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| Les boucliers de Deina [Jena] | |
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Hanegard Kastelord
Ancien
Nombre de messages : 2168 Date d'inscription : 22/10/2009
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| Sujet: Les boucliers de Deina [Jena] Dim 3 Avr 2016 - 12:18 | |
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Hanegard suivait attentivement du regard les mouvements de son adversaire. Jeune et trop enthousiaste, ce dernier ne savait pas encore cacher sa tactique, son corps tout entier hurlant la façon dont il comptait remporter leur duel. Le pied droit légèrement en avant, les muscles de l’avant-bras tendus… comprenant ce qu’il avait en tête, Hanegard modifia légèrement sa prise derrière son bouclier, prêt à réceptionner le coup. Lorsque l’épée jaillit en direction de son tibia, l’ancien baron d’Alonna se trouvait déjà en posture défensive et la lame racla bruyamment le long de la sienne avant de venir se ficher dans la terre. Profitant de ce moment d’hésitation, Hanegard projeta son bouclier vers l’avant, grimaçant lorsqu’il le sentit s’écraser sur un visage sans défense. Reculant prudemment, il vit que le jeune homme gisait au sol, assommé net, un petit filet de sang coulant de son nez.
Jetez-lui un seau d’eau, ca va le réveiller, ordonna-t-il tout en abaissant ses armes.
Un page qui attendait à côté de l’arène d’entrainement obéit, et le jeune homme retrouva ses esprits, crachant et s’ébroua sous l’eau glacée.
Je te l’ai dis mille fois, mon garçon, le tança Hanegard. Tu es trop prévisible dans tes attaques, un adversaire confirmé peut lire en toi comme dans un livre ouvert. Allez, relève-toi et recommençons.
Un peu titubant, le jeune homme se remit sur ses pieds, vérifia les sangles de son plastron de cuir puis revint se mettre face à lui, reprenant ses attaques avec désormais plus de précautions. La douzaine d’autres garçons qu’il formait à l’art du combat se trouvaient eux aussi dans la cour, les regardant ou s’entrainant de leur côté. Tous auraient du intégrer les rangs des adeptes de Néera mais avaient décidé de suivre Hanegard dans son œuvre quelque peu transgressive et qui faisait sourciller les prêtres les plus rigoristes.
Quelques ennéades plus tôt, à Notre-Dame de Deina, alors qu’il touchait au fond de la déprime et du doute quant à la nature humaine, l’ancien baron avait eu une vision : celle de guerriers défendant, par les armes s’il le fallait, les symboles clef du culte de Néera. En ces temps troublés où le frère trahissait le frère au nom d’idéaux politiques, même le symbole divin de l’Aile n’était plus un bouclier protecteur à toute épreuve et certains malfrats visaient parfois les temples pour y voler quelques richesses. Cela sans parler des pèlerins qui pouvaient à tout instant se trouver la proie des bandits hantant toute la péninsule sans quasiment plus être pourchassés. Les grands lieux de pèlerinages se vidaient ainsi peu à peu, tant de fidèles craignant pour leur vie s’ils entreprenaient le saint voyage.
Hanegard affirmait depuis cette vision qu’il fallait que le culte fasse appel à une milice laïc armée apte à protéger ses fidèles et ses lieux saints. Position pour le moins osée, car s’il existait localement des groupements de moines-chevaliers, jamais la haute hiérarchie du culte n’en avait officiellement reconnu ni soutenu un. Alors que dire d'une troupe fonctionnant quasiment comme une compagnie de mercenaires ? Depuis longtemps, une zone d’ombre entourait cette lancinante question du dogme : « puis-je me défendre par les armes sans pour autant violer les préceptes de la déesse ? ». Le châtelain de Val-Néera avait longuement essayé de persuader son épouse de mettre ces discussions à l’ordre du jour du Conclave, dans l'espoir d’obtenir un accord permettant la création de cette milice. Joignant le geste à la parole et se fichant totalement des on-dit, Hanegard commençait à entraîner certains jeunes novices qui le rejoignaient sur ce point de rupture théologique, préférant l'action à la contemplation.
Par contre, Hanegard ne s’était pas attendu à ce que Liliana vienne assister elle aussi aux entrainements. Sa fille affirmait qu’elle souhaitait uniquement le soutenir, mais il ne pouvait s’empêcher de remarquer qu’elle regardait aussi avec parfois un réel intérêt ses adversaires. Jugeant qu’elle était encore un peu jeune pour s’intéresser de près à de jeunes hommes pas totalement habillés, Hanegard la renvoya dans leurs appartements au motif qu’il était l’heure pour elle de sa leçon de chant. Tandis qu’elle s’éloignait, son père se fit la réflexion que Liliana n’était plus vraiment une enfant. Pas encore une adolescente… mais certainement plus une enfant. Cela le troublait, et il se nota d’en parler à Jena.
Sa femme justement arriva à son tour dans la cour de l'hôtel particulier qui, au Tertre, leur servait de lieu d’entrainement. Faisant signe à ses élèves de continuer leurs exercices sous la férule de Glamdring, Hanegard la rejoignit, essuyant au passage la sueur qui lui coulait sur le front.
Les derniers préparatifs pour le Conclave se déroulent-ils bien ?
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| | | Jena Kastelord
Ancien
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| Sujet: Re: Les boucliers de Deina [Jena] Lun 4 Avr 2016 - 10:22 | |
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Depuis mon arrivée au Tertre, j’avoue que je déléguais entièrement la préparation du Conclave. Les dix Grands-Prêtres et Grandes-Prêtresses ainsi que le Haut-Prêtre étaient enfin arrivés, et chacun s’occupait des derniers détails. De mon côté, je me consacrais entièrement à la prière et à l’écoute des paroles de Néera. La déesse n’était pas très bavarde ses derniers temps mais elle m’avait confié qu’elle se réjouissait de cette assemblée mais surtout qu’elle attendait que je mène à bien la mission qu’elle m’avait confié. Etait-ce cela qui me rendait si silencieuse ces derniers temps ? Probablement. Je respectais profondément le Don qu’elle m’avait offert, il était pour moi le symbole même de l’Equilibre. Je pouvais voir le bien et le mal… Mon cœur se réjouissait lorsque c’était le premier… mais je ne pouvais m’empêcher de redouter les images et les sensations qui accompagnaient généralement le second. Mais cette mission me tourmentait. Comment pouvais-je juger une âme alors que ma conscience était entachée par la mort d’un homme. Un homme qui m’avait suivi, protégé, aidé de longues ennéades et qui avait donné sa vie pour sauver la mienne. « C’est lui qui a choisi. ». Parfois, alors que je pleurais la mort de mon ami, la voix de Néera raisonnait en moi, me rappelant que dans ses derniers instants, mon garde avait lui-même coupé la corde. Mais cela n’effaçait pas ma culpabilité. Cela ne rendait pas la chose plus facilement acceptable.
Je priais donc de longues heures par jour, oubliant par la même mon rôle de mère et d’épouse. Cela ne faisait que deux jours que nous étions au Tertre, mais j’avais si peu vu mes enfants et mon mari que je décidais d’y remédier à l’instant. Néera seule savait combien de temps nous serions enfermés dans la grande salle du Tertre et j’avais besoin de sentir le poids qui pesait sur mes épaules s’alléger. Je quittais donc la chapelle, sans mon bâton, sans avertir Frère Ulrich qui habituellement me suivait comme une ombre, sans remettre le foulard sur mes yeux. J’avais juste besoin de retrouver les miens comme s’ils étaient à l’heure actuellement ma seule source d’oxygène.
Je me présentais dans le petit hôtel particulier qui avait été prêté à ma famille et me rendit sans la moindre hésitation dans la chambre des enfants. Liliana n’était pas là, sûrement avec son père, mais je profitais de quelques minutes privilégié avec Dastan. Il avait bien grandi lui aussi mais il ne refusait jamais un câlin de sa mère. Elyan dormait dans son berceau, je l’embrassais sur le front avant de quitter la pièce. Je croisais Liliana dans les couloirs qui m’embrassa joyeusement. Elle revenait de l’arrière-cour qui servait de terrain d’entraînement. Elle était ravie par tout ce qu’elle avait vu et après m’avoir supplié de rester manger avec eux ce soir, je la laissais retourner avec ses frères.
Guidée par le bruit des combats, je finis par arriver à cette fameuse arrière-cour. Hanegard n’avait pas attendu mon accord ou celui du Conclave pour se lancer dans cette mission qu’il semblait s’être imposée, mais je n’avais pas le cœur de lui enlever ça. Pas après l’avoir vu noyé dans ses tourments à Diantra. A présent qu’il semblait s’être fixé un but qui lui tenait à cœur, je ne voulais pas qu’il sombre à nouveau dans la déprime et le désespoir qui s’étaient emparés de lui. Il me vit arriver sans que j’aie besoin de me faire annoncer et l’instant suivant il était près de moi. Je lui adressais un timide sourire. Je me sentais trop coupable de les avoir abandonné depuis notre arrivée au Tertre, pour me sentir parfaitement à l’aise à présent … non, là encore je me voilais la face, je les avais abandonné depuis bien plus longtemps que ça. Et rien ne rattraperait le temps que j’avais passé loin d’eux.
« - Les préparatifs ? Oh, et bien je l’espère. Tout le monde est là, le Conclave devrait donc se tenir demain. Je pense que tout est prêt. Et toi ? J’ai l’impression que tu as trouvé quelques bras à former. »
Le bruit avait repris et j’indiquais de la main le couloir qui menait aux jardins. J’avais envie de marcher et de me trouver dans un endroit calme. L’agitation dans l’arrière-cour ne me rappelait que trop celle qui régnait en moi. Je n’étais pas venue pour ça, mais simplement pour passer quelques instants avec la seule personne qui avait toujours su apaiser mon âme.
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| | | Hanegard Kastelord
Ancien
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| Sujet: Re: Les boucliers de Deina [Jena] Lun 4 Avr 2016 - 19:33 | |
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J’accueillis Jena avec tendresse, ma femme étant malheureusement trop peu présente auprès de nous ces derniers temps, prise par la complexe organisation d’un évènement aussi important qu’était ce Conclave qui devait aborder des points du dogme en plus du jugement de la haute-prêtresse d’Erac. Certes je comprenais tout cela, et nos enfants aussi, mais nous ne pouvions que regretter son absence au moment où notre petite famille réussissait enfin à se ressouder. Je suivis donc Jena en direction du jardin, encore tout enthousiaste de la séance d’entrainement qui me rappelait mes années de mercenariat, lorsque mes tempes ne grisonnaient pas encore. Avoir ainsi trouvé un nouveau but après l’échec de mes ambitions politiques dans la Ligue m’aidait à chasser de mon esprit les sombres nuées d’orage qui y rôdaient quelques ennéades auparavant.
Oui, ces jeunes gens sont sincèrement dévoués à Néera et plein d’énergie, ils ont vraiment envie d’apprendre l’art du combat pour défendre ceux qui ne peuvent pas le faire. Comme moi, ils sont choqués que le culte ou les pèlerins puissent devenir des cibles pour les brigands, mais hélas depuis la mort de Trystan même le sacré ne constitue plus une citadelle. Triste époque que nous vivons.
J’étais le premier à regretter le temps du feu roi, malgré mon soutien à Nimmio et Niklaus dans leur tentative d’émancipation. Un royaume unifié prêtait moins le flanc aux pillards qu’un assemblage de duchés plus ou moins autonomes passant leur temps à se quereller. Mais j’en tenais pour responsable les seigneurs du nord et du sud qui refusaient obstinément d’admettre l’existence de plusieurs entités politiques devant à minima cohabiter en paix, à défaut de pouvoir s’allier. Pour avoir moi-même gouté au doux nectar du pouvoir, je comprenais certes que ce poison s’insinuait en eux et les privait de leur jugement, ce qui n’enlèverait toutefois pas grand-chose à leur culpabilité lorsque Tyra jugerait leurs actes.
Il n’y avait hélas pas d’autres moyens, les systèmes claniques que je connaissais ne pouvant s’adapter à des masses de populations aussi importantes et hétérogènes que la Péninsule, et nul ne souhaitait une théocratie autoritaire comme au Puy d’Elda. Par moment je trouvais presque intéressant les idées de Niklaus sur un régime d’élection, quand bien même je considérais comme insolite de demander l’avis de la plèbe sur le choix de son seigneur. Un jour peut-être la royauté héréditaire laisserait-elle la place à un système réellement démocratique, mais je doutais que cela se fasse avant plusieurs cycles.
Par contre j’ai surpris Liliana en train de nous observer avec un peu trop d’intérêt, repris-je en revenant au présent. [/color]Plusieurs des garçons que j’entraîne sont jeunes et séduisants... hmm… peut-être faudrait-il que tu lui parles ?[/color]
Le sujet me gênait un peu, car je n’avais jamais été mis en face de telles situations. Dans mon clan, au nord des wandres où la vie s’arrêtait souvent tôt, les jeunes filles « découvraient » vite les joies de la vie au fond d’un bois, les lieux discrets entre amoureux ne manquant pas. Peu arrivaient vierges au mariage, ce qui ne choquait d’ailleurs personne, mais le cas de Liliana serait résolument différent. Contrairement à Jena ou moi, elle était née noble et serait richement dotée, ce qui lui permettait d’épouser un homme bien placé à la cour. Nous ne pouvions dès lors prendre le moindre risque, et mieux valait se montrer prudent.
Je laissais Jena répondre avant de l’interroger sur un autre sujet qui me turlupinait :
J’y pensais tout à l’heure, que devient ce bon vieux Caïn ? Je n’ai même pas eu le temps de passer le voir lors de notre séjour à Val-Néera, et il méritait bien de passer du temps avec les siens après avoir veillé sur toi durant ta quête. Mais j’aurais besoin d’hommes solides et loyaux comme lui pour m’aider à former les recrues, il faudrait que je lui envoie une missive.
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| | | Jena Kastelord
Ancien
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| Sujet: Re: Les boucliers de Deina [Jena] Mar 5 Avr 2016 - 11:37 | |
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J’écoutais attentivement Hanegard tandis que nous marchions vers le jardin. J’étais heureuse d’entendre dans sa voix cette détermination qu’il y avait toujours eu du temps où il était Baron. Je ne voulais pas parler de cette milice, ni même de ce que l’on avait prévu d’évoquer lors du Conclave. Je ne voulais pas lui donner de faux espoirs ni l’encourager dans une entreprise que mes Frères pourraient fermement condamner. Pour le moment je le laissais simplement redevenir lui-même. Il me parla ensuite de Liliana qu’il avait surpris à plusieurs reprises rôdant non loin du terrain d’entraînement. Elle était encore très jeune, trop jeune même pour être courtisée mais ma fille savait merveilleusement bien jouer de ses battements de cils et je ne doutais pas qu’elle finirait très vite par comprendre comment elle pouvait ravir un cœur de cette façon. Qu’il me demande de lui parler me fit sourire. C’était une attitude typiquement masculine, comme si un père ne pouvait pas aborder un sujet pareil avec sa fille. Mais connaissant Liliana, j’étais persuadée qu’une conversation de ce style avec son père la faire rougir de honte pour le restant de ses jours.
Nous étions parvenus dans le jardin, le soleil était encore haut dans le ciel et ses rayons me réchauffer la peau. Je savais qu’il y avait un banc quelque part mais à défaut de le voir je posais ma main sur le bras de mon époux et le laisser m’y guider. Une fois assise je me tournais vers lui, toujours amusée par sa remarque.
« - Liliana grandit, nous devrons nous y faire. Mais tu as raison, je lui parlerai. »
Un court silence nous enveloppa durant lequel je profitais du soleil et des sons relaxants qui me parvenaient. De l’eau, des oiseaux, le vent dans les feuilles d’un arbre. C’était extrêmement agréable et reposant. Ce moment de quiétude fut pourtant brutalement assombri. Mais comment pouvais-je en vouloir à Hanegard alors qu’il ignorait tout de mes mésaventures dans les Montagnes. Etonnamment, lorsque j’étais revenue à Val-Néera après des ennéades d’errance, il ne m’avait posé aucune question et je ne lui avais rien raconté. Non pas qu’il y eut quoique ce soit de secret dans mon voyage, mais j’estimais que l’avoir abandonné sans lui dire où j’allais, l’avoir laissé seul pour s’occuper des enfants… je n’avais pas le droit de remuer le couteau dans la plaie en parlant de cette quête. Depuis, nous avions toujours fait comme si ces ennéades n'avaient pas existé ... C'était peut-être ça aussi qui nous empêchait de nous retrouver comme aux premiers jours à Alonna. Ces silences, ces non-dits... cette distance vis à vis de nos deux vies. Il m'avait caché ses actions politiques, je lui avais caché mes quêtes.
Pourquoi n’avais-je pas parlé de la mort de Caïn ? Peut-être parce qu’elle me pesait trop sur la conscience. Quand Clarys m’avait questionné à son sujet, étonnée de ne pas le voir avec moi je n’avais rien répondu et par la suite, quand elle m’avait demandé s’il était rentré directement chez lui à Alonna…je n’avais pas eu le courage de dire le contraire. J'étais revenue épuisée, affamée, le visage et le corps marqués... personne n'avait insisté.
La mort de mon garde et ami me hantait. Il n’avait pas de femme ni d’enfant mais sûrement des parents qui s’inquiétaient pour lui… je leur avais écrit avant de quitter Val-Néera… C’était la seule chose que j’avais été capable de faire. Mon silence s’éternisa. Sur mon visage plus la moindre trace d’un sourire, je devais même avoir pâlie à l’évocation de Caïn…
« - Inutile de lui écrire… »
Ma propre voix me surprit, si faible qu’on aurait dit un murmure. Je serrais mes bras contre moi, comme si ce geste pouvait me protéger de la souffrance que je ressentais à nouveau. Toute gardienne que j’étais, les gens oubliaient parfois que je n’étais pas faite d’acier. Même ma famille me pensait au-dessus de toute souffrance.
« - Il … Il n’est jamais revenu… des Monts Corbeaux. »
Cette phrase prononçait toujours dans un murmure me fit frissonner. J’étais en plein soleil, par une belle et chaude journée d’été, pourtant je me sentais totalement gelée. Les sensations que j’avais éprouvées ce jour-là me revenaient en mémoire. J’étais fatiguée, mes mains étaient écorchées d’avoir dû m’agripper aux parois de la montagne, je sentais encore la corde serrée à ma taille. Il était passé devant moi, m’avait attrapé la main et m’avait tiré vers le haut pour m’aider à grimper… Mon pied avait glissé. Je l’avais entraîné dans ma chute… Si j’avais pu me rattraper au bord du chemin, ce n’était pas son cas. Je pouvais encore sentir la corde me brûler le ventre, m’enserrer douloureusement. J’avais crié de peur, je m’étais accrochée autant que possible… et puis soudain… La corde s’était détendue. Arthur m’avait hissé sur le chemin… Et Caïn n’était plus là.
Mes yeux s’étaient embués de larmes et je les laissais couler silencieusement sur mes joues. Je n’avais parlé de sa mort à personne, parce que je devais porter ce fardeau toute seule… mais à présent qu'Hanegard était près de moi, je n'avais plus la force de faire comme si rien ne s'était passé. S’il y avait bien une personne à qui je pouvais me confier… c’était à lui.
« - Il est …mort par ma faute. Il a sacrifié sa vie… pour sauver la mienne... Jamais je... jamais je ne me le pardonnerai... »
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| | | Hanegard Kastelord
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| Sujet: Re: Les boucliers de Deina [Jena] Sam 9 Avr 2016 - 13:50 | |
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Je vis Jena pâlir au moment où je prononçais le nom de Caïn, au point de la croire l’espace d’un instant victime d’un malaise. La rejoignant en hâte sur le banc où elle s’était assise, je passais mon bras autour de ses épaules pour la soutenir, comprenant qu’il ne s’agissait pas d’un malaise mais d’une mauvaise nouvelle relative à ma question. Qu’il soit inutile de ma part d’écrire à Caïn ne pouvait indiquer qu’une seule chose : ce fidèle protecteur était décédé, et la façon dont Jena en parlait indiquait clairement qu’elle s’en tenait pour responsable.
Depuis son retour, je ne l’avais quasiment pas interrogé sur la nature de sa mystérieuse quête, acceptant de lui laisser le moment de m’expliquer pourquoi elle avait du nous abandonner ainsi sans tambours ni trompettes. Ayant eu moi aussi pendant un temps des activités dont elle ignorait quasiment tout, je ne pouvais exiger plus d’elle qu’elle n’en avait exigé de moi. Mais lorsqu’un barrage cède, le contenu des flots ne peut que se répandre et il est chimérique de vouloir l’arrêter.
Elle me raconta alors ce qu’il s’était passé, son voyage en compagnie d'un mystérieux chevaliers et de Caïn sur la piste de l’œuf du dragon, leur difficile traversée des Monts-Corbeaux, sa main qui lâchait prise, Caïn qui la rattrapait de justesse mais qui perdait dans l’action ses propres appuis et chutait dans le vide vers une mort certaine. Jena, qui pouvait invoquer l’aide d’une Déesse, n’avait pas réussi à sauver son protecteur, voilà ce qu’elle n’arrivait pas à accepter et qui la rongeait. Que pouvais-je lui dire ? « Tu n’es pas responsable de sa mort » ? « Ca ne change rien de te morfondre ? » Quand bien même cela était vrai, de telles phrases auraient sonnées faux, des tentatives de la consoler qui ne pouvaient qu’avorter.
La culpabilité dans la mort d’un ami est un lourd fardeau.
Intérieurement, je fis reproche à Néera d’avoir laissé souffrir ainsi ma femme. Notre Déesse ne pouvait-elle donc pas la consoler, ou à tout le moins me prévenir, puisqu’elle était omnisciente et toute puissante, tout du moins si j’en croyais le dogme du culte ? Amèrement, je me fis la réflexion que décidément les dieux comprenaient parfois bien mal les mortels, et qu’il fallait peut être voir dans cette faiblesse de leur part la nécessité d’existence des Gardiens, ces élus aptes à transformer la volonté divine en réalité terrestre.
Tu n’es pas la première à ressentir ce poison. Bien avant de venir à Serramire, alors que je vivais encore dans les Wandres, tel a également été mon cas.
Je la gardais enlacée contre moi, alors que ma mémoire remontait plus de deux décennies en arrière.
Mon clan dominait un vaste territoire près de la frontière naine. Cette partie du monde est rude et violente, les guerres tribales y font rage et toute notion de pitié en est abolie pour peu que l’honneur soit en jeu. Comme à tous les jeunes guerriers de mon clan, notre chef nous répétait que le vrai devoir du guerrier est de massacrer ses ennemis, de piller ses richesses et de violer ses femmes. Mais un homme n’était pas d’accord avec cette doctrine.
Un visage m’apparut de nouveau, celui d’un homme dans la force de l’âge, légèrement grisonnant, au regard sévère mais juste. Même après toutes ces années de mariage, je n’avais pas raconté l’intégralité de ma vie dans les Wandres à Jena, bien qu’elle en connaisse la majeure partie.
Il s’appelait Behörn et était l’un de nos champions. Tu le jugerais sévèrement selon les préceptes de Néera, car Behörn ne reculait devant rien en temps de guerre pour assurer la victoire. Mais une fois celle-ci atteinte, jamais je ne l’ai vu exécuter des prisonniers sans défense, abuser d’une femme ou égorger des enfants en riant comme le faisaient les autres guerriers. Il usait souvent de son influence pour privilégier les négociations ou les duels entre champions plutôt que les guerres.
Le calme était tombé sur le jardin de l’hôtel, et nous n’entendions même plus les bruits de l’entrainement alors que je racontais cette histoire à Jena, qui devait malgré tout se demander où je voulais en venir et quel pouvait être le rapport avec Caïn.
C’est lui qui m’apprit à me battre et il me parlait souvent de son code d’honneur, bien différent de celui de notre chef. « Quand tu es acculé au combat, mon garçon, sois comme l’ours et ne laisse aucune chance à ton ennemi. Mais si tu peux régler votre désaccord sans violence, fais-le. Et ne laisse jamais la fureur des combats t’amener à commettre des cruautés que tu regretterais plus tard ». Si un autre homme du clan m’avait tenu de tels propos, j’aurais ris de sa naïveté, mais les exploits guerriers de Behörn imposaient le respect.
Je poussais un soupir de regret.
Peu avant ma vingtième année, je participais à ses côté à une bataille contre un clan rival. Nous étions isolé tous les deux du reste de nos compagnons, et près d’une dizaine d’ennemis nous entouraient. Me hurlant de fuir, Behörn les chargea, sachant très bien que toute sa vaillance et la puissance de son bras ne pourraient venir à bout de leur nombre. J’aurais dû rester à ses côtés et mourir avec lui pour la gloire du clan, mais j’ai fuis, acceptant pour sauver ma vie que meurt un homme que j’idolâtrais. Je survécus, car nous avions remporté la bataille et revînmes au village fêtés comme des héros, mais la mort de Behörn me hantait. J’en perdis le sommeil car même si je savais que nous n’avions eu aucune chance, je me reprochais comme une lâcheté d’avoir voulu vivre.
Me levant, je marchais un peu au milieu de l’allée, puis revint devant Jena, posant un genou en terre et lui prenant les mains au creux des miennes.
Je décidais d’en parler sous le sceau du secret à notre shaman, un vieil homme plein de sagesse. Il éclata d’une grande colère, non pas contre mon acte mais contre mon remord, et je n’ai jamais oublié ses paroles qui me marquèrent l’esprit au fer rouge : « Jeune présomptueux, qui crois-tu donc être pour vouloir interférer dans le cours du destin ? La mort est notre compagne à tous et au final nous lui appartiendrons, nier ce fait revient à insulter les dieux eux-mêmes ! Ton ami Behörn aurait pu mourir de maladie, écrasé par un arbre, chutant d’une falaise ou en milles autres occasions. Mais il a volontairement choisit de donner un sens à sa mort en te laissant l’opportunité de continuer à vivre. Et toi, tu craches sur sa mémoire en te morfondant dans de stériles regrets ? Si tu respectes réellement Behörn, montres-toi digne de lui et continues son œuvre ! Depuis le Walhalla d’où il te regarde, rends-le fier de toi ou sinon sa mort aurait réellement été inutile ! »
L’une de mes mains vint caresser la joue de ma femme, essuyant quelques larmes au passage.
Caïn, comme Behörn, ont choisi de donner leur vie pour nous et il nous appartient d’agir pour que cela n’ait pas été vain. Toutes ces années j’ai tenté de respecter le code d’honneur de Behörn, refoulant au fond de moi ces pulsions sanguinaires que j’ai hérité de mes ancêtres wandrais. L’âme de Caïn fais désormais également peser une telle dette sur toi : sèches tes larmes et continues l’œuvre pour laquelle Néera t’as désigné. Fais-le pour lui, pour cet espoir qu’il a placé en toi dans son dernier souffle.
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| | | Jena Kastelord
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| Sujet: Re: Les boucliers de Deina [Jena] Jeu 14 Avr 2016 - 9:59 | |
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Les bras d’Hanegard se refermèrent sur moi et ce simple contact me fit totalement lâcher prise. Je ne m’étais pas rendue compte que ma culpabilité me pesait à ce point, je m’étais forgée une carapace et personne n’avait vu à quel point j’avais souffert. Personne à part Elle. Elle m’avait parlé, elle avait voulu m’apaiser, mais le souvenir était trop récent pour que je l’oublie si facilement. Et puis je ne voulais pas oublier. Cette quête, pour ce dragon m’avait coûté cher. Un ami loyal et fidèle et une partie de mon âme. Quand je lui avais demandé pourquoi elle m’avait choisi moi, quand je lui avais dit que je n’étais pas assez forte pour accomplir ses volontés, Elle m’avait répondu qu’aujourd’hui plus que jamais elle se félicitait de m’avoir appelé à elle. J’avais compris que ce n’était pas ma souffrance qui lui plaisait, Néera n’était pas ce genre de Déesse –du moins elle ne l’avait jamais été avec moi – mais mon empathie et la sincérité de mon affliction.
Hanegard se livra alors, pour tenter de m’apaiser il me raconta sa vie dans les Wandres. Mon époux n’avait jamais été très bavard sur le sujet. Les souvenirs de sa vie là-bas le ramenaient forcément auprès de sa première épouse et même si cela faisait longtemps que je n’éprouvais plus la moindre once de jalousie à son évocation, je ne pouvais m’empêcher de penser que si cette femme n’était pas morte, ma vie aurait été bien différente. L’idée même de ne jamais l’avoir rencontré me serra brutalement le cœur. Je l’écoutais, fermant les yeux pour profiter un peu plus du son de sa voix. Cette voix que j’aimais tellement et que j’avais entendu si peu ses derniers temps. Il évoqua son maître d’armes, sa mort, sa culpabilité et même si nos histoires étaient différentes, je comprenais ce qu’il voulait me dire.
Jamais je n’oublierais la mort de Caïn, je ne cesserais jamais de souffrir à l’évocation de mon ami mais je me devais de continuer pour qu’il ne soit pas mort pour rien. Même si cette quête pour laquelle il avait sacrifié sa vie était terminée depuis longtemps, je savais qu’il m’aurait suivi n’importe où si je le lui avais demandé. Je n’avais jamais douté de ses sentiments pour moi et il n’y avait jamais eu la moindre ambigüité entre nous, sa dévotion à mon égard relevait parfois de l’adoration divine, peut-être pensait-il qu’il avait parfois affaire à Néera elle-même. Je savais sans qu’il ait eu besoin de me le dire qu’il avait cherché à laver son âme de toutes ses fautes, il avait voulu se racheter une conduite, chercher un nouveau sens à sa vie loin des champs de bataille. Pourtant il n’aurait pas hésité une seule seconde à sortir son épée du fourreau s’il m’avait pensé menacée.
« - Tu as raison, mais cela ne rend pas la chose plus facile. Il a été un compagnon fidèle, une ombre à qui je n’avais presque rien besoin de demander. Il faisait attention à tout, tout le temps. Je n’avais à m’inquiéter de rien lorsqu’il était là, même dans les plus petits détails et il faisait ça sans jamais me mettre mal à l’aise. Mais tu as raison, ma culpabilité ne lui rend pas hommage… »
Finalement, c’était peut-être pour lui que je n’avais opposé aucun refus à Hanegard lorsqu’il m’avait parlé de cette milice armée qu’il voulait formée. J’étais persuadé que Caïn aurait trouvé une place parfaite dans les rangs de cet ordre dévoué à la protection des pèlerins. Quoi qu’il en soit je me forçais à refouler mes sanglots et je poussais un soupir lorsque la main d’Hanegard vint se poser sur ma joue, j’étais épuisée par les émotions qui venaient de me submerger et le barrage qui venait de céder m’empêcher de retenir toute la peine que j’avais ressenti face à notre éloignement. Je levais mes mains et les posais de part et d’autre de ce visage chéri que je ne voyais plus. Il ne s’était pas rasé et sa peau était encore échauffée par son entraînement physique mais j’en savourais quand même le contact. Mes doigts glissèrent vers ses cheveux et j’approchais mon visage du sien.
« - Me pardonnes-tu de ne t’avoir rien dit ? »
J’avais besoin de l’entendre, parce qu’il était bien une chose que je ne pouvais accepter : que mon rôle de Gardienne m’éloigne de lui. Si nous pouvions nous accommoder d’un éloignement physique, je ne pouvais imaginer vivre s’il décidait qu’un jour il ne pouvait plus aimer le vent.
« - Parfois je me demande comment Elle peut croire que je suis suffisamment forte pour assumer pleinement la charge qui est la mienne à présent et dans ces moments de doute, je me rappelle que c’est de toi que je tire cette force. J’ai besoin que tu sois près de moi, si tu n’es pas là … je n’y arriverai pas. »
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| | | Hanegard Kastelord
Ancien
Nombre de messages : 2168 Date d'inscription : 22/10/2009
Personnage :.: MANUSCRIT :.: Âge : 49 ans Taille : 1m90 Niveau Magique : Non-Initié.
| Sujet: Re: Les boucliers de Deina [Jena] Dim 17 Avr 2016 - 12:52 | |
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Avais-je réellement réussi à convaincre Jena que sa détresse suite à la tragédie des Monts Corbeaux se trouvait non seulement injustifiée mais potentiellement destructrice ? L’avenir seul le dirait, mon expérience personnelle m’apprenant que le poids du remords s’efface lentement. La mort de Caïn ne serait jamais oubliée, nous ne devions pas moins à la mémoire de ce valeureux et honnête serviteur, mais désormais il nous fallait passer outre et lancer conjointement des projets dont il aurait été fier.
Je ne te quitterai pas. Nous continuerons sur cette route ensemble.
Ensemble. Depuis mon abdication nous nous étions peu à peu séparés, moi du fait des intrigues politiques auxquelles je me trouvais mêlé, Jena suite aux exigences de Néera quand à cette mystérieuse quête. Tels deux chemins à un embranchement, nous avions cru pouvoir avancer seul, non pas que nous ayons souhaités enlever l’autre de notre vie, mais aveuglés par notre volonté de protéger l’être aimé. Au final, nos deux chemins se rejoignaient comme pour nous prouver l’inutilité de cette séparation.
Les boucliers de Deina, s’ils voyaient le jour lors du Conclave à venir, assureraient la sécurité des hautes personnalités du culte et je comptais bien veiller personnellement sur Jena. Pas question de la laisser recommencer ses dangereuses escapades sans ma présence ! Mes cheveux grisonnaient peut être, mes réflexes diminuaient surement, mais jamais je ne prendrai plus le risque de la perdre. J’avais moi aussi une dette envers Caïn que je payerai ainsi.
Je revins m’asseoir à côté de mon épouse, mon bras autour de ses épaules. Un rossignol vint se poser un peu plus loin dans une allée de gravier, son pépiement emplissant l’air alors qu’il appelait sa compagne. Etait-ce un signe de Néera pour nous signifier qu’elle aussi se trouvait heureuse de nos retrouvailles ? Je voulais le croire… je voulais de nouveau croire en l’avenir.
Nous étions apaisés.
Enfin.
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