Sous l'épée d'Uriz | Velkyn & Khernal

Khernal fit claquer ses pieds sur le pavage de la Cité. Le regard rivé devant lui, son attention toute entière était occupée par l'entrevue qu'il allait avoir. Le héraut d'Uriz, membre éminent de la société eldéenne l'attendait à quelques rues de cela. Le mage bifurqua sur sa droite, à l'angle d'une maison effondrée. Il enjamba un pavé. Sa robe s'y accrocha, le faisant grogner d'impatience. Il la dégagea d'un balancement de la main rageur et continua sa route. Quelques soldats en armure, l'arme au fourreau et la main au pommeau, passaient, silencieux, devant lui, en le saluant d'un mouvement de tête. Khernal n'avait pour eux qu'un regard.

Il passa sous une arche à demi détruite et se présenta devant ce qui avait dû être un temple à la gloire des Pentiens. Ce temps était révolu. Et si le Ditronw Da're ne se fichait pas éperdument de savoir quels dieux domineraient le monde après leur victoire, il ne doutait pas moins quant au résultat de la bataille. Ni à propos de l’intérêt d'une alliance avec le Haut Prêtre d'Uriz.

Ici, les statues à la gloire de la Mère des Clairs avaient été détruites pour laisser place à des cranes sanguinolents et des épées tranchantes. Le Maitre de la Guerre s'était installé ici, en même temps que ses fidèles. Khernal pénétra dans le petit bâtiment et regarda d'un air interdit les deux prêtres en tenue de cérémonie faire leurs offices devant lui. L'un d'eux, l'apercevant, se retira, les mains couvertes du sang d'une offrande et alla quérir celui qui avait consentit recevoir le chef du C'nros.

Velkyn Xaran apparut. Le bonhomme avait tout d'un drow traditionnel. Ses yeux s'étiraient en deux amandes vermeilles, ses oreilles pointues étaient percées par deux perles, et ses multiples tatouages lui donnait un air inqualifiable. Son habillement mettait en valeur ses muscles saillants, travaillés par des années de maniement des armes, fallait-il penser. En tout point, il se distinguait de Khernal, pour qui les abdominaux étaient cachés sur un tissu aux seules insignes de son Institution. Aucune fioritures ne venait perturber la froideur de ses traits. La différence était si frappante que les seuls points communs qu'on puisse relever étaient sans doute la couleur brune de leur peau et leurs yeux, d'un rouge étincelant.

Les deux drows se toisèrent un instant. Puis Khernal se soumit à l’étiquette et ploya le genoux, en décrochant quelques mots d'un ton condescendant.

"– Merci d'avoir accepté de me recevoir, Haut-Prêtre. Si j'en crois nos propos lors de l'Etat Major, nous avons bien des choses à nous dire, avant que cette ville soit réduite en cendre par mes mages. "

Un sourire peignit son visage lorsqu'il le releva. A son doigt, le rubis ne demandait qu'à rougir de son plus pur éclat. Mais le plus tard serait le mieux. La diplomatie est toujours le moyen le plus facile de parvenir à ses fins...

Certes les Prêtres d'Uriz n'étaient pas connus pour leur sens de la subtilité quant il s'agissait de trancher des gorges. Cependant, le nouveau Haut Prêtre atteignait des records inégalés dans ce domaine. Khernal fut invité à assister à la scène de punition de trois déserteurs. Aussi rares qu'ils étaient dans l'armée Eldéenne, ils existaient et ce genre d’éventements était pour tout Sombre respectable l'occasion d'assouvir son autorité. Encore une fois, le Heraut d'Uriz ne faisait pas exception. En se penchant, il ramassa le poignard qu'il avait laissé dans le crâne sanguinolent de sa victime et en nettoya le sang d'un revers de la main. Le Ditronw Da're le regarda faire d'un œil mi-amusé mi-dégouté devant cette scène de torture bien éloignée de celle pratiquée dans les geôles de son institution. Il préférait les intrusions mentale où l'esprit de la victime était écrasé contre celui du mage, qui régnait en maître, au déluge de lames des adeptes du Père de la Guerre.

Le Maître Mage enjamba le cadavre pour se retrouver face au Haut Prêtre. Il le toisa un moment, déclina l'invitation à s'asseoir et écouta les revendications guerrières du drow. Derrière lui les deux prêtres s'activaient sur les corps. L'un deux croisa le regard du mage, y lu tout le mépris et la menace, et se détourna. Khernal reporta son attention sur Velkyn, qui débitait des pseudos stratégies sans grande réflexion.

"– Haut Prêtre, je partage votre envie d'en découdre avec les elfes. Cependant, et même si une attaque sur Wyslena est une opportunité à ne pas négliger, nous ne devons pas tomber dans la précipitation. Certes les Streea ne comprennent pas l’enjeu d'Eraison et ce que représene la perte d'une cité fantôme sur le plan stratégique global. Mais une attaque précipitée transformera notre gain relatif en défaite certaine. "

En bon orateur, le mage fit une pause et s'assura que son message était clair. Après avoir dévisagé en silence son interlocuteur, il reprit.

"– Je ne suis pas au fait de l'état de nos troupes après l'attaque du Front, Malag'eyl se serait bien gardé de me le transmettre. Sachez cependant que je soutiens toute tentative de mettre les elfes a genoux devant nous, et que mes mages suivront toute attaque qui sera... préparée... avec soin. "

Il insista sur ces qatre dernier mots et laissa sa phrase en suspens.

"– Des éclaireurs ont été envoyés, à ma demande, sur les rives du fleuve. Ses eaux sont difficilement franchissable, d'autant moins navigables, sans embarcations fiables. Et vous connaissez comme moi la relation qu'entretien notre peuple avec la navigation. "

Le Ditronw Da're s'arrêta. D'un coup d'oeil, il regarda les prêtres éponger le sang qui souillait le sol du Temple. Plus loin, sur un autel de pierre, il déposait les corps sans vie et des coupes de sang. La prochaine office serait sans doute sanglante.

D'une main, il se saisit d'une lame de sa ceinture, et se mit à la tourner lentement dans sa main. Parmi toutes les lames qu'il portait à sa ceinture, c'était sa préférée. La seule qu'il avait hérité et non fait fabriquée. La seule, donc, qui ne portait pas de défaut qui allait être fatale au forgeron de ses paires... Et celle qu'il préférait avoir en main, assurément. Le rubis dans le pommeau était le même que celui de sa bague, et pour cause, puisqu'il s'agissait de la même pierre. Distraitement, il s'amusa à lancer le couteau en l'air et le rattraper, alors que son esprit était occupé par les mots du Haut Prêtre qui continuait à lui raconter ses idées destrutrices.

Bien que Khernal mourrait d'envie de poser la botte sur une face d'elfe, il se devait, au regard de sa hiérarchie intransigeante, de ne pas hâter ce qu'il avait put prédire par le passé. Certes, une attaque surprise sur Wyslena, aussi efficace qu'elle serai bien préparée, pourrait mettre à genoux le peuple elfe en offrant une nouvelle position de choix à leurs cousins. Cependant, mal réalisée et des régiments de Sombres tomberaient sous les murailles de la Cité. De toute évidence, il fallait aussi remarquer que la Cité n'était à présent qu'une Cité fantôme, habitée uniquement par des civils et même dépourvue de réel chef. Les drows ne pouvaient plus se permettre de se disperser ainsi sur le Front, alors que leurs armées subissaient de sérieuses contrattaques en Péninsule.

De son point de vue, Khernal regardait d'un bon oeil la défaite que subissaient les fanatiques en Sgardie. Aucun d'eux n'avait de réelle formation militaire, et s'improviser général ne fait pas de vous un grand stratège. Cependant, l'honneur invincible du puy d'Elda avait été entachée après cette guerre, pour un gain minime, si ce n'est nul.

Le Ditronw Da're ne pouvait se permettre d'engager ses troupes dans une initiative hasardeuse. Trop de points restaient encore dans l'ombre : le fleuve était-il praticable ? la Cité était elle dépourvue de ressources militaire ? Trop de questions sans réponses pour qu'une attaque soit envisageable. Plus que l'honneur de son peuple, sa place était menacée. Cependant, en tant que responsable militaire d'Eraison, il ne pouvait se permettre de lâcher la cité durement acquise aux elfes. Certes l'idée de les attirer dans un guet-apens était brillante et malgré la victoire stratégique que cela représentait, cela restait une défaite tactique. De plus, il serai difficile pour le mage de remplir les conditions que lui avant fournit la forgeronne dans de telles conditions.

"– Non, Haut Prêtre, je n'ai pas changé d'avis du tout au tout. Je me suis rendu à l'évidence que Wyslena est un but bien trop petit pour les ressources qu cela demanderai. Mais vous connaissez l'envie que j'ai d'en finir avec les elfes. Et vous connaissez aussi la métaphore du serpent : si on lui coupe la tête, il arrête de bouger. Il se trouve que dans quelques jours, lorsque l'armée royale essaiera de triompher de nos troupes au Sud, leurs troupes auront érigé un camp pour leurs chefs. Lorsque la nuit tombera sur ces camps, j'espère pouvoir compter sur vous et quelques de vos prêtres les plus redoutables pour pouvoir fondre sur nos ennemis. Ma seule condition est la suivante : si l'on trouve un officier ou un Protecteur, il me sera remis vivant, sans une égratignure. J'en aurai la responsabilité absolue et son sort ne dépendra que de moi. Si ce n'est ce détail, mes lames, et ma magie sont vôtres. "

Khernal posa ses yeux vermeils dans ceux du Haut-Prêtre. Dans son regard brillait une lueur de défi, mais aussi celle, fugitive, de la connivence et d'une possible alliance future. Malgré leur différence à tout égard, les deux hommes pourraient bien s'entendre.

La conversation prenait une bonne tournure, comme en témoignait le sourire satisfait du héraut d'Uriz. Les deux drows avaient trouvé un terrain d'entente, celui de la collaboration fructueuse motivée par des intérêts communs. La réussite du peuple de l'Elda serait bénéfique pour les deux. Le Haut Prête acquiesça à la tirade de Khernal et approuva son souhait de garder pour lui-même un gradé elfe. Il n'y trouvait pas d'inconvénient à ce que le Ditronw Da're ait ce qu'il demandais, à priori. Pourtant, sa curiosité fit hésiter Khernal. Son accord avec Krish ne l'interdisait pas de dévoiler le paiement qu'elle lui avait demandé, ainsi il préféra jouer franc-jeu avec Velkyn.

"– Voyez-vous, j'ai fait une commande d'une épée spéciale auprès de deux artisans des plus talentueux que Miradelphia ait connu. L'un deux, Krish Al'Serat, m'a demandé un paiement... particulier pour une de ses œuvres. Cela implique qu'un officier elfe lui soit remis... Bien évidemment, avant de lui livrer, je souhaiterai l'interroger à ma méthode pour voir ce qu'il a à nous livrer. "

Un sourire sardonique se dessina sur son visage à l'idée de ce qu'il ferait endurer à son prisonnier avant de le livrer à la marchande, lorsque ses yeux ne seraient pas fixés dessus. Puis le sourire s'effaça et Khernal reprit un air grave. Il avait une dernière requête pour le Haut-Prêtre. Prêt à tourner les talons, il apostropha Velkyn.

"– Haut-Prêtre ! J'ai une dernière demande. lorsque ceci sera terminé, que les elfes auront payé leurs crimes. Quand la suprémacie des drows sera proclamé, je voudrai qu'Uriz se souvienne ce que son serviteur a fait pour le servir... Après la guerre suivra la politique, et j'espère pouvoir compter sur de puissants et sûrs alliés. Ce que vous êtes, j'en suis sûr. "

Satisfait, le mage sourit une dernière fois, un sourire plein de sous entendus. Puis il tourna les talons et sortis du temple improvisé. En se retournant, il vit les épées au devant du bâtiments ensanglantées du sang des traitres que les PRêtres avaient immolés à son arrivée. Son sourire s'aggrandit.