salle, Jérôme se fit un masque de convenance pour la fête qui était prévu à son attention.

La colère qui se peignit sur le visage de Jérôme laissa Mathilde complètement coite. Elle avait d’abord eut peur que ce soit dirigé contre elle, mais lorsqu’elle l’entendit parler ainsi de sa mère alors qu’ils n’étaient qu’à quelques pas de sa tombe, la surprise s’empara d’elle. Ses mauvaises relations avec Aurore de Clairssac n’étaient un secret pour personne. Cela faisait presque deux ans qu’elles n’avaient plus eu de relation mère-fille et, si Tyra n’avait pas rappeler la Dame d’Hiviène si tôt, il était évidemment que cette mésentente se serait prolongée, chacune ayant des choses trop lourdes à reprocher à l’autre.
Pour Mathilde, l’une d’elle était précisément la place qui aurait dû revenir à Kiel dans le cimetière familial. Jérôme s’approcha d’elle à grand pas, et elle eut un léger mouvement de recul, totalement stupide certes, mais la colère de son frère l’inquiétait. C’était bien la première fois qu’elle le voyait s’emporter ainsi. Preuve encore s’il en fallait que la guerre avait changé l’aîné de la famille.
Lorsqu’il passa son bras autour de ses épaules et qu’il l’attira contre elle, elle ne lui résista même pas une seconde, trop heureuse de trouver ce réconfort qui lui avait si cruellement manqué depuis deux si longs mois.
Elle accueillit les mots qu’il prononça d’un gémissement étranglé qu’elle tenta d’étouffer contre son épaule. Si elle avait réussi à contenir ses larmes, c’était à présent peine perdu et elle s’accrochait à son frère désespérément. Aurait-elle voulu protester qu’elle était incapable de dire un mot tant l’émotion lui serrait la gorge.

Il la serra encore un peu contre lui, la rassurant sur le fait qu’il traiterait de la même façon Lyse si un malheur devait lui arriver. Elle faisait un effort pour se reprendre et lorsque ses sanglots se calmèrent il l’entraîna après lui, tenant fermement sa main dans la sienne. Il appela un serviteur et ordonna presque sèchement que tout soit fait pour que demain le fils de Mathilde soit inhumé dans le cimetière familial. Personne ne fit la moindre remarque, et une fois de retour dans leur demeure, si l’une des servantes marqua un temps d’arrêt en voyant les yeux rougis de sa maîtresse, elle fila dans les couloirs sans chercher à savoir.

Alors qu’ils se rendaient vers la salle à manger, Mathilde se tamponna les joues et les yeux avec son mouchoir et avant d’entrer dans la pièce, elle s’arrêta et retint le bras de Jérôme. Lorsqu’il se tourna vers elle, elle pouvait encore lire la colère qu’il avait éprouvé et il avait perdu cette gaieté qui l’avait habité en arrivant.

« - Je… Merci Jérôme. Merci pour ce que tu viens de faire… »

Pour la deuxième fois de la journée elle passa ses bras autour de son cou pour l’étreindre contre elle.

« - Je n’aurais jamais pu te demander de faire une chose pareille… pas après tout ce que tu as... déjà fait pour moi… Tu n’en étais pas obligée et je ... je ne sais pas comment te remercier… Merci. Merci de tout cœur. »

Retrouvant une distance convenable vis-à-vis de son frère, elle le laissa la précéder dans la pièce, surtout pour retrouver bonne figure sachant qu'il y aurait d'autres personnes à leur table ce soir. Elle avait hâte de voir la surprise de Lyse. La fillette allait être plus que ravie de revoir son oncle, elle parlait souvent de lui, se plaignant de son absence, attendant les coursiers aux fenêtres dans l’espoir de recevoir un mot de lui. Si les gens d’Hiviène avaient su tenir leurs langues… alors la surprise serait probablement monumentale !

Mathilde le remercia, cela surprit Jérôme, il pensait que sa soeur le connaissait mieux que cela. A moins qu'il n'ait tant changé après tout ce qui lui était arrivé. En effet, se serait il confronté à sa mère par le passé ? Bon il n'avait pas eu à le faire mais intérieurement il savait qu'il n'aurait pas hésité sur cette question même si elle avait encore été vivante. Et puis c'était lui le chef de famille maintenant

"Tu n'as pas à me remercier Mathilde, c'est normal. On nous a toujours enseigné que la famille passait avant et c'est ce que je crois aussi. Je serais toujours la pour toi, j'ai tout fais pour l'être quand tu as eu besoin et j'espère que je le serais toujours."

Il lui rendit son étreinte, espérant que ce qu'il disait et qui sonnait comme une promesse, il pourrait la tenir en toute circonstance.

Ils entrèrent dans la salle à manger ou beaucoup de gens les attendaient. Mathilde était juste derrière Jérôme mais celui-ci lui tendit la main et il la ramena à ses côtés. Elle était la dame d'Hiviène même si les autres ne le savaient pas encore et c'était elle la maitresse du château désormais, elle n'avait pas à être derrière. Des vivats accueillir les arrivants, le repas étant proche d'être servit maintenant que le (LA) seigneur était présent. La salle était comble en raison de la fête prévue pour le retour de Jérôme. Etonnamment donc, le baron plaça sa soeur à la tête de table, lui même se mettant à ses côtés, une façon de la mettre tout de suite en avant. Il allait prendre la parole lorsqu'un sourire apparu sur son visage, atteignant ses oreilles. En effet, malgré le brouhaha, l'on entendit clairement de l'autre côté de la porte Lyse qui criait qu'elle n'aimait pas les haricots verts. il était dommageable de ne pas aimer ça, même s'il comprenait, n'appréciant pas plus que cela non plus mais juste l'entendre était une joie. Il regarda Mathilde en attendant que le porte s'ouvre sur une Lyse s'arrêta instantanément en voyant son oncle. Ses grands yeux et sa bouche ouverte fit rire le baron de bon cœur alors qu'il se levait et lui ouvrait les bras

"Ne pleure pas Lyse, je suis de retour, c'est la fête"

Il la serra fort contre lui

"Il va falloir que tu mange des haricots verts si tu veux voir la surprise que j'ai apporté pour toi."

Il la prit à bout de bras pour la regarder et il lui fit un clin d’œil

"Et si tu es sage, j'aurais peut être un autre cadeau mais pas aujourd'hui"

Tout le monde souriait, des retrouvailles après une guerre, c'était toujours festif et émouvant à la fois, encore lus lorsqu'il y avait des enfants. Et puis Hiviène n'était pas une grosse ville mais plutôt un gros village et le château n'était pas le plus peuplé, l'esprit de camaraderie était donc de mise, les Clairssac étant loin des nobles tyranniques qui se croyaient supérieurs à tout.

Alors qu’elle suivait Jérôme dans la grande salle, Mathilde n’aurait jamais imaginé qu’elle finirait par se retrouver près de la chaise en bout de table. Celle habituellement réservée au Seigneur des lieux et qui revenait tout naturellement à son frère. Certes, il venait de lui donner le titre de Dame d’Hiviène mais l’information n’était pas encore officielle et puis, au-delà de ça, il était Baron d’Etherna et l’honneur de présider le repas aurait dû lui revenir.
Avant qu’elle ait pu contester quoi que ce soit, elle entendit la voix de Lyse qui lui parvenait depuis le couloir. Elle n’aimait pas l’entendre parler ainsi, elle n’avait jamais été du genre capricieuse, surtout durant leur long voyage, mais peut-être qu’elle ne la surveillait pas assez depuis leur retour à Hiviène. Peut-être la gâtait-elle trop… Mais comment aurait-elle pu faire autrement, cette fille avait été sa seule joie et sa seule lumière pendant de nombreuses ennéades, et elle l’était encore.

Quand elle fit son entrée dans la pièce, Mathilde lui adressa un léger froncement de sourcils pour lui signifier que tout le monde avait pu être témoin de sa scène et qu’elle lui en reparlerait une fois seules. Mais elle la laissa ensuite toute à sa joie de retrouver son oncle. Elle se mit même à rire en entendant son frère lui faire la morale sur les haricots verts. Ce moment était si simple, si loin des complots et des grands festins entre nobliaux qu’il était d’autant plus précieux aux yeux de la jeune femme.
Elle aurait voulu demander à Jérôme de ne pas lui parler des cadeaux qu’il lui réservait, Lyse semblait avoir perdu toute notion de patience depuis leur retour, mais elle se garda bien de reprendre son frère devant les hommes qui attendaient patiemment autour de la table pour pouvoir prendre place.

« - Viens par ici. »

Indiquant la chaise à sa gauche, Mathilde patienta jusqu’à ce que la fillette la rejoigne et ils prirent tous place à table.
L’heure qui suivit fut très agréable, agrémentée par les récits de guerre (sans trop de détail pour ne pas choquer les jeunes oreilles de Lyse), par des rires et même une chanson.
Une fois le repas terminé, les hommes se présentèrent devant Mathilde pour la saluer puis devant le Baron.
Les Clairssac avaient eux-même quittés la pièce pour se rendre dans un petit salon, plus calme. Mathilde s’installa sur le grand fauteuil et ouvrit grand ses bras lorsque Lyse fut en face d’elle. Le grand sourire qu’elle lui adressait valait toutes les meilleures invitations du monde.

« - Alors, ne t’avais-je pas dit qu’à force de prières tes oncles reviendraient parmi nous ? »

Jérôme ne put s'empêcher de rire lorsqu'il entendit Lyse dire que les haricots verts n'étaient pas bon

"Tu dois montrer l'exemple Lyse et même si tu n'aime pas, tu ne dois pas le dire et en manger, même un peu. Les cuisiniers ont travaillé dur pour préparer ce repas et tu sais que les gens du peuple n'ont pas toujours suffisamment pour se nourrir, pense à cela et soit contente de ne manquer de rien"

Il la sermonnait un peu, gentiment et il savait qu'elle comprendrait fort bien ce qu'il disait vu qu'elle avait connu l'orphelinat et sans doute quelques privations. La table des Clairssac était bien fourni mais ils faisaient tout de même attention de ne pas gaspiller. Les restes étaient d'ailleurs distribués au peuple afin d'aider les plus démunis.

"Tu es très forte mais tu dois l'être encore plus si tu veux recevoir l'un de mes cadeaux, sinon tu ne pourras pas l'avoir"

La magie était très exigeante, il fallait être en bonne santé et avoir des ressources afin de pouvoir canaliser et supporter la fatigue que cela nécessitait. Elle ne savait pas encore que son oncle voulait lui enseigner mais autant commencer même si lui divulguer l'information. Le repas se passa sans incident et dans la bonne humeur. Lorsqu'il fut terminé, Lyse, Mathilde et Jérôme se retirèrent vers un salon privé. Ce n'est pas l'endroit ou Jérôme aurait voulu se rendre en premier mais il suivit docilement sa soeur, la mettant tout de suite en condition de son nouveau rôle. Toutefois il était baron et lorsqu'il aperçu que Lyse allait s'endormir, il ne tint pas, se demandant qui était l'enfant

"Lyse, ne t'endorts pas, viens, je vais te montrer ton premier cadeau."

Il sortit du bureau, suivit de Mathilde et de sa nièce qu'il tenait toutes les deux par la main, ne voulant pas les lâcher, heureux de les avoir retrouvé. Il les amena vers l'écurie ou Lyse comprit sans doute de quoi il en retournait. Il la lâcha, sa doutant qu'elle voulait voir rapidement le poulain qu'elle avait réclamé. Jérôme avait demandé de lui laisser le caparaçon rouge.